Alger, Bab-el-Oued
Hôpital du Dey puis hôpital Maillot
Un ancien palais des deys d'Alger

Afrique du nord illustrée du 25-2-1933 - Transmis par Francis Rambert

La nécessité où je suis, à la fin de chaque trimestre, de solliciter des médecins militaires la visite de mes organes malmenés par les climats coloniaux, me conduisit à faire plusieurs séjours à l'hôpital Maillot. Dès l'abord, je fus séduit par les verdures puissantes et calmes qui encadrent les bâtiments. Les arbres et les feuillages sont sympathiques au malade ; il trouve à leur ombre un repos plus familier, plus chaud que celui qui lui est dispensé par le clair obscur de sa chambre. Puis j'aimai les longues avenues ombreuses et l'harmonie des terrasses où l'on monte par quelque escalier de marbre que précède un portail à la mauresque ; j'errai avec plaisir dans les cours pavées de marbre blanc, entourées de galeries à arcades de style arabe, égayées par un jet d'eau dans une atmosphère capiteuse illuminée de soleil ; il n'y a point d'obscurité céans ; les murs sont tapissés de céramiques aux luisances changeantes, qu'avive la moindre lumière. Les plafonds de bois à poutrelles apparentes furent peints de couleurs vives, qui s'affrontent dans un agréable dessin géométrique. Les fenêtres ouvrent sur les jardins pleins de chants d'oiseaux, de frondaisons mouvantes, de parfums de fleurs, de brises chantantes. Certaines chambres, sur la façade qui regarde la côte ont un charme quasi voluptueux, presque équivoque. Le dey jadis y tenait ses concubines. Dès que l'on pousse les volets, le ciel trempé de mer nous saute au visage ; la mer brasillante de soleil se dresse devant nous, pénètre dans, le logis, l'envahit. On est à l'hôpital, mais cet hôpital est un palais mauresque, un palais toujours vivant, demeuré intact au milieu de ses anciens jardins qui, seuls, subirent des modifications depuis un siècle.

En principe, j'estime que l'architecture des époques défuntes ne convient point à notre temps, qui connaît des besoins qu'ignoraient nos pères. Mais au pavillon arabe de Maillot, on a approprié avec goût une demeure berbéresque, où foisonnait la lumière, à notre civilisation. Les malades eux-mêmes, étendus sur leur chaise longue dans les galeries, ne jurent point avec le paysage ; les amples étoffes qui les vêtent, les corps dolents, les gestes lents, les visages douloureux s'accordent à merveille au décor oriental, où passent, formes blanches discrètes, médecins et infirmières. Il n'y a point ici d'éclats de voix, de bruits de la rue, d'appels saugrenus. C'est la maison où l'on se recueille, où l'on s'oppose à la mort au milieu d'une nature exubérante de vie. Les aspects n'ont aucun caractère funèbre ou impassible : ils sont de douceur et de joie. Ils ne nous convient en aucune façon à émigrer dans un monde qu'à tort sans doute on estime meilleur que notre diabolique planète.

Aux environs du pavillon mauresque sont, des bâtiments modernes, dont la construction n'est pas encore tout à fait terminée. Là sont couchés, dans des salles claires, aérées, et bien ordonnées, les soldats et les sous-officiers en traitement. Des installations sont à citer comme modèles, en particulier celles de chirurgie et de radiothérapie. Quant au personnel, il est à la hauteur de sa tâche.

*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1933. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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Un ancien palais des deys d'Alger
Un ancien palais des deys d'Alger
Un ancien palais des deys d'Alger

La nécessité où je suis, à la fin de chaque trimestre, de solliciter des médecins militaires la visite de mes organes malmenés par les climats coloniaux, me conduisit à faire plusieurs séjours à l'hôpital Maillot. Dès l'abord, je fus séduit par les verdures puissantes et calmes qui encadrent les bâtiments. Les arbres et les feuillages sont sympathiques au malade ; il trouve à leur ombre un repos plus familier, plus chaud que celui qui lui est dispensé par le clair obscur de sa chambre. Puis j'aimai les longues avenues ombreuses et l'harmonie des terrasses où l'on monte par quelque escalier de marbre que précède un portail à la mauresque ; j'errai avec plaisir dans les cours pavées de marbre blanc, entourées de galeries à arcades de style arabe, égayées par un jet d'eau dans une atmosphère capiteuse illuminée de soleil ; il n'y a point d'obscurité céans ; les murs sont tapissés de céramiques aux luisances changeantes, qu'avive la moindre lumière. Les plafonds de bois à poutrelles apparentes furent peints de couleurs vives, qui s'affrontent dans un agréable dessin géométrique. Les fenêtres ouvrent sur les jardins pleins de chants d'oiseaux, de frondaisons mouvantes, de parfums de fleurs, de brises chantantes. Certaines chambres, sur la façade qui regarde la côte ont un charme quasi voluptueux, presque équivoque. Le dey jadis y tenait ses concubines. Dès que l'on pousse les volets, le ciel trempé de mer nous saute au visage ; la mer brasillante de soleil se dresse devant nous, pénètre dans, le logis, l'envahit. On est à l'hôpital, mais cet hôpital est un palais mauresque, un palais toujours vivant, demeuré intact au milieu de ses anciens jardins qui, seuls, subirent des modifications depuis un siècle.

En principe, j'estime que l'architecture des époques défuntes ne convient point à notre temps, qui connaît des besoins qu'ignoraient nos pères. Mais au pavillon arabe de Maillot, on a approprié avec goût une demeure berbéresque, où foisonnait la lumière, à notre civilisation. Les malades eux-mêmes, étendus sur leur chaise longue dans les galeries, ne jurent point avec le paysage ; les amples étoffes qui les vêtent, les corps dolents, les gestes lents, les visages douloureux s'accordent à merveille au décor oriental, où passent, formes blanches discrètes, médecins et infirmières. Il n'y a point ici d'éclats de voix, de bruits de la rue, d'appels saugrenus. C'est la maison où l'on se recueille, où l'on s'oppose à la mort au milieu d'une nature exubérante de vie. Les aspects n'ont aucun caractère funèbre ou impassible : ils sont de douceur et de joie. Ils ne nous convient en aucune façon à émigrer dans un monde qu'à tort sans doute on estime meilleur que notre diabolique planète.

Aux environs du pavillon mauresque sont, des bâtiments modernes, dont la construction n'est pas encore tout à fait terminée. Là sont couchés, dans des salles claires, aérées, et bien ordonnées, les soldats et les sous-officiers en traitement. Des installations sont à citer comme modèles, en particulier celles de chirurgie et de radiothérapie. Quant au personnel, il est à la hauteur de sa tâche.

Je fus accueilli avec intérêt par le très aimable directeur de l'hôpital, M. le médecin-colonel Talabert, qui dirige, avec une compétence toujours bienveillante, une nombreuse équipe de docteurs dévoués à la fois à la science et à leurs malades, et qui découvrent à point le régime et la phrase qui réconfortent. Je fus confié aux soins particuliers du colonel Gaillard, qui fit de longs séjours sous les tropiques. Cet officier, l'homme le plus consciencieux du monde, établit, après un long et minutieux examen de mes organes, mon bilan sanitaire, et me conseilla de ne plus retourner aux colonies. Entre temps j'explorai le jardin sous la conduite de M. le pharmacien-colonel Piédallu, qui est un praticien distingué et un savant aux fructueuses initiatives, je rappellerai seulement qu'il fut l'apôtre de l'arboriculture à l'explosif, qui rendit son nom notoire chez les colons. M. Piédallu me promena, avec une patience inlassable, parmi les palmiers et les bambous dont il planta maintes variétés, les peuplements de dragonniers et de fromagers, les faux-poivriers, les plates-bandes de plantes grasses, les strelitzia, qui ressemblent à l'arbre du voyageur, les luzernes arborescentes, les buis des Baléares ; nous nous penchâmes sur les bassins envahis par les jacinthes d'eau et les papyrus d'Égypte ; je m'émerveillai à l'étrange port d'une gigantesque " euphorbia abyssinien " flanquée de robustes compagnons : les " cereus peruvini ". Ce jardin est un petit monde dont M. Piédallu est le souverain absolu. Je gagnai ensuite les hautes terrasses couronnées par un beau minaret qui domine les bouquets d'arbres jaillis des cours et des jardins.

J'emportai un souvenir si plaisant de l'hôpital et du parc qui l'entourent que je désirai de m'informer de leur histoire. J'interrogeai à ce sujet mon ami d'enfance Jules Carbonel. dont l'érudition est sans défaillances pour ce qui concerne la chronique d'Alger. Il fit des recherches dans ses archives, interrogea maintes notabilités de notre cité, et convint que les documents étaient rares. Ses investigations demeurèrent infructueuses en iconographie. Il n'a découvert à ce jour aucune estampe ancienne qui représente le pavillon aux premiers temps de l'occupation.

Je me décidai enfin à demander à quelques auteurs l'historique de l'édifice. Je donne ici le résultat de cette enquête :

M. Klein, historien sagace et d'une vaste érudition, nous apprend, dans les " Feuillets d'El-Djezaïr " que le " Jardin du Dey " fut créé par le dey Baba Hassan, qui gouverna Alger de 1791 à 1799. Dans un site pittoresque, bien fourni d'eau et d'ombre, il fit construire, par les captifs chrétiens de la Régence, une partie des bâtiments. Il déclara, en constituant le domaine, qu'il était bien habou, c'est-à-dire inaliénable. Cette disposition ne fut pas respectée par son second successeur le dey Ahmed. En 1805, il confisqua la propriété qui demeura bien du beylik jusqu'en 1830. Les deys qui se succédèrent â Alger embellirent les jardins, qui étaient célèbres dans les États berbéresques. Ils accrurent le nombre des pavillons.

Le grand bâtiment fut édifié en 1820 par le dey Hussein, qui entoura le parc d'un grand mur de clôture. Le bassin de marbre à jet d'eau futt enlevé par le ministre des finances Braham au jardin voisin qui appartenait à Bakri. Hussein n'habita point le jardin du Dey.

De 1820 à 1830, le domaine a été administré par le " Khodja el Kheil ", qui gérait les biens ruraux de la couronne. Braham, ministre des finances, que nous trouvâmes, en 1830, locataire de la vaste demeure, fit construire, près de l'entrée, des écuries aujourd'hui disparues et établit un système complet d'irrigations. Les eaux, canalisées, couraient à travers les vergers que cultivaient les esclaves chrétiens.

Le ministre n'occupait qu'une partie des pavillons. Les autres étaient transformés en magasins à laine, en dépôts de vivres. Un troupeau de cinq cents moutons qui fournissait de viande le dey et sa suite s'engraissait aux pâturages du parc.

Rozet (Voyage dans la Régence d'Alger, Paris, 1833) donne du domaine la description suivante au début de la conquête :
" En suivant le chemin qui passe au pied du Fort des 24 heures et devant le cimetière des chrétiens, on arrive à la maison de campagne du Dey, bâtie sur le bord de la mer : c'est un vaste rectangle entouré de murs, qui renferme une grande quantité de bâtiments et des jardins magnifiques. " L'entrée ne se trouve pas du côté de la mer, mais au milieu de la face qui lui est perpendiculaire : on y arrive en passant au milieu d'un grand nombre de fours à chaux et à briques, dont les cônes majestueux s'élèvent à une grande hauteur, par un chemin étroit, borde de chaque côté de superbes haies d'agaves. La porte, voûtée circulairement n'offre rien de remarquable ; sous la voûte, à droite et à gauche, il y a de fort belles écuries, qui ne sont pas cependant celles où le Dey avait ses chevaux. En sortant de dessous la voûte, on entre sous une une treille magnifique, soutenue par des piliers en pierre, formant une galerie qui conduit jusqu'au corps de logis |principal qui se trouve au milieu du jardin. A l'entrée de cette galerie, ou voit deux fontaines très abondantes... A l'autre extrémité de la treille il existe un verger d'orangers touchant au mur de la maison et dont les fleurs embaument tous les appartements ".

Dès 1830, nous dit à son tour M. Klein, l'administration des Domaines prit possession du domaine. Le général Berthezène et le maréchal Clauzel y résidèrent. Le 8 mars 1831, il fut loué pour 3.000 fr. par an à deux officiers d'État-major, qui, peu après, acceptèrent de résilier le bail pour permettre au général en chef duc de Rovigo d'occuper l'immeuble.

Les jardins négligés étaient alors en assez mauvais état. Les canalisations laissaient fuir l'eau qui inondait la propriété. On procéda aux réparations nécessaires et, à la demande du duc de Rovigo, le service des Domaines céda le jardin du Dey au corps d'occupation pour y établir ses malades, dont quinze cents s'établirent aussitôt dans les bâtiments. La villa du centre fut réservée aux officiers.

Les héritiers du Dey revendiquèrent, en 1835, la propriété des jardins. Le procès dura longtemps. Une décision du Conseil d'État, en 1848, débouta les demandeurs.

En 1833, on cultivait le nopal à cochenilles dans la partie ouest du parc. Le potager fut loué à des particuliers jusqu'en 1840.

Nous avons consulté enfin une brochure introuvable de Desprez et qui enferme un extrait de l'Akhbar du 1er décembre 1872. Elle décrit l'établissement à cette époque. Dans les jardins domine l'eucalyptus, " ce fébrifuge si recommandable en un séjour où les fiévreux affluent ". De l'orangerie, si belle vingt ans auparavant, il ne reste que de rares sujets qui mourront de vétusté. Dans neuf grands bassins tapisses de jonc, de mousse, de butome, on élève des sangsues. Ces viviers alimentent tous les hôpitaux de la province, notamment ceux de Marengo, de Cherchell, etc..

On a édifié de vastes galeries où se réunissent les malades.

De cet expose, il résulte que les nécessités du service d'hôpital contraignirent l'autorité militaire à modifier l'aspect du parc, dont une partie sans doute, était en friches à l'époque turque, puisque cinq cents moutons y pâturaient. D'autre part de nouveaux bâtiments s'élevaient. Je dois reconnaître que le pavillon du dey, ses cours et ses jardins furent maintenus dans leur intégralité et entretenus avec soin. On remplaça les arbres morts par des essences d'architecture appropriée au décor. Les céramiques anciennes furent conservées autant que possible sur les cloisons intérieures du pavillon, où l'on trouve encore des carreaux de Delft et d'autres d'origine italienne, et quantité de détails jolis. On remarque aussi les fresques du peintre Raynaud qui ornent les murs du cabinet du médecin-chef et des salles de réunion des officiers et représentent des aspects à ce jour disparus du Vieil Alger.

Si le palais des Jardins du Dey ne figure point au nombre des monuments historiques, j'estime qu'il conviendrait à l'administration d'en proposer le classement au département des Beaux-Arts.