Alger, Algérie : documents algériens
Série économique
L'alfa en Algérie *
mise sur site le 30-9-2011
* Document n° 24 de la série : Économique - Paru le 1er mai 1947 - Rubrique FORÊTS

78 Ko
retour
 

L'alfa en Algérie

L'Alfa n'est pas une plante cultivée ; c'est une graminée vivace et spontanée dont l'aire est limitée au pourtour de la Méditerranée sub-occidentale. On le trouve en abondance sur les hauts-plateaux nord- africains ; il existe aussi, mais en quantité beaucoup moins importante, en Espagne et en Tripolitaine.

L'Afrique du Nord française possède donc le monopole presque exclusif de la production alfatière et elle le conservera certainement pendant longtemps. En effet, à supposer que les essais d'acclimatation de l'alfa dans certains pays jouissant d'un climat analogue à celui de nos hauts-plateaux, soient couronnés de succès, il est peu probable que les peuplements ainsi créés artificiellement puissent entrer en production avant une quarantaine d'années .

PROTECTION DES PEUPLEMENTS.

Les touffes d'alfa composant les alfateries ont certainement plusieurs siècles d'existence. Malgré une fructification assez abondante, on ne rencontré que très rarement de jeunes plantes. Cette absence de régénération naturelle justifie les mesures de protection qui ont été prises depuis longtemps en Algérie pour éviter l'appauvrissement progressif des peuplements soumis à l'exploitation. Au premier rang de ces mesures, il convient de placer l'interdiction de la cueillette des feuilles pendant la période de végétation active de la plante - mars à juillet - et la mise au repos des nappes donnant des signes d'épuisement.

SUPERFICIE ET PROTECTION.


La nappe alfatière nord-africaine qui occupe :
        4 millions d'hectares environ en Algérie ;
        2 millions d'hectares au Maroc ;
        1.200.000 hectares en Tunisie,
peut produira normalement
        en Algérie 250.000 tonnes
        au Maroc 125.000 tonnes
        en Tunisie . 75.000 tonnes
        ensemble 450.000 tonnes

Les 4 millions d'hectares d'alfa d'Algérie appartiennent presque exclusivement à l'Etat et aux communes, les particuliers ne possédant qu'une cinquantaine de milliers d'hectares.

Jusqu'à présent, l'exploitation n'a porté que sur 3 millions d'hectares environ, un million d'hectares étant restés jusqu'ici à peu près improductifs, soit en raison de leur éloignement des routes et des voies ferrées, soit par manque de main-d'œuvre, soit enfin par suite du mauvais état des peuplements.

Si l'on rapproche les superficies indiquées ci-dessus, on constate que le rendement en feuilles est, en moyenne, inférieurà un quintal par hectare. C'est évidemment là une production extrêmement faible mais qui ne saurait pourtant être notablement augmentée sans risque pour la conservation des peuplements.

La carte ci-jointe donne une vue d'ensemble de la répartition de l'alfa en Algérie. On remarquera que c'est dans le département d'Oran qu'il occupe les plus vastes étendues, d'où le nom " mer d'alfa " parfois donnée aux grandes zones alfatières de ce département. -

UTILISATION DE L'ALFA.

La feuille d'alfa, qui renferme de 48 à 52 % de cellulose, est une matière de premier choix pour la fabrication du papier. La pâte d'alfa, comparable aux meilleures pâtes chimiques de bois, possède, en. outre, des qualités spéciales : le papier d'alfa est doux, léger, bouffant et, suivant l'expression consacrée, a " de l'amour pour l'encre ", c'est-à-dire que les caractères alphabétiques ou les traits de gravure s'y impriment sans décoloration ni bavures ; aussi est-il recherché pour les belleséditions, pour le papier à lettres et à chèques ; en raison du pouvoir absorbant de la cellulose d'alfa, il est très employé pour la confection des filtres.

L'alfa, bien qu'il ait été utilisé pendant la guerre en remplacement du jute pour la fabrication des sacs et, à défaut d'autres fibres dures, dans l'industrie de la brosserie, ne paraît pas appelé à un grand avenir comme textile, sa fibre ayant l'inconvénient d'être courte, cassante, et peu " accrochante ". En revanche, son emploi dans la fabrication du crin végétal paraît susceptible d'un large développement et les expériences effectuées dans les laboratoires sur son utilisation pour la fabrication de la soie artificielle et des matières plastiques méritent d'être suivies avec la plus grande attention.

L'ALFA ET LA PAPETERIE.


Cependant, l'industrie de la papeterie demeure, pour le moment, le principal débouché de la production alfatière. Il s'ensuit que le prix de l'alfa est fonction du prix des autres fibres utilisées en papeterie et de qualité à peu près égale, c'est-à-dire des pâtes chimiques de bois blanchies de Suédé qui, non seulement lui font concurrence, mais encore interviennent toujours en mélange avec les pâtes d'alfa dans la fabrication du papier.

L'industrie du papier d'alfa, née en Angleterre vers 1865, y a rencontré un ensemble de conditions très favorables à son développement : abondance et pureté des eaux, bas prix du charbon (Le traitement chimique anglais à la soude requiert un minimum de 4 tonnes d'eau parfaitement pure et de 2 tonnes de charbon par tonne de pâte fabriquée.), goût inné des Anglais pour le beau papier.

Si l'Angleterre n'a plus aujourd'hui le monopole exclusif de la fabrication du papier d'alfa, elle conserve cependant la première place dans cette industrie. Ses papeteries traitent, annuellement, 350.000 tonnes d'alfa brut provenant de l'Afrique du Nord et, pour une faible partie, de l'Espagne. Loin après elle, viennent la France et l'Italie, avec une consommation annuelle ne dépassant pas 30.000 tonnes dans chacun de ces pays.

Ce n'est qu'après la guerre de 1914-1918 que l'emploi de l'alfa en papeterie a pris une certaine importance en France. Le premier élan fut donné par la Société " L'Alfa " ; cette société, fondée en 1923 par un groupe de papetiers français, entrepris à La Traille (Vaucluse), dans l'ancienne poudrerie de Sorgues, mise à sa disposition par lé Ministère de la Guerre, le traitement de l'alfa pour la production de la pâte à papier. L'usine de La Traille travaille, annuellement, environ 15.000 tonnes d'alfa brut qu'elle tire de la concession alfatière qui lui a été attribuée dans l'annexe de Djelfa. Quelques années après, la Société des Papeteries Navarre s'intéressait, à son tour, à l'alfa ; cette dernière traite, annuellement, dans son usine de Montfourat (Gironde), 7 à 8.000 tonnes d'alfa.

La belle qualité de la pâte obtenue par la Société " L'Alfa " à la Traille et des papiers fabriqués à Montfourat par les Papeteries Navarre, ont amené peu à peu la papeterie française à s'intéresser à l'alfa plus qu'elle ne l'avait fait dans le passé. On s'étonne pourtant, devant de tels résultats, de voir la France n'utiliser encore que moins d'un dixième de la production alfatière dé ses territoires nord- africains ; la raison en est sans doute dans le prix du papier d'alfa qui est sensiblement plus élevé que celui des autres papiers à cause du coût de la matière première et des frais d'usinage.

L'INDUSTRIE ALGERIENNE DE L'ALFA.

       Les possibilités.

Mais ce qui surprend encore plus, c'est de constater qu'il n'existe encore en Algérie aucune grande industrie de cellulose d'alfa et de fabrique de papier ; tout le monde aperçoit pourtant les avantages que de telles industries auraient retirés de leur installation sur les lieux mêmes de production, en particulier sous le rapport de leur approvisionnement en matière première, du fait de la suppression des frais de transport à longue distance qui grèvent lourdement le prix de l'alfa. Ce n'est pas que la question
n'ait jamais été examinée sous cet angle, mais il semble que l'on ait reculé devant les difficultés rencontrées pour l'alimentation des usines en eau (quantité et qualité de l'eau), et aussi en combustible qu'il fallait faire venir de l'étranger.

A ce double point de vue, les grands travaux entrepris par le Service de l'Hydraulique pour accroître les ressources en eau de l'Algérie et la mise en exploitation des mines de charbon de Kenadza et de Colomb-Béchar, ont contribué à créer une situation beaucoup plus favorable à l'industrie de l'alfa en Algérie. Encore convient-il d'ajouter que les industriels qui bientôt ouvriront la porte de leurs usines aux balles d'alfa et en sortiront de la cellulose et de beaux papiers, ont trouvé auprès de l'Administration une aide qui a fait défaut à ceux qui, avant eux, avaient formé les mêmes projets. Ils ont, en effet, largement bénéficié des mesures prises sous différentes formes par le Gouvernement de l'Algérie pour favoriser le développement de l'industrialisation.

.... et les projets.

Déjà, trois projets dé création d'industries d'alfa, en vue de la production du papier, dus à l'initiative de la Société nord-africaine de Cellulose, de la Société des Papeteries modernes et de la Société
Alfa et Asphodèle ", sont en voie de réalisation, les deux premiers dans la banlieue d'Alger, le troisième dans la région de Bougie. Lorsqu'elles auront atteint leur stade de fonctionnement normal, les trois usines projetées pourront traiter, annuellement, 35.000 tonnes d'alfa représentant une production de 14.000 tonnes de pâte à papier.

LE PLAN D'EXPLOITATION ALFATIERE.

La nécessité d'assurer l'approvisionnement en matière première de ces nouvelles industries, tout en continuant à servir l'industrie métropolitaine qui tend elle aussi à se développer, a conduit l'Administration à établir un Plan d'exploitation alfatière reposant sur une répartition de la production d'après la destination des alfas. la priorité étant réservéeà l'industrie nationale.

Stimulée par la reprise des transactions avec l'Angleterre et la perspective de débouchés nouveaux, l'exploitation alfatière paraît devoir reprendre rapidement son niveau d'avant-guerre. La cueillette annuelle qui était tombée à quelque20.000 tonnes depuis 1941, contre 170.000 tonnes en moyenne pendant la période décennale 1931-1940, s'est déjà relevée à 120.000 tonnes pour la dernière campagne (juillet 1946 à février 1947). Les besoins à couvrir permettraient de la porter à 200.000 tonnes, soit 80.000 tonnes pour la consommation intérieure Algérie-Métropole et 120.000 tonnes pour l'exportation.

LES PRIX.

Ce résultat né paraît toutefois pouvoir être obtenu qu'en augmentant la rémunération attribuée aux cueilleurs d'alfa ; celle-ci, qui est actuellement de 50 francs par quintal d'alfa vert, ne représente, en effet, sur la base d'un rendement de 2 quintaux pour un ouvrier adulte, qu'un salaire journalier bien minime de 100 francs.

Lé relèvement du prix de l'alfa à la production que tout le monde s'accorde à reconnaître équitable et nécessaire, pose pourtant un problème important, celui de l'équilibre entre le prix de revient et le prix de vente de l'alfa. L'alfa étant utilisé à concurrence de 90 % de sa production en papeterie, son prix doit être tel que la pâte d'alfa ne revienne pas à plus de 20 à 25 % plus cher que la pâte chimique de bois ; cette marge ne peut être franchie sans que la demande d'alfa en soit très sérieusement affectée.

Or, les grandes zones alfatières étant situées, comme le montre la carte, à une distance moyenne de la côte de plus de 200 kilomètres et généralement éloignées des routes et des voies ferrées, les alfas supportent ici des frais de transport tellement élevés que le prix de revient de la tonne rendue départ rejoint, à peu de chose près, le prix de vente de 3.600 fr., lequel n'est pas susceptible d'être actuellement augmenté.

C'est donc dans une réduction des autres éléments du prix de revient, notamment dans la révision des tarifs ferroviaires, que l'on doit rechercher les économies qui permettront de donner satisfaction aux légitimes revendications de la main-d'œuvre.

M. DE BEAUCOUDREY,
Inspecteur des Forêts, au Gouvernement Général.