les feuillets d'El-Djezaïr
Henri Klein

La Banlieue
La route de Mustapha-Pacha ,
- le jardin d'essai
- Le Champ-de-Manoeuvre
sur site le 23-4-2009

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La route de Mustapha-Pacha

La route de Mustapha-Pacha avait, sous les Deys, un caractère plutôt paisible. Sur cette voie inégale, tantôt hérissée de pavés, tantôt creusée d'ornières boueuses, cheminaient d'ordinaire, vers la ville, les Arabes de la plaine apportant les produits maraîchers nécessaires à la consommation des habitants de la cité. De temps à autre, on y voyait cavalcader un escadron de Janissaires allant au Fort de l'Harrach ou en rentrant à Alger.

Rares étaient les habitations au long de Trek-el-Soultania (la route royale), ainsi que disaient les indigènes d'alors.

Dès le tournant du Fort Bab-Azoun, la seule villa importante qui, près du rivage, frappât la vue, était la Maison de l'Agha, dont les jardins occupaient un espace qu'enveloppent aujourd'hui les rues Richelieu, Sadi-Carnot et le boulevard Victor-Hugo. Au-delà, sur la gauche d'une montée, c'était Dar-Diaf, la Maison des Hôtes où se reposaient quelques instants, avant d'entrer en ville, les Beys qui se rendaient auprès du Dey (pour détails, voir à : La Casbah).

Puis, au lieu devenu : Champ-de-Manoeuvre, apparaissait Aïn-er-Reboth (1Ain-er-Reboth : La source de l'attache (comme précédemment dit). En cet endroit étaient attachés les chevaux des Janissaires qui venaient évoluer aux environs.). Mais voici qu'après 1830, cette route, si calme, se caractérisa d'un mouvement extraordinaire.

La raison de la circulation intense qui s'y produisit presque subitement, fut la création, au-dessus d'Ain-er-Reboth, du camp français dit: de Mustapha-Pacha. Bavoux nous renseigne de façon intéressante à ce propos :

"On ne peut, dit-il, rien voir de plus animé que la route de Mustapha-Pacha. Elle est couverte de carrioles pleines de militaires qui vont au camp ou en reviennent. On trouve des hommes à cheval, des soldats à pied, des bédouins conduisant des ânes ou des chameaux. L'étranger est surtout frappé par l'aspect nouveau que présente le paysage ainsi que les arbres et les plantes qu'on y remarque. Les jardins sont pour la plupart, clos par des haies vives composées de figuiers de Barbarie et d'aloès. Quant au camp de Mustapha-Pacha, il est à une demi-lieue d'Alger. Il se présente en amphithéâtre, faisant face à la mer."

"Au-devant, se trouve une immense esplanade (
L'esplanade Rapatel.) et une fort belle route pour y arriver. Des plantations de mûriers y ont fort bien réussi. Le camp est très bien tenu et fort beau. Il est occupé par une partie du 1er Chasseurs d'Afrique et par un régiment d'infanterie. Les soldats couchent sous des baraques en bois."

"Au-dessus du camp, on découvre plusieurs maisons de campagne charmantes, habitées par les officiers ( Contrairement à ce qui se produit actuellement avec l'écran formé par les nouvelles maisons à cinq étages, la vue, libre alors, s'étendait sur les côteaux voisins dont se distinguaient les moindres détails.). C'est à Mustapha-Pacha que se trouvent les deux villas du Maréchal Clauzel ( Le jardin de l'Agha.) et du Maréchal Valée ( Affectée à la résidence de ce gouverneur - au quartier Fontaine-Bleue - cette villa, que possédèrent d'abord MM. Nalaud, Bussy, Gormond, et qui avait été une première fois acquise pour 80 francs de rente, fut achetée 12.000 francs par le Général Bernell qui, après peu de temps, en refusa 70.000 francs. Elle devint propriété du Génie. Le Général Voirol en avait fait sa résidence d'été. Le Génie fit la remise aux Domaines de cette villa, le 25 mars 1854. (Archives de la Guerre). Voir encore à : Description de la villa de l'Agha.). Elles sont placées ail centre de jardins délicieux et entourées de belles eaux. On rencontre plus haut, le Palais de Mustapha-Pacha ( Devenu Orphelinat Saint-Vincent-de-Paul.). Ce dernier, autrefois, était admirable, mais depuis sa transformation en caserne, ce n'est plus qu'une ruine..."

Et le récit se poursuit par la description du chemin ombragé d'oliviers et de caroubiers sauvages, chemin "d'une si admirable végétation", qui conduisait à la Fontaine du Hamma.

La Fontaine du Hamma, site jadis d'un charme si poétique, et combien enlaidi aujourd'hui...

Mais qu'on ne croie pas que le mal qui lui a été fait, date seulement de notre époque, car, dès les premiers temps de l'occupation, on s'acharnait déjà après lui. Voici ce qu'à son sujet écrivait Fisquet en 1840

"Il s'en faut beaucoup que ce lieu présente encore aujourd'hui le caractère original qu'il avait avant la conquête. La main impitoyable de la civilisation s'est étendue sur ce site pittoresque et sur le gracieux édifice arabe qui n'en était pas le moindre ornement."

"Les Ponts-et-Chaussées ont remplacé par une route bien large, bien droite et bien poudreuse, le frais sentier qui serpentait jadis sous un berceau de verdure. Les planches régulièrement alignées et les allées du Jardin d'Essai, tirées au cordeau, se sont substituées aux bouquets d'arbres, autrefois jetés capricieusement ça et là, entre le joli bâtiment indigène et la Méditerranée. Et la bruyante guinguette, cette importation toute française, est venue suspendre son bouchon en manière d'étendard bachique à côté du paisible café maure (
C'était dans le café maure des platanes que, par ordre du Général en chef, en 1831, les indigènes se rendant à Alger étaient tenus de déposer leurs armes qu'ils reprenaient au retour.), comme pour faire ressortir les différences qui distinguent les deux nations : "Ici, l'alcool; là, l'eau fraîche et le moka inoffensif".

Hélas ! que dirait Fisquet s'il voyait en leur ensoleillement, les transformations diverses réalisées depuis peu, en ce coin unique !

Le Jardin d'Essai (voir aussi)

Quelques renseignements maintenant sur le jardin du lieu qui vient d'être cité. Ce fut en 1832, sous l'administration du baron Pichon, que l'on créa le Jardin d'Essai. A la place de celui-ci, existaient - au vrai - des champs incultes, des marécages "où l'on chassait le sanglier". Des palmiers séculaires émergeaient très haut, au-dessais des buissons. L'un d'eux, incorporé dans la pépinière centrale et qui faisait l'admiration des visiteurs, fut renversé par la foudre, le 13 mars 1848. Ses débris furent éparpillés à plus de cent métres. D'autres furent plantés dans la suite, qui dès 1847, constituèrent une allée magnifique.

L'établissement de ce jardin d'acclimatation nécessita quelques expropriations qui ne furent pas toujours opérées de façon légale. Le baron Pichon cite à ce sujet, le cas d'un maure qui possédait en ces lieux, une petite campagne, en compensation de laquelle celui-ci ne put obtenir aucune indemnité. Le Khodjet-el-Kheil (ministre des Haras), à qui appartint le Palais d'Eté, y possédait aussi deux "djenan".

En mars 1856, le jardin fut agrandi d'une partie du coteau dominant la Fontaine du Hamma. Plusieurs familles maures, parmi lesquelles celle des Abd-el-Tif, furent en cette circonstance expropriées.

Le jardin, qui occupait une superficie de 18 hectares, fut ainsi augmenté de 4 hectares et demi, ce qui lui donna une superficie de 22 hectares et demi.

Ce domaine comprit plus tard 80 hectares.

Le Jardin d'Essai qui, pendant longtemps, demeura la propriété de l'État, était jadis pourvu à son entrée, d'un factionnaire.

Il fut visité par le duc d'Orléans, le 15 novembre 1835, et par l'Empereur Napoléon III, le 10 mai 1865.

Le Champ-de-Manoeuvre

Le Champ-de-Manoeuvre était appelé, avant 1830, Menzel-el-Mahalla (lieu où descend l'armée).

Là, en effet, deux fois par an, à l'occasion de grandes cérémonies du Gouvernement turc, l'Agha des Janissaires allait camper pendant vingt-quatre heures, avec un contingent de la milice algérienne.

Ce lieu de campement n'occupait toutefois qu'une faible partie de l'espace où s'étendit le champ d'exercices français.

L'ensemble était dénommé Aïn-er-Reboth.

Le terrain y était très inégal. Des mares en couvraient le centre (1Ce qui rendait ce quartier malsain. Il en était de même du Hamma dont le nom signifie : La Fièvre.) où s'élevait une redoute. Des oueds coulaient en sa partie Sud.

Le long de la mer se trouvaient des ravins. Les travaux de terrassement et de remblai que dut exécuter la troupe en ce lieu, furent considérables. Ils durèrent dix années.

Le chemin du Hamma traversait en son milieu, Aïn-er-Reboth. De chaque côté passaient : la route de Maison-Carrée, sur le bord de laquelle se trouvait une batterie turque, et la route de Kouba, où, Hassan Pacha fit élever une fontaine qui, relevant de la caserne du Train de la rue Margueritte, demeura enclavée entre deux maisons de la rue de Lyon .L'édifice n'existe plus, du moins à l'état de fontaine. A la demande du Comité du Vieil Alger, son inscription fut, en novembre 1935, transportée au musée des Antiquités.

Plusieurs pistes couraient entre ces voies.

Sur une grande partie d'Aïn-er-Reboth, s'étendaient des "Rekka ", terres cultivées, que bordaient des haies de cactus et d'aloès.

On dut longuement traiter avec les propriétaires de ces champs, lors de la création du Champ-de-Manoeuvre qui, on le sait, fut entreprise au début même de la conquête. Il y avait là, entre autres propriétés :

Les Rekka :
      de l'Etat, que bordait un chemin allant à Aïn-al-Bida;
      de la Grande Mosquée (terrain habous);
      du Kaïd-el-Aïoun (Directeur des fontaines);
      du Sid Osman Khodja qui en 1831, vendit au colonel Lemercier, la partie faisant face à la Fontaine d'Hassan-Pacha;
      de la Mosquée El-Djedid (terrain habous).

Les Rekka :
      du Sid Abd-el-Tif, que bordait le chemin du Hamma;
      du Sid El-Hadj-Omar ( Bey de Miliana, "chevalier de l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur'.);
      de l'Amin Sekka ( Sidi Abd-er-Rahman, connu sous le nom de Bel el-Hadj Said.) (Contrôleur de la Monnaie);
      de Menzel-el-Mahalla (le Champ de Manoeuvre turc);
      du Kaïd Hassan (sur l'emplacement du square actuel), qui fut vendu en 1831, à M. Roux ( Propriétaire, jadis, d'une notable partie de Aïn-er-Reboth, et dont une maison, voisine du Champ-de-Manoeuvre, porta le nom fort longtemps. (Villa Roux).
) et en 1856, à l'État.

On arrivait à Menzel el-Mehalla par Trek-Soultania (la route royale), sur la gauche de laquelle se trouvaient trois fontaines (Aïoun-er-Reboth), voisines de deux grands bassins construits par un pacha, et servant au rouissage des chanvres nécessaires à la marine des corsaires.

De Trek-Soultania naissaient plusieurs voies. Celles de Maison-Carrée, du Hamma, de Kouba, viennent d'être mentionnées.

C'étaient encore celles de Fontaine-Bleue et du Ruisseau-Kolaï, chemin romain, allant à Mustapha-Supérieur (rue Margueritte).

Le Champ-de-Manoeuvre, aujourd'hui considérablement réduit, fut entouré par la troupe d'une magnifique ceinture d'arbres que des constructions nouvelles ont fait disparaître.

Livré à la ville, cet ancien champ militaire se transforme en quartier urbain.