Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale
Missions ophtalmologiques dans les Territoires du Sud*
mise sur site le 24-11-2011
* Document n° 15 de la série : Sociale - Paru le 1 août 1947 - Rubrique SANTÉ PUBLIQUE

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Missions ophtalmologiques dans les Territoires du Sud

Répondant à l'appel de M. l'Ambassadeur de France, Gouverneur Général de l'Algérie, Yves Chataigneau, Mlle le Docteur Antoine, médecin des hôpitaux d'Alger, et M. le Dr Legroux, ont effectué, du 21 au 31 décembre 1946 et du 22 au 29 mars 1947, une mission ophtalmologique d'une haute portée humanitaire dans les communes de Ghardaïa, Laghouat et Djelfa. Ces praticiens ont consacré leurs vacances de fin d'année et de Pâques au soulagement des malheureux dans des régions où sévissent avec une intensité particulière les maladies des yeux et le trachôme. Plus d'un millier de consultations gratuites ont été données et cent vingt-neuf interventions chirurgicales pratiquées, dont trente ont rendu aux opérés la vision partielle. Les deux spécialistes ont été secondés dans leur tâche par les médecins militaires chargés de l'assistance médico-sociale aux populations civiles, aidés de leur personnel composé de soeurs blanches et d'infirmières et infirmiers européens et musulmans.

LES MALADIES DES YEUX DANS LES TERRITOIRES DU SUD.

Les affections oculaires, conjonctivites et trachôme, constituent encore l'une des plaies de l'Algérie Dans certaines oasis du Sud, le pourcentage des sujets atteints est de cent pour cent ou voisin de cent. Aussi, chaque médecin doit-il être un peu ophtalmologiste.

La base de la prophylaxie du trachôme et des ophtalmies contagieuses est le traitement curatif des malades : traitement des trachômateux et traitement des conjonctivites aiguës surajoutées au trachôme qu'elles compliquent gravement si souvent. La prophylaxie à l'école est organisée depuis de longues années, grâce à la collaboration des médecins et des instituteurs. Mais cette action est limitée à des enfants déjà grands et qui sont à peu près exclusivement des garçons ; de plus, les écoles sont fermées pendant plusieurs mois en été, à l'époque où les conjonctivites aiguës sont les plus fréquentes.

Le programme de lutte contre les affections oculaires a tendu et tend à multiplier les petits centres de traitement, les " biout el aïnin " (maison des yeux). Chacun des cent onze postes de secours des Territoires du Sud est un petit centre antiophtalmique : dans l'intervalle des visites du médecin, les traitements prescrits sont exécutés par l'infirmier. Ces traitements sont toujours très simples (" dogme " des trois collyres) et si le trachôme, étroitement lié au " modus vivendi " dé l'indigène (contamination familiale dans les tout premiers mois qui suivent la naissance) sévit toujours intensément, les conjonctivites et leurs complications sont efficacement combattues. Pour s'en convaincre, il n'est qu'à souligner la disparition progressive des cas de cécité chez les jeunes, si nombreux autrefois.

Par ailleurs, au cours de leur stage d'ophtalmologiè à Alger, les médecins se familiarisent avec la technique de deux ou trois interventions simples de chirurgie oculaire, si utiles en milieu indigène (trichiasis). Les chiffres de ces interventions, au cours des six dernières années, ont été les suivantes :
        1940         512
        1941         834
        1942         640
        1943         1.458
        1944         2.262
        1945         1.514

LES MISSIONS EFFECTUÉES PAR LE DOCTEUR ANTOINE ET LE DOCTEUR LEGROUX.

Si la lutte contre les maladies des yeux a toujours fait l'objet de l'attention soutenue du Service de Santé, si les essais " d'oculistes en mission qui ne cherchent pas à se substituer au médecin praticien, mais qui lui viennent en aide, ont toujours paru donner des résultats excellents " ( Hygiène et pathologie nord-africaines, assistance médicale, Tome I, collection du centenaire.), on peut, cependant, affirmer que jamais une tournée de ce genre n'a pris une telle ampleur. Rassemblés par les médecins et les autorités locales, les malades, venus souvent de fort loin, affluèrent aux consulta
tions, tandis que Mlle le Dr. Antoine visitait à domicile un certain nombre de femmes musulmanes que des principes religieux et des coutumes ancestrales avaient jusqu'ici privées de soins éclairés et de conseils judicieux.

MISSION DU 21 AU 30 DÉCEMBRE 1946.

        Séjour à Ghardaïa.
Arrivés à 13 heures, le 21 décembre, les spécialistes commencent leurs consultations à 15 heures à l'infirmerie. Les malades, rassemblés par le médecin-capitaine de Ghardaïa, sont nombreux, assidus, et certains d'entre eux viennent de Guerrara. Il est procéderà soixante-sept consultations, le plus gros de l'effectif étant constitué par des trachomateux dont 20 % environ, et exclusivement des enfants, présentent des complications cornéennes graves : perforations, larges leucomes adhérents, survenues au cours de poussées inflammatoires contemporain es de l'ophtalmie d'automne. Cette ophtalmie d'automne, bénigne dans l'ensemble, n'a guère duré qu' un mois et n'a fait de graves dégâts que parmi les tout jeunes enfants, voire les nourrissons.

Le 22, grâce au concours de l'infirmière et de la soeur soignante, les séances opératoires des deux jours suivants sont organisées.

Le 23 au matin, l'un des spécialistes s'installe à la salle d'opération, tandis que l'autre donne des consultations au dispensaire.

A midi, au cours d'une réception chez le Bachagha Baamara Slimane, le Docteur Legroux examine vingt-trois malades, tandis que le Docteur Antoine se rend au domicile de femmes de notables musulmans. 99 % de ces malades sont des trachomateux. Chez les femmes confinées à la maison et, de ce fait, privées totalement de soins, les complications palpébrales et cornéennes sont de règle dès l'âge de 10 ans. A 30 ans, les patientes se guident à peine, à 50 ans la cécité est presque toujours consommée. Certaines aïeules se trouvent ainsi porteuses de véritables musées ophtalmologiques : trachôme, entropion, trichiasis, dépoli cornéen, dacryocystite par sténose lacrymale granuleuse et cataracte.

L'après-midi, la séance opératoire et les consultations reprennent jusqu'à 19 heures.

Le 24, séances opératoires et consultations contemporaines se poursuivent.

Le 25, après pansement des opérés, les spécialistes prennent le départ en camion pour Laghouat.

Le bilan de ces quatre journées de labeur acharné se traduit par plus dé deux cent cinquante consultations et douze interventions, dont les indications des premiers pansements permettaient d'escompter les résultats les plus satisfaisants.

        Séjour à Laghouat.

Le 26 au matin sont organisées les deux équipes qui poursuivront simultanément les séances opératoires et les consultations toujours pléthoriques. Les 26, 27, 28, 29 et 31 décembre, pas moins de quatre cents consultations sont données dans des conditions semi-confortables, grâce à la chambre de radio utilisée comme chambre noire, tandis que cinquante-quatre interventions sont pratiquées. 75 % des malades présentent des séquelles de.la conjonctivite blennorragique qui a sévi sur l'oasis du 15 octobre ou 15 décembre, période pendant laquelle le personnel infirmier (trois soeurs missionnaires) ont dû répondre à l'affluence de quatre cents à quatre cent cinquante malades par jour, la plupart étant pansés matin et soir La matinée du 30 décembre est consacrée à une consultation oculaire à l'école- ouvroir d'Aïn-Mandi. Là, il est procédé à l'examen de soixante-dix malades dont 95 % de trachômateux. A cette occasion, le Docteur Mlle Antoine se rend à la zaouïa, auprès de la femme du marabout Sidi ben Ameur, atteinte elle-même, ainsi que la plupart des femmes de son entourage.

La soirée, au Miloch, est consacrée à l'examen d'une quarantaine de nomades rassemblés par les soins du bachagha. Ici, comme à Aïn-Mandi, toutes les directives de traitement sont prises en présence de la Mère Supérieure des Soeurs Blanches, qui se charge d'organiser des soins périodiques par des tournées régulières.

MISSION DU 22 AU 29 MARS SUR LE TERRITOIRE DE GHARDAIA.

Au cours de ces sept jours, où les consultations et les séances opératoires sont organisées à un rythme toujours aussi accéléré, Djelfa, Messad, Aïn- el-Ibel, Laghouat, Guerrara, Ghardaïa, sont tour à tour visitées. Parmi les malades opérés en décembre et examinés à nouveau, aucun n'a présenté de complications graves et beaucoup ont récupéré des visions satisfaisantes. Cinq cent soixante-quinze consultants reçoivent des soins attentifs, tandis que soixante-huit interventions sont pratiquées.

La situation oculaire reste grave dans ces régions, où les affections trachômateuses entrent pour plus de 95 % dans le recrutement des malades : trachômes graves, entropions compliqués tels qu'on en voit rarement dans le Nord, taies étendues, cécité en nombre désolant, s'observent surtout dans les agglomérations où la population est particulièrement dense. L'entassement dans les villes à rues étroites, à maisons surpeuplées, est un facteur évident de propagation du trachôme, comme de toute maladie contagieuse. Les nomades menant une vie plus saine présentent des cas beaucoup moins nombreux.

Et cependant, malgré le nombre impressionnant des malades oculaires dans les Territoires du Sud, il faut reconnaître que le trachôme est actuellement en sérieuse régression dans l'ensemble de l'Algérie. Les statistiques dressées en 1930 par les médecins-inspecteurs Toulant et Trabut pour le département d'Alger, Bonnet et Saccomant pour celui de Constantine, et Jasseron pour l'Oranie, donnaient déjà un pourcentage notablement inférieur à celui qu'indiquaient le Docteur Gaudibert en 1918 et le Docteur Trabut en 1914. Depuis 1930 la situation ne fait que s'améliorer.
C'est avec un dévouement inlassable et quotidien que médecins, infirmiers et Soeurs Blanches dispensent les soins aux populations atteintes des

        Territoires du Sud.

En apportant une aide précieuse aux praticiens ainsi qu'un réconfort moral aux malades qui se pressèrent en masse aux consultations et furent même quelquefois visités à domicile, les missions des Docteurs Antoine et Legroux traduisent, une fois de plus, les voies que la France entend suivre dans ce pays et qui sont celles de la civilisation et du dévouement.

OEuvre éminemment sociale, cette formule de tournées ophtalmologiques qui a maintenant donné ses preuves, sera poursuivie dans d'autres régions des Territoires du Sud par les mêmes spécialistes. En accord avec ces praticiens, l'Administration et le Service de Santé des Territoires du Sud font, actuellement, procéder à l'étude d'un projet de camion opératoire spécialement équipé pour ce genre de mission.