Francis Garnier
Camille BORTOLOTTI
1887-1983

 


Textes, illustrations : Geneviève Bortolotti - Troncy
mise sur site le 16-2-2011

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Camille BORTOLOTTI
1887-1983

Né à Alger, rue Sidi Ferruch, le 31 octobre 1887, il commence sa scolarité à l'Institut St-Joseph d'El Biar, puis entre au collège de Blida.

Malheureuement il a 12 ans lorsque son père meurt, et il doit chercher du travail pour subvenir aux besoins de sa mère et de sa jeune soeur.

Il parvient à se faire embaucher, sur place d'abord, comme apprenti boulanger, puis à Marseille. Il continue à s'instruire en allant aux cours du soir pour devenir ingénieur électricien. Grâce à sa ténacité, sa puissance de travail, son courage, et aussi beaucoup de privations, il obtient son diplôme.

Il se souviendra toujours de ces années difficiles, et en gardera une incroyable disposition à aider les jeunes, honnêtes et travailleurs, pour faciliter leur départ dans la vie, faisant toujours preuve d'une générosité et d'un charisme sans limites.

Après l'obtention de son diplôme, le Comte de Fleurieu, (qui a épousé Cécile Bortolotti, la fille du fameux chef d'orchestre), le rappelle en Algérie pour lui confier la gestion du domaine de l'Haouch el Pacha, dit "La Ferme Modèle".

(Cette propriété dépendait, pour la Poste, de Kouba, pour le chemin de Fer du Gué- de- Constantine, et, pour la Mairie, de Birkadem.)

A 20 ans, Camille se voit responsable d'une exploitation de 400 hectares. Il gère l'ensemble avec maïtrise. Il apprend l'arabe et le kabyle, gagnant l'estime des ouvriers par sa fermeté bienveillante, son sens de la justice, et son amour du travail bien fait, et il obtient des résultats étonnants.

Le 8 novembre 1910 il épouse Gabrielle Nadal, née à Mouzaïaville, d'une famille originaire de Brive-La-Gaillarde dont le premiere-né en Algérie a été déclaré à El Biar en 1836.

camille Bortolotti

Il apprend qu'un projet de création de village de colonisation est en cours, sur la corniche Cherchel-Ténès. Rien n'existe, à part les bornes-fontaines, les trottoirs, et quelques baraques. La route est à peine tracée.

Le 6 novembre 1911, il y achète une concession. Il charge sur un bateau le matériel indispensable à la construction de son habitation, et des bâtiments nécessaires à la future ferme, et c'est ainsi qu'il débarque, plein d'espoir, dans la baie de Beni-Haoua.Lorsqu'il sera créé, le village prendra le nom de Francis-Garnier.

Il connaît alors la vie difficile de ces pionniers qui vont créer du néant un pays florissant et magnifique.

Défrichements, plantations, endiguement des oueds pour éviter les crues désastreuses, essais de cultures malheureux...Formation des ouvriers...Secondé par les indigènes du coin, (qui resteront auprès de lui toute leur vie, pendant trois générations), il arrache les racines de lentisques et de palmiers nains, pour planter de la vigne, ayant préparé auparavant les pépinières adéquates.

Mais, deux ans après, c'est la déclaration de guerre.

A priori, il n'est pas mobilisable, car le colon père de famille, et habitant à plus de 30 kms d'une voie ferrée, devait rester sur place pour s'occuper des terres. Mais il s'engage, bien que la vigne plantée ne soit pas encore en rapport, (il faut 5 ans pour obtenir la première récolte). Comme tous, il fait son devoir, et part, laissant sa jeune femme et son fils, âgé de deux ans, dans une situation difficile.

Le 30 juillet 1914, celle-ci met au monde une petite fille, Andrée, qui, malheureusement, meurt le 14 févrer 1915.
Après Verdun, il reviendra en Algérie pour une permission. Un peu plus tard, elle ira s'installer à Villenauxe-la-Grande, pour se rapprocher de lui, et mieux profiter de ses permissions. Leur fille Solange y naîtra, en août 1918.

Ils reviennent au pays, en 1918, après la démobilisation, sans le moindre argent, mais Camille a la satisfaction d'avoir défendu son pays. Il en est d'ailleurs de même pour la plupart des employés des fermes environnantes. Ceux-ci, les jours de Fête, mettront fièrement sur leurs burnous les médailles gagnées au Front, dans la fraternité des tranchées.

Camille Bortolotti

Lui, a reçu la Croix de Guerre, la Médaille d'Italie et celle de Verdun.

Il est ensuite nommé adjoint spécial de Francis Garnier, (commune mixte de Ténès). Il met tout son coeur à faire naître entre les habitants une cohésion, un esprit d'entr'aide et une amitié qui restent vivaces dans le souvenir de tous ses contemporains et de leurs enfants. II plante des arbres, améliore les bâtiments communaux, veille à la scolarisation des jeunes dans l'école du village et dans l'école indigène, située sur la route de Ténès.

Sa sollicitude pour les gens du pays était de tous les domaines.

Préoccupé par le peu de ressources de l'agriculture, il fait faire des études par les services spécialisés du Gouvernement Général.

La conclusion est que, seul, le figuier pourrait se développer, et donner au moins de quoi nourrir les familles.

le figuier pour les karmoucettes

En 1938, ayant eu connaissance des qualités des figuiers "Kadota", qui produisent de petits fruits très sucrés, avec peu de pépins, il se rend en Italie du Sud, au village de Cosenza, où ils sont cultivés. Il commande une cinquantaine de plants… La commande arrive au moment des sanctions contre l'Italie, et reste sur les quais de débarquement, en plein soleil, jusqu'au lever des sanctions...Peu de plants en réchappent, mais il ne renonce pas à son idée et les utilise pour en faire des pépinières.

Il multiplie les plants. Puis, Il prend contact avec la "Restauration des Sols", aménage ses collines incultes en banquettes, (comme il l'a observé en Italie du Sud), et y installe les plants enfin racinés. Devant le succès de cet essai, Il donne des greffons à tous ceux qui en demandent, à la condition de constater lui-même que le trou d'un m3 nécessaire au bon développement de l'arbre a bien été creusé, et que les chèvres soient écartées pour éviter qu'elles ne détruisent les pousses.
La Restauration des Sols s'intérésse à son expérience, et réalise un film de documentation remarquable : "Il était une Montagne". Et il obtient la Médaille du Mérite Agricole.

Petit à petit la réputation du "Mahalem" s'étend. Parlant parfaitement l'arabe et le kabyle, il est nommé juge au tribunal des Affaires musulmanes. On vient de loin lui demander des conseils, arbitrer les conflits, juger les délits locaux, et ses verdicts, rendus en toute équité, sont acceptés de tous.

En 1939, éclate la Seconde Guerre Mondiale. Tous les hommes en âge d'être mobilisés partent : il assume, secondé par les épouses de ceux-ci. le fonctionnement de son bureau de courtage et la gestion des négoces de vins dont son fils est responsable, , ,

En 1940, il cache dans la cave de la ferme du matériel de transmission que l'Armée Française reprendra pour la Campagne de Tunisie...

Il sera décoré de la Médaille de la Résistance, ainsi que son fils qui contribue au transport de ce matériel.........

1942 : c'est la terrible épidémie de typhus. Il est partout, veille à tout, organise secours, vaccinations, répartition de tissus, transports divers, et, hélas, aussi, les innombrables inhumations.

Energique mais délicat, infatigable, profondément humain, il n'admet ni laisser-aller, ni malversation.

Il connaît beaucoup de monde, et dans tout le pays il a la réputation d'un homme bon et généreux, ayant des idées nouvelles dans une vie où tout est à faire, comprenant ceux qui l'entourent, et s'adaptant au pays. C'est ainsi que, en récompense des vingt ans de présence à la ferme, il offre à son chef de chantier un voyage à La Mecque.
Celui-ci en revient "HADJ", titre qui donne pour toujours considération et notoriété à celui qui l'a acquis. Il fait de même pour les deux fils de celui-ci, et tous trois donneront d'extraordinaires témoignages de joie et de respect pour le "Mahalem" qui a permis cela.

1946, Un candidat communiste ayant la prétention de décrocher la charge de la Mairie de Ténès, il s'y oppose avec force, se présente contre lui, et est élu à une très forte majorité.

C'est alors qu'il entreprend à Ténès et dans la région, des travaux d'une grande utilité, comme l'aménagement du port, pour permettre à des bateaux de tonnage important de charger tous les produits de la plaine du Chélif...ou encore la modernisation de l'Hôpital, afin de traiter les malades sur place...

En 1949, il construit à Francis Garnier, dans sa propriété, une usine moderne, où est traitée la fameuse "Karmoucette" - (nom qu'il invente en s'inspirant du mot arabe : "karmouss" qui veut dire Figue). (Le Déjanté, en aparté: Ah! la karmoucette, la confiture de karmoucette ; une récompense. Tout petit, puis plus grand, je m'en régalais. J'en ai encore l'odeur dans le nez, le goût dans la bouche. Bref. La suite. ) Confiture, figues au sirop, figues sèches, pâtes de figue,... Cette usine produira jusqu'à trois cents tonnes de confiture par an, et fonctionnera jusqu'en 1959, donnant ainsi un emploi sûr et bien rémunéré à une large partie de la population locale, palliant, dans une certaine mesure, la misère du pays. (Et toutes ces productions seront exportées jusqu'en Hollande, et même en Amérique.)

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Etiquette de confiture de figues fraîches Kadota
Marque déposée

Imma-binette
Marque déposée

Quelques bonnes recettes

Des douches y sont installées, et il est obligatoire, pour chaque ouvrier, de les utiliser le matin, avant le travail, ainsi que de revêtir les gandouras blanches spécialisées, et les calots, l'ensemble étant fourni par la maison, lessivé quotidiennement dans la grande bassine installée dans la cour, sur un feu de bois...qui leur est distribué chaque matin..

Tous apprécient ce confort d'hygiène, et finissent par réclamer ce même confort le soir, avant de repartir chez eux...

La récolte se faisant en été, les enfants sont embauchés pour la cueillette et viennent travailler, heureux d'obtenir un gain, le confort des douches, et le régal d'une consommation de fruits illimitée...

Durant l'année scolaire, les jeunes sont récompensés, et nombre de bons élèves sont reçus à l'examen des Bourses qui va leur permettre de continuer des études que les parents ne sont pas en mesure de financer.

Par décret du 18 mars 1952, publié au Journal Officiel du 22 mars 1952, pris sur le rapport du Ministère de l'Intérieur, Camille Bortolotti est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur, en qualité de "Délégué à l'Assemblée Algérienne, Conseiller Général".

C'est en juin 1953 que Maître URBANI lui remet cette décoration, dans un Francis Garnier en fête, et délirant de joie et de fierté.

A la suite de la cérémonie tous les habitants du village et du douar sont accueillis à la ferme, pour un festin qui se déroule dans l'usine Karmoucette, où de grandes tables ont été dressées pour l'événement....


decoration
discours
On peut reconnaître, vêtu de blanc, derrière Camille Bortolotti, Abderamane FARES, notaire à Koléa, et député à l'Assemblée Algérienne.

(On trouvera en annexe le
Discours du Caïd Mokrane prononcé à cette occasion).

L'électricité n'est installée dans la région, et au village, qu'en 1954.

Avant ce progrès d'une importance considérable, il avait acheté, pour sa ferme, un groupe électrogène avec moteur "Duvant" donnant du courant stocké dans une "chambre aux accumulateurs" qui permettait, non seulement de monter l'eau dans un château d'eau pour les besoins domestiques, mais aussi pour les nécessités de la cave, et de l'usine...

Il n'a donc plus besoin de le faire fonctionner , mais le garde tout de même, en secours...

Ce qui lui permet, au moment du séïsme si destructeur d'Orléansville, en septembre 1954, d'alimenter la population en eau et en électricité, les canalisations ayant été rompues en 17 endroits différents, et les nouvelles lignes électriques, fortement endommagées, et qui ne seront réparées qu'après plusieurs mois.....

Et puis..... Eté 1958 : en une nuit, tous les figuiers sont coupés à la base... C'est, comme pour tant d'autres, une vie de travail anéantie...

Ténacité, courage, don de soi, demeurent malgré tout : pendant un an encore, Camille Bortolotti continue de faire fonctionner la ferme, ne laissant pas tomber ses hommes, et, à chaque "quinzaine", leur apporte toujours leur paie."...

Et le fidèle serviteur de lui dire un jour :
- Pars, pars et ne reviens plus. "Ils" veulent te tuer...

En 1955 il a été nommé Délégué à l'Assemblée Algérienne.

Puis, il en est le Vice -Président, aux côtés du Président SAYA.

En 1960, à la suite de la démission de celui-ci, il en devient Président, et il recevra la triste mission de procéder à sa dissolution, et d'en assurer la liquidation...


Président, et il recevra la triste mission de procéder à sa dissolution,


Président, et il recevra la triste mission de procéder à sa dissolution,

En 1963, se préoccupant du sort des Anciens Délégués et de leurs familles, devenu Président de l'Association des Anciens Délégués à l'Assemblée Algérienne, il fait le siège des ministères, se bat avec son énergie coutumière accrue par le drame des Harkis, et finit par obtenir gain de cause auprès du Président de la République, Georges Pompidou...

Par décret du 12 juillet 1972, publié au Journal Officiel du 14 juillet 1972, pris sur le rapport du Ministère de l'intérieur, il est promu Officier de la Légion d'Honneur, en qualité de "Président de l'Association des Délégués à l'ancienne Assemblée Algérienne".

Le rayonnement de cet homme ne s'est pas limité à sa vie publique, et se retrouve dans sa vie privée.

Sa femme, qu'il appelait "Gaby", toujours dans son sillage, l'a secondé et aidé de sa présence discrète, mais efficace.

Dans leur vie familiale, le couple fait preuve, toute la vie, d'un charisme et d'une ouverture aux autres qui sortent du commun, bien loin de tout égoïsme et de repli sur soi.

Ils ont donc deux enfants, Gilbert, né en 1912, et Solange, née en 1918.

Lorsque Camille achète, en 1911, les lots de colonisation à Beni Haoua, trois amis lui facilitent, en prête-noms, cette acquisition. (Il rachètera très vite ces parts), dont Georges BACHET et Germain MARQUIE.

Le 1er février 1918, Georges Bachet meurt sur LA DIVES, torpillée au large du Cap Carbon, (près de Bougie), laissant une veuve et deux petites filles, Annie, sa filleule, née en 1912, et Janine, née en 1914.

Le couple veillera sur elles avec sollicitude, toujours prêts à les aider en tous domaines.

Gilbert et Janine - mes parents - se marient en 1934.

Germain Marquié a, d'un premier mariage, deux enfants : André et Irène.

Veuf, il se remarie, mais les enfants sont malheureux dans ce nouveau foyer, et Irène demande un jour, en pleurs, à "Gaby" et Camille de les garder...

Ce qui est fait, avec l'accord de Germain Marquié. Et, les accueillant bras ouverts, assument leur instruction et leur éducation.

Dans le village, vit une jeune adolescente, Carmen GIMNEZ, orpheline à 14 ans, engagée dans une famille qui la maltraite et lui fait mener une existence épouvantable. Tout le village est au courant de ces conditions révoltantes. Un jour, elle se sauve, et arrive à la ferme, et, sanglotant dans les bras de "Gaby", la supplie, accrochée à son cou :
''- Gardez-moi chez vous ! ''

Camille porte plainte, et finalement elle est ramenée chez eux par deux gendarmes…

Ils l'accueillent définitivement, comme ils l'ont fait déjà pour Irène et André Marquié,

Et elle reste à leur service jusqu'à son mariage, qu'ils préparent avec le même faste que celui des autres filles, et lui offrant le même trousseau.
'' - Ils m'ont fait un mariage de Princesse'', dit-elle, encore de nos jours, à Solange et Gilbert, toujours émerveillée à 93 ans, par ce souvenir ....

Ainsi, Camille aura le grand bonheur d'accompagner à l'autel, le jour de leur mariage :
- Janine Bachet, en 1934, qui devient sa belle-fille,
- Annie Bachet en 1939, sa filleule,
- Solange, sa fille, en 1940,
- Carmen Gimnez, en 1944....

Joli rôle que lui a confié son destin, et belle récompense....

Il meurt en juillet 1983, à l'âge de 94 ans, nous laissant "le témoignage d'une vie de droiture, de bonté et de générosité, d'obstination tenace et joyeuse dans le travail, d'intégrité et de patriotisme," dans un amour sans limites de son pays perdu.

Un pionnier, parmi tant d'autres, qui, n'en déplaise au "Vent de l'Histoire", a contribué à sortir du néant le "pays de Barbarie", pour en faire une splendide province française.

Geneviève Bortolotti-Troncy

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L'ECHO d'ALGER 16 JUIN 1956
La ville de Ténès prépare avec hardiesse son avenir...

A Ténès, le Général ALLARD, le Général GRACIEUX
reçus par Camille BORTOLOTTI