ALGER, les FACULTÉS
La grande pitié de la Bibliothèque

La grande pitié de la Bibliothèque

Nulle part, à Alger, un bâtiment public n'est placé de telle façon que sa masse et ses lignes soient mises en valeur dans l'ordonnance des avenues et des édifices voisins. Jusqu'à ce jour, notre voirie a aimé les angles disgracieux, les courbes malhabiles, le manque de proportion. Il semble qu'elle s'efforce à cacher nos monuments. Et peut-être n'a-t-elle point tort ? La Chambre de Commerce, le Palais de Justice, l'Hôtel des postes, par exemple, ne sont que de la bâtisse d'entrepreneur, et il vaut mieux ne point faire de chacun d'eux le point principal d'une perspective.

Il n'y a donc point lieu, en somme, de regretter que jadis on ait construit le palais de l'Université dans un site, dirai-je confidentiel, en retrait de la rue Michelet, au sommet d'une falaise que l'on appelait jadis " le Camp ". De la rue, l'une des plus belles d'Alger, on ne distingue point la façade de la longue bâtisse trapue, massive et maussade, où nos étudiants et leurs professeurs sont assez mal à l'aise dans des salles incommodes, à l'éclairage nocif.

L'université et ses dépendances et parmi elles l'Institut Pasteur sont juchées sur leur rocher comme un landais sur ses échasses. A la suite de jeunes gens très sportifs qui escaladaient comme en se jouant les âpres chemins qui conduisent au Palais de la connaissance, je me rendis hier, dans une sorte de pèlerinage, à la bibliothèque des Facultés.

Je trouvai le jeune bourgmestre de la Cité des Livres, M. Koelbert, au fond d'un réduit fait d'un segment de corridor; la porte en est ornée d'une belle plaque de cuivre où l'on avait gravé ces mots ambitieux : " Cabinet du bibliothécaire en chef". Là un homme, passionné pour son métier. doit, dans un espace restreint par des rayonnages à bouquins et des casiers à registres, travailler sept à huit heures par jour, sous un éclairage déprimant, à toutes sortes de besogne sans gloire : comptabilité-finances et comptabilité-matières, statistiques, commandes d'ouvrages, récolement des livres entrés et sortis, rapports de tout genre à l'autorité supérieure, surveillance, etc., incombent à un seul homme qui, en dépit de sa besogne harassante, demeure souriant et de bonne humeur.
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Afrique du nord illustrée du 1_4_1933 - Transmis par Francis Rambert

sur site : mai 2021

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La grande pitié de la Bibliothèque

Nulle part, à Alger, un bâtiment public n'est placé de telle façon que sa masse et ses lignes soient mises en valeur dans l'ordonnance des avenues et des édifices voisins. Jusqu'à ce jour, notre voirie a aimé les angles disgracieux, les courbes malhabiles, le manque de proportion. Il semble qu'elle s'efforce à cacher nos monuments. Et peut-être n'a-t-elle point tort ? La Chambre de Commerce, le Palais de Justice, l'Hôtel des postes, par exemple, ne sont que de la bâtisse d'entrepreneur, et il vaut mieux ne point faire de chacun d'eux le point principal d'une perspective.

Il n'y a donc point lieu, en somme, de regretter que jadis on ait construit le palais de l'Université dans un site, dirai-je confidentiel, en retrait de la rue Michelet, au sommet d'une falaise que l'on appelait jadis " le Camp ". De la rue, l'une des plus belles d'Alger, on ne distingue point la façade de la longue bâtisse trapue, massive et maussade, où nos étudiants et leurs professeurs sont assez mal à l'aise dans des salles incommodes, à l'éclairage nocif.

L'université et ses dépendances et parmi elles l'Institut Pasteur sont juchées sur leur rocher comme un landais sur ses échasses. A la suite de jeunes gens très sportifs qui escaladaient comme en se jouant les âpres chemins qui conduisent au Palais de la connaissance, je me rendis hier, dans une sorte de pèlerinage, à la bibliothèque des Facultés.

Je trouvai le jeune bourgmestre de la Cité des Livres, M. Koelbert, au fond d'un réduit fait d'un segment de corridor; la porte en est ornée d'une belle plaque de cuivre où l'on avait gravé ces mots ambitieux : " Cabinet du bibliothécaire en chef". Là un homme, passionné pour son métier. doit, dans un espace restreint par des rayonnages à bouquins et des casiers à registres, travailler sept à huit heures par jour, sous un éclairage déprimant, à toutes sortes de besogne sans gloire : comptabilité-finances et comptabilité-matières, statistiques, commandes d'ouvrages, récolement des livres entrés et sortis, rapports de tout genre à l'autorité supérieure, surveillance, etc., incombent à un seul homme qui, en dépit de sa besogne harassante, demeure souriant et de bonne humeur.

Il a sous ses ordres un bibliothécaire et quatre garçons qui distribuent les ouvrages et exécutent les menus travaux. Cette équipe assure tant bien que mal le service, qui devient de plus en plus lourd. Il faudrait un second bibliothécaire et deux garçons de plus. La dépense qui résulterait de cet accroissement de personnel serait, à l'échelle actuelle des traitements, de l'ordre de 40.000 francs par an.

Voici le budget dont dispose l'Université pour sa bibliothèque : pour 1932, elle obtint, tant en crédits ordinaires qu'en crédits supplémentaires 238.140 fr., dont 166.640 réservés aux achats d'ouvrages et 48.000 aux abonnements aux périodiques. En 1914, son budget n'était que de 18.470 fr. dont 6.000 pour achats d'ouvrages et 5.670 pour abonnements. A ce jour, la Bibliothèque reçoit 672 revues et publications périodiques.

Au cours du dernier trimestre 1932, où le mouvement des livres, en raison de la tardive ouverture des cours et de l'importance des vacances, est calme, 8.858 volumes furent communiqués aux étudiants et 2.152 prêts à domicile leur furent consentis. Dans le même laps de temps, on enregistre à l'entrée 1.225 volumes et 643 thèses. Ces détails montrent le labeur qu'ont à assumer M. Koelbert et ses collaborateurs. Or, les catalogues alphabétiques sont à jour. Mais le catalogue méthodique est encore à constituer.

Quant à la reliure, confiée à la maison Midi et à l'atelier des Pères Blancs de Maison-Carrée, elle est, faute de crédits suffisants, en retard de dix ans. On y consacrait, en 1914, 2.000 fr. par an. On y affecta, en 1932, 40.000 francs, mais les dépenses de matières premières et de main-d'œuvre ont plus que décuplé. Si bien que la conservation de beaucoup de revues et d'ouvrages ne peut être assurée, et qu'on découvre des livraisons manquantes dans certaines publications, à la suite de communications qu'on ne peut refuser aux lecteurs.

Il y a peut-être là un défaut d'organisation auquel il serait possible de remédier sans grands frais. Il existe un atelier de reliure à la Bibliothèque municipale. Pourquoi n'en serait-il pas constitué un à la Bibliothèque universitaire où existe un mouvement d'imprimés beaucoup plus considérable, et où, chaque année, 150 à 200 collections de revues ne peuvent être reliées ?

- Hélas! nous sommes trop riches, me dit M. Koelbert, et nous mourons de nos richesses. Nous ne savons plus où loger nos livres. Ne devons-nous pas envisager dès maintenant l'arrêt, faute de place, des commandes aux libraires et aux éditeurs ? La question à résoudre devient chaque jour plus angoissante. Il nous faut procéder à des refoulements, doubler les rangées de livres ; mais ce sont des expédients qui ne tarderont pas à être inefficaces, puis qui sont contraires à l'ordre qui doit régner dans nos collections. Il faut souvent plus d'un quart d'heure aux garçons pour satisfaire à la demande d'un lecteur. Tenez, voyez ce qu'est la salle réservée aux professeurs !

Sortant de son cabinet, il me conduisit dans un autre segment de couloir, large d'environ 2 m. 50, mais garni de rayonnages qui restreignaient singulièrement l'espace libre. Là, d'étroites tables permettaient à peine à une douzaine de travailleurs de se livrer à leurs études.

Nous pénétrâmes ensuite dans la longue salle rectangulaire qui suffisait, il y a quarante ans, aux besoins des élèves quand je faisais mon droit. Les rayons couraient sur les murs jusqu'à la hauteur d'un second étage. Les architectes s'opposaient, par prudence, à ce qu'on poussât le rayonnage jusqu'aux corniches du plafond.

Des épis très rapprochés cloisonnaient les deux extrémités de la pièce. Partout s'élevaient des murailles, des remparts de livres. L'air et la lumière étaient mesurés avec parcimonie aux étudiants dont les tables encombraient le milieu de la salle. M. Koelbert me montra que dix mètres de rayons étaient encore disponibles, sur un épi, pour les ouvrages de petit format. Cette indigence l'affectait douloureusement.

Un petit ascenseur nous mena dans une galerie, au premier étage du bâtiment. Elle était en entier affectées aux périodiques : et plutôt bourrée qu'occupée ! Il y avait là un formidable entassement de livres et de liasses. Nous poussâmes jusqu'au second étage, celui des combles. Là, sur d'innombrables épis, s'amoncelaient les thèses : celles provenant provenant des universités françaises avaient été classées. Mais, faute de personnel, celles qui provenaient de l'étranger gisaient, soit empilées en vrac le long des murs, soit en ballots.

- Nous attendons, pour procéder à la mise en ordre de ces documents, des jours meilleurs, me dit le bibliothécaire avec un sourire navré.
- Mais, au nom du ciel, quel remède voyez-vous à la situation ?
- Il n'en existe qu'un, monsieur : l'agrandissement des locaux. Il n'est pas possible, disent les techniciens. Alors qu'on nous construise une bibliothèque, un établissement organisé d'une façon moderne et où, comme à Strasbourg, large place serait réservée aux acquisitions futures. Pour le moment, ici. nous sommes à bout de forces!...

En Algérie, on a toujours vu petit.