Hammam Meskoutine , "le bain des maudits"
Une visite à la station thermale d'Hammam-Meskoutine
Dr Bonnafont

extraits du numéro 106, juin 2004 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 2-9-2010

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Une visite à la station thermale d'Hammam-Meskoutine
Dr Bonnafont

En 1884 paraissait Pérégrinations en Algérie - 1830 à 1842, du D' Bonnaf ont, médecin principal des Armées. Nous en extrayons ce passage concernant Hammam -Meskoutine (département de Constantine).

J'aurais bien voulu dire quelques mots sur les eaux thermales dont l'Algérie est si riche et que les Romains avaient si luxueusement captées et si habilement utilisées. Mais l'espace me manque, et les personnes qui désireraient être édifiées à ce sujet n'auront qu'à consulter l'ouvrage de mon honorable confrère, M. Bertherand, secrétaire général de la Société d'hygiène d'Alger.(Note du site : voir sur ce même site:
Les sources thermominérales de l'Algérie (Documents algériens))

Je ne puis cependant passer sous silence la station thermale d'Hammam- Meskoutine, la plus curieuse peut-être qui existe dans le monde connu. À la descente de la gare d'HammamMeskoutine, on aperçoit un immense nuage de fumée blanche s'échappant d'un nombre infini de foyers; on dirait un vaste incendie détruisant et consumant une grande cité. Mais à mesure qu'on approche, au lieu d'une ville en feu, on distingue une foule de tumulus coniques de différentes hauteurs par le sommet desquels s'échappe la fumée. Je ne puis mieux comparer cet aspect si pittoresque qu'à celui que présentent les usines du Creusot, vues à la distance de quelques kilomètres; on aperçoit de là, des centaines de cheminées hautes de 60 à 100 m, lançant des nuages de fumée qui, en tourbillonnant dans l'espace, obscurcissent l'atmosphère.

En arrivant près des tumulus, on se trouve en présence de centaines de cônes de diverses hauteurs: quelques-uns ayant plus de 5 m, les uns éteints, les autres fumant à grand feu. J'ai compté 350 de ces cônes et j'en apercevais encore plus dans le lointain, qui avaient cessé de fonctionner. En somme, cet ensemble de cônes blanchâtres, couvrant une si grande étendue, forme un panorama très pittoresque et probablement unique au monde, comme l'a si bien dit M. Tchihatcheff. Sur le plateau le plus en action, on voit l'eau sortir en abondance de l'extrémité de ces cônes et se diviser sur le sol en une foule de petites rigoles brûlantes. L'intervalle que ces rigoles laissent entre elles est tellement glissant qu'il y a danger à marcher si l'on ne veut pas prendre un bain de pieds trop révulsif. Ces rigoles se réunissant, forment un ruisseau qui va se perdre dans la campagne, en laissant après lui une traînée de fumée pareille à celle d'une petite locomotive en marche.

L'eau que débitent les cônes principaux actuels forme de grands ruisseaux qui vont alimenter les piscines. Puis elle se réunit pour former une masse liquide qui va se précipiter à pic, comme une avalanche, de la hauteur de plusieurs mètres, en formant une cascade écumante et fumante, d'un aspect des plus pittoresque. Elle va enfin se perdre, en bouillonnant, dans un ruisseau dont le cours se révèle à plus d'un kilomètre de distance, par la fumée qu'il exhale à travers les lauriers-roses, les tamarix et les grenadiers qui l'ombragent.

Mon ancien camarade et ami Tripier, qui a été pharmacien en chef de l'armée, nous a donné le premier l'analyse de ces eaux. Elles exhalent de l'acide carbonique, de l'acide sulfhydrique et de l'azote, et renferment du carbonate, du sulfate de chaux, du sulfate de magnésie, du sulfate de soude, de l'arsenic, de l'oxyde de fer et du sel marin; ce sont ces éléments constitutifs qui se déposent, à mesure que l'eau, apparaissant à la surface, éprouve un refroidissement subit.

L'abondance de ces eaux est considérable et il est assez difficile d'en évaluer le volume. On estime cependant que les seules sources qui forment les cascades doivent fournir plus de 100 000 litres à l'heure. Et combien d'autres sources sont éparses sur le plateau qu'il serait facile d'utiliser !

La comparaison de ces eaux avec celles débitées par les sources des divers établissements thermaux fera mieux ressortir leur importance sous le rapport du volume.

Quantité d'eau débitée à l'heure en litres :
- Guagno
3 510
- Hammam-R'rira
4 200
- Bourbonne 5 000
- Saint-Sauveur 6 000
- Barèges 7500
- Plombières 10416
- Amélie-les-Bains 50 000
- Hammam-Meskoutine 100 000



L'efficacité de ces eaux était bien connue des Romains, ce qu'attestent les ruines considérables éparses dans tous les environs et même à de grandes distances, où de nombreuses piscines ont été retrouvées. Quelques-unes étaient assez vastes pour contenir 500 baigneurs. Ces ruines attestent aussi que c'était peut-être un des plus grands établissements thermaux du monde.

De nos jours, l'efficacité des eaux a été de nouveau constatée. Les douleurs rhumatismales, les névralgies sciatiques, les maladies de la peau, les plaies d'armes à feu y sont surtout traitées avec succès. Un kilomètre plus loin, et sur la rive droite de l'Oued-Chedakra, coulent des sources ferrugineuses. La principale peut fournir 3000 ou 4000 litres à l'heure. La température de ces eaux est de 78°. Elles étaient également utilisées par les Romains, ainsi que le prouvent des ruines cachées dans un site sauvage et enfoncées au milieu de touffes d'arbres et de buissons de vignes sauvages. On y voit notamment de grands bassins qui ne pourraient servir, car les sources se trouvent maintenant à un niveau inférieur. M. le Dr Hamel dit, à propos de ces sources : " C'est une eau ferrugineuse sulfatée, presque identique aux eaux de Spa, de Bussang, de Pyrmont. L'existence d'une eau de cette nature à côté des eaux salines et sulfureuses, est d'une utilité reconnue. En permettant d'élargir le cercle des indications thérapeutiques, elle contribuera, pour sa part, à faire d'Hammam-Meskoutine une station thermale des plus importantes ". Les Romains avaient donné à ces eaux le nom d' Aquœ Tibilitinx, à cause de leur voisinage de Tibilis Announa.

Leur nom arabe s'écrit de plusieurs manières. Celui d'Hammam-Meskoutine a prévalu et peut se traduire ainsi: " les bains de la colère de Dieu " ou " les bains des damnés ". Ce nom terrible renferme une légende qu'on m'avait racontée sur les lieux. Mais n'ayant pas eu le temps de l'écrire et craignant de la mal raconter, je laisse la parole au savant naturaliste, correspondant de notre institut, M. Tchihatcheff, qui l'a publiée dans son livre sur l'Algérie, ouvrage le plus érudit et le plus élogieux qui ait été fait sur notre colonie. J'espère que l'éminent géologue me pardonnera de lui faire cet emprunt; je tiens à le remercier ici de m'avoir fait l'honneur de me citer dans son livre, à propos de mon voyage à La Calle.

" L'imagination d'un peuple aussi impressionnable que le peuple arabe, ne pouvait rester impassible en présence de ces sources toujours en ébullition, de ces cônes isolés, de ces groupes bizarres, de ces monticules tourmentés, de ces remparts étrangers qui couvrent ce curieux plateau calcaire que nous venons de parcourir. Voici le récit qui nous fut fait sur les lieux mêmes: "Un Arabe riche et puissant, du nom d'Ali, aimait sa soeur Ourida (Rose), et il voulut l'épouser malgré les prescriptions de la loi. Le cadi, qui vint lui adresser d'énergiques réprimandes et le menacer de la colère de Dieu, fut trouvé mort dans sa tente. Ah le fit remplacer par un homme qui lui était dévoué. Alors les murmures cessent, tout le monde s'incline et se prépare à la fête; les tribus voisines sont conviées à la noce. De tous côtés arrivent de beaux et brillants cavaliers, les chansons bruyantes se font entendre, au bruit des instruments commencent des fantasias effrénées, la plaine se couvre de tentes, d'énormes festins s'apprêtent, d'immenses vases se remplissent de kouskoussou, des boeufs et des moutons rôtissent sur la braise. Cependant le cortège apparaît: la fiancée, belle comme la fleur dont elle porte le nom, et le fiancé radieux s'avancent, accompagnés du cadi, suivis de leurs parents et de leurs amis. Tout à coup, un éclair sillonne la nue, le tonnerre gronde, la terre tremble, chacun fuit, chacun veut échapper au châtiment de Dieu. Peu après, le calme revient, et les Arabes des alentours qui approchent en tremblant ce lieu maudit, voient avec frayeur cette foule compacte frappée par le feu du ciel et transformée en pierres. Ils reconnaissent Ah et Ourida se tenant enlacés; à côté d'eux, le cadi que l'on montre encore avec son grand turban sur la tête; derrière, c'est le chameau qui porte les présents, puis les parents, les invités, les musiciens, les danseuses et les serviteurs; ils sont là en désordre et pétrifiés. Et les Arabes ajoutent, en faisant ce terrible récit, que Dieu, pour rappeler sans cesse le souvenir de cette expiation, permet que sous terre les danses continuent avec un bruit infernal, que les feux du festin brûlent toujours et que des grains blancs, semblables à ceux du kouskoussou, s'échappent des profondeurs du sol, au milieu des torrents d'eau bouillante et de nuages de fumée .

Les Arabes expliquent aussi l'origine des eaux thermales par une autre légende: le roi Salomon avait construit des bains sur toute la Terre et en avait donné la garde à des génies, qui étaient à la fois aveugles, sourds et muets, afin qu'ils ne pussent ni voir, ni entendre, ni redire ce qui se passait dans ces bains merveilleux. Or, le roi Salomon, malgré sa sagesse proverbiale, est mort comme un simple mortel qu'il était, et, depuis lors, personne n'a pu faire comprendre aux génies que leur maître était mort, et ils continuent à chauffer les bains, ainsi que Salomon le leur avait prescrit.

Voilà pourquoi il y a des eaux constamment bouillantes à Hammam-Meskoutine.