le Hamma, Alger - L'institut Pasteur d'Algérie fondé le 1er novembre 1894
rue du docteur Laveran ( face au jardin d'essais)

UNE VISITE A L'INSTITUT PASTEUR

C'est une blanche et claire maison. Adossée à la colline, entre la mer et le ciel, entre deux infinis, elle est au milieu des fleurs une douce retraite où la science s'est installée.
L'aube miroite dans ses vitres, le crépuscule y prolonge sa gloire et les heures, d'un pied léger, foulent les parterres au coloris charmant qui étendent devant elle un harmonieux tapis. On pense aux nobles et calmes horizons des fresques de Puvis de Chavannes ou des vastes compositions d'Henri Martin.
Est-ce la maison du poète ?... Les bougainvillées répandent autour de ses murs leur somptueuse, leur royale chevelure. La bignonne, sur ses escaliers, laisse choir mollement ses fleurs jaunes et rouges. On foule des feuilles mortes pour atteindre ce seuil privilégié. Et la brise marine qui murmure à travers les bambous et les aréquiers du Jardin d'Essai, vient doucement mourir parmi les platanes où l'automne arrache, comme à regret, une dernière feuille d'or...
Non, ce n'est pas la maison du poète, mais bien plutôt la maison du savant.
Et le docteur Edmond Sergent, qui, avec tant de bonne grâce me reçoit, exprime d'un mot ma pensée en embrassant du regard et du geste le paysage qui nous entoure et dont la douceur semble inviter, non aux laborieuses recherches, mais au loisir des longues rêveries.


( suite dans l'article.)

*
** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1919. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
N.B : CTRL + molette souris = page plus ou moins grande
TEXTE COMPLET SOUS L'IMAGE.


Afrique illustrée du 22-11-1919 - Transmis par Francis Rambert
en ligne : janvier 2021

650 Ko
retour
 

UNE VISITE A L'INSTITUT PASTEUR

UNE VISITE A L'INSTITUT PASTEUR UNE VISITE A L'INSTITUT PASTEUR

C'est une blanche et claire maison. Adossée à la colline, entre la mer et le ciel, entre deux infinis, elle est au milieu des fleurs une douce retraite où la science s'est installée.
L'aube miroite dans ses vitres, le crépuscule y prolonge sa gloire et les heures, d'un pied léger, foulent les parterres au coloris charmant qui étendent devant elle un harmonieux tapis. On pense aux nobles et calmes horizons des fresques de Puvis de Chavannes ou des vastes compositions d'Henri Martin.
Est-ce la maison du poète ?... Les bougainvillées répandent autour de ses murs leur somptueuse, leur royale chevelure. La bignonne, sur ses escaliers, laisse choir mollement ses fleurs jaunes et rouges. On foule des feuilles mortes pour atteindre ce seuil privilégié. Et la brise marine qui murmure à travers les bambous et les aréquiers du Jardin d'Essai, vient doucement mourir parmi les platanes où l'automne arrache, comme à regret, une dernière feuille d'or...
Non, ce n'est pas la maison du poète, mais bien plutôt la maison du savant.
Et le docteur Edmond Sergent, qui, avec tant de bonne grâce me reçoit, exprime d'un mot ma pensée en embrassant du regard et du geste le paysage qui nous entoure et dont la douceur semble inviter, non aux laborieuses recherches, mais au loisir des longues rêveries.
- La science n'est pas forcément une rébarbative et maussade personne ! s'écrie-t-il.
Je songe alors qu'elle puise, en effet, au sein même de la nature ses inspirations les plus profondes. Et lorsque nous pensons qu'elle fut, aux yeux de Pasteur, une source intarissable de bonté, une bienfaitrice penchée avidement sur les pires souffrances humaines, il ne nous paraît plus surprenant de la rencontrer sous des traits aussi séduisants et dans une demeure aussi agréable.
Maison de verre, maison transparente que la lumière traverse, faisant scintiller dans une éprouvette une précieuse goutte de sang, ou, sur une lame de cristal, quelque bacille longuement interrogé et qui répond au microscope par un bâtonnet plus indéchiffrable que les hiéroglyphes thébains !...
Successivement, le docteur Edmond Sergent nous promène de laboratoire en laboratoire.
Ce sont autant de cellules où se poursuivent, en pleine, lumière, les travaux les plus minutieux. Le temps semble ne pas exister pour ces hommes qui ont voué à la science leur vie entière. Les jours succèdent aux jours, les années suivent les années, et parfois, de ce silence et de cette solitude, part le brusque rayonnement d'une découverte ou d'une trouvaille aux conséquences incalculables.
Nous savons aujourd'hui ce que nous devons à l'Institut Pasteur d'Alger.
C'est au docteur Edmond Sergent que le Gouvernement fil appel lorsque, justement ému par les ravages que le paludisme faisait dans les rangs de son armée d'Orient, le général Sarrail poussa son cri d'alarme.
La campagne antipaludique de l'éminent directeur de l'Institut Pasteur d'Alger demeure désormais fameuse. Grâce aux énergiques mesures qui, sur ses indications, furent prises, les hôpitaux se vidèrent et l'armée assainie put affronter victorieusement les fatigues d'une offensive dont on connaît aujourd'hui les importants et heureux résultats. D'autre part, grâce à ses considérables réserves de sérums et de vaccins, l'Institut Pasteur d'Alger fut à même de pourvoir à tous les besoins des hôpitaux et. des casernes, dès la mobilisation et pendant toute la durée de la guerre.
Mais le. docteur Edmond Sergent, un Algérien - il est né à Philippeville - n'aime pas que l'on parle de ses distingués services et, lorsqu'on insiste, il en rejette tout le mérite sur ses collaborateurs.
Nous visitons à sa suite les différents locaux.
Voici les vitrines où sont enfermées les redoutables vipères à cornes dont on récolte le venin nécessaire à la préparation du sérum antivenimeux A. N. (Afrique du Nord), sérum que l'Institut Pasteur envoie, chaque année, en grande quantité, en France.
L'extraction se fait d'une assez curieuse manière.
L'animal étant solidement maintenu par le cou, le plus près possible de la tête afin qu'il ne puisse pas se détourner pour mordre, on peut l'obliger à cracher la plus grande partie du liquide contenu dans ses deux glandes en comprimant celles-ci avec force, d'arrière en avant, comme on exprimerait le suc d'un quartier d'orange.
On peut extraire le venin de leurs glandes toutes les deux semaines, sauf au moment de la mue.
Nous nous penchons sur les vitrines. La vipère à cornes est un charmant reptile qui évoque, par ses délicates couleurs, le rose et le gris argenté des dunes natales.
Il y a là, sur un peu de sable, une dizaine de serpents. Ils ne sont guère incommodés par notre curiosité, et il faut que le docteur Sergent, aidé d'un garçon de laboratoire, les oblige à sortir de leur indifférence et de leur torpeur pour nous présenter leurs civilités. Ce qu'ils font en baillant, soucieux de nous montrer leurs crochets et leur redoutable mâchoire...
L'un d'eux a abandonné sa peau dans un coin, comme un vieux vêtement usé.
Courts, ramassés, ils donnent l'impression d'une force vivante et souple. Les prunelles sous les petites cornes brunies ont une transparence d'ambre et de topaze, une fraîcheur de pierrerie qui étonne.
On ne se lasse pas d'observer ces dangereuses bêtes, qui, au moindre contact, se dressent dans une attitude de défense ou d'attaque.
Et des serpents, nous passons aux chameaux.
L'Institut Pasteur possède, dans ses dépendances, un parc ou sont élevées et nourries dix à douze de ces bêtes, sur lesquelles on opère journellement, et à heure fixe, des prises de sang.
Les voici dans un des coins les plus- riants de ce paysage, où rien ne rappelle les vastes horizons du Sud et la piste des caravanes.
A peine avons-nous franchi la barrière de l'enclos, qu'elles nous saluent d'un énorme ronronnement et viennent au-devant de nous, avec une politesse tout à fait cérémonieuse,
l.e préparateur qui m'accompagne reçoit même d'affectueux témoignages de Margot, Margot qui, à leur retour après une longue absence,a reconnu les garçon de l'Institut et leur a manifesté sa joie de, la plus touchante manière.
Le docteur Edmond Sergent nous fait assister aux péripéties d'une prise de sang.
Mais l'opération a été déjà faite, à l'heure habituelle, dans la matinée, et ce sont, parmi les chameaux, des mouvements de surprise, puis de mécontentement et de révolte.
Il faut courir après Margot, qui se dérobe en claironnant et semble nous dire :
- Ah ! non, voilà qui n'est pas de jeu !
Trois aides parviennent cependant à l'atteindre et à l'agenouiller, malgré ses protestations bruyantes, et la prise de sang s'opère une deuxième fois, sous les yeux étonnés des amis de Margot.
Ainsi, l'Institut Pasteur ressemble-t-il assez à l'arche de Noé : serpents, singes, chameaux, lapins, cobayes, moutons, vaches ; c'est toute une colonie soumise aux volontés de la science, qui, sur cette blanche nef immobile, au milieu des fleurs, s'applique à combattre d'affreux monstres : diphtérie, fièvre, peste, rage, etc...
On est charmé par l'heureuse disposition de cette maison ei nous ne sommes pas étonnés lorsque le docteur Edmond Sergent nous apprend que le grand philantrope grec, M. Basile Zaharoff, a décidé l'installation, à ses frais, à Athènes, d'un grand laboratoire bâti selon le plan de l'Institut Pasteur d'Alger.
Nous voici dans la bibliothèque où, sur une large table, sont disposés les bulletins scientifiques du monde les plus importants. Grâce à eux, les médecins de l'Institut sont renseignés très exactement sur les travaux et sur les recherches que poursuivent les savants français et étrangers.
Nos regards se portent sur une toile qui, dans un lourd cadre d'or, orne seule cette solitude.
Le docteur Edmond Sergent nous raconte alors que, lors de l'inauguration de l'Institut, le docteur Rouby lui offrit ce tableau, où est représentée la maison natale de Pasteur.
C'est bien la petite tannerie d'Arbois, près du pont bâti sur la Cuisance.
Alors, nous évoquons avec une infinie reconnaissance la grande figure de l'illustre savant, dont l'œuvre étend aujourd'hui son rayonnement sur le monde.
Il serait à souhaiter que, dans tous les laboratoires de France, dans chaque Institut, l'humble maison d'Arbois soit ainsi pieusement vénérée.
Et notre pensée se reporte, aussi vers ce petit village d'Algérie que M. Cambon, dans un touchant témoignage, plaça sous l'invocation patriotique de Pasteur, dont la noble réponse est encore dans toutes les mémoires :
- J'éprouve, répondit le grand homme, une émotion profonde à savoir que, grâce à vous, mon nom restera attaché à ce coin de terre. Lorsqu'un enfant de ce village demandera l'origine de cette dénomination, je souhaiterais que l'instituteur lui apprit simplement que c'était, le nom d'un Français qui a beaucoup aimé la France et qu'en la servant de son mieux, il put contribuer au bien de l'humanité.
" La pensée que mon nom pourra éveiller un jour dans l'âme d'un enfant le premier sentiment de patriotisme, me fait battre le cœur. Je vous aurai dû, dans ma vieillesse, cette grande joie. Je vous remercie plus que je ne saurais dire. "