Alger - l'Algérie
LES ORIGINES D'ALGER
Conférence faite le 16 juin 1941
par
Louis LESCHI.
Directeur des Antiquités de l'Algérie.

Extrait des "Feuillets d'El-Djezair"Nouvelle série - Juillet 1941
Fondateur Henri Klein (1910), publié s par le Comité du Vieil Alger 9, bd Laferrière, Alger-1941- Prix: 10 f
Collection B.Venis

mise sur site le 22-2-2007

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Origines d'Alger
Conférence faite le 16 juin 1491*
(* date -coquille , bien entendu- figurant dans l'opuscule. Il s'agit de 1941.)

Monsieur le Gouverneur Général,
Mesdames, Messieurs,

Il est souvent instructif et toujours émouvant de remonter, lorsqu'on le peut, à l'origine de nos cités, mais lorsqu'il s'agit d'une ville comme Alger dont la croissance, le développement, la transformation aussi sont, pour ainsi dire, quotidiens et se déroulent sous nos yeux, c'est un devoir que d'évoquer et de préserver, dans la plus grande mesure possible, ce qui a été auprès de ce qui est, quand nous n'aurions pour but, en agissant ainsi, que de souligner les liens qui unissent le présent au passé et de montrer par des témoins précis et fidèles, la grandeur de l'oeuvre accomplie.

L'origine exacte d'Alger était restée jusqu'ici assez obscure. Dans sa monumentale " Histoire Ancienne de l'Afrique du Nord ", Stéphane Gsell a rassemblé, avec sa prudence coutumière, tout ce qu'il était possible d'affirmer en se fondant sur les données de l'histoire, de la littérature et de l'archéologie.

Sa conclusion était qu'avant l'époque romaine et l'existence d'une colonie latine appelée Icosium, au 1" siècle de notre ère, nous ne possédions que des données légendaires. C'est le récit de la fondation de la ville fait par le grammairien latin Solin qui vivait vers la fin du IIIme siècle après Jésus-Christ.

Voici ce qu'il écrivait :
" Nous ne quitterons pas Icosium sans en parler. Lorsque Hercule traversa cette contrée, vingt de ses compagnons, l'ayant abandonné, choisirent un emplacement et y élevèrent des murailles. Afin qu'aucun d'eux ne put se glorifier particulièrement d'avoir imposé son nom à cette ville, on donna à celle-ci un nom formé du nombre de ses fondateurs. "

Vingt, en grec. se disant EIKOSI, Icosium en serait dérivé.

Cette étymologie plus ingénieuse que probante. les érudits, avec raison, s'accordaient à l'écarter. Le seul élément que Gsell retenait de l'anecdote, et nous verrons qu'il avait raison, c'était l'allusion au voyage d'Hercule. Cette légende, que les Grecs ont développée et embellie, à leur ordinaire, c'est le voyage d'Hercule à la recherche des Pommes d'or des Hespérides, qu'une tradition situait aux confins occidentaux de l'Afrique. Or, il est remarquable que dans la Méditerranée Occidentale le héros grec se confond plus ou moins avec une divinité tyrienne, Melqart, dont le nom signifie le Seigneur de la Ville et qui était le dieu et le patron de Tyr. Partout où Melqart possédait un sanctuaire ou était adoré, on retrouve un épisode de la légende d'Hercule. Ce récit des pérégrinations de Melqart-Hercule à travers l'Afrique jusqu'aux confins de l'Atlantique et, au delà des Colonnes d'Hercule, le détroit de Gibraltar actuel, jusqu'à Cadix, la grande colonie phénicienne sur l'Océan, illustrait les progrès de la colonisation phénicienne le long des routes commerciales que les marchands tyriens et, plus tard, carthaginois fréquentaient dans le bassin occidental de la Méditerranée.

Ces routes étaient jalonnées de comptoirs. L'un d'eux, grâce à une position particulièrement favorable, s'est substitué un jour à Tyr, sa métropole lointaine, déchue de son antique prospérité et a recueilli et développé son héritage, ce fut Carthage. La colonisation punique s'est alors implantée sur tout le littoral africain, utilisant, en général, pour établir ses comptoirs et ses entrepôts, des sites défensifs : soit un cap, facile à isoler par un mur d'enceinte, soit une île, de préférence peu éloignée du rivage et qui offrait le double avantage (le constituer un mouillage et une position facile à défendre. Tels sont les sites puniques que l'on trouve sur la côte algérienne. Les caps : Rusicade (Philippeville), Rusuccuru (Dellys), Rusguniae (Matifou) ; les îles : Igilgili (Djidjelli), Iomnium (Tigzirt), Iol (Cherchel) et l'île de Rachgoun, à l'embouchure de la Tafna.

A cette énumération que je limite a la côte algérienne, mais qu'il serait possible de prolonger vers l'Est, en Tunisie, et vers l'Ouest, le long de la côte marocaine, il faut désormais ajouter Icosium"

C'est, en effet, la conséquence à tirer d'une découverte faite cet hiver dans le quartier de la Marine. Comme on le sait, en novembre dernier, des ouvriers des chantiers de terrassement de la Régie foncière découvraient un lot de pièces de monnaie en plomb et en cuivre qui, recueillies par M. Barbarin, directeur de la Régie foncière, ont été données au Musée Stéphane Gsell par M. Rozis, maire d'Alger.

Voici la description de ces pièces qui sont toutes du même type, mais nonde la même émission, car elles présentent entre elles de menues différences de détail.

Sur la face on voit, à droite, une tête de femme tournée vers la gauche. Sa chevelure, en forme de bandeaux qui descendent très bas sur la nuque et couvrent les oreilles, est surmontée d'une couronne à plusieurs pointes. Une sorte de voile couvre la nuque sous les cheveux bas et retombe à droite et à gauche du cou, en formant deux gros plis verticaux. La tête féminine occupe toute la moitié du champ. L'autre moitié est remplie par une Victoire aux ailes déployées, qui, d'un mouvement rapide et dans une envolée de sa longue tunique, s'élance vers la droite. Sa main droite tend vers la tête de femme une couronne ornée de fleurs et d'où pendent deux rubans.

Au revers, un personnage masculin est debout, de face, au centre de la monnaie. C'est un homme barbu au chef surmonté de trois protubérances qui sont probablement des rayons. Il lève le bras droit, le coude plié et la main ouverte, la paume en avant, à la hauteur de l'épaule. L'autre bras est replié devant la poitrine et tient un petit objet qui semble une boite. http://alger-roi.fr par B.Venis. Le personnage est vêtu d'une tunique, et de son épaule gauche pend une draperie qui est vraisemblablement une peau de bête, une peau de lion. Il faut reconnaître en lui Melqart, le dieu phénicien, revêtu de la peau de lion attribuée, d'après la légende, à Hercule.

A gauche de l'effigie du dieu, on lit, de droite à gauche, une légende en caractères puniques. J'ai prié mon collègue' M. Cantineau, professeur de langues sémitiques à la Faculté des Lettres, d'étudier cette inscription. Il a reconnu qu'elle comprenait cinq signes et qu'il fallait la lire IKOSIM.

Ikosim est composé de deux mots : l'un qui signifie l'île et qu'on retrouve dans d'autres noms géographiques de la Méditerranée, Ibosim, Ibiça, dans l'archipel des Baléares ; Irtos m, l'île San Pietro, au Sud-Ouest de la Sardaigne ; Ironim, l'île de Cossyra (Pantelleria) dans le détroit de Sicile. Kosim se révèle plus difficile à interpréter. M. Cantineau hésite entre le sens d'épines, l'île des épines, ou d'oiseaux impurs, de hiboux, que peut avoir le vocable. Victor Bérard, dans ses " Navigations
d'Ulysse ", avait déjà supposé à Icosium une étymologie punique et traduisait " l'Ile des Mouettes ". C'est à cette interprétation, évidemment plus poétique, qu'a voulu se rallier le bureau du Comité du Vieil Alger, lorsque sur l'emblème qui décore les cartes d'adhérents, il a fait figurer, une mouette au-dessus des îlots d'El-Djezaïr.

L'intérêt de ce nouveau vocable Ikosim, quelle que soit sa signification, est de nous donner l'origine du mot Icosium, qui en est la latinisation et aussi de nous montrer que ce qui a frappé les premiers habitants du site, les navigateurs et trafiquants puniques, c'est l'île, l'île-refuge, et lorsque, bien des siècles plus tard, Alger changea de nom, c'est encore ce détail géographique qui a été souligné avec El-Djezaïr beni Mezranna, les îles des Beni Mezranna - comme nous le verrons tout' à l'heure.

Quand le comptoir phénicien a-t-il existé ? De quand datent les monnaies découvertes ? A en juger par les caractères, elles seraient antérieures au IIè siècle avant notre ère. Elles correspondraient, dans l'histoire de l'Afrique ancienne à la période de la formation des royaumes berbères de Numidie et de Maurétanie, mais seraient cependant antérieures au royaume de Juba II, le roi de Cherchel. Ikosim, colonie de Carthage, a dû vivre de trafic et d'échanges avec les indigènes de la région du Tell.. http://alger-roi.fr par B.Venis Trop pauvre pour posséder des monnaies en métal précieux, or ou argent, comme sa métropole, elle se contentait de plomb et de cuivre tirés des mines de la côte africaine : Ténès, le Guelta, par exemple.

Après la création du royaume de Maurétanie par Auguste, en 25 av. J.-C., Ikosim est passée sous la dépendance de Juba et de son fils Ptolémée. Elle tenait, de ses origines puniques sans doute, une organisation municipale comme le prouve une inscription trouvée jadis rue Bruce et qui est au Musée Stéphane Gsell. C'est une dédicace au roi Ptolémée par un certain Lucius C2ecilius Rufus " qui avait reçu tous les honneurs dans sa patrie ". Le même personnage figure sur une inscription encastrée dans le minaret de la Grande Mosquée. Mais encore faut-il être prudent en faisant usage de ces inscriptions, car nous savons qu'à l'époque turque des matériaux de construction ont été apportés ici de Rusguni e, peut-être même de Tipasa. Par contre, il y a un texte qui est incontestablement d'Alger, c'est celui qui est encastré dans la maison

" A Publius Sittius Plocamianus, fils de Marcus, de la tribu Quirina, le Conseil municipal d'Icosium. Marcus Sittius Caecilianus, fils de Publius, de la tribu Quirina, au nom de son fils très cher, ayant reçu l'honneur, a assumé la dépense. "

C'est la base d'une statue honorifique décernée à un citoyen romain par le Conseil municipal d'Icosium - et le père, se tenant pour satisfait de la décision du Conseil, a pris à sa charge les frais de l'érection du monument. Bel exemple (le la générosité d'un citoyen à l'égard de sa ville et de son souci de ménager les finances municipales. Le texte renferme ces mots " Ordo Icositanorum ". Il nous donne la preuve de l'existence d'une commune organisée, avec un ordre des décurions et des magistrats. . http://alger-roi.fr par B.VenisNous savons, en effet, qu'entre 69 et 79 de notre ère,
sous le règne de l'empereur Vespasien, Icosium reçut le titre de colonie latine, ce qui impliquait qu'elle avait une certaine importance et qu'elle possédait toute une organisation (le magistrats, (le fonctionnaires, un clergé aussi, et on a retrouvé l'inscription, malheureusement mutilée, du' premier pontife de la colonie, qui avait été édile et duumvir, c'est-à-dire président du Conseil municipal.

Enfin, une insçription d'Aphrodisius, esclave grec de la famille Cornelia, trouvée rue du Vieux-Palais, est une dédicace à Mithra, figuration persane du soleil. Ce sont, avec l'inscription qui mentionne le pontife, les seules précisions que nous possédions sur les cultes païens d'Icosium.

Nous ne savons que peu de choses sur l'hitoire de la ville à l'époque romaine. Sans doute, la colonie connut-elle, au I111e siècle, la prospérité des villes africaines en général. Peut-être en faut-il trouver la preuve dans deux trouvailles archéologiques : une belle tête en marbre de l'empereur Hadrien a été trouvée en 1900, 28, rue de Lyon, à Belcourt. Elle est aujourd'hui au Musée d'Alger. Plus récemment, une monnaie en bronze de l'année 119, à l'effigie d'Hadrien, sur sa face, et de Pégase, sur son revers, a été trouvée auprès de Notre-Dame d'Afrique par M. Biousse, qui a bien voulu me la communiquer.

Ces documents prouvent, me semble-t-il, l'existence d'habitations dans la banlieue d'Icosium et, (lu moins pour le premier d'entre eux, l'existence d'oeuvres d'art, signes d'une certaine prospérité.
Les seuls événements que l'histoire ait enregistrés au sujet d'Icosium, c'est' qu'en 372 Firmus, un chef (l'origine berbère qui s'était révolté contre Rome et qui n'avait pas réussi à s'emparer de Tipasa, à cause de ses remparts et de la résistance de ses habitants animés par leur foi en Sainte Salsa, devint le maître d'Icosium, qu'il restitua l'année suivante.

Firmus, au cours de sa révolte, avait reçu l'appui des donatistes. Est-ce grâce à leur concours qu'il avait pu prendre Alger ? Il y avait en tout cas, en 411, un évêque donatiste Crescens à Icosium. Avec la mention de Laurentius, évêque catholique en 419, et de Victor, évêque en 484, qui fut persécuté par les Vandales, c'est tout ce que nous savons sur le christianisme à Icosium. Cependant un chroniqueur arabe du XIme siècle, El Bekri, mentionne les ruines d'une église.

C'est sans doute à l'époque de l'invasion vandale qu'ont été abandonnées dans le sol du quartier (le la Marine une quantité considérable de pièces de bronze du siècle (le notre ère, que les travaux en cours ont retrouvées.

Dès lors, pendant plusieurs siècles, le silence se fait sur Alger. 11 y a là, entre le Vet le siècle, un hiatus (lue, jusqu'ici, rien ne permet de combler.

Que la ville ait cessé (l'exister à ce moment-là, deux faits me semblent je prouver : d'abord ce que nous savons de la fondation au Xme siècle par Bologguin, fils de Ziri, chef (les Çanhadja, d'une nouvelle ville, et surtout le fait que cette ville reçoit un nom nouveau.

C'est autour de 950, en effet, que Bologguin fonda sur l'emplacement d'Icosium, une ville qui prend le nom d'El-Djezaïr Beni Mezranna, les îles des Beni Mezranna.http://alger-roi.fr par B.VenisLes Beni Mezranna étaient une tribu sédentaire
qui, à une date inconnue, mais sans doute après la première invasion arabe du VII`"° siècle, s'était fixée dans la région d'Alger.

Du Xè au XVIè siècle, Alger est une ville berbère. Occupée successivement par tous les conquérants qui se s'ont emparés du Maghreb central, Alger a changé bien souvent de mains avant de devenir, grâce à Aroudj et à son frère, Kher-ed-Dine, dit Barberousse, une dépendance de l'Empire turc.

De l'Alger turc, il subsiste encore bien des vestiges, qui, hélas ! diminuent chaque jour, niais je voudrais, en terminant cette rapide incursion dans le plus lointain passé d'Alger, essayer de préciser l'idée que nous pouvons nous faire de la physionomie de la ville la plus antique.

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Plan port d'Alger en 1937
Plan port d'Alger en 1937
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Vestiges anciens du quartier de la Marine
Vestiges anciens du quartier de la Marine

Et d'abord, puisqu'ils ont eu l'honneur de lui donner son nom à deux reprises, il faut parler de l'île ou des îlots. Il existe, à leur sujet, deux traditions. D'après la légende des pièces puniques, certains chroniqueurs arabes et le nom Al-Djezira qui se retrouve sur les cartes génoises et vénitiennes sous la forme Zizera, Zizara, il y avait une île.

D'après le nom de la ville de Bologgin, El-Djezaïr, il y en avait plusieurs, au moins quatre selon la tradition. M. Lespès, l'érudit historien d'Alger, a montré que la forme actuelle Alger, qu'on prononçait à l'origine Aldjère, est probablement une déformation catalane d'Al Djezira. Mon collègue, M. Pérès, professeur à la Faculté des Lettres, a bien voulu me signaler qu'on trouve dans les textes arabes du XVIII"° siècle une forme Al Djir qui est sans doute, elle aussi, une transcription du catalan Aldjère, mais qui, chez des esprits ingénieux, a suscité une étymologie plus poétique que vraisemblable : Bled Al Djir serait le pays de la chaux, donc de la ville dont les maisons sont blanches comme de la chaux : " Alger-la-Blanche ".
El Bekri, au XII"'° siècle, est catégorique. Après avoir dit que le port s'appelle Merça El Djezaïr et El Djezaïr Beni Mezranna, il ajoute : " Entre l'île de Stofla et le continent existe un très bon et sûr mouillage d'hiver. Cette île s'étend en longueur de l'Est à l'Ouest ".

On peut, semble-t-il, admettre qu'il y avait sous les bâtiments actuels de " l'île " de l'Amirauté, non pas une, niais plusieurs îles et que l'une d'entre elles, plus vaste, était habitable alors que les autres n'étaient que 'des récifs. C'est ce que dit, à peu près expressément Ibn Hawkal, au Xme siècle : " Dans la mer, en face de la ville, est une île où les habitants trouvent un sûr abri quand ils sont menacés par leurs ennemis ".

La réflexion, si précise, du vieux chroniqueur arabe est restée vraie jusqu'au jour où, au XVIt° siècle, Kher-ed-dine a relié définitivement les îles à la terre ferme par une jetée. Il a créé en même temps le port qui a fixé pour des siècles le destin d'Alger. C'est le port ainsi formé qui est devenu la raison d'être de la ville et, plus tard, la source de sa prospérité, sous des formes, à vrai (lire, assez diverses selon qu'il s'agit des XVIIè et XVIIIè siècles ou de l'époque contemporaine, de la ville des corsaires et des pirates ou de la grande cité française.

De la ville punique, il serait vain d'essayer de se faire une idée. Du comptoir, situé primitivement dans l'île, est-il sorti une agglomération sur la terre ferme? Nous sommes là clans le domaine des hypothèses. La ville romaine, par contre, se laisse un peu mieux reconnaître. Des traces de voie retrouvées sous la rue Bab-el-Oued, d'une part, sous la rue de la Marine, d'autre part, laissent supposer que l'agglomération d'Icosium devait se trouver dans la partie du quartier de la Marine actuel qui avoisinait la place du Gouvernement et les mosquées. C'est dans cette région, en tout cas, que les vestiges les plus nombreux ont été signalés. La ville s'étendait vers l'Ouest, puisque clans les parages de la Cathédrale ont été découverts des mosaïques, des restes de thermes, les vestiges (l'un aqueduc. Le fait est à rapprocher d'un passage d'El Bekri qui, parlant d'El Djezaïr, nous dit : " On y remarque une maison de divertissements dont l'intérieur est pavé de petites pierres de diverses couleurs qui forment une espèce de mosaïque. On y voit les images de plusieurs animaux parfaitement travaillés d'une manière si solide que pendant une longue série de siècles, elles ont résisté à toutes les injures du temps ". Cette maison (le divertissements ornée de mosaïques, où l'on a cru reconnaître un théâtre, est, plus vraisemblablement, un établissement (le bains publics, c'est-à-dire des thermes.

Du côté du Nord, les travaux récents ont révélé l'existence de murailles orientées Est-Ouest, qui pourraient être des restes de rem
parts, mais l'on savait depuis longtemps qu'à l'extrémité Nord de la rue Bab-el-Oued, sur l'esplanade et à l'emplacement du Grand Lycée s'étendait un vaste cimetière. Le mobilier de nombreuses tombes, plats, poteries, vases en céramique, fioles, urnes, récipients en verre, a été déposé au Musée Stéphane Gsell par MM. Lauro et Antoniotti, qui l'avaient mis au jour en construisant les immeubles de ce quartier. En 1863, l'architecte Guiauchain signalait et étudiait un vaste caveau en forme de columbarium découvert dans le chantier du Grand Lycée et qui a été conservé sous les fondations de cet édifice. Tous ces indices archéologiques nous font considérer Icosium comme une petite oville d'extension modérée et, comme l'attestent des trouvailles récentes (le pressoirs à huile et (le nombreuses jarres antiques, qui tirait ses ressources (lu terroir environnant. Ville agricole, comme la plupart des villes antiques d'Algérie - ville commerçante aussi et qui, par son port, exportait ses produits vers la côte africaine et vers l'Europe.

Nous avons des renseignements plus précis sur l'Alger du X11e siècle, lorsqu'après une éclipse de plusieurs siècles, il vient de ressusciter.

C'est, tout d'abord, un texte d'Ibn Hawkal, un négociant de Bagdad, qui a parcouru l'Afrique en quête (le renseignements d'ordre économique

" La ville d'Alger, écrit-il, est bâtie sur un golfe et entourée d'une muraille. Elle renferme un grand nombre (le bazars et quelques sources de bonne eau près de la mer. C'est à ces sources que les habitants vont puiser l'eau qu'ils boivent. Dans les dépendances de cette ville se trou-vent des campagnes très étendues et des montagnes habitées par plusieurs tribus des Berbères. Les richesses principales des habitants se composent de troupeaux de boeufs et de moutons qui paissent dans les montagnes. Alger fournit tant de miel qu'il y forme un objet d'exportation et la quantité de beurre, de figues et d'autres denrées est si grande qu'on en exporte à Kairouan et ailleurs. "

Et Edrisi, au XIIè siècle, répète à son tour : " Autour de la ville s'étend une plaine entourée de montagnes habitées par des tribus berbères qui cultivent du blé et de l'orge, mais qui s'occupent principalement de l'élevage des bestiaux et (les abeilles. C'est à cause de cela que le beurre et le miel sont tellement abondants dans ce pays qu'on en exporte souvent au loin. "

Enrichie par la Mitidja et l'Atlas, ville de propriétaires agriculteurs, éleveurs, apiculteurs, telle est la physionomie de la ville qui se dégage de nos plus anciens documents. Ville commerçante aussi, qui exporte ses produits et, de ce fait, s'enrichit, l'Alger du Moyen-Age, dont on comprend que les différents maîtres du Maghreb se soient préoccupés de la conquérir, a élevé des édifices dont nous pouvons encore apprécier le caractère. D'abord les remparts dont parle Ibn Hawkal : il en subsiste d'importants vestiges. La ville a gravi les pentes qui la dominaient. De cette enceinte, il demeure : le bastion qui est en haut de la rampe Valée, celui qui domine le boulevard Gambetta, celui qui est au coeur de la citadelle turque et que le Vieil Alger a visité cet hiver. Viennent ensuite la Grande Mosquée, qui fut, au X1'e siècle, l'oeuvre des Almoravides, et qui mérite une étude particulière, et l'ensemble de monuments que nous avons eu récemment le plaisir de visiter dans la docte compagnie de M. Marçais, le tombeau et la zaouïa de Sidi Abd er Rahmane, qui datent du XIV11e siècle.

Dans son enceinte de murailles, l'Alger du Moyen Age épouse la forme d'un triangle, d'une arbalète, disposition conservée en gros par le quartier actuel de la Casbah et qui ressort nettement sur les anciennes gravures.

Mais si les chroniqueurs se plaisent à célébrer le caractère prospère, actif, industrieux d'Alger, nous trouvons chez l'un d'eux, au XIII"'" siècle, une note un peu discordante. " En arrivant à Alger, écrit Mohammed el Abdari, je demandai si l'on pouvoit y trouver des gens doctes et d'une érudition agréable, mais j'avais l'air, comme dit le proverbe, de celui qui cherche un cheval plein ou des oeufs de chameau. "
Il faudra toute la science et la sagesse du vénérable Sidi Abd er Rahmane, dont M. Marçais évoquait naguère si aimablement le souvenir, pour donner, au XIV11P siècle, un peu de lustre intellectuel à cette ville qui semble, dans le passé, avoir été plus soucieuse des biens terrestres que des valeurs intellectuelles.
Mais les temps ont bien changé si l'on en juge par le vif intérêt que les membres du Comité du Vieil Alger portent à la résurrection du passé de leur belle ville et à l'évocation de son histoire.

Louis LESCHI.
Directeur des Antiquités de l'Algérie.