Hammam Meskoutine , "le bain des maudits"
et son charme (entre Constantine et Bône).
Guides Bleus 1955.- Hammam Meskhoutine, à 17 km.de Guelma...
pnha, n°96, décembre 1998.

sur site le 27-3-2003
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-----Lorsqu'on suit la voie ferrée de Bône à Constantine après avoir franchi la station de Medjez-Amar, on laisse derrière soi la profonde et large vallée de la Seybouse pour entrer dans une région montagneuse et boisée, d'aspect à la fois pittoresque et sauvage, comme si, avant d'entrer dans les vastes plaines dénudées de l'Oued-Zénati et des environs de Constantine, la nature voulait, par un dernier sourire, le plus frais et le plus gracieux, se faire pardonner sa platitude et sa nudité à venir, telle une femme, longtemps aimée, qui trouve encore, au milieu des larmes de l'adieu, un sourire pour rappeler les tendresses passées et en faire espérer de nouvelles pour plus tard...

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Les cimes des montagnes, entre lesquelles serpente la voie, en laissant, tantôt à droite, tantôt à gauche, ici des coteaux couverts de vignes, là un ruban de route poussiéreuse où chevauchent, à l'amble de leurs mulets, des Arabes gravement engoncés dans leurs burnous, plus loin des olivettes fraîchement greffées et comme poudrées à frimas en rondes houppettes sous la brise qui fait scintiller le revers blanchâtre de leurs feuilles, ces cimes donc, semblent vouloir se resserrer peu à peu en une gorge étroite quand, pas du tout, elles s'élargissent tout à coup pour embrasser dans un vaste amphithéâtre le paysage le plus enchanteur, le plus bizarre, le plus original, le plus coloré et le plus surprenant à la fois qu'on puisse avoir sous les yeux au milieu d'un éblouissement de rayons et de blancheur, sous une coupole d'azur limpide posée comme un dais de lapis magnifique sur les crêtes dentelées des monts environnant de toutes parts ce coin d'Éden africain en un majestueux diadème fermé. Hammam-Meskoutine apparaît. Il apparaît, cet endroit, dont le charme n'est égalé que par les souveraines propriétés thérapeutiques de ses eaux, non seulement avec l'exubérance peu ordinaire de sa végétation, la grâce unie à la grandeur de son site, mais avec encore l'aspect étincelant de ses cascades pétrifiées, dont l'une, placée tout contre la voie, laisse entrevoir ses stratifications de calcaire blanc, brunies ça et là de longues et larges rayures comme un burnous étalé historié de filaments en poils de chameau faufilés dans son tissu rugueux, avec aussi ses ruisseaux de lait coulant le long de la voie et d'où s'exhale, au milieu des fumerolles couvrant toute la campagne et attiédissant l'atmosphère, une âcre odeur de soufre qui a valu à ces sources chaudes leur nom arabe "d'Hammam-Meskoutine", bains d'enfer ou bains des damnés.
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Plus haut, en contrebas du plateau où s'élève l'établissement thermal moderne immédiatement décelé aux yeux, même avant d'y arriver, par la nappe de la grande cascade, blanche, jaunie, et comme rouillée par endroits, quand le soleil couchant n'y met pas des tons de grisaille ou d'autres teintes encore plus bizarrement nuancées, se déroule une suite de cônes de taille inégale, monotone, singulière en son alignement et même quelque peu effrayante en ses rigides attitudes pétrifiées, où l'Arabe a voulu voir, dans son esprit simpliste, amoureux du merveilleux, qui explique tout par la légende, un effet de la colère du ciel.

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Ils sont là, tels que le feu céleste les a trouvés, à l'exemple des filles de Loth, victimes de leur curiosité bien féminine, et la sœur et le frère fiancés incestueusement, et le marabout complice du sacrilège, et les gens de la famille et ceux de la noce qui ne craignirent point d'accompagner les deux époux et de les encourager de la sorte à forfaire aux lois divines et humaines.

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Et, de fait, ces deux grands cônes de stature surhumaine, à forme plutôt ovale qu'allongée, surmontés d'une petite éminence en guise de tête, avec les longs plis qu'a tracés à leur surface l'usure des siècles, ne dirait-on pas, l'un dominant l'autre de toute la hauteur de ses larges épaules, les deux époux maudits, enveloppés dans leurs épais burnous de fête, où quelque rare, plante sauvage agitée par le vent met des frémissements de haïk envolé, et allant d'un pas délibéré consommer l'acte impie ?

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Près d'eux, devant, derrière, ces cônes géminés par couples, les uns plus petits, les autres plus grands, ne dirait-on pas et les enfants précédant gaiement, dans leur insouciance, les époux sacrilèges, et les grands parents suivant d'un pas compassé leur progéniture maudite ?

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L'imagination arabe, pour si naïve qu'on la tienne, a su calquer poétiquement, en tout cas, sur l'apparence réelle, la trame de sa légende, qui en vaut bien tant d'autres. Le bruit caverneux du sol sous les pas, c'est la musique de la noce en enfer, dont la mélopée plaintive et triste nous parvient à travers les entrailles de la terre.

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Ce n'est pas sans raison qu'on a appelé ce lieu "Hammam-el-Meskoutine", le bain des maudits ; car il a été témoin d'un grand crime et d'un terrible châtiment. Il y avait autrefois sur ce terrain brûlant, où des habitants de l'enfer pourraient seuls vivres aujourd'hui, une tribu nombreuse et puissante. Parmi les guerriers d'élite dont elle avait le droit de se glorifier, on remarquait Sidi-Arzaq, le meilleur de ses cavaliers, le plus brave de ses combattants et le plus riche de tous les Arabes de la province. Heureux si à ces dons, à ces avantages, il avait joint la crainte du seigneur, les respects de la loi, sans lesquels valeurs, esprit, science et richesse ne sont rien ! Mais SidiArzaq était soupçonné fortement de ne pas faire les cinq prières légales quotidiennes. On assurait même que pendant le jeûne sacré du ramadan, il n'attendait pas le coucher du soleil pour prendre de la nourriture. Peut-être ne lui attribue-t-on toutes ces abominations que parce que plus tard il est devenu un grand criminel ! Dieu sait la vérité !

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Quoi qu'il en soit, Sidi-Arzaq avait une soeurYamenah, dont la beauté était célèbre dans tout le pays. Les cheikhs les plus puissants l'avaient demandée pour épouse, offrant de riches dots en bestiaux et argent. Jamais son frère n'avait consenti à la donner. Chacun s'étonnait de ce refus continuel, lorsqu'on apprit que Sidi-Arzaq était éperdument épris de sa sœur, et que même il songeait à l'épouser. Les vrais musulmans refusaient de croire à une semblable profanation, et lorsqu'ils ne purent plus en douter, ils s'en affligèrent profondément.

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On espérait que le crime ne pourrait se consommer, parce qu'on ne supposait pas qu'il se trouvât un Qhadi assez ignorant ou assez perverti pour consacrer une aussi monstrueuse union.

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Mais, puissance du rang et de la fortune ! Sidi-Arzaq, à force de présents et d'opportunités, rencontra le juge prévaricateur qu'il lui fallait ; il eut aussi des témoins, et le mariage se fit à la place où nous sommes. Les autres habitants de la tribu éloignèrent aussitôt leurs tentes pour ne pas autoriser le crime de leur présence. Au bout de quelques jours, comme on ne voyait paraître ni Sidi-Arzaq, ni Yamenah, ni le qadhi, ni les témoins, des curieux se hasardèrent à venir dans l'endroit où on les avait laissés. Quelles furent leur surprise et leur épouvante en apercevant, au milieu des mariés, du quadhi et des gens de la noce, ces cônes blancs qui n'existaient pas auparavant ! On ne douta point que les auteurs de l'inceste et leurs complices eussent été changés en pierres, ce fait fut confirmé depuis par les oulèmah, qui reconnurent, malgré leur transformation, tous les acteurs de la scène coupable. Dieu est grand ! il n'y a de dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète !

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Les eaux d'Hammam-Meskoutine sont des eaux pétrifiantes, riches en carbonate de chaux ; elles sourdent à une température de 89 à 90° centigrade ; elles renferment à l'état libre une forte proportion d'acide carbonique. Ces eaux pétrifiantes ont donné naissance à des roches de formes très variées et très pittoresques : nappes, murailles, cônes, escaliers en gradins successifs. On ne peut faire un pas sans fouler les sédiments laissés par les eaux. Le débit total des sources actuelles n'est pas inférieur à 200.000 litres par heure (le plus fort débit d'eau thermale connu, puisque Amélie-les-Bains, qui vient immédiatement après Hammam-Meskoutine, pour le débit, ne donne que 50.000 litres à l'heure). Les eaux sont d'une nature saline, avec une odeur sulfureuse, et se rapprochant par leur combinaison chimique des eaux de Balaruc, de Plombières et de Bagnère de Bigorre qu'elles peuvent remplacer au besoin. "Les eaux ont été analysées à diverses reprises ; l'analyse faite, dès 1839, par M. Tripier, pharmacien aide-major, n'a été que peu modifiée par celles des autres chimistes, les eaux contiennent des chlorures de sodium, de magnésium, de potassium et de calcium, des sulfates de chaux, de magnésie, de strontiane ; les substances dominantes sont : le chlorure de sodium, le sulfate de chaux, le carbonate de chaux ; il y a même un peu d'arsenic.

hammam_meskoutine, les cascades

-----Sur la rive droite du Chedakra, à une faible distance seulement de la grande et magnifique cascade, dont la moire, tantôt blanche, tantôt brune et ocreuse, scintille au soleil de mille feux, s'élève le groupe d'habitations spécialement affectées aux touristes, voyageurs et malades civils en traitement. Il se compose de pavillons à simple rez-de-chaussée comprenant des salles à manger, de lecture, de compagnie, plusieurs chambres, ainsi que des locaux affectés aux différents services de l'établissement. Ces pavillons, subdivisés en quatre groupes indépendants les uns des autres, environnent une esplanade plantée d'arbres d'essences aussi variées qu'originales comme l'eucalyptus, le térébinthe, le palmier, qui donnent un ombrage très agréable et au milieu, autour desquels se trouvent un bassin à jet d'eau et une vaste pelouse ornée de plantes d'agrément et environnée d'un musée en plein vent où, à côté des débris de chapiteaux, de piédestaux, d'entablements, de colonnes, de pierres tumulaires en marbre blanc et rose de la Mahouna attestant encore l'orgueil et la puissance de l'art romain, figurent des tronçons de statues aux longs plis majestueux, aux belles formes sculpturales, que le temps et les hommes ont pu mutiler, mais non déformer.

-----Au-dessous de cette partie de l'établissement, en contrebas du plateau sur lequel elle a été bâtie, à l'abri de magnifiques oliviers séculaires, de proportions peu ordinaires, au bord même des canaux creusés sur le flanc du coteau pour l'adduction des eaux qui semblent rouler un lait fumant dans leur lit blanchi par les sédiments accumulés aussi sur les rives pour éviter tout engorgement, se trouvent les cabines, à une, deux ou plusieurs places, destinées aux baigneurs. Les baignoires sont formées de bassins en maçonnerie, où des tuyaux amènent l'eau froide et l'eau chaude nécessaires à la préparation du bain. Il existe des cabines particulières pour les douches et les bains de vapeur. On en prépare pour les inhalations préconisées dans certaines maladies de la gorge.

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Les arbres fruitiers, plantés dans les jardins de l'établissement, sont d'une superbe venue et ne contribuent pas peu à témoigner de l'exceptionnelle fertilité de ce sol, où, petit à petit, la nature, guidée, encouragée par la main de l'homme, au ravissant agrément du site, a su joindre le doux et réconfortant aspect des cultures utilitaires succédant à une vaine exubérance de sève et de vie sans emploi.

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Le sol d'Hammam-Meskoutine, en effet, placé à une altitude de 312 mètres, est rarement visité, en hiver comme en été, par les températures extrêmes de ces deux saisons, protégé qu'il est, au fond de la vaste dépression géologique où il se trouve, par le Djebel-Debar, qui dresse au nord, à près de 1100 mètres de hauteur, son échine pelée, par la Mahouna, au sud-est, et par le Ras-El-Akba au sud, enfin, au nord-est, par les crêtes élevées du Djebel-Taya. Ainsi entouré, ce sol se prête aux cultures les plus variées.

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La neige n'y fait jamais son apparition et - chose curieuse - au cœur de l'hiver, tandis que les cimes environnantes ont toutes endossé un blanc manteau d'hermine, la vallée d'Hammam-Meskoutine, qui n'a seulement de comparable à la neige que ses cascades, jouit d'une température très douce et les vapeurs jaillissantes des sources répandent dans l'atmosphère environnante une bienfaisante tiédeur. Bref, la température, en hiver, y descend rarement au-dessous de 10°. En été, par contre, après la saison des bains, c'est-à-dire pendant les mois les plus chauds de juillet, août et septembre, elle atteint parfois 35° et i0° ; mais en revanche, les nuits sont relativement fraîches et le sommeil réparateur y est possible.

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Un fait naturel, digne de remarque, c'est la coloration jaune donnée aux feuilles des eucalyptus, qui environnent les sources, sans doute par les émanations sulfureuses contenues dans les vapeurs exhalées (les griffons. On sait effectivement que les vapeurs du soufre et de ses principaux composés ont de hautes propriétés décolorantes. Le teint général de ces eucalyptus ne saurait être, il nous semble, attribué à une autre cause, comme à l'action du soleil par exemple, car, à quelques centaines de mètres plus loin, à la station, les eucalyptus ont conservé la coloration ordinaire de leurs feuilles qui d'un beau vert-bouteille, plutôt sombre ou glauque que tirant sur le jaune.

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Aux griffons mêmes, dont on peut facilement approcher au sommet de la grande cascade, on voit, tout autour des orifices par lesquels l'eau s'échappe à gros bouillons, des incrustations de calcaire d'une forme très curieuse qui rappelle à s'y méprendre les molaires d'une mâchoire humaine. Certains de ces griffons, avec les bords rapprochés de leurs incrustations ainsi faites, ressemblent à des bouches monstrueuses, grimaçantes, lançant à travers leurs mâchoires largement écartées des vomissements d'eaux bouillantes. Lorsque l'on examine de près la contexture extérieure de la roche sur laquelle l'eau s'est épanchée par couches successives en cascades pétrifiées, arrosée seulement par une mince épaisseur d'eau, on surprend sur le vif le travail de l'incrustation. Il s'opère par alvéoles, en tout semblables à celles d'un gâteau de miel et qui donnent au premier dépôt sous-jacent à l'eau chaude l'aspect d'un tissu ou plutôt d'un filet à mailles serrées tantôt en tous petits losanges, tantôt en tous petits carrés. Les dépôts calcaires se forment donc, comme on le voit, suivant les lois de la cristallisation géométrique.

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Quelquefois la pétrification, par suite de la présence dans l'eau de certaines matières étrangères insolubles, prend un aspect grenu. Les Arabes, continuant l'esprit de la légende ales cônes, veulent y voir les grains de couscous de la noce, rejetés des entrailles de la terre où tous les apprêts du festin furent engloutis.

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Hammam Meskoutine, sous la domination romaine, portait le nom "d'Aquae Tibilitanae" à cause de son voisinage (8 kilomètres) de l'importante ville de Tibilis, sise au sud, au-dessous du plateau de RasEl- Akba. Des thermes importants, dont (le nombreuses traces ont été retrouvées dans les environs des sources actuelles et anciennes, ale nombreux vertiges de villas et de travaux de défense témoignent encore (le la vogue dont jouissaient ces eaux auprès des Romains.

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Les anciennes piscines, placées non loin des griffons disparus, indiquent aussi le lent déplacement dont nous parlions tantôt.

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A deux kilomètres plus loin, à une heure de marche tout au plus de l'établissement, on arrive devant une ouverture, par laquelle on pénètre sur les bords d'un lac souterrain, formé dans le courant de l'année 1898 par l'épanchement soudain d'une forte masse d'eau dans une de ces grandes cavernes, comme il en existe tant, trahies par le retentissement des pas, dans le sous-sol du terrain qui environne les sources d'eaux-chaudes sur un rayon de plusieurs kilomètres.

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M. L. Rouyer, dans son intéressant opuscule sur Hammam-Meskoutine et ses environs, explique ainsi la formation de ce lac : "A une distance quelconque se trouvait une nappe d'eau qui, rompant brusquement ses digues, sous une influence inconnue, s'engagea, par (les conduits plus ou moins tortueux, plus ou moins étroits, dans la direction (le la grotte et vint s) engouffrer avec violence. Sous cet assaut, une partie des piliers naturels soutenant la croûte supérieure de la grotte ne tarda pas à s'affaisser et à produire l'écroulement du sol lui-même. La grotte s'emplit peu à peu ; l'écoulement continua jusqu'à parfait équilibre des deux vases communicants ; le lac souterrain était formé".
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Cette formation subite, qui avait été accompagnée d'une formidable détonation, fut pendant longtemps l'objet de la terreur des indigènes qui, cependant, finirent par s'y habituer, à ce point que leurs femmes n'hésitent plus maintenant à y venir puiser l'eau dont elles ont besoin. Cette eau potable est propre à tous les usages comme l'eau de source. Elle a une température normale.

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La caverne où s'est formé le lac, se subdivise en deux immenses trous d'une longueur totale de 100 mètres environ. Ils viennent aboutir l'un et l'autre à l'entrée de la grotte, dont le plafond,bas, orné de stalactites bizarres prenant aux reflets des feux de Bengale des allures d'énormes cous de dragons à la gueule entrouverte, ne permet pas aux visiteurs de se tenir debout sur la barque qui le conduit sur cette eau dormante dune profondeur moyenne de 20 mètres. Les cris aigus des chauve-souris rompent, seuls, le charme silencieux qui règne sur ces eaux noires, stygiennes, dont l'origine est inconnue. et que l'imagination païenne n'eût pas manqué de prendre pour une des bouches de l'infernal Achéron.
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Pour terminer cet extrait sur Hammam Meskoutine il faut se souvenir que pour la "Saint Couffin", le lundi de Pâques, les Guelmois se retrouvaient pour faire cuire les œufs sur la cascade bouillonnante. mais ceci est une autre histoire.

"Guelma 89"