Médrissa, 1928-1935
les années difficiles

Serge Carles et l'Amicale des Médressiens

Extrait de la revue du Cercle algérianiste, n°101, mars 2003 avec l'autorisation de la direction de la revue "l'Algérianiste"

sur site le 19-03-2003

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-Lisant avec plaisir la monographie sur " Médrissa 1928-1962 ", nous pensons que ces quelques pages intéresseront nos lecteurs et, par la même occasion, prouveront que notre pays demandait beaucoup de travail et de sueur pour être ce qu'il était en 1962.
(Avec l'aimable autorisation de l'Amicale de Médrissa)

Médrissa, 1928-1935
les années difficiles
Serge Carles et l'Amicale des Médressiens

Médrissa rejoint la liste des villages déshérités du Sersou.
Les colons de la région demandent l'aide des pouvoirs publics, ils s'organisent, s'unissent, manifestent dans le département.


Le jeune village dépérit

L'euphorie des premiers mois passée, la récolte de la première année rentrée, les colons de Médrissa se trouvent tout à coup confrontés à la dure réalité. La terre ne leur a pas rendu ce qu'ils en attendaient!

Ce ne sont pas des nantis les petits colons de Médrissa, beaucoup se sont endettés pour tenter cette nouvelle expérience. Après le paiement obligatoire du quart de la concession, ils ont mis presque tout leur argent dans l'achat du matériel, du cheptel et la construction de leur maison. Leurs économies ont fondu. À la fin de l'été 1929, la plupart constatent qu'ils ont joué et perdu leur va-tout. Que leur reste-t-il, si ce n'est leur courage, leur ardeur au travail, un petit capital de matériel et de cheptel à conserver coûte que coûte ?

Ils vont, malgré tout, préparer leur terre aux semailles de l'automne, se disant que la récolte prochaine sera meilleure et les renflouera.
Hélas ! les craintes des administrateurs Lacave-Laplagne et Croizier se révélèrent justes. Malgré des situations de peuplement semestrielles qui se veulent rassurantes, Médrissa va rapidement se trouver, avec AïnKermès et d'autres villages du Sersou, dans la même situation " dépérissante " que connaissent les villages à peine plus vieux, d'AinDzarit et d'El-Ousseukh. Il suffit de lire les observations générales faites par l'administrateur concernant ElOusseukh en janvier 1929 et celles concernant Médrissa de juin 1929 à juillet 1935, pour constater que la situation de Médrissa évolue dans le mauvais sens.

À propos d'El-Ousseukh, créé six ans plus tôt, on lit:
----- Le développement du village est en régression constante par suite d'un climat décevant...

Pour Médrissa, qui se trouve à quelques kilomètres seulement, des observations alarmistes n'apparaîtront qu'en juillet 1933, cinq ans après la création :
----- Les exploitations n'ont pas atteint le degré de prospérité que l'on pouvait escompter...
----- Des acquéreurs ont délaissé leurs propriétés...

On cache pudiquement les déchéances de certains colons. Celles de M. Aceval, de M. Boujon, de M. Dumas qui est déchu par arrêté du gouvernement le ler juin 1932.

Quel crime a donc commis ce pauvre homme qui a investi tout son argent dans une concession, du matériel, des animaux..., qui a peut- être emprunté et qui a tout perdu?

J'ignore si quelqu'un peut se rappeler aujourd'hui les raisons de cette déchéance. Peut-être a-t-il failli à son devoir de résidence, ou bien n'a-t-il pas remboursé assez rapidement quelque créancier? Mais ce que j'ai souvent entendu dire par mon père, est que ce malheureux, ruiné et désespéré, s'est suicidé en se jetant à la mer du pont du bateau qui le ramenait en métropole.

Plusieurs colons de Médrissa se verront sanctionnés ou critiqués pour avoir fait de mauvaises récoltes. L'un d'eux sera déclaré sur les situations de peuplement, " colon peu sérieux " parce qu'il exploite, pour subsister, un commerce en parallèle; de la situation d'un autre, on constatera qu'il n'a plus son cheptel ou son matériel qu'il a dû vendre pour payer ses dettes; un troisième passe pour être " dans l'incapacité de réussir puisqu'il est sans ressources "; un autre enfin est considéré comme " colon très méritant et travailleur mais éprouvé par une mauvaise récolte ".

Les prêts de consolidation, La bataille pour les agrandissements

Fin 1932, trente-cinq colons de Médrissa sur quarante ont sollicité un prêt de consolidation, mais jusqu'en 1933 rien n'est vraiment fait pour ces colons " à bout de souffle " ou " criblés de dettes ". Le Gouvernement général a pourtant reconnu ses erreurs dès juin 1932; il a déclaré ne pas vouloir laisser végéter les agriculteurs qu'il vient d'installer sur les Hauts Plateaux. L'administrateur lui-même, écrit en juillet que les " exploitations n'ont pas atteint le degré de prospérité que l'on pouvait escompter ". Les créanciers, les huissiers se ruent chez les mauvais payeurs et leur enlèvent ce qui leur reste de matériel, de cheptel ou même de blé conservé en emblavure. Il est courant de lire dans la Situation de Peuplement que certains colons n'ont plus de matériel agricole, plus de cheptel. L'administrateur rapporte, selon l'autorité locale, que tel colon est dans une très mauvaise situation, tel autre dans une situation médiocre, etc... Dans le pire des cas, et si le colon a commis l'erreur d'exercer, contrairement à ses engagements, une profession secondaire, il n'hésite pas à proposer la déchéance.

Ce n'est qu'à la fin de l'année 1933 que les colons de Médrissa et d'AïnKermès, les plus en difficulté, sont " consolidés ". Une caisse de secours a enfin été mise en place pour leur venir en aide. En contrepartie, leurs biens sont sous séquestre. Mais les aides promises ne sont toujours pas versées fin janvier 1934.

Déçus, les colons d'Aïn-Kermès envoient un télégramme le 31 janvier 1934 à l'administrateur du Djebel Nador à Trézel, lui signalant qu'ils ont télégraphié au Gouverneur général pour demander " d'activer l'application séquestre étant sans ressources " et le " priant de venir en aide immédiatement ".

À leur instar, le 8 février 1934, certains colons de Médrissa signent une pétition adressée au préfet d'Oran et rédigée par M. Henri Huc, pour solliciter leur recasement dans un autre centre. Les signataires sont: MM. Henri Huc, Maurice Tournois, Albert Gimat et Antoine Casalta. Ce même jour, Médrissiens et Kermessiens envoient une délégation auprès du directeur du syndicat agricole à Tiaret " pour protester contre le non-paiement des mensualités qui leur sont dues depuis plusieurs mois ". Craignant des exactions, le commissaire de police les fait surveiller et se prépare à intervenir.

Le 23 février paraît daris La Tribune de l'Écho d'Oran une lettre ouverte adressée par vingt-huit colons d'Aïn-Kermès au président de la République. Ils réclament une aide immédiate en attendant la consolidation dont ils disent qu'elle " ne sera efficace qu'autant qu'on leur attribuera des lots d'agrandissement et même de recasement pour certains ".

Toute cette agitation n'empêche pas certains créanciers de poursuivre ceux qui leur doivent encore de l'argent. Par exemple, on lit que toute la récolte de M. Cardis a été saisie par la " Maison Citroën " en juillet 1934. En fait, ce colon étant considéré comme ne cultivant pas personnellement ses terres, ne reçoit pas d'aide de la Caisse de Consolidation. Il ne peut donc pas rembourser ses dettes.

Cette même année, apparaît le problème de la mévente des céréales. Encore une calamité de plus pour nos malheureux colons contre qui le sort s'acharne.

L'année 1934 s'achève sans qu'aucune mesure concrète n'ait vu le jour.

En janvier 1935, une liste est dressée pour Médrissa, par le préfet d'Oran, des demandeurs d'agrandissements (22 colons) et de ceux qui souhaitent être recasés (15 colons).

Au Gouvernement général, on commence à repérer les terres devant servir aux agrandissements des concessions de Médrissa et d'Ain- Kermès. Elles se trouvent sur les territoires de Tousnina, de Médroussa, des douars Djerad, Djedid, Bourenane et Ouled-Sidi-Khaled.

On constitue également des propriétés de recasement pour sept colons : Alphonse Chadès, Albert Gimat, Henri Huc, Lucien Teppet, Maurice Tournois, Louis Scheid et Antoine Casalta. Trois autres se sont retirés : Eugène Scheid, Léonard Coursac et René Gourdon.

Nous savons que, pour finir, aucun colon de Médrissa ne sera recasé, mais que tous obtiendront leurs agrandissements en 1938.

La grand'pitié de la colonisation
UNE LETTRE D'UN COLON DE MÉDRISSA

La lettre suivante a été adressée par un lecteur à Eugène Cruck, rédacteur à l'Écho d'Oran.

Médrissa, le 30 décembre 1932

C'est avec un grand intérêt que je viens de lire votre article du 28 décembre, intitulé: " Où est je médecin de colonisation du village de Médrissa? "

Je tiens personnellement à vous remercier pour l'intérêt que vous portez à notre pauvre et cher village.

Permettez-moi de me présenter: je suis d'une famille de Bourgogne et suis né à quelques kilomètres de Dijon, en 1898. Je suis venu m'installer ici, à Médrissa, à 29 ans, dans l'espoir, comme tous les autres colons, de pouvoir y vivre en travaillant honnêtement. Dans l'espace de cinq ans, j'ai englouti 67000 F d'argent liquide et contracté des dettes qui ont fait boule de neige et atteignent aujourd'hui, un chiffre énorme. Et à l'heure actuelle, impossible de travailler, pas de rations pour les animaux, pas d'argent.

Nous n'avons jamais vu le médecin de colonisation, comme huissier nous avons été saisis! Protêt, jugement, commandement tendant à saisie-brandon, saisie-brandon, reconnaissance du jugement, es souvent, pour 1500 F, avoir autant de frais. Et, quand même, travailler avec acharnement pour récolter 150 quintaux sur 50 hectares. Et maintenant comment manger ? Impossible d'avoir un peu d'argent; ma famille m'a envoyé 1000 F ces jours-ci pour que je puisse vivre; j'ai sept chevaux à vendre on m'a offert 70 F l'un! Quand il n'y aura plus de paille, ils seront condamnés à crever de faim! Au village, nous n'avons pas de légumes, pas même quelqu'un qui en vende, pas de boucher; et le plus triste, pas de boulanger Il faut aller chercher le pain à Frenda, faire 56 km, aller et retour; le kilo de pain nous revient à 9,30 F Et comment aller chercher nos comestibles ? Avec quoi ?

Nous n'avons pas de courrier; beaucoup de colons, pour des affaires urgentes, ont fait le trais Frenda-Médrissa à pied, même la nuit. Mais, me direz-vous, comment recevez-vous lettres et journato Eh bien, c'est un brave colon qui, malgré qu'il ait dépassé la quarantaine, avec un courage incroyable par tous les temps, fait tous les matins depuis bientôt cinq ans, 32 km à pied pour aller chercher le e postal. Il est obligé, souvent, d'attendre pendant des heures que le courrier d'Aïn-Kermès passe et lui remette. Et si le courrier est passé ? Attendre le soir que le courrier revienne... Et pendant ce tee journellement, jeunes ou vieux colons cherchent à droite, à gauche, une occasion pour descendre Frenda; s'il n'y en a pas, on part d'ici en carriole, à 2 heures du matin; comme les moyens ne per mettent pas de coucher à Frenda, l'on revient à la nuit, l'homme et la bête fourbus.

Eh bien, cher défenseur de notre pauvre centre, ne trouvez-vous pas que cet état de chose doit finir Si nous sommes dans un centre déshérité, nous sommes aussi des hommes, des contribuables, de, Français; pour ma part, sauf pendant la guerre, je n'ai jamais tant souffert moralement. Après avoir pendant quatre ans, servi dans un régiment de ligne qui a l'honneur de porter la fourragère rouge (152e, Gérardmer), être sentinelle à Médrissa et ne pas avoir le droit, bientôt, de manger du pain, c'est triste!

Que la voix de votre grand journal se fasse entendre pour nous; nous avons confiance en vous Médecin, courrier; eau pour les jardins, renflouement, agrandissement, pouvoir travailler et se repose tranquille; quel rêve!
Veuillez agréer; cher Monsieur; mes salutations empressées.

Maurice Tournois, Médrissa (Oran)

M. Ulysse Sauze, correspondant d'Oran-Matin, fait connaître par voie de presse, la situation désespérée du village. L'adjoint spécial, M. Léon Sauze et son conseiller municipal Louis Douzon, se battent pour obtenir des terres d'agrandissement.

La question des agrandissements (Oran-Matin du 24 juillet 1935)

Une pétition revêtue de 43 signatures vient d'être adressée à M. Saurin, député, pour activer cette question d'agrandissement vital pour le centre et nos colons, pionniers des Hauts Plateaux.

Leurs concessions de trop faible superficie ne peuvent pas leur assurer leur vie et la continuation de cette entreprise de colonisation, puisqu'ils ont dépensé leurs économies et fait des dettes (...)

Le Gouvernement général de l'Algérie l'a reconnu et leur est venu en aide par des moyens financiers tels que la consolidation, etc... Cela leur permet d'attendre, mais ne les guérit pas, au contraire.

Résultat: la colonie dépense de l'argent sans espoir de retour et les malheureux colons perdent tout espoir de relèvement et tout envahis par le découragement et le dégoût, ne voyant au bout de leurs peines, que le déshonneur de ne pas avoir pu tenir leurs engagements, et la misère définitive...