La Poste au Sahara de 1900 à 1920
d'après la correspondance du père Charles de Foucauld

(Extraits choisis par Michel Latsague).

Extrait de la revue du Cercle algérianiste, n°109, mars 2005, avec l'autorisation de la direction de la revue "l'Algérianist-e


mise sur site le 21-10-2010

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La Poste au Sahara
de 1900 à 1920
d'après la correspondance du père Charles de Foucauld
(Extraits choisis par Michel Latsague).

Le Sahara est une zone désertique, mosaïque de reliefs allant des dunes immenses, à la platitude du sable s'étendant jusqu'à l'infini, ou à la forteresse montagneuse percée de rares canyons vertigineux. Il est ponctué d'oasis entre lesquelles transite une population nomade de faible densité, dont la sédentarité se limite aux séjours dans les pâturages, à l'exception d'agriculteurs noirs affranchis ou d'esclaves chargés d'entretenir les palmeraies et les jardins à l'entour des points d'eau importants.

Par tradition, la communication s'établit au hasard des rencontres de transhumance, des croisements entre caravanes. Les nouvelles
s'échangent au campement, pendant la cérémonie du thé ou le soir au cours de la réunion organisée par les femmes. C'est l'occasion de faire de la musique. Un chanteur, accompagné par l'amzad et la derbouka, raconte les amours, les faits de bravoure, les deuils, afin de fixer l'essentiel dans les mémoires. Le targui n'écrit pas, seuls les grands dignitaires usent de ce privilège, à moins qu'ils n'entretiennent un secrétaire cumulant parfois les talents du taleb et ceux du khodja. Les choses importantes de la vie du peuple targui se décident en assemblées plénières. Quand il est nécessaire, elles sont placées sous l'autorité de l'Aménokal, puis chaque chef de tribu informe les siens dès son retour parmi eux.

La correspondance écrite régulière est une habitude des Européens. Pénétrant les régions sahariennes, militaires en général, cantonnés dans des forts, présence relais sur les voies traditionnelles de circulation, ils usent du même véhicule que les autochtones, le " vaisseau du désert ": le dromadaire. Lent, rustique, adapté aux rigueurs excessives, il reste le seul animal à pouvoir se déplacer longtemps, sans eau ni nourriture et supporter le terrible sirocco chargé de sable.

L'implantation d'unités régulières, se fait à partir du littoral, vers le sud, sur deux axes principaux. L'un part du Sud oranais en direction de Gao sur le Niger, l'autre, des premières oasis du Sahel vers le Hoggar, puis le Ténéré. Elle se poursuit en tache d'huile, sur la traversière d'ouest en est, de la Saoura au Touat, puis le Gouara, le Tademaït, le Tidikelt, buttant au pied du Hoggar à Tamanrasset où quelques points de passage permettent de franchir l'Ahaggar vers Agadès et au-delà. Cette fragile toile d'araignée, semée d'obstacles, est renforcée par le télégraphe, mais à l'usage réservé. Les caravanes inadaptées au trafic postal, de nouveaux emplois se créent, selon les possibilités locales, ainsi apparaissent les rekkas, les porteurs de sacs postaux, des employés sous contrat, des " entrepreneurs de la Poste ", à défaut, des soldats du Makhzen. Ils sont rétribués par les bureaux arabes de la subdivision ou l'administration de la Poste.

Selon la région, le relief, la distance, ils vont à pied, à dos de mulet, dromadaire ou cheval, courageux, fidèles, ponctuels, ils sont souvent cités en exemple. Attaqués, pillés, assassinés parfois, ils trouvent auprès des leurs, la relève, fiers du respect que les officiers leur manifestent. Sur les distances importantes, des relais sont instaurés, le courrier y est trié, distribué, réorienté, réexpédié, afin de limiter les délais imposés par les déplacements et la fragilité du système.

Les rails atteignant les premiers grands centres du sud, puis le développement très rapide de l'automobile et de l'avion, rendent obsolètes ces grandes missions qui perdurent pour des raisons de police, des tournées de santé, d'instruction des tribus du Sahara. Le projet de transsaharien " Mer-Niger " ne résiste pas à l'ensablement permanent des itinéraires, le déplacement des dunes, l'agression du sable sur les matériels ferroviaires, ces handicaps ont raison du rêve pharaonique. Touggourt à l'est, Abadla à l'ouest marquent le terminus des lignes rejoignant la côte.

Quelques dates

1902: de Colomb-Béchar à Adrar par Béni-Abbès, deux convois par mois, dans chaque sens. Il faut en moyenne quinze jours pour relier ces deux centres, à raison de parcours quotidiens de 35 à 40 km. La distance de 630 km, peut évoluer en fonction de l'insécurité liée à l'activité des rezzou Beracher.

Vers l'est, d'Adrar à In Salah, on
emprunte la traversière multiséculaire et sur 1 800 km jusqu'à Tamanrasset il faut soixante jours, parfois seulement quarante-quatre.

1905 : de l'extrême sud Oranais, Béni-Ounif à El-Goléa, il faut en moyenne quinze jours selon le découpage suivant : Béni-Ounif - Taghit, deux jours; Taghit - BéniAbbès, deux jours; Béni-Abbès - Timimoun, quatre jours; Timimoun - Fort Mac-Mahon, trois jours; Fort Mac-Mahon - El Goléa, trois jours. Dans cette oasis, le courrier destiné à Fort Miribel, In Salah et au-delà est réorienté.

D'In Salah à Adrar, par Alouef, il faut quinze jours, la Poste remonte sur Colomb-Béchar et Oran. Tamanrasset, point d'extrême, le plus important du Hoggar, avant la construction du Fort Motylinski à Tarhaouhaout est à quinze jours d'In Salah, centre militaire et administratif du Tidikelt. De là, pour rejoindre Alger, les étapes sont les suivantes : In Salah - Fort Miribel, six jours; Fort Miribel - El Goléa, quatre jours; El- Goléa - Ghardaïa, sept jours; à ce point du parcours, la diligence monte à Laghouat, puis à Djelfa, terminus du chemin de fer. En temps moyen, Tamanrasset - Alger se fait en trente-cinq/quarante jours.

1908 : Le colonel Laperrine, ami du révérend père de Foucauld, spécialiste du Sahara, est conscient de la nécessité d'établir de nouvelles relations avec les territoires français mitoyens du sud de l'Algérie. Il s'accorde avec les responsables du Soudan pour établir des convois
réguliers qui montent de Gao (ou Goga) sur le fleuve Niger vers Tessalit (Adrar des Iforas) évitant la barrière montagneuse, entre Kidal et Tin Zaouaten. Ils longent le désert du Tanezrouft pour s'arrêter à Timiouin, aux confins du Hoggar et rencontrer celui venu d'In Salah par Tamanrasset. Après l'échange des courriers, chaque mission rejoint sa base de départ. De Gao à Tombouctou et Bomako, la navette des pirogues ou le bateau à vapeur, prennent le relais et circulent sur le Niger.

Malgré tous ces efforts, il arrive que la Poste soit bloquée plusieurs mois, les lettres de septembre touchent leur destinataire avec celles de Noël, en février.

Le système lunaire, hérité des Arabes est abandonné au profit du calendrier grégorien. Ainsi le convoi quitte In Salah pour Tamanrasset (Tamanghasset) le 14, en repart le 1er.

1919 : Le général Laperrine, ayant suivi en France, au cours de la guerre 1914-1918, la formidable évolution des transports automobiles et aériens, fait mécaniser systématiquement les relations afin de réduire les délais de transmission. Un industriel toulousain, Pierre Georges Latécoère, reconverti en avionneur, réalise l'impensable, mettant le Capitole à 72 heures de Casablanca. Puis longeant les côtes avant de survoler mer et océan, il joindra Alger, Dakar, l'Amérique du Sud, grâce à des pionniers audacieux.

Quelques notes

- Amzad : sorte de violon monocorde, fait d'une coque ronde d'un fruit évidé, ou d'une calebasse en bois et d'un archer de longs poils, tendus sur une branche flexible, cintrée à la limite de la rupture. Instrument réservé aux femmes.
- Derbouka: tambourin en peau de chèvre ou d'âne, avec lequel on rythme les chants et les danses au cours des fêtes.
- Taleb: étudiant en écriture sainte (les sourates du Coran et les textes de réflexion des grands philosophes arabes). Par extension, écrivain des rues qui se met au service des autres et se fait rétribuer à la ligne en général, ou toute autre convention acceptée de gré à gré, (fréquemment le troc).
- Khodja : interprète, lettré, qui cumule les fonctions de secrétaire.
- Sokhctr : chamelier targui, guide caravanier.
- Sirocco: vent brûlant soufflant du sud. Il dessèche tout.
- Vent de sable: vent chargé de sable éolien très fin, qui pénètre partout, érode jusqu'au décapage les surfaces non protégées. Dans la majorité des cas, il oblige à l'arrêt en attendant qu'il cesse de souffler. Sa fréquence varie d'un jour à trois jours, six jours, neufs jours, d'après les observations météorologiques relevées. Le dromadaire s'en protège en fermant ses narines, l'homme enroule son chèche autour du visage, tourne le dos au vent et à l'arrêt, respire souvent face au sol.
- Rekkas : courrier à pied.
- Méhara: dromadaires.
- Aménokal : chef militaire et religieux, élu par le collège des nobles régnant sur le Hoggar. Quand sa santé défaille, remplacé, il devient amarad. Avec les vieux nobles, il siège au conseil mais n'exprime plus qu'un avis.
- Makhzen, maghzen: peloton de cavaliers supplétifs armés.
- Mokhazni, moghazni : cavalier supplétif.
- Méhariste: cavalier circulant à dromadaire et propriétaire de sa monture. Militaire, il est armé et fait équipe avec un compagnon de la même province que lui. Parle souvent plusieurs dialectes. À ne pas confondre avec le Maure des tribus pillardes et insoumises, opérant en Mauritanie, le Rio de Oro et l'extrême sud marocain (tribus Reiguibat, Beracher... regroupées aujourd'hui sous le vocable de saharaoui).