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Ecole nationale des Beaux-Arts - 1925
Afrique du nord illustrée du 14-11-1925 - Transmis par Francis Rambert

L'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS

Si vous prenez la rue d'Orléans par la rue de la Marine, il faudra que vous montiez une côte pavée, glissante, jonchée ça et là d'épluchures et d'ordures ménagères provenant d'à peu près tous les légumes et tous les fruits de la saison. Une odeur âcre de friture associée aux émanations de l'anisette et du vin débités à profusion, vous prendra à la gorge et vous serez dans l'impérieuse obligation de dégager vos muqueuses irritées et de vous boucher les narines.

Au treizième immeuble, à votre droite, après être passé sous une voûte plus sale parce que plus sombre et avoir laissé, sur voire gauche, une maison que d'énormes étais, barrant la route, préservent de effondrement, vous lirez sur la porte d'entrée cette inscription gravée dans le cuivre : " École Nationale des Beaux-Arts " ! C'est donc là, la maison des arts ! C'est là que doivent être formés, façonnés, guidés, les jeunes esprits qui se destinent à " charmer les sens par la culture du beau ", et c'est par ces passages dangereux, malaisés et pestilentiels que l'on doit y atteindre !

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Plans situant l'école à diverses époques
1956


Plans situant l'école à diverses époques
Plans situant l'école à diverses époques
1904-1906
Plans situant l'école à diverses époques
1960

Ecole nationale des Beaux-Arts - 1925L'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS

Si vous prenez la rue d'Orléans par la rue de la Marine, il faudra que vous montiez une côte pavée, glissante, jonchée ça et là d'épluchures et d'ordures ménagères provenant d'à peu près tous les légumes et tous les fruits de la saison. Une odeur âcre de friture associée aux émanations de l'anisette et du vin débités à profusion, vous prendra à la gorge et vous serez dans l'impérieuse obligation de dégager vos muqueuses irritées et de vous boucher les narines.

Au treizième immeuble, à votre droite, après être passé sous une voûte plus sale parce que plus sombre et avoir laissé, sur voire gauche, une maison que d'énormes étais, barrant la route, préservent de effondrement, vous lirez sur la porte d'entrée cette inscription gravée dans le cuivre : " École Nationale des Beaux-Arts " ! C'est donc là, la maison des arts ! C'est là que doivent être formés, façonnés, guidés, les jeunes esprits qui se destinent à " charmer les sens par la culture du beau ", et c'est par ces passages dangereux, malaisés et pestilentiels que l'on doit y atteindre !

Lorsque l'on a eu le plaisir de visiter les écoles de Montpellier, Bordeaux ou encore celle de Nancy si merveilleusement construite à côté de l'admirable parc Sainte Marie, immeuble immense, entourée de tilleuls odoriférants, doté de salles spacieuses et claires aménagées pour le développement du beau et du goût, on n'emporte de celle d'Alger qu'une impression désagréable, qu'une sensation de sordidité n'ayant aucun rapport avec sa destination.
Que l'on n'aille pas croire surtout que nous cherchions à incriminer tel ou tel autre Conseil Municipal, ni que, dans notre esprit, s'agite l'intention d'adresser une critique véhémente à l'un quelconque des responsables de ce choix. Nous n'avons d'autre but que d'attirer une fois encore, l'attention des Pouvoirs Publics, sur ce paradoxe : d'une école de beaux arts placée au centre de l'inesthétique.

Les événements d'ailleurs, beaucoup plus que les hommes sont les causes initiales de cet état de choses et la genèse de la création de cette école en est la preuve convaincante.

C'était bien avant l'année 1882. M. Bransolier réunissait, après la classe, toutes celles des élèves de sa femme qui en manifestaient le désir et leur inculquait, pour l'amour de l'art, les premiers principes du dessin.

L'affluence fut bientôt telle, à ce cours improvisé, que la Municipalité de l'époque décida d'exploiter l'idée de M. Bransolier en lui confiant la direction, à l'emplacement même où il donnait déjà ses leçons, d'une école municipale des Beaux-Arts.

Ainsi allèrent les choses jusqu'en 1882, époq8ue où l'école municipale devint école nationale et fut transférée rue Charlemagne. La direction en fut confiée alors, par le ministre de l'Instruction Publique, à M. Labbé, peintre distingué qui a laissé de très belles œuvres, grand ami des Orientalistes, ayant toute l'estime et tout l'appui d'Eugène Fromentin, cet admirable traducteur des sites algériens, des smalas, des mosquées et des douars.

M. Labbé mourut en 1886 et fut remplacé par M. Dubois, chargé du cours supérieur de peinture, et qui conserva ces deux emplois jusqu'en 1909, époque où il mourut. C'est sous sa direction, qu'en 1889, l'école changea de local et vint prendre possession de l'immeuble où elle se trouve actuellement, mis gracieusement à sa disposition par la Municipalité.

A cette époque, voilà, ne l'oublions pas, 37 ans, ce quartier était le centre de l'activité algéroise. La Préfecture, la Mairie, les bureaux militaires, l'Amirauté, la Bourse du Commerce, tout cela était groupé autour de la " Plaza del Caballo " et ce l'ut avec reconnaissance que M. Dubois accepta de s'y installer.

Depuis ce temps lointain, bien des services ont été obligés de s'agrandir ou de rechercher ailleurs un emplacement en rapport avec le développement de la Ville. Mais l'École des Beaux-Arts enserrée de toutes parts, ne put évoluer. Divers projets furent cependant étudiées pour son déplacement auxquels on ne donna jamais suite, pour on ne sait trop quelles raisons. Certains cependant étaient captivants. Le premier prévoyait, il y a de cela bien longtemps, la construction d'un local à l'angle de la rue de Tanger et de la rue d'Isly, où se trouve actuellement La Fabrique des Vosges ; un autre qui date d'avant la construction de la nouvelle Poste, avait été envisagé à remplacement de ce monument ; plus tard, un inspecteur général du dessin avait proposé et mis au point un projet d'École, de Musée et de Conservatoire de musique, à l'endroit où se trouve l'actuelle caserne Pélissier. Enfin, M. Ardaillon, recteur de l'Université, qui est, on le sait, un grand ami des arts, avait essayé de trouver un terrain répondant à ces deux conditions indispensables : situé au centre et assez vaste pour l'édification d'un monument suffisant. Mais les prix prohibitifs de la construction ont fait jusqu'à présent reculer toutes les initiatives et pour avoir attendu trop longtemps et n'avoir pas accepté, au moment où la chose était possible, les terrains offerts, on se trouve devant un problème dont la solution parait difficile.

Et cependant ! De plus en plus, le décongestionnement de l'école se fait sentir et répond à un besoin impérieux, surtout depuis ces dernières années où sous l'impulsion de son actif et distingué directeur actuel M. Cauvy, le nombre des élèves va chaque jour croissant.
M. Léon Cauvy, qui vint à Alger avec le peintre animalier Jouve, comme premier pensionnaire de la villa Abd-el-Tif, fut proposé par M. Jonnart au ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts, pour la direction de l'École dont le poste venait d'être vacant par suite du décès de M. Dubois, au cours de son séjour en Algérie.
M. Cauvy est membre de la Société des Artistes français ; hors concours au Salon, lauréat de l'Institut, plusieurs de ses toiles, inspirées de l'Algérie, figurent dans les principaux musées et notamment au Luxembourg à Paris.
Il est entouré de professeurs éminents, choisis parmi nos maîtres orientalistes et l'on comprend l'engouement de notre belle jeunesse à suivre des cours à la tête desquels se trouvent de tels professeurs.

Actuellement 400 élèves environ fréquentent assidûment l'école. Les uns y préparent les examens d'admission à l'École des Beaux-Arts de Paris (peinture et architecture), d'autres le concours pour l'obtention du brevet de professeur de dessin. On enseigne en dehors de la peinture et du dessin, la perspective, le modelage, l'architecture, l'anatomie, l'histoire de l'art, l'art décoratif et les mathématiques.
Des cours élémentaires réunissent aussi un grand nombre d'écoliers qui viennent se perfectionner à la sortie de la classe. Des cours du soir (modelage et dessin d'ornement), très suivis par les ouvriers d'art (marbriers, plâtriers, etc.), ont été organisés. Enfin, un cours de céramique, spécialement consacré aux jeunes indigènes, a été annexé à l'École, sous le contrôle de l'administration des Affaires Indigènes.

Tous ces cours sont entièrement gratuits et l'on est admis à les fréquenter sans aucun examen d'entrée.

Ce rapide exposé suffit à démontrer les efforts qui devraient être tentés pour sortir de l'ornière où il se trouve cet établissement digne d'un meilleur sort. C'est au noln de l'esthétique, de l'hygiène et des arts que nous adressons cette requête aux pouvoirs publics qui n'ont pas le droit, dans ce pays aimé des Dieux, de délaisser les Beaux-Arts.