les feuillets d'El-Djezaïr
Henri Klein

Personnages divers
- Le captif Cervantès
- Le captif Regnard
sur site le 28-5-2009

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Le Captif Cervantès

Comme il convenait, Cervantès qui fut esclave à Alger, eut sa mémoire honorée en cette cité.

Michel Cervantès, avant de s'adonner aux Lettres, fut soldat. Il assista à la bataille de Lépante où, d'une blessure, il perdit pour toujours l'usage de la main gauche. On le dénomma : le "manchot de Lépante".

Cervantès néanmoins, continua quelque temps à guerroyer contre les Infidèles. Il se décida enfin à reprendre le chemin de sa patrie.

Tandis que s'effectuait ce retour, le navire qui le transportait et sur lequel se trouvait aussi son frère Rodrigue, fut pris par des Corsaires que commandait le Raïs Arnaout Mami (26 septembre 1575). Amené à Alger, il échut comme esclave à l'un de ces corsaires : Dali Mami, renégat grec, surnommé le Boiteux.

Résolu à s'échapper, il tenta une première fois, avec quelques compagnons de captivité, de gagner Oran (1Occupé par l'Espagne depuis 1509.) par terre; mais se voyant exposé à mourir de faim, il revint à sa chaîne.

En 1577, son père, prévenu par une lettre que lui remit un captif nouvellement racheté, envoya pour la délivrance de ses deux fils une certaine somme. Seul, Rodrigue fut remis en liberté. Michel, que ses qualités avaient fait hautement apprécier de son maître, dut demeurer à Alger. Rodrigue en partant, prit l'engagement de faire envoyer à bref délai une frégate armée, à bord de laquelle pourrait s'enfuir Michel.

Celui-ci (en février 1577), ayant reçu avis de la venue prochaine du navire promis, organisa avec treize captifs un plan d'évasion.

Ces derniers s'échappèrent d'Alger et demeurèrent plusieurs jours cachés dans la propriété d'un Maure (le caïd Hassan), voisine de la plage du Hamma. Le lieu qui leur servit de retraite était une grotte qu'avait creusée à cet effet un certain Juan, originaire de Navarre et esclave d'Hassan'.

Juan, pendant le jour, gardait les abords de cet asile. Un autre esclave, surnommé le Doreur, natif de Mélilla, et deux fois renégat (au christianisme et au mahométisme), apportait des vivres aux fugitifs.

Le 20 septembre, Cervantès, prévenu de l'arrivée de la frégate dans les eaux algériennes, alla rejoindre les hôtes du souterrain. Le vaisseau, après avoir louvoyé au large, pénétra de nuit dans la baie (28 septembre), mais déjà sa présence avait été signalée. Il fut rapidement capturé. L'équipage et le capitaine furent réduits en esclavage.

Le Doreur vint alors révéler au Pacha (1Hassan-Vénéziano.) le complot de Cervantès. Des soldats furent aussitôt envoyés au jardin d'Hassan où, sur les indications données, le groupe fut vite découvert.

Cervantès, sans hésiter, se déclara seul coupable; sur quoi le Pacha le fit, sans autres formalités, enfermer en son propre bagne. Dali Mami étant venu réclamer son esclave, celui-ci lui fut rendu; mais animé par l'espoir d'en tirer une forte rançon, le Pacha se l'appropria à nouveau, cette fois, moyennant la somme de 500 écus.

Alors Cervantès, que hante toujours l'idée d'une évasion, cherche à mettre au courant de sa situation le Gouverneur d'Oran, vers qui, en secret, il envoie un Maure. Malheureusement ce dernier est pris au moment d'atteindre au but.

En 1579, Cervantès projette encore de s'échapper avec un navire qu'il doit acheter de concert avec un renégat espagnol, désireux de revoir sa patrie. Va-t-il maintenant réussir ? Hélas ! non : un moine révèle tout au Pacha qui, furieux, fait charger de fers l'infortuné qu'on retient cinq mois en un noir cachot.

Sur ces entrefaites, meurt le père du captif qui avait en vain fait appel à la générosité du roi en faveur de son fils. Sa veuve et ses filles parviennent après bien des difficultés, à réunir 300 ducats qu'elles remettent à deux Pères Rédempteurs qui vont partir pour Alger.

Le Pacha avec qui ceux-ci négocient, exige 1.000 écus d'or. Prévoyant un refus, le souverain fait monter Cervantès à bord d'un navire qui va l'emmener lui-même à Constantinople. Les Pères négocient alors avec plus d'ardeur et finissent par obtenir la libération du prisonnier pour 500 écus d'or d'Espagne (1580).

Cependant avant de partir, Cervantès dont la réputation a été ternie dans sa patrie par d'infâmes calomnies, tient à faire proclamer par les esclaves les plus connus, la probité dont il a fait preuve à Alger, pendant ses cinq années de captivité. Au témoignage qu'il reçoit des captifs, les Pères joignent le leur qu'ils expriment par écrit. Muni de ce document, Cervantès part alors pour l'Espagne où il ne tarde pas à reprendre du service en vue d'une campagne aux Açores. Mais comprenant que la mutilation qu'a subie sa main, s'opposera à sa réussite dans la carrière militaire, il abandonne l'armée, se marie, puis sollicité par les Lettres, se met à écrire sur maints sujets, produisant entre autres choses, La Vie d'Alger, où il relate sa captivité. Il donne enfin le roman de Don Quichotte qui doit l'immortaliser.

Cervantès qui était né en 1547, mourut le 23 avril 1616. (Le même jour que Shakespeare).

Très tardivement (en 1835), Madrid lui éleva une statue. Comme on ne connaissait aucun portrait de l'écrivain, la physionomie que lui donna le statuaire fut inspirée de la description que Cervantès donna lui-même de sa personne, dans le prologue de ses Novelas Exemplares.

A Alger, la Colonie espagnole fit ériger dans la grotte dont nous venons de parler, et qui se trouve sur le flanc de la colline dominant le Jardin d'Essai, un buste en marbre de l'écrivain, copié sur celui que possède le Musée National de Madrid.

L'inauguration eut lieu le 24 juin 1894. Au même lieu, en un square (1926) un autre monument fut érigé, comportant avec le buste de Cervantès, une pyramide où sont reproduites les armes d'Espagne.

Antérieurement, en 1887, une plaque commémorative avait été placée à l'entrée de cette grotte. Une autre plaque, offerte par la Colonie espagnole de Sidi-bel-Abbès, fut apposée auprès de celle-ci, en mars 1905.

Le 7 du mois de mai suivant, le troisième centenaire de la publication de Don Quichotte fut célébré avec pompe devant la grotte, sous la présidence de M. Louis Marinas, consul d'Espagne.

On retrouva en 1912, un portrait authentique du grand auteur.

Il porte la date de 1600 et la signature de J. de Jaurigui, artiste par qui Cervantès déclare précisément dans l'ouvrage précité, avoir été peint.

Cette précieuse effigie, acquise par M. José Albiol, professeur à l'École Normale des Arts et Métiers d'Oviedo, fut donnée par celui-ci à l'Académie Espagnole. L'oeuvre exécutée sur un panneau et masquée depuis nombre d'années, par un épais enduit, ne se révéla qu'à la suite d'un grattage qu'eut l'heureuse idée de faire exécuter M. José Albiol.

A rappeler que Florian, dans la préface de sa Galatée, pastorale imitée de Cervantès, parla de la captivité de ce dernier.

Ste Beuve fit remarquer que celui qui devait si bien ressembler à Plaute, avait comme lui, été esclave.

Le Captif Regnard

Comme Cervantès, Regnard, surnommé le deuxième poète comique de France, fut esclave à Alger. Sous la forme d'un roman : La Belle Provençale, l'écrivain donna de sa captivité, un récit où naturellement, la réàlité se trouva associée à la fantaisie. Un autre récit d'un sien ami, M. de Fercourt, qui fut son compagnon de servitude (récit écrit toutefois quarante ans plus tard), contribua en certaine mesure, au rétablissement de la vérité.

Le manuscrit, retrouvé au château de Troussure, a pour titre : Aux Coustaux de Fercourt, 1718. Il comprend 55 pages. De ce cahier, M. Dupont Vhite fit une analyse qui fut lue à l'Académie de Beauvais.

Voici ce que fut ou put être, l'aventure de l'écrivain.

Regnard âgé de 22 ans, visitait l'Italie avec le dit ami, M. de Fercourt.

Il disposait d'une belle fortune.

Dans les salons, il fait la connaissance d'une jeune femme, une Arlésienne, qu'accompagne son mari, M. de Prade.

Fasciné par son charme, il tombe éperdument amoureux de celle-ci qui, à sa joie, ne semble pas indifférente à ses hommages.

Les circonstances - et aussi l'humeur jalouse du mari - les séparent. Le hasard qui arrange parfois bien les choses, les fait se rencontrer sur un bateau anglais qui va les ramener en France. Mais bientôt en vue de Nice, deux navires corsaires armés de canons, donnent la chasse à celui-ci.
Tout en le poursuivant - est-il rapporté - les pirates se jouent de lui, en arborant successivement les pavillons français, espagnol, hollandais, vénitien, celui des Chevaliers de Malte, puis l'étendard de Barbarie "coupé en flamme au croissant descendant".

Le combat s'engage. Le capitaine anglais est tué par un " boulet à deux tête " (projectile formé de deux boulets ramés). Regnard, de Prade, de Fercourt concourrent à la défense vaillamment, mais ils sont pris, ainsi que la belle Arlésienne...

Cela arriva en octobre 1678.

Après avoir battu la mer, deux mois durant, les navires mirent le cap sur Alger où ils arrivèrent un soir, "dans le temps qu'on allumait sur les mosquées les lampes qui brûlent pendant toutes les nuits du Ramadan".

Débarqués au quai de la Darse (alors en création), Regnard, de Prade, sa femme et de Fercourt, sont amenés au Badistan, marché aux esclaves (actuellement place de la Pêcherie), où ils doivent être vendus par les soins du "Beït-el-Mal".

Regnard est acheté pour 1.500 livres par un Maure d'Espagne de la race des Tagarins, nommé Achmet Thalem, qui acquiert aussi de Fercourt et de Prade. (D'après sa propre relation, de Fercourt aurait été acheté pour 3.025 piastres). Mme de Prade devient la propriété d'un vieux Turc. La vie d'esclave commence pour tous quatre. Les hommes durent moudre, dans un caveau, du blé et, dans la suite, carder de la laine. Regnard, afin d'adoucir son sort, s'ingénia à construire des cages de jonc pour oiseaux qu'il revendait dans les rues d'Alger. Il gagna la confiance de son maître, en lui confectionnant de succulents ragoûts. Grâce à cette confiance, parait-il, Regnard put continuer son intrigue avec Mme de Prade.

Au cours de leur commune captivité, Regnard et de Fercourt organisèrent un plan d'évasion avec Mme de Prade.

Achmet ayant appris le projet, fait mettre de Fercourt à la question, à coups de nerf de boeuf sur la plante des pieds, pour savoir ou était la barque qui devait les emmener. Achmet n'obtient nulle réponse. Il s'emporte, crache au visage de Fercourt et fait poursuivre le supplice. De Fercourt, stoïque, s'obstine à n'avouer rien. Mais Regnard, lui, son tour venu, avoua tout, esquivant ainsi le châtiment. Rappelant ce supplice de de Fercourtl, Regnard, plus tard, écrivait à son ami :

"Alors que la faim canine t'alléchait à des parfums d'oignon et de galée (piment), tu affrontais généreusement, et avec une grandeur d'âme sans égale, le courroux d'Achmet Thalem et ses trois ou quatre cent coups de bâton".

Les misères de cette existence devaient se prolonger encore quelque temps.

Enfin, Regnard et de Fercourt voient le jour heureux de l'arrivée de leur rançon ! Celle de Regnard fut de 12.000 livres. Un rabais de 2.000 francs obtenu, permit de racheter Mme de Prade et le domestique de de Fercourt. (Ce détail du roman, fit dire malicieusement à La Harpe, dans son cours de Littérature, "que la dame ne devait pas être séduisante").

Quant à de Prade, il demeura, confiant sa femme à ses deux amis.

Dans son récit, Regnard exprime qu'il conduisit celle qu'il aimait, à Arles, auprès de sa famille, caressant l'espoir de l'épouser. Mais voici qu'un jour, de Prade qu'on avait cru décédé, reparait ! C'est l'anéantissemrnf du rêve... (Peut-être cet incident du roman, comme il fut déjà dit, inspira-t-il à l'auteur, Le Retour Imprévu).

Le coeur ulcéré, Regnard (Zelmis dans l'ouvrage), erre en France, va dans le Nord de l'Europe, jusqu'à l'Océan Glacial, et croyant avoir atteint le Pôle, il s'arrête au Mont Métarava où il inscrit son nom. Ainsi s'achève cette jolie oeuvre, la Provençale, où fut agréablement romancée, son aventure d'El-Djézaïr.

Regnard revenu à Paris, garda précieusement sa chaîne et son vêtement d'esclave. Il demeura rue Richelieu, où il reçut à sa table, le duc d'Enghien, le prince de Conti qui " il versa du vin de Montmartre, vignoble voisin de sa maison ".

Comme Corneille, La Fontaine et Beaumarchais, Regnard exerça la magistrature forestière. Son titre était : Lieutenant des Eaux, des Forêts et des Chasses.

Il mourut en son château de Grillon, à Dourdan, à l'âge de 54 ans.

Son buste, oeuvre de Foucou, se trouve à la Comédie Française. Sur l'initiative de M. Guyot, de Dourdan, une réplique de ce buste fut dressée sur la place de la ville, qu'au nom de l'Académie, inaugura Jules Clarétie, le 5 septembre 1909. Était présent, M. Théaux, sous-préfet de Rambouillet, qui fut il y a peu d'années, Directeur des Services de Sécurité à Alger.

Le Musée de Versailles possède un portrait de Regnard par Rigault (1702), dont une reproduction en gravure fut donnée par Ouvré. Un autre, (rapport d'Edmond Fournier) est conservé dans la famille d'Alfred de Vigny.

Il existe aussi un portrait de de Fercourt chez des descendants de ce gentilhomme : M. et Mme Olivier, de Dourdan. (Guyot).

En mai 1911, la Comédie Française vint jouer à Alger "Les Folies Amoureuses" de Regnard.

Le 12 avril 1928, les Amis de Carthage et des Villes d'Or donnèrent, du même auteur, Democrite, qui fut joué le 15, à Cherchell.

Le nom de Regnard fut attribué dans le passé, à une rue de haute-ville (disparue)

Un passage de l'Agha en fut plus tard, désigné.

A Paris, c'est une petite rue en voisinage de l'Odéon, qui le porte.

A plusieurs reprises, mais en vain, les Amis du Vieil Alger demandèrent l'érection d'un buste de Regnard au foyer du Théâtre.

Antérieurement, en 1867, une sollicitation analogue avait été, sans succès également, présentée auprès du Conseil Municipal. Il s'agissait alors de donner pour cadre à son effigie, la niche rocheuse agrémentée d'une source, qui décorait jadis, le mur de soutènement de la place de la Lyre, et qu'en 1883, on incorpora au nouveau théâtre.

Sur l'initiative du Vieil-Alger, une plaque de marbre évoqua sur la façade de ce théâtre, en 1912, le souvenir du poète, de même, sur l'emplacement du Badistan (place de la Pêcherie).

Regnard était de modeste origine. Voici le texte de la communication qui fut publiée, relative à sa naissance : Regnard né le lundy, 8 février 1655. Fils d'honorable homme (marchand de saline) et d'une roturière.

Sa marraine, femme de noble homme, Firmin Leclerc, secrétaire à la maison de la Reine. Son parrain, Pierre Carru, gros marchand de morues et de harengs salés. (1823. Beffara Aimable, Commissaire de Police).

"Et malgré cela, dit M. Guyot, auteur de la communication, il n'eut rien de l'allure poissarde". Il portait élégamment, dit-il, sa veste écarlate, ses boutons de diamant, son épée à poignée ciselée.

De quelle influence, en effet, pouvait être la vulgaire origine évoquée, sur l'extérieur d'un tel gentilhomme des Lettres !

Le professeur Gabriel Aymé, du lycée de Carcassonne, publia en 1886, un ouvrage à son sujet. Un autre fut édité avec belles illustrations, que composa le précité M. Guyot, propriétaire du château de Dourdan, où vécut l'écrivain. Le dernier fut de André Hallaye. A Alger, furent données sur lui d'intéressantes conférences, en 1865, rue Socgemah, par M. Brédif, Professeur de Rhétorique, devenu recteur à Besançon.