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       Le service de santé 
        des armées dans les Territoires du Sud algérien 
        (première partie) 
        André Savelli 
      L'UVRE humanitaire du service de santé 
        des armées, si vaste et si dense à travers le monde, sur 
        les cinq continents, et de façon continue pendant plus d'un siècle, 
        mériterait d'être mieux connue. 
         
        Je n'écrirai, ici, qu'une seule page de cette glorieuse épopée, 
        celle du service de santé dans les Territoires du Sud algérien 
        de 1900 à 1976. Je peux en témoigner pour y avoir participé 
        de 1953 à 1955. 
         
        En effet, après une thèse de doctorat en médecine 
        à Alger et un an d'application à l'hôpital du Val-de- 
        Grâce à Paris, ma première affectation fut le Sahara. 
        Toute la promotion partait en Indochine; une dizaine d'entre nous cependant 
        était détachée, hors cadre, au titre du ministère 
        de l'Intérieur, avec pour unique mission l'assistance médicale 
        aux populations sahariennes. En août 1953, je rejoignais mon poste, 
        l'oasis d'In Salah, 20 000 habitants, y compris les petites oasis périphériques 
        et les nomades, au coeur du Tidikelt, à 1 000 km au sud d'Alger. 
        Sahara, vastes horizons, mirages émouvants; immensité plate, 
        aride et fauve où nomadisent les pasteurs; rares îlots de 
        verdure - les oasis - où vivent et peinent leurs habitants, les 
        Harratin, à l'ombre des palmiers. Ceux qui y ont vécu assez 
        longtemps, officiers, médecins, enseignants, échappent, 
        par l'intérêt qu'ils portent à leurs recherches dans 
        ces contrées étranges, au " cafard " dû 
        au climat et à l'isolement.? 
      
        
          | Sahara, 
            vastes horizons, mirages émouvants; immensité plate, 
            aride et fauve où nomadisent les pasteurs; rares îlots 
            de verdure - les oasis - où vivent et peinent leurs habitants, 
            les Harratin, à l'ombre des palmiers. | 
         
       
      Ainsi, chez nombre d'entre eux, l'âme 
        s'exalte: c'est l'envoûtement du Sahara bien décrit par Charles 
        de Foucauld et porté à l'extrême chez Ernest Psichari. 
        Cet officier incroyant, neveu de Renan, pour qui le désert est 
        métaphysique, découvre sur cette terre mythique, la présence 
        divine. Si cette description et ce mysticisme peuvent faire rêver, 
        la réalité a une autre facette. 
        Avant l'arrivée des premiers pionniers français 
        descendus de l'Algérie vers la Croix du Sud, à travers des 
        étendues à peu près vides, les autochtones, sous-alimentés, 
        étaient continuellement victimes de la famine, des épidémies 
        et des pillards. Aucune nation civilisée ne s'était occupée 
        d'eux. 
      
        
          
             
              Edmond Sergent 
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        " Je formule le voeu, écrivait en 1958 le Dr Edmond 
        Sergent, membre de l'Institut, directeur de l'Institut Pasteur d'Algérie, 
        que l'oeuvre de science et de bienfaisance accomplie déjà, 
        si vaste, par les médecins militaires des Territoires du Sud, serve 
        de modèle aux médecins appelés à la poursuivre 
        ".C'est cette oeuvre d'assistance médicale que je décris 
        ci-dessous. 
      Organisation générale 
        de l'assistance médicale (A. M.) 
      Dès les premiers temps de l'installation 
        française en Algérie, vers 1832, et au fur et à mesure 
        de la pénétration de nos troupes, le commandement avait 
        le souci de faire assurer les soins aux autochtones dans ses formations 
        sanitaires, ambulances des colonnes mobiles et hôpitaux de campagne. 
         
        Cette pratique avait rencontré un grand succès auprès 
        des habitants. " Il n'est pas de fait plus solidement établi, 
        écrivait Lyautey, que l'efficacité du médecin 
        comme agent de pénétration, d'alliance et de pacification 
        ". On connaît son fameux télégramme à 
        Gallieni: " Si vous pouvez m'envoyer quatre médecins de 
        plus, je vous renvoie quatre compagnies ". 
         
        Aussi, lors de l'occupation du Sahara, après les combats d'In Salah 
        et d'In Rhar pour protéger la mission scientifique Flamand- Fein, 
        en 1900, le corps de santé a poursuivi son oeuvre d'assistance 
        médicale aux populations. 
      Direction 
      Avant 1918, les médecins militaires 
        détachés dans le grand Sud relevaient des divisions d'Alger, 
        Oran ou Constantine. 
         
        Le décret du 15 février 1918, retardé par la Grande 
        Guerre, crée une direction du service de santé des Territoires 
        du Sud, à Alger, dépendante à la fois du Gouvernement 
        général pour l'assistance médicale indigène 
        et du commandement pour le service médical des troupes. Le directeur 
        est chargé d'une mission permanente d'inspection et de contrôle, 
        de l'étude des questions d'hygiène et d'épidémiologie, 
        ainsi que de l'examen des projets de construction des établissements 
        sanitaires et de leurs équipements. 
      Les médecins 
      Les médecins sortent tous de l'École 
        du service de santé militaire de Lyon. Le plus souvent débutants, 
        à l'âge des enthousiasmes, ardents et avides d'impressions 
        nouvelles, au bon moral et de santé robuste, ces jeunes médecins 
        étaient bien préparés par une solide formation technique. 
        En effet, après la thèse, ils suivaient une période 
        d'application d'un an au Val de Grâce à Paris; cet enseignement, 
        très dense était agrémenté par l'octroi de 
        quelques places de médecin de théâtre. C'était 
        la fête! Puis départ pour Alger avec un temps d'adaptation 
        d'un mois, afin de se familiariser avec la pathologie locale. 
      
         
           
             
              Henry Foley 
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              Lucien Baudens 
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      Là, deux stages de perfectionnement 
        les attendaient: l'un, au laboratoire saharien de l'Institut Pasteur dirigé 
        par le Dr Henry Foley, ancien médecin militaire, pour remettre 
        à niveau leurs connaissances bactériologiques et parasitologiques 
        ; l'autre, à la Clinique ophtalmologique du Pr Larmande à 
        l'hôpital 
        universitaire Mustapha, pour y acquérir entre autres 
        la pratique d'interventions chirurgicales simples, trichiasis et cataractes 
        pour les plus doués. 
         
        À cet égard, il faut signaler que le premier titulaire de 
        la chaire d'ophtalmologie de la faculté de médecine d'Alger, 
        fut le Pr Cange, agrégé du Val de Grâce. 
         
        Rappelons aussi que la première école de médecine 
        d'Alger fut créée dès 1832 par Lucien Baudens, chirurgien 
        des armées, et initialement installée dans les jardins du 
        Dey, futur hôpital Maillot. Après une éclipse, à 
        l'instigation d'un élève de Baudens, le médecin colonel 
        Bertherand, elle redevint école de médecine en 1856, dépendante 
        de Montpellier jusqu'en 1909, date de son plein exercice, comme faculté. 
        Ces stages étaient complétés à l'hôpital 
        Maillot par des gardes de nuit à la maternité 
        et aussi par une formation stomatologique permettant les soins dentaires 
        simples, traitement des caries et extractions. Sur place, dans les oasis, 
        sans électricité pour la plupart, la roulette sera actionnée 
        par un tour à pied. 
         
        Cette préparation s'avérait indispensable pour ces médecins 
        qui seront isolés dans leur oasis, loin des grands centres techniques, 
        sans téléphone, ne pouvant compter que sur eux-mêmes. 
        Mon confrère le plus proche, à Aoulef, se trouvait à 
        trois heures de piste de tôle ondulée, six heures de pénible 
        tape-cul aller-retour ! 
         
        La durée du séjour des médecins, fixée à 
        deux ans, peut l'être à trois dans les zones climatiques 
        modérées comme Tamanrasset. Jamais au-delà, car il 
        était impossible de les faire bénéficier du moindre 
        congé de détente. Cette relève périodique 
        répétée a favorisé la réussite du service. 
         
        Arrivé en 1953 à In Salah, à 1000 km au sud d'Alger, 
        je peux attester cette continuité médicale depuis 1900. 
        Le nombre des médecins militaires s'est accru considérablement 
        : 20 en 1918, 31 en 1946, 42 en 1950 et 70 en 1960, tous hors cadre, affectés 
        aux soins des populations. 
      Les circonscriptions 
        médicales 
      Les circonscriptions médicales des 
        Territoires du Sud, 15 en 1918 et 35 en 1960, se répartissent entre 
        le département des Oasis et celui de la Saoura. Elles sont centrées 
        sur les établissements de l'assistance médicale, infirmeries 
        et formations secondaires. 
         
        Les infirmeries servent à la fois d'hôpitaux auxiliaires 
        et de dispensaires pour consultations. La première est créée 
        en 1905 à Beni Ounif par le médecin-major Henry Foley. Grand 
        seigneur, séducteur et travailleur acharné, il devint en 
        1918, le premier directeur du service de santé des Territoires 
        du Sud avant d'assurer la chefferie des laboratoires sahariens de l'Institut 
        Pasteur d'Alger de 1922 à 1956. 
         
        Quinze infirmeries existent en 1918, 23 en 1928, et à cette époque, 
        toutes dans des locaux préexistants, en pisé, éclairés 
        à la lampe à pétrole. Le développement croissant 
        des besoins oblige l'administration à réaliser un programme 
        de constructions en dur. Djelfa (1928-1929), Laghouat (1929-1930), Touggourt 
        et El-Goléa (1934), Colomb-Béchar et Fort Polignac (1936), 
        Tamanrasset (1937). Après les hostilités, Biskra et Kenadza 
        (1945), Guerrara dans le M'Zab (1946), Béni-Abbès (1948), 
        Ouargla et Adrar (1950), Djemaa, Tindouf et Timimoun en 1951. C'est dans 
        l'oasis rouge de Timimoun, qu'a exercé à cette époque 
        le médecin général Edmond Reboul quand il était 
        lieutenant. Lauréat de l'Académie française et de 
        l'Académie de médecine, son premier livre, Si Toubib (prix 
        Vérité 1958), relate la vie romancée d'un médecin 
        militaire au Sahara. 
         
        Puis sont construites les infirmeries d'Aoulef et Taghit (1952), Metlililes-Chambas 
        (1953), In Salah que j'ai inaugurée en 1954, Djanet (1956), Ghardaïa 
        et Berrian (1958). De plus à Laghouat, après un dispensaire 
        en 1949, sont créés un pavillon de chirurgie avec une maternité 
        en 1956, un pavillon de contagieux à Djelfa et une infirmerie - 
        hôpital de cent lits à El-Oued. Il existait en 1960, vingt-six 
        infirmeries dispensaires. 
        Le nombre de lits organisés dans ces établissements varie 
        d'une dizaine comme à In Salah à 130 à Djelfa. Il 
        compte, en 1960, plus d'un 
        millier de lits auxquels s'ajoutent ceux des hôpitaux militaires 
        de Colomb-Béchar (120) et d'Ouargla (80). 
         
        Ces infirmeries sont pourvues de matériel d'exploitation, d'ameublement 
        des plus modernes et d'un outillage technique de qualité avec salle 
        d'opération, maternité, pharmacie, laboratoire de microscopie; 
        vingt-cinq possèdent une installation radiologique. 
         
        Les formations secondaires, postes de secours ruraux ou dispensaires anti-ophtalmiques, 
        sont implantés dans les petites oasis satellites. Ils comportent 
        un local de consultations et souvent un petit logement pour les infirmiers 
        auxiliaires. Ces derniers donnent les soins courants entre les visites 
        médicales et servent d'agents de renseignement sanitaire en cas 
        de menace d'épidémie ou de malade intransportable. 
        J'ai le souvenir, à cet égard, de l'infirmier de la petite 
        oasis d'In Rhar, ayant couru 50 km pour me prévenir qu'un vieillard 
        semi-comateux n'urinait plus. À la réflexion, il devait 
        être plus jeune que moi aujourd'hui! Son ventre de femme enceinte 
        par distension vésicale, justifie la pose d'un cathéter 
        à travers la paroi abdominale pour vider lentement la vessie. Transport 
        à l'hôpital d'In Salah; impossible de passer une sonde. J'ai 
        dû opérer avec mon infirmier-chef au masque à éther 
        pour l'anesthésie, et le manuel de chirurgie opératoire 
        tenu devant mes yeux par une infirmière; je n'étais pas 
        fier! Grâce à Dieu et aux antibiotiques, ce patient guérit. 
        Dès lors, les consultations augmentèrent bien malgré 
        moi ! 
         
        Le nombre de ces dispensaires (les fameux biout el aïnin ou maisons 
        des yeux), dont l'importance est primordiale en matière de lutte 
        contre les affections oculaires et surtout le trachome, a été 
        multiplié : 25 en 1930, 51 en 1940; ils passent à 135 en 
        1958. Le personnel a progressé en qualité et en quantité. 
        Jusqu'en 1918, le médecin n'avait qu'un infirmier local, aidé 
        de quelques hommes de peine. 
         
        En 1930, on compte 24 infirmiers et un nombre variable d'auxiliaires, 
        6 soeurs blanches à Laghouat et 2 à Aïn Sefra. 
         
        En 1945 existent 246 personnels dont 135 soignants, et en 1960, 419 dont 
        13 sages-femmes, 2 assistantes médico-sociales, 41 infirmiers dont 
        27 soeurs blanches et 363 personnels communaux. 
      Le fonctionnement de 
        l'assistance médicale 
      Diversifié, ce fonctionnement permet 
        d'assurer : les consultations gratuites, les soins aux malades et blessés 
        dans les infirmeries, la prophylaxie contre les épidémies, 
        la protection maternelle et infantile, la surveillance médicale 
        des écoles, le service d'hygiène publique et les travaux 
        scientifiques. 
         
        Les consultations gratuites 
         
        90 à 95 % des autochtones, considérés comme indigents 
        (100 % dans l'oasis d'In Salah) apprécient le service des consultations 
        gratuites. Les chiffres, en hausse, se passent de commentaire si l'on 
        considère que la population atteint le million d'habitants grâce 
        à une démographie enfin positive. Le diagramme des examens 
        et des soins montre : 
         
        - En 1918 un chiffre de 128 643, 
        - En 1931 un chiffre de 468 735, 
        - En 1944 un chiffre de 1 813 723 
         
        En 1960, près de 3 000 000 de consultations et soins sont donnés 
        dans les divers établissements sanitaires. Les enfants prédominent 
        à 50 %, le pourcentage des hommes et femmes s'équilibre. 
         
        Depuis 1945, chaque médecin dispose d'un véhicule, vieille 
        jeep, puis Land-Rover ou 2 CV Citroën, ambulance Peugeot dans les 
        grands centres, en remplacement du cheval et du chameau. Des tournées 
        médicales de visites et vaccinations ont lieu en tribus régulièrement 
        et aussi au moment des rassemblements saisonniers des nomades. C'était 
        l'occasion de repas plus que frugaux chez les caïds, chefs de villages. 
        Assis en tailleur sur un vieux tapis à même le sable, nous 
        partagions un maigre couscous sans viande, un oeuf, quelques dattes et 
        du thé. Selon l'usage, nous nous efforcions avec le jeune officier 
        interprète qui m'accompagnait de remercier notre hôte en 
        émettant des rots au moins aussi sonores que les siens, suivis 
        d'un " ram'dullah " reconnaissant. À partir de 1951, 
        six camions équipés en dispensaires circulent dans les localités 
        dépourvues de poste de secours. 
      Service hospitalier 
      L'hospitalisation a été plus 
        difficile à faire rentrer dans les habitudes des populations, surtout 
        pour les femmes. Ne dépassant pas 1 000 en 1918, le chiffre des 
        hospitalisés avait à peine doublé en 20 ans. Dès 
        1941, grâce à l'augmentation marquée du personnel 
        féminin et des postes sanitaires secondaires, on va enregistrer 
        un mouvement de hausse ininterrompu, passant de 3 000 admissions en 1941 
        avec 55 000 journées de traitement à 15 000 admissions en 
        1960 et 245 000 journées. Mais il ne fallait pas s'étonner, 
        après chaque hospitalisation, de trouver le soir une partie de 
        la famille dans la chambre, campant à même le sol sur une 
        natte et participant à la nourriture de leur malade, autour d'un 
        kanoun (petit brasero de terre). Quelle ambiance, quelles odeurs épicées 
        dans ces chambres à trois lits ! 
      (À suivre) 
        o 
        L'HISTOIRE 
        DU SPAHI RAVIN 
         
        Jean-Pierre Duhard 
        " L'histoire du spahi Ravin " 
        biographie d'un spahi méhariste qui vécut la conquête 
        française du Sahara entre 1894 et 1907 
        Éditions Atlantica, 1 volume illustré, 236 pages, 26 €. 
        Conditions d'auteur aux Algérianistes : 22 € port compris. 
         
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