Francis Garnier
Premières traces de Beni Haoua, qui deviendra, plus tard : Francis Garnier

LE NAUFRAGE DU BANEL
LA FAMILLE LATY EN ALGERIE

 


Envoi, textes, illustrations : Geneviève Bortolotti - Troncy
mise sur site le 29-1-2011

54 Ko
retour
 

LE NAUFRAGE DU BANEL

En janvier 1802, au cours d'une tempête qui dura plusieurs jours, un vaisseau français, le "Banel," superbe Trois-Mâts, qui transportait des troupes à Saint-Domingue, où le frère du 1er Consul se trouvait en difficulté, fit naufrage au large de la côte nord-africaine, dans la baie des Souhalias, entre le Cap Ténès et Beni Haoua.


Le trois-mâts le "Banel"
Le trois-mâts le "Banel"

Cette baie fut baptisée, plus tard, "La Baie de l'Ancre", car on y retrouva, échouée, l'ancre du Banel, ainsi que deux canons reposant à une dizaine de mètres de fond.


Le "PAIN DE SUCRE"
Le "PAIN DE SUCRE", pointe ouest de la
baie de Beni Haoua,derrière laquelle est située La Baie de l'Ancre.

La famille LATY nous confie le document ci-dessous, et nous l'en remercions.

LA FAMILLE LATY EN ALGERIE

Introduction

L'histoire commence par un tragique naufrage.

Lorsque le 15 janvier 1802 à 4 heures du matin, César LATY met les pieds sur la terre d'Afrique, au CAP TENES, entre ALGER et ORAN , il ne se doute pas que son exemple sera suivi par tous ses descendants qui viendront, tous sans exception, s'installer en ALGERIE.

César LATY, né à LA CIOTAT (BOUCHES DU RHONE), le 19 novembre 1779, embarqué comme novice sur le chébec " LE CASSIUS " décide en décembre 1801 de partir pour l'AMERIQUE. Il embarque comme aide timonier sur le vaisseau " le BANEL " en partance pour SAINT DOMINGUE et appareille de TOULON le 11 janvier 1802 à 16 heures.

Le BANEL fait naufrage le 15 janvier 1802 au CAP TENES.

Après un séjour d'une trentaine de jours comme prisonnier-esclave des Maures, et un voyage à pied de TENES à ORAN, César LATY est rapatrié par les Espagnols d'ORAN à TOULON via BARCELONE.

C'est en quarantaine, au Lazaret de TOULON qu'il écrit à sa mère, le 22 mars 1802, le récit de ses aventures.
(Nous laissons sa lettre, telle qu'elle a été écrite initialement, avec son orthographe originale, dans un respect d'authenticité).

César LATY reprend sa carrière de marin à TOULON, et, embarqué comme commis de marine, participe sur le brick " LE FURET " à la bataille de TRAFFALGAR. Prisonnier des Anglais, puis des Espagnols, il sera libéré et rentre à TOULON.

Il termine sa carrière comme trésorier des invalides de la marine à MARTIGUES.

César LATY épouse le 1er mai 1817 Marie Magdelaine SOLEILLET qui lui donne deux enfants : Joseph-Antoine et Marie-Césarine, qui mourront et seront enterrés tous deux à ALGER .


Du Lazaret de TOULON, ce 1° Germinal an 10


Ma chère et bonne mère, dans quelle douleur doit vous avoir plongée l'affreuse nouvelle de notre naufrage. Mais, aujourd'huy tranquilisés vous, Dieu a voulume conserver, il a veillé sur mes jours, malgrè tout ce que j'ay souffers, il m'a donné assés de courage pour tout supporter et sortir de cet exécrable pays . C'est le 25 nivôse à 4 heures du matin que nous avons naufragé à l'est du cap de TENES, entre ORAN et ALGER, par un coup de vent de nord-est.

Nous croyons d'abord être tous perdu mais le jour nous a montré la cote très peu distante. Mais la mer était si affreuse que l'on ne pouvait s'hasardé à se jetter à la nage, quelques un cependant bien téméraires,l'ont fait et presque tous ce sont noyés . Un sort guère moins doux étoit reservé à ceux qui atteignoient le rrivage. Là, les Maures de ces contrées s'étoient ramassé en arme ils commençoient par dépouiller entièrement et chassoinet à coup de sabre dans les montagnes les malheureux qui s'étoient sauvés. Du vaisseau nous voyins ce triste spectacle, la mer toujours très grosse, comment se décider à rejoindre la terre, cependant quelques personnes abordent la côte, ils éprouvent le même sort que les autres, dans ces indécisions le jour se passe. Il faut passer la nuit dans un vaisseau battu continuellement par des lames d'eau hautes comme le ciel, craignant sans cesse que le navire se briseroit entièrement. Cependant nous la passons cette affreuse nuit quelle fut longue . Le jour vint et la mer étoit un peu calmée et il se sauva encore du monde. Ils éprouvèrent le même sort que les autres. Cependant, il faut se décider ou à périr à bord ou tacher d'aller à terre et à quatre du soir l'Etat Major prit ce dernier parti. L'on construisit un radeau sur lequel nous fumes à terre poussé par une lame d'eau qui nous fit franchir bien des dangers. Nous fumes entièrement dépouillés, beaucoup furent blessés mais comme nous étions une douzaine quelques uns évitèrent les coups et coururent dans les montagnes. Je fus du nombre. Alors nouvel embarras, ou aller ? Il faisoit un temps affreux il tomboit des grele et il pleuvoit à verse. Nous devions tous périr de froid étant nud tout à fait. Quant à moi plus heureux que tant d'autres j'avais conservé une culotte de toile. Mais quelle nuit allions-nous passer, de distance en distance nous rencontrions de nos camarades morts de froid Nous ne pouvions éviter pareil sort quand Dieu nous fit trouver deux mauvaises cabanes de paille. Il y en avait aussi quelque peu à terre. Nous nous couchâmes les uns sur les autres pour nous réchauffer et nous passames là cette nuit craignant sans cesse d'être rencontré et sabré par les Maures. Enfin le jour nous sortons de là et nous marchions à la garde de Dieu sans cesse harcelè par ces barbares qui nous tiroient des pierres et des coups de fusil. Moi, heureux, j'évitais tout. Enfin vers midi, une troupe de ces Maures nous força à la débandade, et qui fuit d'un coté, qui de l'autre . Deux nous primes la même route et quand nous eumes bien couru, que nous étions hors d'haleine, nous cachames dans des buissons. Il passa des Maures près de nous qui ne nous virent pas. Vers le soir je décidai mon camarade à sortir ; nous étions quasi gelés ; j'enrageai de faim depuis rois jours je ne mangeai rien. Je me résolu de chercher quelque cabane habitée et d'y mourir plutot que d'en sortir nous courumes longtemps il étoit nuit et il commençait à pleuvoir quand j'aperçu une lumière nous y fumes. J'étais bien résolu. En approchant j'entendis parler français. Nous heurtames la porte et priames de nous ouvrir. Ils le firent, et là nous trouvames trente Français qui se chauffoient à un grand feu. Ils nous réchauffèrent car les forces me manquèrent. Quant je fus revenu je demandai à manger et ils me donnèrent des figues sèches en quantité. Je me rempli, et je repris toute mes forces. Vous seres etonnée comme moi de voir trente Français maitre d'une cabane qui paraissait habitée. Ces Français, poussés par la faim et le désespoir avoient rencontré cette cabane et l'avoient emporté de vive force. Elle était habitée par deux maures dont on se saisit et qu'on garotta et qu'on gardoit bien. Nous passames la nuit tranquillement auprès d'un bon feu. Je reposai un peu. Le jour vint, il s'agissait de décamperet nous le fimes en doublant le pas. Les deux Maures qui sont liés se mirent à jeter des cris affreux pour appeler du secours, et dans moins d'un quart d'heure toute la contrée fut couverte de barbares armés, ils nous poursuivirent vivement et nous entourèrent bientôt ils nous eurent joins alors la sabrade commença chacun en a eu sa part, je me frottois contre plusieurs blessés et j'eu mon corps tout couvert de sangde façon que paroissant blesssé, je ne reçu aucun coup de sabre, je vis ensuite un peu de jour et que cinq ou six en avoient profité pour s'échapper ; il y avait de la confusion, et je m'échappai aussi. J'avois de la force et je courus comme un diable et je rncontrais deux Français et nous fimes route ensemble vers une heure nous trouvames une centaine de Françaisqui s'étoient ralliés nous nous joignimes à eux et nous fimes route d'un coté qu'on disait qu'il y avait un village car jusqu'alors nous n'avions vu que des cabanes mais bientôt nous apperçumes une soixantaine de brigands armés nous fumes à eux décidés à recevoir la mort ou à les attendrir. Ils nous couchèrent en joue. Nous tombames à genou, élevant les mains au ciel pour implorer notre grace. Ils hésitèrent. Nous rapprochames d'eux, nous leur primes les mains les genoux que nous tenions embrassés. Cela fit quelqu'effet . Ils nous firent tous lever quelques uns de nous leur parlèrent et se firent entendre. Nous leur demandions la vie. Ils se consultèrent longtemps. Enfin pour finir court ils nous séparèrent de dix en dix et nous conduisirent vers des cabanes. La on nous fit un nouveau partage et moi et un autre fumes la proie d'un brigand fini. Il nous conduisit à son habitation, et là j'ay resté tente et un jour ayant continuellement la mort sous la gorge. Employé aux travaux les plus vils et quoique j'étois bien blessé u pied droit, je n'étois pas exempte du travail et le baton jouoit souvent. Cette blessure provenait d'avoir tant couru dans les glaces et à travers les montagnes. Je passe sous silence tout ce que j'ay souffert, tout ce qui m'est arrivé. Ce seroit trop long. Enfin Dieu m'a conservé, il a voulu ma bonne mère que je vous revis que je vous embrasse encore. C'est la seule grace que je demande à Dieu de vous conserver vous et moi asses pour nous rejoindre un jour.Ha certainement, je ne croyois pas avoir cette grace si tot, mais dans quel état allez vous me voir dépourvu de tout, souvent me voyant ainsi j'envie le sort de ceux qui ne souffrent plus, mais j'en reviens à mon histoire pour la terminer. Le Bey d'ALGER ayant eu connoissance de notre malheur envoya des agens dans nos montagnes qui employant prieres menaces et argent, après bien des pourparlers nous rachetèrent. C'est dans ces intervalles que nous avons tous le plus souffert. Nous fumes conduits à un village, TENES. Là nouvelle misère, je passe sous silence. L'on nous fit partir après un long séjour pour ORAN et nous y arrivames après dix huit jours de marche. Vous ne pourries vous imaginer ce que nous avons souffert dans cette route; plus de vingt fois on a failli nous égorger surtout les blessés qui ne pouvaient courir. A ORAN, le consul espagnol d'après les ordres du consul français à ALGER nous a prodigué bien des secours. Il nous a donné à tous une chemise, un mouchoir, une paire de babouche et un pantalon tout fait et une carmagnole entière toute coupée que notre départ prompt lui a empêché de nous faire faire voila donc tout mon equipage nous avons relaché à BARCELONE là je vous ay écrit vous recevres ces jours-ci cette lettre ; enfin avant-hier nous sommes arrivés après une traversée de dix neuf jours.

Joseph Monfort cet ami incomparable m'a apporté hier deux chemises un pantalon et un gileton et doit m'apporter aujourd'huy une carmagnole. Ou trouver un pareil ami je serai forc é de lui demander quelqu'argent pour m'acquitte envers une personne qui m'a sauvait la vie en partageant avec moi ce qu'il avait soustrait à la rapacité des Maures. Il est bon de vous dire qu'en route nous ne faisions un seul petit repas en 24 heures et c'étoit le soir c'est avec les secours de cet ami que je me trouvai quelque subsistance je lui dois dix francs et je les demanderai à Monfort. Je vous prie de m'envoyer une couple de ces mauvaises chemises que nous avions laissées elles me serviront pour me tenir propre de m'envoyer deux mouchoirs du nés car je suis bien las de me moucher avec les doigts.

Pardon ma chère mère de toutes ces importunités. Un jour le ciel m'aura pardonné, il m'importunera plus, et il me mettra à même de vous tout rendre. .Jusqu'à présent je n'ay pu en avoir que le désir, mais vous êtes si bonne que vous me pardonneres toutes mes sottises, oui je l'espère. A présent ma blessure va très bien et dans dix ou douze jours avec les secours nécesaires je crois être entièrement guéri elle ne m'empêche pas de me lever en marchant du talon

Si vous aves reçu quelques lettres pour moi durant mon absence veulles bien m'en instruire et surtout si Cachard vous a écrit adresses moi tout à Joseph Monfort qui me l'apportera lui-même.

Je vais me faire faire la carmagnole dites mille choses à l'ami Brice que j'aurai bien fait de suivre ses conseils mes amitiés à Jean Baptiste et à sa famille. .Rappelles moi au souvenir de Me Guérin et Daumas mes embrassades à ma marraine et bien des compliments à tous nos parents et amis. Adieu ma bonne mère, consoles vous ne vous inquiétes pas j'ay de la santé de la bonne volonté et Dieu me mettra à même de réparer tant de pertes il a voulu me sauver pour réparer toutes mes fautes séches vos larmes il m'a puni je ne l'avais que trop mérité. Je vous envoie mille embrassades qu'il me tarde d'avoir fini la quarantaine pour être dans vos bras et y épancher toutes mes peines. En attendant ce doux moment je suis votre cher et affectionné fils

J'attends samedi de vos nouvelles sans faute. Salues Joseph André.

(César)