Quelques lignes sur Maison-Carrée
sur site le 16-1-2007
de AFN."collections", la mémoire à travers les collections, n°50, janvier 2007

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La Maison Carrée en 1835.

Le Fort du Pont (Bordj el Kantara) que les Algériens nomment aussi Burgh-Yahhia, et que nous avons appelé Maison-Carrée à cause de sa forme, est situé à environ trois lieues d'Alger, au-delà du pont de l'Harrach, sur la rive droite et près de l'embouchure de ce fleuve, à deux lieues et demie du fort de la Rassauta. Le pont qui y conduit paraît être de construction romaine. Le terrain de la Maison-Carrée avait été acheté par Yahhia, avant-dernier Agha de Hussein Pacha, décapité par son ordre quelque temps avant la conquête d'Alger. Les bâtiments en avaient été construits à grands frais avec les maté riaux de l'état et l'argent du trésor ; et cependant la Maison Carrée était inscrite sur lei registres du beylick au nombre des propriétés appartenant au gouvernement turc. C'étai une espèce de caserne où l'Agha avait un dépôt d'armes, de vivres, de toutes sortes d-munitions, et même quatre ou cinq petits canons de campagne. Il partait de là, inopinément, pour tomber sur les tribus rebelles qu'il voulait châtier ou forcer à payer des contri butions. Comme c'est une position militaire d'une assez grande importance, à l'entrée d la plaine de la Mitidja, le génie militaire n'a cessé, depuis l'occupation française, d'y exécuter des travaux qui permettent maintenant de s'y retrancher et de s'y établir d'une manière permanente. La Maison-Carrée* peut recevoir environ 500 hommes et 200 chevaux.

Les inondations de l'Harrach en 1846 -

Le 3 novembre, l'Harrach, grossi par les pluies torrentielles de la journée et de la nuit précédentes, déborda et transforma en une mer furieuse tout le terrain compris entre les collines du Sahel, celle où est assise la Maison Carrée et toute l'étendue de la plaine jusqu'au monticule de la ferme de Ouled-Ada. Des onze maisons qui formaient la ferme de la Maison Carrée, sept disparurent successivement. On apercevait çà et là des malheureux que les flots entraînaient vers la mer, et ce spectacle était d'autant plus déchirant, qu'aucun secours humain ne pouvait leur venir en aide. Partout des hommes en péril, partout l'impossibilité d'arriver à eux. Vainement le gendarme Schmitt voulut-il en sauver quelques uns ; sans le secours du brigadier Aubert, il eût été victime de son dévouement.

Après lui, vingt hommes des tirailleurs indigènes, commandés par le lieutenant Tirard, ainsi que des cavaliers du 5 ième de chasseurs, sous les ordres du sous-lieutenant Daste, se jetèrent à la nage. Leur courage resta inutile, ils coururent de grands dangers ,, un sergent et deux tirailleurs indigènes périrent, victimes de leur dévouement. Il serait' trop long d'énumérer ici les moyens qui furent employés lorsqu'on eut reçu d'Alger ce qui était nécessaire, non plus que les pertes qui résultèrent de cet événement ; mais avant d'aller plus loin, je suis bien aise d'ajouter trois noms à ceux que je viens de citer. Ce sont: le maître de port Bonace, le caporal Quatreloup et le voltigeur Cartigny du 58 ièm de ligne.

L'Harrach ne fut pas le seul cours d'eau qui déborda en Algérie. La Chiffa fit aussi des ravages, et si elle n'engloutit pas de victimes, elle détruisit du moins des travaux d'art de la plus haute importance, notamment une admirable route, résultat d'efforts inouïs de persévérance et de travail.

A Miliana une douzaine de maisons, à peine achevées, furent emportées par les eaux, et la route de Miliana à Blida fut entièrement détruite.

Voyage à Maison-Carrée en 1907.

" Vous plairait-il de venir visiter les Pères Blancs à la Maison Carrée ? ".

J'acceptais aussitôt, car l'offre qui m'était faite allait au-devant du désir que j'avais de connaître les Pères de cet ordre fondé par le Cardinal Lavigerie, le grand Cardinal, comme on l'appelle souvent en Algérie.

Et puis, j'avais aussi un grand désir de revoir ce petit pays de la Maison Carrée qui me rappelait tant de souvenirs d'enfance, et que, depuis un mois, je regardais d'Alger, sans avoir eu l'occasion de m'y rendre.

Car, ce que je voyais de ma fenêtre, ce n'était plus le paysage d'autrefois, ce n'était plus, courronnant une colline rouge et dénudée, ce grand fort turc, tout blanc, qui dominait l'embouchure de l'Harrach et se détachait sur le ciel bleu. C'était un coteau cultivé et planté de vignes, vert et rouge, et, au-dessus, un grand bois noir d'eucalyptus, qui cachait la vieille forteresse historique.

Pour s'y rendre, il fallait autrefois, quand on n'avait pas de cheval, se risquer dans un de ces corricolos qui semblaient dater de la conquête, où tout, chevaux, harnais, cochers, voitures et facilité de l'extension de la contenance, étaient fantastiques.

On suivait la route cahoteuse, au pas, et quelquefois, tout à coup, au galop, quand la concurrence déterminait les cochers à rouer leurs pauvres bêtes de coups de fouet. On rencontrait une diligence, une ou deux pauvres charrettes, des prolonges d'artillerie, des groupes d'Arabes, parfois un troupeau de chameaux porteurs de charges énormes, qui, s'égaillant au bruit de la guimbarde, barraient la route. On traversait le seul petit hameau d'Hussein-Dey, et on arrivait enfin, non sans s'être arrêté aux bouchons du " Rendez-vous des chasseurs", du "Retour de Laghouat " ou du " Vieux Bombardier ".

Aujourd'hui, sur la voie commune aux chemins de fer d'Oran et de Constantine, et sur celle du tram électrique qui la double, c'est un mouvement incessant. Sur la route bien entretenue, c'est, tout le jour, un charroi tel qu'à certains moments, en dépit des jurons lancés dans toutes les langues du bassin méditerranéen, l'enchevêtrement des voitures arrête tout l'écoulement.

Et pendant dix kilomètres, à partir de Mustapha, c'est une suite ininterrompue de villas, de maisons de tout modèle, d'entrepôts, d'usines, de gares, de dépôts ou d'ateliers de chemins de fer, de bâtiments militaires enfin, en arrière desquels s'étendent, le long de la mer, en une longue bande, les admirables jardins d'où les Espagnols laborieux envoient en France des cargaisons de primeurs.

Au pied de la Maison Carrée s'est formé un gros bourg très peuplé, centre industriel important qui n'est plus qu'un faubourg d'Alger. Tous les vendredis, il s'y tient un mat ché de bestiaux très considérable où les acheteurs de France viennent souvent s'approvisionner...

A un kilomètre au nord de la Maison Carrée et dominant quelque peu la mer, a milieu d'un grand vignoble que le Cardinal a créé et dont les religieux ont dû se dessaisir, s'élèvent les bâtiments considérables du monastère Saint-Joseph, maison mère des; missionnaires d'Afrique, qu'on a coutume d'appeler Pères Blancs, à cause du burnous blanc dont ils sont revêtus.

En fait, coiffés de la chéchia rouge, ils sont habillés à l'arabe. Ainsi le voulut le fondateur de l'ordre, afin que les missionnaires puissent circuler au milieu des populations arabes, sans attirer l'attention ni soulever la colère des fanatiques.

On se rend au monastère par une route que prolonge une admirable avenue d'où la vue embrasse la rade entière, depuis Notre-Dame d'Afrique. A gauche, Alger la blanche, le port avec sa forêt de mâts et de cheminées, le fort l'Empereur et les coteaux féériques de Mustapha, et, à droite, la côte qui s'abaisse jusqu'au cap Matifou. En face, au delà de l'horizon, bien loin, c'est la France ; la France que les religieux ont quittée pour toujours, qu'ils ont juré d'honorer ainsi que Dieu, au prix de leur vie ; la France vers laquelle leur pensée et leurs regards se portent chaque jour.

Transmis par Robert BALLESTER

* La ville de Maison-Carrée fut d'abord une simple agglomération, spontanément créée, vers 1842, autour du bordj turc qui existait à cet endroit et que l'armée utilisa dès le début de la conquête. Puis elle devint commune de plein exercice en 1861.