l'enseignement - Algérie, Alger
L'école militaire préparatoire nord-africaine à Coléa
par Jean Roman

Le colonel Fredet, très grave, tout à coup, me dit aussi : " Connaissez-vous la devise de notre école ? Elle est belle, elle est fière Elle est comprise par tous ces enfants qui seront un jour des cadres de l'armée. C'est : " UN SEUL CŒUR, UN SEUL DRAPEAU

Algéria et l'Afrique du nord, revue bimestrielle, Juillet 1958,n°54. Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 40-42 rue d'Isly, Alger
mise sur site le 8-12-2005

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-------------C 'EST au bout de cette rue ! m'ont dit les gamins de Coléa qui suivaient en se bousculant, une section de parachutistes bigarrés et chantant. Au bout de la rue, il y a un grand porche et des bâtiments sévères qui sont l'Ecole militaire préparatoire nord-africaine de Coléa.Une caserne, mon Dieu ! n'est jamais réjouissante, et celle-ci me paraît bien vieille, mais indestructible comme tous les bâtiments édifiés jadis par le génie. -------------Alors n'y cherchons ni grâce ni poésie, et suivons l'homme du poste qui me conduit chez le colonel Fredet, commandant l'école.
-------------Couloirs aux planchers usés, raides escaliers, portes fermées. C'est froid, et je suis triste.


-------------LE colonel Fredet est un homme qui a la foi ; ça se sent, ça se respire du premier coup. Il a une mission très noble à remplir. II ne commande pas un régiment, , mais il a la charge de 312 enfants, des petits de dix ans, onze ans, des grands qui ont déjà quinze ans, très fiers d'une ombre sur la lèvre. Il en fera des hommes...

-------------Il est accompagné de M. Spanin, directeur des études, détaché par le ministère de l'Education nationale. M. Spanin a le geste rare et la parole brève, mais il a le mot juste et clair.
-------------UNE Ecole militaire, même préparatoire, ne sort pas de terre comme ça, sur un coup de baguette. Alors, un peu d'histoire.
-------------En 1942, les enfants de troupe, tous Français de souche, qui se trouvaient en vacances en Algérie, furent coupés de la métropole. On les recueillit à Hammam-Righa. Ils étaient peu nombreux.
-------------En 1945, le commandant Marchi, qui mourut à la tâche, organisa la première Ecole militaire préparatoire nord-africaine, à Miliana. Le recrutement, exclusivement musulman, y amena 50 enfants environ, de huit à dix ans, qui n'avaient que des bases scolaires bien fragiles.

-------------En 1951, l'école de Miliana, trop éloignée d'Alger, donc du gouvernement général, du rectorat, du corps d'Armée, fut transférée à Coléa. La place n'y était pas mesurée, et le climat était moins rude.
-------------Mais il convenait, il était essentiel d'apporter au recrutement de profondes modifications.
-------------En 1955, eut lieu le premier recrutement par concours, au niveau de la sixième des lycées. Trente enfants de confession musulmane furent admis. C'était encore peu.
-------------En 1957, l'Ecole prit sa forme actuelle, que l'on peut croire définitive, au moins dans ses principes.
Les classes du premier degré furent supprimées. Les élèves furent recrutés au concours ouvert aux Français de souche et de confession musulmane. L'enseigne-ment y est donné de la sixième à la troisième moderne, avec l'introduction d'une section technique au niveau de la quatrième.
-------------L'école est devenue un collège.
-------------Ce fut un succès et, en octobre 1957, cent vingt-cinq nouveaux élèves revêtirent l'uniforme bleu et coiffèrent le large béret.
-------------L'effectif de l'école est actuellement de 312 enfants, dont soixante-quatorze Français de souche.
Les perspectives pour l'année scolaire 1958-1959 sont très belles.

-------------L'ENSEIGNEMENT scolaire, nous l'avons dit, est dirigé par un fonctionnaire civil détaché par le ministère de l'Education nationale. En proviennent aussi les professeurs. Les répétiteurs et les surveillants sont des sous-officiers et des hommes du contingent qui ont reçu une formation technique, éducative, indispensable à l'accomplissement de leur mission. L'encadre-ment militaire, car les enfants sont groupés par compagnies, est fourni par des officiers, capitaines ou lieutenants, spécialement choisis pour leurs qualités morales et la connaissance des problèmes de l'enfance.
-------------Tous forment une équipe extrêmement homogène et font en sorte que leurs élèves soient, avant d'être des hommes, des enfants aussi " complets " que possible, d'une belle tenue physique et morale.
-------------LA journée d'un élève de l'école est celle d'un potache, formée d'heures studieuses et de récréations. Mais, outre le jeudi consacré à des manifestations sportives, un après-midi de plein air est accordé aux élèves qui, sous la conduite de leurs éducateurs visitent des usines, des coopératives, les ports...
-------------Et ces jeunes adolescents, qui ouvrent leurs yeux et leurs oreilleses, publient ensuite dans leur journal : " Message de l'E.M.P.N.A", des reportages, des relations, et même des vers qui ne sont pas médiocres.
-------------QUATRE ans d'études de discipline... Et voici le premier examen, le brevet d'enseignement du premier cycle.

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--------------Ceux qui réussissent sont envoyés en France pour entamer le deuxième cycle qui conduit aubaccalauréat , et préparent ensuite les grandes écoles militaires : Saint Cyr, Navale, Polytechnique...
-------------Les autres, les malchanceux, s'engagent pour cinq ans et ne sont pas abandonnés. Ils seront sous officiers, officiers aussi, s'ils se perfectionnent.
-------------Cet engagement pour cinq ans est la contrepartie d'un enseignement gratuit, d'un internat gratuit totalement, assorti même d'un prêt de vingt francs par jour.


-------------AH ! m'a dit le colonel Fredet, vous n'avez pas de chance ! Vous ne verrez pas mes enfants en plein travail. Tous partent ce soir ou demain matin en vacances. Mais allons les voir quand même.
-------------La sévérité de la caserne m'émeut encore. C'est un cadre trop rigide pour ces gamins.
-------------Le colonel sourit. " Bien sûr, bien sûr, dit-il. Pensez que c'est la plus vieille caserne d'Algérie. C'est la doyenne ! Elle fut créée en 1834, par Lamoricière, qui y installa le 1er Zouaves. Mais venez.."
-------------Nous traversons le quartier qui autrefois, il y a cent ans, commandait la route de Blida à Alger.
Et toute ma tristesse s'envole !...
-------------L'école possède de vastes terrains plantés d'arbres et la vue s'étend sur l'Atlas blidéen. C'est très beau.
-------------Et là, tout près, s'élèvent les nouveaux bâtiments scolaires, les réfectoires, les cuisines, le foyer, tous de construction moderne, lumineux et gais à l'oeil.
Les salles de classe sont parfaitement équipées et les murs sont teintés de couleurs différentes. Les réfectoires ornés de plantes vertes, garnis de tables hexagonales et de chaises, sont vastes et rien n'y est étriqué. Les cuisines sont éblouissantes de propreté, les fourneaux, les tables, les larges frigidaires, les divers instruments culinaires ma-niés par des hommes vêtus de blanc, sont à la pointe du progrès.
-------------Nous visitons, nous passons d'un bâtiment à l'autre. Les élèves que nous rencontrons saluent, et le colonel, qui, bien entendu, les connaît tous, les interpelle.
-------------L'un d'eux, qui n'a pas eu des notes très brillantes, a droit à une semonce qu'il écoute en baissant le nez, et à une tape d'encouragement sur l'épaule, qui le ragaillardit.
-------------Dans une grande cour, des camions militaires qui, demain, les emmèneront à la gare d'Alger, sont entourés d'enfants déjà ravis.
-------------Nous entrons au foyer, grande salle joliment décorée. Le barman, qui ne secoue pas de shaker, mais sert des sirops et des limonades, est navré parce que le distributeur de bonbons est vide.

-------------Allons encore... Tous les jours, pendant la grande récréation de 16 à 18 heures, les élèves se livrent à des activités extra-scolaires qu'ils choisissent selon leurs goûts Ils se groupent et forment des clubs de musique, de sports, de photographie, de reliure d'art d'expression... M. Spanin me dit : " Cela leur permet de sortir de leur coquille d'interne et d'élève. Les résultats sont très bons. "
-------------Chaque club a son atelier et dispose d'un matériel. Les reliures sont correctes, les photos prises, développées et tirées, sont belles. Les appareils de T.S.F. montés par les élèves, qui emploient des pièces de récupération, ne grésillent pas trop...

-------------OUI, tout ce que je vois, tour ce que je sens, est harmonieux parce que rien n'esr laissé au hasard, parce que tout est " réfléchi " par des hommes qui ont de l'imagination, qui con naissent l'âme, le coeur et les réflexes d'un enfant, qui ne font pas un métier, mais qui se consacrer-à leur métier.
-------------Une question pourtant me brûle les lèvres depuis un moment. Je la pose : Cette coexistence des éleves chrétiens et musulmans...
-------------M. Spanin m'interrompt. Il me montre un groupe de jeunes garçons, très animés : " Il n'y a pas de coexistence, me dit-il. Il y a une existence commune. "
-------------Le colonel Fredet, très grave, tout à coup, me dit aussi : " Connaissez-vous la devise de notre école ? Elle est belle, elle est fière Elle est comprise par tous ces enfants qui seront un jour des cadres de l'armée. C'est : " UN SEUL CŒUR, UN SEUL DRAPEAU

Jean ROMAN.