Venus à Duperré de toutes parts DES MILLIERS DE MUSULMANS
assistent au pèlerinage de SIDI AHMED BEN YOUSSEF
Le marabout de Sidi Ahmed ben Youssef, à Miliana, est l’un
des sanctuaires les plus importants d’Algérie. Chaque année,
de milliers de pèlerins s’y retrouvent, venus de l’Algérois,
d'Oranie,
du Sud et même du Maroc.
Les cérémonies de vénération débutent
aujourd’hui dans la capitale du Zaccar, après la Jonction
des nombreux cortèges ou « rkab » qui se forment
selon une tradition bien établie. Toutefois, hier à Duperré,
eurent lieu des manifestations préliminaires qui, à travers
leur pittoresque, révèlent la solide amitié des
populations franco-musulmanes du Chélif. Fantasia à pied
et à cheval
Le Comité Sidi Ahmed ben Youssef a pour président un descendant
du marabout, M. Ziane Bouziane Benyoucef. Prenant la tête du rkab,
M. Ziane vint s’incliner devant le monument aux morts de Duperré,
imité par les cavaliers et les quelque quatre mille personnes
composant le cortège.
Après quoi, la foule des pèlerins, bannière déployée,
se rangea devant l’hôtel de ville où M. Bonnet, maire
de la commune, leur souhaita la bienvenue et d’heureuses fêtes.
L’allocution de M. Bonnet donna le signal des réjouissances.
La poudre parla : tireurs à pied se fusillèrent au cours
de simulacres de combat, les cavaliers chargèrent en faisant
tournoyer leurs armes. Et, accompagnant ces prouesses, résonnaient
les tambourins et les flûtes...
En fin de matinée, un succulent couscous fut servi à l’Auberge
du Chemin de fer. Il réunit la plupart
des notabilités du canton puisqu’on reconnaissait autour
de M. Bonnet, M. l’administrateur Escoffier, MM. Henry, Chicha,
Berthier, Maadini, adjoints et conseillers ; M. l’agha Mahmoudi,
les caïds des fractions environnantes, MM. Mokhadem, Mesimi, etc.
Les « meskines » ne furent point oubliés. Du reste,
nous aurons l’occasion de reparler des réalisations sociales
accomplies ou projetées à Duperré. Théologien,
saint patron et humoriste
Il convient de présenter la grande figure de Sidi Ahmed ben Youssef,
à laquelle M. Émile Dermenghem consacra une large et intéressante
étude. Nous avons tiré de cette précieuse documentation
les éléments suivants :
- La vie de ce personnage, pourtant historique, est assez mystérieuse.
Il naquit vers 1450 près de Mascara. Son père — un
vieillard outré des plaisanteries que lui valaient cette naissance
— voulut le soumettre à un jugement de Dieu. Mais l’enfant
échappa miraculeusement à la mort et fut adopté.
Devenu plus tard disciple de Zerrouk, il s’affilia à la
confrérie chadilya. Il fut, en quelque sorte, un précurseur
des mystiques espagnols (comme saint Jean de Croix) : il insista beaucoup
moins sur les pénitences et les mortifications que sur l’abnégation
intégrale, le pur amour désintéressé, le
renoncement même aux faveurs et suavités spirituelles.
Sa popularité et ses conceptions lui valurent de connaître
bien des mésaventures et des persécutions.
Quoi qu’il en soit, il fit le meilleur accueil aux Turcs lorsqu’ils
s’installèrent en Algérie. Sidi Ahmed mourut en l’an
931 de l’hégire, 1524 de l’ère chrétienne.
Sidi Ahmed ben Youssef, patron de Miliana, est également celui
des bohémiens musulmans: les Beni-Adès et les Amer. (Ces
nomades ont un campement permanent à El-Alia de l’Harrach.)
Toujours selon M. Dermenghem, les nombreux voyages, à travers
l’Algérie, de Sidi Ahmed lui inspirèrent sur ses
semblables des appréciations humoristiques et satiriques : «
Cent pécheurs de l’Orient valent mieux qu’un honnête
homme du Maghreb ; un faux dirhem de cuivre vaut mieux
qu’un taleb du Griss », et autres gentillesses du même
goût... Néanmoins, les victimes de ces féroces dictons,
loin d’en tenir rigueur à leur auteur, continuent à
s’en délecter.