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-L'enseignement primaire en Algérie
-Jean Colombo: le soldat instituteur

-------------L'histoire de l'école, c'est aussi celle des hommes, celle de Jean Colombo qui, désireux de servir comme civil en Algérie, en 1848, trouva sa véritable voie dans l'enseignement et y consacra sa vie entière.
Le texte ci-dessous est extrait d'un numéro spécial de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information. - n°14 - 15 mai 1981.avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
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----------L'histoire de l'école, c'est aussi celle des hommes, celle de Jean Colombo qui, désireux de servir comme civil en Algérie, en 1848, trouva sa véritable voie dans l'enseignement et y consacra sa vie entière.

----------Si les militaires se recrutent parmi les civils, l'histoire de notre enseignement outre-mer nous apprend que, dans ses débuts, l'université - si l'on peut s'exprimer ainsi - se recruta parmi.., les militaires.
----------Puisons dans cette mine de documents représentée par le Bulletin de l'Enseignement des indigènes qui, en 1939, sous la plume alerte de M. Aimé Dupuy, reprenait un article de M. Francisque Sarcey dans son journal le Gagne-Petit. Ce dernier découvrait, vers 1885, une brochure dont l'auteur suggérait, pour les écoles algériennes, démunies de personnel, l'emploi de " Zéphyrs ", autrement dit de " Joyeux " comme instituteurs
----------" Nous avons, en Algérie... trois bataillons d'infanterie légère d'Afrique où sont envoyés à leur sortie d'établissements pénitenciers, les militaires non condamnés à des peines infâmantes, et qui, à l'expiration de leur peine, ont encore un certain temps à passer sous les drapeaux. Il s'y trouve un certain nombre de jeunes gens qui ont reçu, dans leur famille, une bonne instruction primaire. C'est cette catégorie de déclassés que l'auteur propose, pour la vulgarisation de la langue française. Ils font un piètre service comme militaires, car ils ont prouvé qu'ils n'aimaient pas le régiment. C'est comme instituteur qu'ils achèveraient leur temps, moyennant une rétribution assez faible. Quelques-uns, sans doute, prendraient goût au métier,
demanderaient à rester et passeraient dans une classe supérieure et mieux payée. Ils pourraient se marier, et, dans ce cas, si leur femme voulait se charger de réunir les petites filles de la tribu pour leur faire la classe, elle serait également rétribuée en raison des services rendus. "
----------Le bulletin conclut en ces termes
" Rien de plus économique, de plus effarant. Et si nous n'empruntions pas cette citation à la grande étude de M. Gustave Benoît, ancien inspecteur de Constantine, nos lecteurs pourraient croire à une mystification ou à une galéjade. "
----------Cette idée ne fut pas retenue et abandonnons les " Zéphyrs " et leur compagnie disciplinaire à leur juste sort.
----------Il y eut, cependant, parmi les maîtres d'antan, issus de l'armée, un ancien légionnaire d'exceptionnelle valeur, dont le nom mérite d'être tiré de l'oubli. Il s'agit de Jean Colombo, resté célèbre à Biskra. Le recteur Jeanmaire appelle Colombo le soldatinstituteur.
----------En réalité, notre homme, né à Lyon en 1829, de parents étrangers, engagé comme volontaire en 1848, blessé devant Sébastopol d'un coup de baïonnette, venait d'obtenir son congé de libération, lorsque, désireux de servir comme civil l'Algérie, qu'il avait servie sept ans comme militaire, il fut chargé par le général commandant la subdivision de Batna, d'aller ouvrir, à Biskra, territoire militaire, la première école arabe-française. Colombo arrive donc à Biskra le 15 avril 1856. Il paraît avoir reçu une bonne instruction primaire, mais n'a pas le moindre diplôme. Cependant, les pièces (le son dossier en font foi, l'ex-sergent fourrier rapporte de l'armée des qualités d'énergie, d'ordre minutieux et une calligraphie soignée. L'estime dans laquelle le tiendront tous ses chefs montre qu'il y avait en Colombo un esprit ouvert, réfléchi, un " caractère ". Et en vérité, exerçant pendant quatorze ans, à la tête de cette école de Biskra, Colombo y fait merveille. Il est proposé pour la croix de la Légion d'honneur en 1867. " Les résultats qu'il a obtenus, écrit le général commandant la province de Constantine, la bonne direction qu'il a su imprimer aux études de ses élèves, grâce à un zèle, une activité, un dévouement qui ne se sont pas démentis un seul instant, malgré les fatigues causées par une température exceptionnelle, le rendent en tout point digne d'une faveur qui, généralement, n'est pas accordée dans la position qu'il occupe. Avec l'estime de l'autorité, M. Colombo emporte les regrets unanimes de la population européenne et indigène du district de Biskra. "

 

----------En effet, Colombo doit faire un court séjour aux portes de Milah, puis à l'oued Ouarghotts, puis à Milah encore, et, en juillet 1874 à quarante-cinq ans, il se décide à affronter, avec succès d'ailleurs, les épreuves du brevet élémentaire. Il revient alors comme directeur de sa chère école de Biskra où il restera jusqu'au 30 septembre 1882, avant de prendre une retraite justement gagnée. Fixé dans la ville de ses débuts, où l'attachaient vingt-sept années de services exceptionnels, conseiller municipal, directeur de la palmeraie de l'Oued Rhir, il occupe ses dernières années à des couvres d'utilité publique, de bienfaisance et meurt en 1909, à quatre-vingts ans, au milieu de la vénération unanime, notamment des indigènes, qui le considéraient comme un grand taleb.
----------Ce qui rend attachante la figure de ce soldat-instituteur, c'est d'abord son inlassable et diverse activité
« Il a rendu mille services à ceux de ses élèves qui répondaient à ses soins et même à tous les Arabes indistinctement. Si presque tous les hommes faits, les jeunes gens de Biskra parlent ou comprennent le français, si Biskra est une ville où les Français se sentent chez eux... c'est en partie à M. Colombo que nous le devons. " (Benoît, Hachette, 1865.) C'est aussi sa valeur morale, attestée par (le hauts témoignages et, plus encore, par un document très émouvant, conservé par son fils et qui retrace, sur les humbles pages d'un de ces cahiers d'écriture, les moindres détails de la vie et de la mort de son premier-né.
----------Ce vétéran de l'enseignement algérien fut un maître de la plus grande valeur professionnelle maintes fois reconnue. Son inspecteur primaire écrit : " L'enseignement est bien donné dans la première classe où l'instituteur s'attache spécialement à former les élèves au langage, à développer leur intelligence par des explications journalières et à leur portée.
----------L'inspecteur général H. Le Bourgeois visita son école en 1881 et lui fit obtenir les félicitations ministérielles. Le gouverneur général, en tournée dans la province, le confirme : " M. Colombo a rendu et continue à rendre de grands services. Les jeunes indigènes de Biskra parlent le français mieux que les enfants maures d'Alger. Tous les fils de familles influentes ont été les élèves de M, Colombo. "
----------Pourtant, les premiers contacts avec les indigènes furent décevants " Les parents firent d'abord, comme toujours, des difficultés pour envoyer leurs jeunes enfants en classe. On disait, on répétait, que, dès qu'ils sauraient le français, on les emmènerait en France et qu'ils ne reviendraient jamais. Aussi, les premiers enfants qui furent envoyés étaient-ils presque tous atteints d'une infirmité quelconque. C'était une vraie cour des miracles plutôt qu'une école. " (Benoît.) ----------Mais M. Colombo réussit à vaincre la défiance du milieu, à obtenir un recrutement choisi, une fréquentation satisfaisante et il comptait parmi ses élèves M. Belkacem Ben Sedira, futur professeur à la Faculté d'Alger.
----------Comment expliquer le succès, la réputation et l'ascendant intellectuel et moral de cet autodidacte, de ce chercheur solitaire et obstiné de procédés pédagogiques nouveaux, si ce n'est par un génie pédagogique. On peut saluer en lui l'inventeur de la méthode concrète et rationnelle de langage, cette méthode directe qui est, à l'expérience, la seule efficace pour l'enseignement du français dans les écoles indigènes. " Cette méthode, écrira plus tard M. Jeanmaire, avait été employée d'instinct par M. Colombo, le soldat-instituteur qui s'est illustré par les succès de son enseignement à Biskra, il y a une trentaine d'années... Il avait à côté (le sa chaire une caisse d'objets de toute nature, dont il enseignait directement les noms, les formes, les couleurs, sans recourir à la traduction." S'est-il jamais douté, ce pédagogue, modeste entre les modestes, que de sa petite école, patronnée par les seuls militaire du corps d'occupation, partirait la méthode qui, imitée par des collègues avisés, perfectionnée par l'expérience, précisée dans ses détails et ses applications, d'après l'indication des maîtres qui l'avaient pratiquée avec le plus d'habileté et de succès, soit dans la classe indigène de l'école annexe de la Bouzaréa, soit dans les écoles indigènes des villes et de Kabylie devait inspirer le recteur Jeanmaire " pour rédiger les instructions placées en tête du programme de la langue française dans la brochure qui contient son "plan d'études de 1898 ".
----------Et le Dr Couillaud, maire de Biskra, devait faire son éloge à ses obsèques en ces mots : " La patience de M. Colombo, sa douceur et son talent pédagogique ont fait de lui le prototype des instituteurs. "

Textes recueillis par
Mme BERNOLLIN-BESSERVE,
ex-professeur de C.E.G.,
rue Franklin, Alger