Géographie de l'Afrique du nord
Le Titteri des Français
1830-1962
DEUXIEME PARTIE : LES LOCALITES
A/ LES CHEFS-LIEUXD'ARRONDISSEMENT DE LA RN 1
MÉDÉA -1
Documents et textes : Georges Bouchet
mise sur site le 20-1-2009

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A/ LES CHEFS-LIEUXD'ARRONDISSEMENT DE LA RN 1

MEDEA (ou Lambdia) Siège d'un commissariat civil de 1840 à 1859
Siège d'une sous-préfecture de 1859 à1956
Siège d'une préfecture de 1956 à 1962
Commune de 25 035 hab. en 1954 (dont 1918 Européens)

Cette petite ville a joué un rôle éminent bien avant la conquête française en tant que résidence de l'un des trois beys dépendant du dey d'Alger, dès 1548 et jusqu'en 1830. Après 10 années de troubles et de dépendances diverses elle devint française et retrouva un rôle administratif important dans la province, puis dans le département d'Alger. Elle fut une sorte de capitale informelle de tout le Titteri français, comme elle l'avait été du temps des Turcs.

Elle connut pourtant une croissance fort lente et modeste, avec en 1948, à peine 5 124 habitants " agglomérés " ; sans doute pas beaucoup plus qu'un siècle plus tôt.

Les origines des noms de la ville sont incertaines

Le pluriel est rendu nécessaire par la multiplicité des noms proposés et notamment Ad Medias, Lambdia (ou Lemdia, voire Lemmdiya), et enfin Médéa. Le toponyme Médéa s'est imposé avant l'arrivée des Turcs au XVIè siècle.

Ad Medias (à mi-chemin en latin) serait le nom d'un gîte d'étape romain sur la voie de Maurétanie Césarienne reliant la capitale Caesarea (Cherchell) à la colonia d'Auzia (Aumale). De cet Ad Medias déformé au cours des siècles serait sorti le nom de Médéa. Cette hypothèse n'est pas absurde : elle est d'ailleurs plus crédible avec la graphie arabe qui n'utilise que les 4 lettres M D I A qu'avec la graphie latine postérieure.

Lambdia
serait le nom d'une tribu sanhadja locale. Ce nom, latinisé en Lambdienses (les gens de Lambdia) apparaît sur une borne milliaire (milliaire ; pas militaire) trouvée près de Mouzaïa-les-mines et indiquant la direction du plateau de Médéa. En ce cas Lambdia serait un toponyme de l'époque numide, antérieur à l'arrivée des Romains. Ce nom se retrouve sous le calame d'Ibn Khaldoun, au XIVè siècle. Il s'est perpétué jusqu'à nos jours pour désigner les habitants de la ville et de sa région. Il n'y a jamais eu des Médéens, mais toujours des Lembdani ou Lemdani. Il est d'usage courant tant en français qu'en arabe ; à tel point que, vers 1975, Lambdia est réapparu dans des documents officiels algériens pour désigner Médéa. Mais cette tentative de résurrection fut éphémère et elle a échoué.

L'apparition du ce centre est mal connue et non datable.

L'existence d'un village en ce lieu est sûrement très ancienne ; mais il est impossible d'avancer une date, même approximative. Pour leur gîte d'étape, les Romains ont peut-être utilisé un village ancien ; mais pas avant le IIè siècle. Même sous les Sévères et les Antonins il n'est question ni de municipe, ni de colonia, ni de ville de quelque statut que ce soit. Donc pas de cité romaine classique avec cardo, decumanus, arc de triomphe et théâtre. Les modestes fouilles entreprises n'ont mis au jour que des pièces de monnaie. Seules les ruines d'un aqueduc appelé par nous " portes de Lodi " posent problème.

Un tel aqueduc, s'il était romain, serait disproportionné en l'absence d'une vraie ville. Une autre hypothèse, plus vraisemblable, attribue sa construction aux Almoravides qui installèrent là une vraie place forte au XIè siècle.

quatre timbres

Quatre timbres au service de l'histoire. Ils représentent tous l'aqueduc de portes de Lodi.

Le Ier , sans mention Algérie, est l'une des derniers timbres valables tant en Algérie qu'en métropole, émis après 1958.

Les 3 autres sont postérieurs au 5 juillet 1962. Une barre noire cache la mention République Française sur les timbres où les lettres EA, plus ou moins hâtivement surchargées, signifient Etat Algérien. Sur le dernier, en bas à droite la mention République Algérienne est bilingue ; et les mots Portes de Lodi sont remplacés par le mot arabe El Barid qui signifie " la poste "

Cet aqueduc présente un coude presque à angle droit vraiment étonnant. Il aurait conduit vers le plateau où se trouvaient les forteresses almoravide, puis mérinide (et plus tard les casernes françaises) des eaux collectées sur les flancs du djebel Nador qui se trouve au nord de la ville.

Médéa avant les Français

Pour les généralités sur l'histoire du Titteri, je n'ai rien à ajouter aux informations contenues dans la première partie (voir).

Je ne m'intéresse ici qu'à la ville. Or elle n'a laissé que très peu de souvenirs d'événements marquants et précisément datés : les voici.

     • Vers 950/960. Restauration de la ville par Bologhine ibn Ziride, fils du fondateur de la dynastie ziride dont la capitale était Achir près de l'actuel Aïn Boucif.
     • Vers 1055/1059. Construction ou reconstruction de l'aqueduc par Yusuf ben Tachfin, fondateur de l'Empire almoravide à partir de Marrakech au Maroc
     • Vers 1303. Conquête par les Mérinides de Fès. Ces derniers renforcent les murailles et construisent une nouvelle citadelle.
     • En 1548 Hassan Pacha, Beylerbey (ou Dey) d'Alger fait de Médéa le chef-lieu d'un beylik destiné à surveiller les tribus montagnardes susceptibles de descendre piller la Mitidja ou de menacer les communications dans la plaine.
     •

Lorsque le 17è bey fit semblant de se soumettre à la France en juillet 1830, Médéa était une toute petite ville où cohabitaient 4 populations : des Turcs, des Koulouglis, des Juifs et des Berbères en voie d'arabisation. Les Turcs étaient soldats ou fonctionnaires : c'était les maîtres. Ils ont été " rapatriés " vers Istanbul ou Smyrne. Les Koulouglis, nés d'un père turc et d'une mère indigène, n'ont pas été jugés dignes d'être rapatriés et sont donc restés. Peu à peu leurs descendants ont dû se mêler aux indigènes, mais le terme Koulougli a survécu très longtemps. Les juifs étaient nombreux. La présence de cette forte minorité s'explique par la proximité du pouvoir turc dont la protection était espérée. De surcroît cette population a fourni aux beys ou à leur entourage, des conseillers écoutés. On se souvient que, par tradition, le comptable qui accompagnait les caïds chargés de la collecte des impôts personnels dans les tribus, était un juif qui avait le titre de Saïdji. L'origine de cette population est sans doute double. On pouvait y trouver des descendants de Berbères judaïsés de longue date. Certains auteurs croient trouver dans le patronyme Darmon, fréquent à Médéa, comme un écho du Djebel Darmoun (au sud de Tébessa) où auraient vécu des tribus juives avant les invasions arabes.

Une autre vague est celle des juifs espagnols expulsés après la reconquête du royaume de Grenade. L'édit d'expulsion est du 31 mars 1492 ; il a donc été signé deux mois à peine après l'achèvement de la Reconquista.

En 1525 un nouveau décret de Charles-Quint expulse tous les " non-baptisés ". Cette population a justifié la construction des trois synagogues (la Grande, El Kaïm et Darmon) en fonction en 1830.

L'héritage architectural turc concerne aussi le palais du Dey et deux mosquées au minaret octogonal (et non carré comme c'est la règle au Maghreb). Ces mosquées sont les djemmas Ahmar (rouge) et Lakhdar (verte). Cette dernière (voir photo de 1880) a été édifiée à la demande du bey Mourad en 1583 pour le rite hanéfite qui est celui des turcs, et non pour le rite malékite qui est en usage au Maghreb. Cette mosquée verte fut transformée en église en 1840 et son minaret servit d'observatoire militaire. Elle fut rendue au culte musulman en 1883.


Notule sur les 4 obédiences sunnites

Depuis la chute des Rostémides en 911 et l'abandon d'Achir par les Zirides en 1007 il n'y a plus que des Sunnites dans tout le Titteri. Les Sunnites reconnaissent la Sunna (ensemble des paroles et des actes du prophète consignés très tôt sur ordre du deuxième calife Omar) comme fondement du Droit et des usages, à côté du Coran qui demeure l'essentiel. Ces 4 obédiences ou écoles juridico-théologiques sont toutes apparues très vite, à la fin du VIIIè siècle.

La Malékite est assez rigoureuse quant au respect des 5 " piliers de l'Islam " : profession de foi, 5 prières, aumône, ramadan et pèlerinage à la Mecque. Mais elle est souple quant au respect des coutumes locales, tel le maraboutisme.

La Hanéfite est très proche de la Malékite, un chouïa moins rigoureuse. Elle tolère l'ignorance de la langue arabe, ce qui explique son extension parmi les peuples non arabophones, comme les Turcs. Et surtout elle permet à un non arabe de devenir calife. Ainsi les Turcs Ottomans, conquérants de Constantinople en 1453, ont pu détenir le califat de 1517 jusqu'à sa suppression par Ataturk en 1924. Ils ont aussi construit quelques mosquées hanéfites à leur usage : j'en citerai 2, la mosquée verte de Médéa et la mosquée neuve (Djema el-Djedid ou mosquée de la pêcherie à Alger).

La Chaféite est une sorte de compromis entre les deux précédentes. Elle n'a jamais été présente, ni à Médéa, ni ailleurs en Algérie.

La Hanbalite est de loin la plus rigoureuse, la plus fermée, la plus vindicative. C'est celle de l'Arabie qui a de surcroît adopté la tendance Wahabite la plus sévère : celle qui interdit l'accès de la Mecque aux chrétiens, la construction d'églises dans le royaume et la conduite automobile aux femmes ! Jusqu'en 1962 il n'y avait pas de Hanbalites à Médéa ou à Alger. Depuis les années de guerre civile après 1990, il y en a, sous l'étiquette rétrograde des Salafistes qui, comme le nom l'indique souhaitent le retour (fantasmé) au pur Islam des origines. Il y en eut beaucoup autour de Médéa après 1990.

Pour être complet il faut ne pas oublier les quelques épiciers Mozabites de Médéa (et d'ailleurs) adeptes du Kharédjisme et qui perpétuent ainsi la foi hérétique des Rostémides chassés de la région depuis plus de mille ans.


Médéa de 1830 à 1840 : la décennie chaotique

palais beylical dit de Djenane el Bey

Durant ces dix années nombreux sont les chefs qui ont dormi dans le palais du bey : 3 beys, 1 représentant du sultan du Maroc, 1 marabout illuminé, 2 représentants d'Abd el-Kader et quelques généraux français de passage.
La photo ci-contre est celle de ce palais beylical dit de Djenane el Bey qui, en 1840, fut affecté à la Direction de la subdivision militaire française.


Les trois beys
sont, par ordre d'arrivée, et de départ prématuré, les suivants :

     • Mustapha bou Mezrag de juillet à novembre 1830. En vérité ce dernier des 17 beys turcs était en poste depuis 1819. En juin 1830 il avait vaillamment combattu contre les Français débarqués à Sidi Ferruch ; à tel point qu'on lui avait confié le commandement de toutes les troupes à la place du titulaire, l'Agha Ibrahim. Les 25, 26, 27 et 28 juin il avait beaucoup gêné la progression des Français. Mais, de façon étonnante le 15 juillet il apposa son sceau sur un acte de soumission volontaire rédigé en arabe et qu'il envoya à de Bourmont. Il assurait " reconnaître le roi de France comme son souverain et seigneur, de lui être fidèle et de le servir contre tous ses ennemis ". En conséquence, rassuré malgré l'avertissement que lui avait donné le dey Hussein avant de s'embarquer pour Naples sur un bateau français " dans le Titteri, Bou Mezrag est turbulent et peu sûr ", de Bourmont l'investit comme bey au nom de la France. A la mi-août Bou Mezrag retourna son burnous et menaça de Bourmont de le chasser d'Alger ! C'est Clauzel, successeur de de Bourmont, qui prit la tête d'une colonne qui, par le col (tenia) de Mouzaïa vint chasser son bey et occuper Médéa. Bou Mezrag offrit au vainqueur, comme c'était l'usage, son cheval préféré. Clauzel garda le cheval et expédia Bou Mezrag en France où on le libéra avec interdiction de retourner en Algérie. Il se retira finalement à Smyrne. Mais ses fils, restés à Médéa, ne manquèrent de poursuivre la lutte quand ils le purent.
     • El Hadj Omar, dit aussi Ben Mourad de novembre 1830 à juin 1831. Il a été choisi par Clauzel pour remplacer Bou Mezrag. C'était un commerçant d'Alger prospère ; mais son savoir-faire de bonnes affaires ne lui fut d'aucune utilité dans sa nouvelle fonction. Malgré une petite garnison française, il était quasi prisonnier dans sa ville, car les tribus voisines, soulevées par les fils de Bou Mezrag, profitèrent de l'occasion pour refuser toute obéissance et tout paiement d'impôt. C'est le successeur de Clauzel, Berthezène, qui, fin juin 1831, monta une deuxième expédition par le tenia de Mouzaïa pour ramener à Alger la garnison française et Ben Mourad. Les tribus s'accommodèrent fort bien de ce retour à l'anarchie. Mais ce vide politique suscita des désirs de conquête, comme on le verra ci-dessous.
     • Mohammed ben Hussein durant une semaine en avril 1836. Clauzel, revenu à Alger pour un second séjour, alors que le Titteri était dirigé par un fidèle d'Abd el-Kader remonta à Médéa (c'est la troisième expédition) pour l'en déloger. Il partit de Boufarik le 30 mars, arriva à Médéa sans trop de mal, et en repartit le 4 avril en laissant le nouveau bey et quelques soldats. Mais, ayant trouvé à Alger, une instruction de Paris lui interdisant d'occuper tout nouveau centre dans l'intérieur, il rappela la garnison française le 7 avril. Une fois les Français repartis Ben Hussein se laissa voler (à moins d'un arrangement discret avec quelque envoyé d'Abd el-Kader) les 600 fusils, les 50 000 cartouches et les 6000 francs reçus de la France pour asseoir son pouvoir. Ben Hussein fut conduit à Mascara, auprès d'Abd el-Kader et libéré plus tard.

Les deux conquérants déçus sont le sultan du Maroc et le bey de Constantine.

     • Durant l'été 1831 c'est le sultan du Maroc Abd er-Rahman qui s'efforce de profiter de l'anarchie en envoyant ses cavaliers occuper, et Miliana, et Médéa où s'installent des représentants du pouvoir chérifien. Mais ils avaient du mal à se maintenir si loin de leur base. Une démonstration navale française devant Tanger (novembre 1831) et l'envoi d'une ambassade à Meknès en 1832 persuadèrent Abd er-Rahman de rappeler ses troupes.
     • Le bey de Constantine Ahmed est plus proche car, à cette époque il domine tout l'est algérien jusqu'au Hodna. Il aurait songé à s'étendre un peu plus vers l'ouest, en commençant par le Titteri. Il y eut quelques mouvements de troupes en 1833 ; mais elles ne parvinrent pas à occuper Médéa.

Le marabout " illuminé " est El Hadj Moussa ben Hassan. Il prend Médéa au début de 1835.

    C'est un Egyptien qui s'est installé à Laghouat en 1829 et qui s'est affilié à la confrérie des
Derkaoua (de là son surnom El Derkaoui).
Il a bonne réputation car il aurait fait des miracles et son âne lui est tombé du ciel, offert, assure-t-il, par des Saints. Cet âne qu'il fait admirer devant sa tente, recouvert d'un riche tissu, lui vaut son deuxième surnom de Bou Hammar (l'homme à l'âne).
Sûr de détenir la vérité et de bénéficier de l'aide d'Allah, il prêche la guerre sainte, à la fois contre les chrétiens et contre Abd el-Kader accusé d'impiété pour avoir signé des accords avec les Français (avec Desmichels le 26 février 1834). Il finit par inquiéter les Lemdani qui ne souhaitaient rien de semblable et finissent par solliciter l'aide du Gouverneur Français Drouet d'Erlon : en vain. C'est Abd el-Kader qui rapplique, qui bat les partisans de Bou Hammar et qui coupe 200 têtes pour l'exemple. Ce dernier réussit à quitter Médéa et se réfugia à Messaad d'où il sera chassé, en 1847, par le Général Marey-Monge. Il continuera la lutte contre les Français et mourra au siège de Zaâtcha en 1849

Les représentants d'Abd el-Kader sont les maîtres de Médéa du printemps 1835 au 17 mai 1840, à l'exception de la semaine d'avril 1836 marquée par l'épisode Mohamed ben Hussein. D'ailleurs durant cette semaine le Khalifa d'Abd el-Kader avait quitté la ville, mais tenait la campagne.

        • Le premier, qui avait accompagné Abd el-Kader, lors de sa lutte contre Bou Hammar, n'est resté que quelques mois. Je ne suis même pas sûr de son identité : sans doute un parent de l'Emir.
        • Le second, investi du titre et du burnous de Khalifa en août 1835, s'appelle El Berkani. D'août 1835 à mai 1837 El Berkani est, pour la France, un ennemi. Avec la signature par Bugeaud, alors commandant des troupes françaises à Oran, et Abd el-Kader, des accords de La Tafna (20 mai1837) El Berkani n'est plus un ennemi car l'article 3 de ces accords stipule " l'émir administrera la province d'Oran, celle du Titteri et une partie de celle d'Alger… ". S'installe ainsi une fausse paix mise à profit par Abd el-Kader pour organiser un véritable état divisé en 8 khalifaliks et y organiser quelques points forts. El Berkani à Médéa est le chef de l'un des trois 3 khalifaliks qui, avec Miliana et Hamza (Bouira), encerclent la Mitidja et pourraient menacer Alger. El Berkani fortifie Boghar, au sud de Médéa et y établit un arsenal. Cette fausse paix prit fin en novembre 1839 lorsqu' Abd el-Kader, ayant prévenu par lettre le nouveau Gouverneur Général Valée le 20 novembre, relance la guerre sainte et envoie ses troupes soutenir les Hadjoutes qui avaient commencé à ravager la Mitidja depuis une semaine déjà. Paris réagit en envoyant des renforts pour assurer la pérennité de la présence française. La prise de Médéa est la première victoire de cette guerre contre l'émir qui devait durer 8 ans.

Eléments de chronologie pour l'époque française : 1840/1962.

        • 17 mai 1840 : conquête " définitive ". Cette fois-ci c'est Valée qui décide d'envoyer ses soldats grimper, pour la quatrième et dernière fois, les 1 043m du tenia de Mouzaïa. Valée a scindé l'armée en 3 colonnes ; El Berkani et Abd el-Kader avertis par leurs espions de Blida, étaient au rendez-vous derrière les multiples fortins et barricades qu'ils avaient érigés. Le col ne fut pas aisé à franchir ; mais ensuite la ville fut occupée sans opposition, Abd el-Kader s'étant replié en bon ordre vers l'ouest. Par contre El Berkani, resté dans les parages, continua à rendre la contrée dangereuse pour les petites patrouilles. C'est le Général Duvivier que Valée laissa à Médéa avec 1 500 hommes. Il y termina, avec honneur, dans le palais de Djenane el bey déjà cité, une longue carrière " algérienne " commencée en juin 1830 à Sidi Ferruch. L'une de ses premières décisions fut de faire installer un télégraphe optique dont El Berkani ne pouvait interrompre les messages.

Franciade Fleurus Duvivier : un destin de conquérant de l'Algérie 1830/1841

Juin 1830 ll participe au débarquement avec le grade de capitaine
Janvier 1831
Il est le chef, à Birkhadem, de l'un des 16 camps protégeant Alger
Juin 1831
Il participe à la deuxième expédition de Médéa
1832/1833
Il est commandant en chef à Bougie
1834
Il est à Bône où il reçoit ses barrettes de colonel
1836
Il participe à la tentative, ratée, de conquête de Constantine
1837
Il organise, près de Guelma, le camp d'où partit la 2è expédition de Constantine
1838/1839
Il est commandant de la place de Blida où il reçoit ses étoiles de général
1840
Il dort dans le palais de beylical du Titteri
1841
Il quitte l'Algérie, semi volontairement, pour incompatibilité d'humeur et de
conviction avec son nouveau chef : Bugeaud. Ce texte, publié en 1841 à son
retour est sans ambiguïté " la Mitidja est infecte ; il faut la laisser aux chacals et aux bandits arabes…C'est le domaine de la mort sans gloire L'assainir ? On n'y parviendra jamais ". Bugeaud pensait juste le contraire.

    •1841
Ordonnance royale créant la province d'Alger
    •1842/1843
Construction de la route directe par les gorges de La Chiffa
    •1848
Création du département d'Alger avec projet de sous-préfecture à Médéa
    •1849
Naissance du poète jean Richepin
    •1854
Création de la CPE ; commune de plein exercice
    •1859
L'arrêté du 5 octobre met en place l'administration sous- préfectorale dans un immeuble de la rue Gambetta. Une nouvelle sous-préfecture est installée dans une grande villa sans doute entre1920 et 1930
    •1869
Naissance de Ben Cheneb, dont le nom a été donné au collège. Ce collège, où il a été élève, a donc été créé peu avant 1880, mais pas dans les locaux de l'actuel lycée qui pourraient avoir été bâtis dans les années 1900 ou 1920
    •1883
Consécration de l'église Saint Henri
    •1886
Le chemin de fer de Blida à Djelfa par Médéa est déclaré d'utilité publique
    •1892
Inauguration de la gare ; les rails étant alors posés jusqu'à Berrouaghia
    •1908
Inauguration du marché couvert
    •1925
Inauguration d'un nouveau groupe scolaire au sud de la route d'Alger ; il y en fait trois écoles accolées, une maternelle, une pour les garçons et une pour les filles
    •1942
Arrivée de soldats américains qui ne sont pas restés longtemps
    •1956
Création du département et de la Préfecture de Médéa
    •1956
Création d'une SAS Section administrative spécialisée
    •1958
Dissolution du Conseil Municipal, et son remplacement par une Délégation spéciale nommée, comme partout en Algérie.

Le groupe scolaire " français " de 1925
Le groupe scolaire " français " de 1925
La modeste gare de 1892

La nouvelle sous-préfecture des années 1920
La nouvelle sous-préfecture des années 1920
L'église Saint Henri
L'église Saint Henri

Le cadre géographique et ses aptitudes

Pour représenter Médéa et ses environs, j'ai choisi la carte de Service géographique de l'armée de 1932 et non celle plus récente de 1950, car les couleurs de l'édition de 1932 font beaucoup mieux ressortir :
                    le plan, en rouge, des agglomérations ;
                    Les deux routes principales, RN 1 et RN 18 ;
                    La voie de chemin de fer.

La ville Médéa y est encadrée par les deux villages " jumeaux " de Lodi et de Damiette qui ont été créés en même temps, fin 1848, par des ouvriers parisiens ayant quitté Paris le même jour sur le même huitième convoi. En 1932 Médéa n'est entourée d'aucune banlieue ; mais en 1962 Lodi et Damiette étaient quasiment devenus des villages dortoirs pour les fonctionnaires des bureaux de Médéa.

Le découpage que j'ai choisi incorpore au nord, et le djebel Nador qui domine la ville, et les taches rouges du couvent de Thibarine dont j'aurai à reparler.

Carte de Service géographique de l'armée de 1932
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carte de Service géographique de l'armée de 1932

La région de Médéa est parfois qualifiée de plateau, et parfois de bassin. Ces deux termes sont à la fois acceptables et approximatifs. Le plateau, à 900m d'altitude, est entaillé de nombreux petits ravins, et le bassin n'est en fait que la gouttière élargie par endroits de la vallée de l'oued el Arch creusée dans le plateau, 3km plus au sud. L'oued el Arch se dirige vers l'ouest et se prolonge par l'oued el Harbil qui se jette dans le Chéliff un peu en aval du barrage du Ghrib.

Les altitudes qui oscillent entre 850 et 950m confèrent au climat méditerranéen de Médéa, un caractère montagnard qui est marqué par

     • des chutes de neige tous les hivers ; parfois abondantes et toujours suffisantes pour justifier la présence d'un chasse-neige dans le parc des Ponts et Chaussées
     • assez de journées froides et de gelées pour exclure du paysage les palmiers, et des cultures comme les agrumes
     • une pluviométrie assez forte, égale ou supérieure à 800mm,qui rend les paysages végétaux si verdoyants qu'il est fréquent de lire qu'on se croirait en Europe plutôt qu'en Afrique. Encore faudrait-il préciser dans quelle Europe : celle des moyennes montagnes aux printemps et aux étés assez chauds pour que les fruits et les raisins mûrissent parfaitement. Médéa est entourée de vergers et de vignes. Les premiers ont sûrement été plantés dès les années 1840, et pas seulement pour le vin de messe. Mais l'essor du vignoble commercial des vins VDQS a dû attendre la fin du siècle.

La ville n'a pas de banlieue, mais est entourée, au sud, par un grand nombre de mechtas desservies par des petits chemins disposés en étoile. Il serait abusif de parler de paysage de bocage ; mais il est permis d'y songer.

Même si des colons ont résidé à Médéa, même s'il y avait une cave coopérative, l'agriculture n'a pas été, ni au début, ni à la fin, la vocation principale de ce centre urbain. J'ai commencé par l'accessoire : voici l'essentiel. Médéa, c'est d'abord des casernes et des bureaux ; ensuite quelques services, quelques commerces et un soupçon d'artisanat. Une ville sans industrie donc, ce qui explique sans doute sa modeste croissance : 5128 habitants agglomérés en 1948. Le guide bleu qui donne le chiffre de 23 529 se trompe, confondant population municipale et population urbaine.

Médéa est une ville de garnison

Ce rôle est très ancien. Il est lié à la position stratégique de la région qui, à l'abri de la crête du Nador, permet de contrôler, et les pistes montant de la plaine, et celle conduisant à la vallée du Chélif. Médéa est l'une des trois villes que tout conquérant d'Alger doit posséder pour assurer sa tranquillité. La ville, sans être à l'emplacement d'un grand carrefour, est bien située sur la voie la plus courte d'Alger vers le sud. Ce centre est une place fortifiée depuis le Moyen-Age. La France n'a pas ajouté de nouvelles murailles à celles héritées des Mérinides et des Turcs (même si elles les a consolidées avant de les démolir, sauf au sud), mais elle a multiplié les bâtiments et les espaces militaires. La carte ci-dessous permet de mesurer l'étonnante extension de ces terrains avec sur l'oppidum fortifié tourné vers Lodi le quartier Camou et l'hôpital, et ailleurs le quartier Yusuf et le parc à fourrages.

Médéa était le siège d'une subdivision militaire et abrita jusqu'en 1958 le PC du premier régiment de spahis algériens. Ce corps, qui prit la suite des cavaliers turcs, fut créé par l'ordonnance royale du 7/12/1841 et scindé en trois régiments en 1845. Le Titteri hérita du premier régiment avec son colonel à Médéa et des escadrons dans d'autres villes. A l'origine le recrutement était purement indigène, sauf les officiers. Après 1875 les Français résidant en Algérie, jusque là dispensés du service militaire, purent y être incorporés pour un service d'un an seulement (contre un ou cinq ans pour les métropolitains selon le numéro tiré au sort). Le service ne devint obligatoire et égal pour tous les Français qu'à partir du 23/3/1905 pour une durée de deux ans, portée à trois ans en 1913.
Les spahis algériens avaient un burnous rouge ; les spahis marocains, créés plus tard, un burnous bleu.(voir)

Plan de Médéa
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Plan de Médéa

Médéa est une ville de fonctionnaires et assimilés
Il y avait ceux de la sous-préfecture à partir de 1859, puis de la préfecture fin 1956
Il y avait ceux de la justice avec juges, huissiers
Il y avait ceux de la sécurité ; policiers civils et gendarmes au statut militaire
Il y avait ceux des recettes des contributions et des domaines
Il y avait ceux de la trésorerie générale
Il y avait ceux des PTT
Il y avait ceux de l'hôpital
Si l'on ajoute quelques métiers non fonctionnaires mais tout de même très officiels et très contrôlés, comme les notaires, les clercs, les avoués et les banquiers, cela fait beaucoup de monde.

Sans oublier bien sûr les nombreux enseignants du primaire et du secondaire des écoles françaises et indigènes qui furent distinctes jusqu'à la " fusion " de leurs instituteurs en 1949. Comme j'en ai connu quatre, j'en profite pour apporter quelques informations valables pour les années 1940/1950.
J'ai habité l'école des garçons indigènes, j'ai été élève à l'école française, j'ai passé l'examen de sixième au collège et mes parents étaient amis avec la Directrice de l'école de filles indigènes.

     • L'école des garçons indigènes (on ne mélangeait alors filles et garçons, ni chez les musulmans, ni chez
vous reconnaîtrez aisément un des Medjadi à sa chéchia
les autres) était située rue Charpenay, juste en face du collège. La longue façade donnant sur la rue Charpenay avait deux niveaux avec salles de classe en bas et appartements de fonction à l'étage. En 1945 chaque logement avait son WC, mais pas de salle de bains. Pour se chauffer il y avait des cheminées où l'on pouvait brancher le tuyau d'un poêle Mirrus : donc pas de chauffage central, mais des bouillottes pour les plus frileux. Les classes s'alignaient sur trois côtés d'une cour centrale agrémentée d'un petit jardin entouré d'une clôture en bois. Le quatrième côté était occupé par un long préau bien utile pour les récréations des jours de pluie. En 1945 le Directeur était Monsieur Coutens qui venait de perdre une fille emportée par une épidémie de typhoïde : les antibiotiques n'étaient pas encore en usage. Parmi les instituteurs citons les Malleus, les Bouchet, les Lavallée, les frères Medjadji et Monsieur Verdier. Je dois beaucoup à cet instituteur car, bon violoniste (mariée à une pianiste) il dispensait des leçons de violon aux enfants des collègues désireux de parfaire l'éducation de leur progéniture. Sur la photo ci-contre vous reconnaîtrez aisément un des Medjadi à sa chéchia ; mais on ne peut voir son sarouel. On devine par contre un bout de la clôture du jardinet. Cette école était appelée indigène, non pas parce qu'elle n'accueillait que des élèves musulmans (ce qui était le cas) mais parce que tous ses maîtres appartenaient au cadre B.
     • L'école française est celle dont je fus l'élève. Cette école, inaugurée en 1925, était sur la route de la gare, un peu à l'écart du centre. Elle était dite française parce que tous les instituteurs appartenaient au cadre A.
Monsieur Brocard
Les élèves étaient européens et musulmans ; les musulmans appartenant sans doute à des familles qui utilisaient suffisamment le français chez elles pour que leur fils n'ait pas de difficulté à suivre un enseignement conçu dès le cours préparatoire pour des francophones. Le Directeur était Monsieur Viard en 1945 ; et parmi les instituteurs figuraient les Pioggi, Monsieur Causse et Monsieur Brocard qui tenait le CM 1. C'est le seul dont je possède une photo. La voici.
Pour parvenir à l'école de garçons il fallait longer l'école maternelle, puis l'école des filles. Les trois écoles étaient contiguës, mais les cours de récréation étaient séparées par un mur.Les bâtiments de l'école des garçons étaient en L. Ils dominaient la cour de quelques marches placées dans l'angle du L. Cette cour était en légère pente et ouvrait, en bas, sur un espace boisé sans aucune construction.Une haute grille en fer empêchait les évasions des " voleurs " poursuivis par les " gendarmes ", notre jeu préféré. Les autres jeux étaient surtout des jeux de lancer ; lancers de noyaux d'abricots en saison, de billes ou d'osselets n'importe quand. Les gagnants repartaient les poches pleines. Avec les noyaux et les billes les lancers étaient horizontaux, pour les osselets ils étaient verticaux. Devant les écoles poussaient d'immenses micocouliers dont les fruits, petits et noirs jonchaient le sol. C'était un vrai plaisir de les écraser car en s'aplatissant ils faisaient un petit bruit qui nous amusait.
     • L'école de filles indigènes était une école-ouvroir. Le bâtiment que j'ai connu, rue Combassive, était récent, inauguré, je crois en 1932. En 1945 sa Directrice était une bretonne, Mademoiselle Panaget. J'emprunte le texte qui suit à l'une de ses adjointes, mademoiselle Vignau, qui y a enseigné de 1932 à 1945.

A Médéa j'ai eu la joie d'inaugurer une école neuve. C'est dire que tout y était prévu pour un enseignement aussi efficace qu'agréable. La fréquentation scolaire, minime au départ, une vingtaine d'enfants, s'est améliorée pour devenir très bonne- plus de 50...

Nos élèves, en fin de scolarité primaire, étaient nanties d'un petit bagage intellectuel, mais aussi de connaissances leur permettant de tenir correctement un intérieur, ce que j'ai pu constater maintes fois, et d'élever leurs enfants dans de bonnes conditions…

De plus, les grandes filles recevaient un enseignement professionnel : tapis, broderie, dentelle arabe, leur permettant de gagner quelque argent en travaillant chez elles après leur scolarité. Nos maïtresses-ouvrières allaient à domicile leur porter ouvrages, conseils et rémunération… nos élèves se mariaient jeunes et ne travaillaient guère à l'extérieur.

A la fin de chaque année scolaire on exposait quelques ouvrages d'élèves qui étaient mis en vente. Les sommes recueillies servaient à acheter de la laine qui était tricotée pour vêtir gratuitement, par temps froid, les élèves les plus démunies. La photo ci-dessous a été prise en juin 1958. Elle représente des broderies des élèves de première année sur fond de tapis tissés par leurs aînées.

on exposait quelques ouvrages d'élèves qui étaient mis en vente
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Le collège, puis lycée Ben Cheneb a été créé assez tôt puisqu'il est signalé dans le dictionnaire des communes de Fillias qui est paru en 1878. Il porte d'ailleurs le nom de l'un de ses premiers élèves, Ben Cheneb, né en 1869. Depuis sa création il a sûrement changé d'adresse car le bâtiment à trois niveaux en face duquel se trouvait ma chambre est à l'évidence beaucoup plus récent. D'abord limité à la classe de troisième, le collège devint lycée en ajoutant une classe de seconde vers 1940 et les classes de première, puis de terminale après 1950. Cet établissement était mixte pour les externes ; mais l'internat n'était accessible qu'aux garçons. On y enseignait le latin, l'anglais, l'arabe dialectal (celui parlé en Algérie) et l'arabe littéraire. Quelques noms de professeurs des années 1945/1950 sont parvenus jusqu'à moi :Margaillan en math, Cheikh Abdi en arabe, Me Prudhomme en anglais, Laville en physique et Me Faye en sciences naturelles dont la salle de classe était en amphithéâtre. Les salles de classe donnaient sur une cour fermée qui ne possédait que deux accès : un grand portail à deux battants pour les élèves et à l'opposé une porte discrète pour le personnel. Le logement du principal (on disait du directeur) était au-dessus de cet accès dont on évitait de s'approcher sans nécessité à cause des aboiements hargneux des deux dobermans du locataire. Je note que ce lycée semble être resté le seul du Titteri jusqu'au bout. Bien sûr il y avait ailleurs des CCEG (Cours complémentaires d'enseignement général) où les meilleurs élèves pouvaient préparer les épreuves du Brevet Elémentaire, et même celles du concours des Ecoles Normales ; mais sans internat. Dans les CCEG on n'enseignait ni le latin, ni aucune langue vivante.

Le collège, puis lycée Ben Cheneb

Notule sur la raison d'être des cadres A et B

En 1865 lors de la création de l'Ecole Normale d'Alger (transférée à Bouzaréa en 1887) il était admis que la formation serait la même pour tous les instituteurs. Mais très vite la question de l'adaptation des programmes et de la formation des maîtres destinés à l'enseignement des enfants musulmans, fut posée.

La réponse tient dans les deux décrets que voici :

     • En 1883 ajout au cursus commun d'un " cours normal indigène " destiné à parfaire la formation des maîtres d'origine indigène
     • En 1891 ajout d'une " section spéciale " dite d'adaptation destinée aux Européens appelés à enseigner à des élèves musulmans non francophones. Ces futurs instituteurs devaient être initiés aux langues arabe et berbère, ainsi qu' à l'agriculture, au travail du bois et du fer, et à des rudiments de médecine (prévention du typhus et du trachome). Vaste (trop vaste)programme : l'enseignement le plus inefficace fut celui des langues arabe et berbère. La faute à qui ? Je ne dénoncerai personne.
     • En 1924 le cours normal et la section spéciale furent fusionnés sous le nom maintenu de section spéciale, ou de quatrième année.

Les instituteurs du cadre A sont ceux qui n'ont suivi que le cursus commun. Ils sont affectés dans des villes ou des villages de colonisation où résident de nombreux Européens. L'école est dite française.
Les instituteurs du cadre B sont ceux qui ont suivi les cours d'adaptation de la quatrième année. Leur premier poste est dans le bled ; dans des mechtas que l'on n'atteint, jusqu'aux années 1930, qu'à dos de mulet, sans commerçant, sans médecin, sans électricité le plus souvent. L'école est dite indigène.

Dès le début il fut clair que le statut de l'instituteur ne s'opposait pas au libre choix des familles pour l'inscription de leurs enfants. S'il est vrai que la présence d'élèves européens dans les écoles indigènes fut exceptionnelle, la présence d'élèves indigènes dans une école française fut la règle : en 1946 25,5% des élèves des écoles françaises étaient indigènes

Lorsque le décret du 19 février 1949 fusionna les cadres A et B, et donc aussi les écoles française et indigène, il ne faisait que généraliser une évolution entamée de longue date. On ajouta, pour les élèves non francophones une classe dite d'initiation (au français) qui leur permettait de combler leur handicap linguistique. En fin d'années les meilleurs entraient au cours élémentaire, les autres au cours préparatoire.


Résumé de la vie d'une couple d'instituteurs du cadre B

Ce couple est celui de mes parents. Leur exemple a le mérite de montrer :
              -     et les 2 voies d'accès au statut d'instituteur titulaire
              -     et le tropisme vers Alger dans la suite des affectations

     • Mon père fut élève à Bouzaréa dans la section spéciale
1er poste Beni Ferah dans l'Aurès à 2 ou 3 heures de mulet d'une gare
2è poste à Taourirt-Mimoun en Kabylie des Beni Yenni, à 1 h de l'arrêt du bus
3è poste à Médéa, à portée du collège (pour les enfants)
4è poste à Birkhadem (Alger) à portée de l'université et du conservatoire
     • Ma mère n'est pas normalienne. Elle avait le Brevet Elémentaire ; cela suffisait à condition qu'un normalien lui serve de tuteur pendant 1 ou 2 ans dans un poste du bled. Le tuteur fut son frère ; le poste fut Agouni Gueghane en Kabylie du Djurdjura. Après son mariage elle fut nommée à Taourirt-Mimoun.

Tous les collègues et amis de mes parents que j'ai connus à Médéa et à Alger ont suivi le même chemin : début dans un bled très isolé, fin dans le Grand Alger.

Pour accroître encore les mérites de l'Ecole Normale de Bouzaréa et de ses élèves, voici la photo d'une brochette d'élèves volontaires pour bénéficier, vers 1925, d'une initiation à la pratique d'un instrument de musique. L'efficacité de cet enseignement fut meilleure que celui de l'apprentissage de l'arabe ou du kabyle. Le violon est monté à Médéa, puis redescendu à Alger en 1945. Mais il n'a pas traversé la mer en 1962 : ce n'était pas un Stradivarius. Je ne sais pas qui étaient les professeurs : ce ne pouvait pas être le même qui pouvait maîtriser et transmettre la pratique de 5 instruments

une brochette d'élèves volontaires pour bénéficier, vers 1925, d'une initiation à la pratique d'un instrument de musique
Notule sur les écoles-ouvroirs pour les filles indigènes

A la fin du XIXè siècle la scolarisation des fillettes musulmanes ne progresse pas, les parents méfiants voyant plus d'inconvénients que d'avantages à instruire leurs filles. En 1892, pour 100 garçons indigènes scolarisés, il n'y avait pas même une fille.

Le décret du 18 octobre 1892 trouva, sinon la solution, du moins un moyen d'atténuer la méfiance des pères de famille. Il stipulait que dans les écoles de filles indigènes la moitié du temps scolaire serait consacré à des travaux pratiques, couture, broderie, dentelle, tissage de tissus et surtout de tapis. Les anciennes écoles de filles furent converties en " ouvroir " en 1900 et les nouvelles eurent toute leur ouvroir jusqu'en 1945. Le personne était formé d'institutrices et de maîtresses-ouvrières.

Ces écoles des filles furent considérées par les parents, d'abord comme des centres d'apprentissage, des écoles ménagères et artisanales avec, en complément, une formation scolaire classique élémentaire en français, lecture, écriture et calcul.


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