Mouzaïaville
extrait de " aux échos d'Alger, juin 2000, n°69 "
ici, le 2-6-2011

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Extrait du livre " Terres d'Afrique - Algérie et Sahara "
du Père Rager DUVOLLET- 70360 SCEY-SUR-SAONE


-----MOUZAIAVILLE, riante cité de la MITIDJA, a pris racine dans les fastes de la MAURÉTANIE romano berbère (d'après reportage de Jean Verchin, Journal d'ALGER, 26, 27, 28 juillet1960). 1053-1865, deux dates mémorables de l'histoire de MOUZAIVILLE, qui atteste un passé remontant à la grande époque romano berbère. Sauf sur le littoral où de modernes agglomérations se sont superposées à des ruines phéniciennes et latines, la MITIDJA ne voit prospérer que des villes ou des villages issus de notre civilisation française. MOUZAÏAVILLE fait exception à cette particularité. Les spécialistes de l'histoire de la Maurétanie Césaréenne ne sont pas entièrement d'accord sur le nom de cette importante cité. Son existence ne fait aucun doute; les ruines l'attestent, le recoupement des textes historiques également; mais les historiens ne se contentent pas de présomptions; il leur faut d'indiscutables preuves.Il apparaît pourtant, avec de fortes raisons d'y croire, que MOUZAIAVILLE se nommait autrefois: ELEPHANTARIA. Nom suggestif qui laisse soupçonner de grandes choses qui se sont perdues sous les injures du temps. Optons donc pour ELEPHANTARIA avec un minimum de risques de nous tromper.

Le premier essor

-----Les rares textes qui font état d'une cité de ce nom à l'endroit approximatif où se trouve MOUZAIA VILLE, parlent d'une agglomération importante et prospère à destination guerrière et agricole; elle devait faire partie du " limes " d'alors, c'est-à-dire du poste avancé vers le sud. De nombreuses ruines exhumées, particulièrement au cours des années dernières, où l'on se mit à effectuer des labours profonds, ont révélé un nombre important d'habitations rurales à usage agricole et il est fréquent en visitant les fermes françaises des environs de MOUZAIA VILLE de voir exposés des pierres ou des chapiteaux du premier ordre ainsi que des amphores à huile et des meules de moulins.
-----Le IIIè siècle de notre ère nous parait avoir été le point culminant de la foi chrétienne à ELEPHANTARIA. Cette foi s' affirmait avec une telle ardeur que les vandales, chrétiens aussi mais de rite aryen, durent exiler l'évêque. Malheureusement, si nous avons une inscription qui révèle qu'il fut assassiné en 493 par une incursion des Maures qui étaient descendus des montagnes avoisinantes, elle ne nous fait pas connaître le nom de ce saint et vaillant prélat; bien qu'il soit inexact d'attribuer au nom d'évêque le sens que nous lui donnons actuellement. Le nom de curé doyen nous paraît plus approprié.L'invasion arabe des BENNI HILLAL en 1053.On peut supposer que cette date ait été la fin de la grande prospérité d'ELEPHANTARIA et qu'elle dut survivre malaisément jusqu'à la date fatidique de 1053 où se produisit l'invasion arabe des BENI HILLAL qui, arrivant tout droit et affamés de leur ARABIE, pétrée originelle et désertique, rasèrent tout ce qui avait une apparence d'agglomération, décapitèrent le christianisme et ruinèrent toutes les édifications, y compris celles provenant des ARABES des invasions précédentes qui n'étaient que des passagers, au demeurant fort tolérants pour la religion du Christ, pourvu que ses adeptes consentissent à payer un léger impôt pour en exercer les rites en toute tranquillité.Donc, en 1053, ELEPHANTARIA plongea dans une thébaïde qui dura 800 ans.

MOUZAIAVILLE ressuscite ELEPHANTARIA

-----Après des siècles de néant MOUZAIA VILLE allait vivre sur les ruines d'ELEPHANTARIA. Mais, si les occupants s'étaient dilués dans la glèbe, celle-ci avait continué de vivre et contenait on son sein l'essence de moissons nouvelles. A la fin de la période byzantine, une végétation anarchique s'était épandue du pied de la montagne aux rives précieuses du lac HALLOULA. Et, suivant les étages, proliféraient des océans d'asphodèles, de jujubiers, de palmiers nains et de broussailles. Les affleurements de tuf mettaient leur tâche claire sur des verdoyances de printemps et ces fenaisons d'automne. Les pierres errantes constellaient le sol à l'infini.
-----Vers 1842, un timide essai de colonisation fut tenté et, sous la protection de la troupe, des émigrants venus de BLIDA s'installèrent dans cette géhenne. Les fièvres des marais eurent vite raison de la vingtaine de pauvres hères qui n'ayant rien à perdre, avaient résolu de tout gagner. Ils gagnèrent le cercueil rustique ou la malaria désagrégeante. Leurs noms n'ont même pas été retenus et leur sacrifice éphémère rejoignit celui de tant d'autres qui étaient venus avec eux pour tenter la fortune sur de nouveaux rivages. Paix à leurs cendres. Après quelques mois de répit, l'administration considéra qu'un essai malheureux ne prouvait pas que la chose fut impossible et de nouveaux héros prirent la place des morts à côté des fiévreux. Cette fois, on fit mieux les choses, un fossé délimita la nouvelle agglomération et sous leur protection on put y vivre des instants moins oppressants. Des baraques on bois remplacèrent les tentes militaires: une ordonnance du 22 décembre 1846 créa officiellement le centre de MOUZAIAVILLE sous le contrôle de l'autorité militaire. Le 16 août 1848, elle devint territoire civil. Si ces deux promotions ne changeaient pas grand-chose à la précarité de la condition des habitants, elles démontraient la volonté supérieure de persévérer.L 'an goissan t problème de l'eau
-----Défrichant avec l'aide d'une compagnie de Zouaves, les nouveaux colons allaient subir l'épreuve de la pénurie d'eau. Jusqu'en 1848, les puits creusés de ci de là avaient tant bien que mal suffi à l'alimentation générale. C'est à partir de cette date que les ressources on eau allèrent on s'amenuisant du fait d'années de plus on plus sèches. Même le grand puits qui se trouvait à la place de l'actuel Monument aux Morts ne fournit plus qu'une boue malsaine. Les familles à bout de courage allèrent se réfugier dans les colonies militaires. La situation était telle que le Préfet d'ALGER ordonna la construction immédiate d'un canal qui amènerait à MOUZAIAVILLE les eaux des oueds EL-HAAD et BEN-CHAOUCH. Ce travail, qui fut terminé on 1851, coûta la somme de 46.000 francs. Rassurés, les colons regagnèrent leurs foyers abandonnés et l'avenir leur apparut sous des couleurs moins sombres.

Ce n'est qu'à la fin de 1848, à la suite de l'arrivée du contingent de déportés dola révolution de juillet, que la population augmenta considérablement. Les 72 habitants initiaux se muèrent on 350 et en 1849, 130 ha étaient convenablement mis on valeur. Les logis avaient été améliorés et des toitures de diss avaient remplacé les planches disjointes. Pourtant certaines intempéries altérèrent ces constructions. Outre les méfaits du ciel et la maladie, il y avait les HADJOUTHS, des célèbres pillards qui hantaient la région et ne respectaient rien. Il fallait travailler dans les champs sous la protection de la 4' Compagnie du 1" Zouaves, dont les effectifs disponibles les aidaient aux travaux de défrichement.
-----L'opiniâtreté des efforts des colons fut connue on haut lieu et le 10 décembre 1840 le Préfet d'ALGER décerna un éloge officiel à la population de MOUZAIA VILLE où il magnifiait l'accord et l'énergie des habitants.
-----Nous avons relevé sur les registres la première naissance et le premier décès de MOUZAIA VILLE. Nous y avons lu que le 28 septembre 1848, M. FAIVRE Antoine faisant fonction d'officier d'état civil, le jeune Auguste, fils de M. Edmond BERTRAND, et de son épouse née Marie TRIBES, était né ce jour-là. Le 1e décembre de la même année, mme Maria KEIR, née en Hollande, était décédée à MOUZAIAVILLE à l'âge de 60 ans.
-----Sur ces mêmes registres nous relevons, aux mêmes époques, les noms de MM. BAILLY, SCHMITT-RAYMOND, GIRAUD, LJRRE, MORAND, MAGUJN, DIOTT, LIEBGOTT? AMILE, PERREAU, GABROT. Nombreux sont les anciens de MOUZAIA VILLE qui reconnaîtront dans cette courte énumération les noms de certains de leurs ancêtres. Dans les tous premiers nous avons cité le nom de M. RONCHAUD. Il s'agit de l'arrière grand-père du président du Tribunal civil de BLIDA, magnifique titre de noblesse dont il peut s'enorgueillir.
-----Sitôt après la construction du canal salvateur, le génie blidéen construisit des maisons on dur selon une architecture aussi solide que dénuée de fioritures: rez-de-chaussée recouvert de tuiles rondes. La peinture des portes et des fenêtres était d'un brun uniforme et ce n'est que vers 1860 que les habitants furent autorisés à peindre aux couleurs de leur gré: conquête qui nécessita autant d'opiniâtreté que celle qu'ils avaient développée sur les barricades du Faubourg St-Antoine et qui leur avaient valu d'être les artisans de notre épopée africaine.
-----La population ne cessait de s'accroître et, on 1855, MOUZAIAVILLE comptait 578 habitants, le nombre d'hectares cultivés atteignait 800 et la culture du tabac couvrait une dizaine d'hectares.
Avec l'amélioration de l'habitat, la mortalité du début diminua considérablement et, de 13 % on 1849, elle tomba à 5 % en 1852.
Le 31 décembre 1856, le village fut érigé on commune de plein exercice avec trois sections: EL-AFFROUN, BOU-ROUMI et LA CHIFFA.
-----En 1857 surgirent de terre l'église St-Athanase qui fut consacrée le 22juin, tandis qu'une école pour 60 élèves était ouverte on présence du Préfet d'ALGER.
-----Et les jours s'écoulaient entre le labeur et les petites joies qu'il procure. Il semblait que dans un ciel clair, l'avenir était écrit on lettres roses. Mais le destin et ses insondables mystères y veillaient.

Détruite par le séisme de 1867

-----La nuit du 1er au 2janvier 1867 s'achevait dans un lourd sommeil qui suit les journées de liesse, car nombreux étaient ceux qui avaient célébré l'entrée dans une année que l'on désirait bénéfique. L'aube venait de naître, il était 7h15, lorsque le village se mit à osciller comme un navire sur une mer inclémente. La population affolée se rua hors des maisons dont les poutres craquaient: les tuiles rondes pleuvaient dans la rue avec un bruit de vaisselle, et les murs se lézardaient.
-----Les secours s'organisèrent sous la pluie battante. A 9h35, le sol parut se stabiliser progressivement et les habitants regagnèrent leurs demeures délabrées. Hélas ce n'était qu'une trêve. Vers i h du matin, alors que beaucoup s'étaient assoupis, une forte secousse rejeta dans la rue la population apeurée. Quelques minutes après, un ébranlement d'une extrême violence coucha sur le sol tout ce qui tenait encore debout. Cinquante personnes qui s'étaient attardées dans leurs maisons payèrent de leur vie cet acte de témérité. Il ne restait de MOUZAIAVILLE qu'un monceau de décombres. Le même jour, à la même heure, BLIDA était détruite à 65 %.
-----Après le compréhensible désarroi causé par ce cataclysme qui annihilait des efforts parfois inhumains, la vie reprit ses droits et, avec le secours du génie blidéen et des troupes envoyées sur place pour le déblaiement des décombres, l'activité de tous les jours recommença de régner. En 1869, il ne restait plus aucune trace du séisme, et la terre continua de tenir ses promesses.
-----En 1871, il y eut encore une épreuve pour MOUZAIA VILLE : la canalisation d'arrivée d'eau, infestée par les serpents et les crapauds, fournit une eau malsaine; la maladie s'abattit à nouveau sur le village et fit des coupes sombres dans la population.

Nous ne citerons que pour mémoire les invasions de sauterelles de 1859, 1862, 1874, 1883. Pour mémoire aussi, les épidémies de choléra de 1860 et 1863; épreuves douloureuses, mais passagères, qui ne firent pas faiblir la volonté des habitants de faire de cette terre écartelée, une oasis triomphante. Les hommes un instant surpris, reprenaient le mancheron de la charrue et MOUZAIA VILLE repartait crânement vers son destin.

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Tous ceux, et ils sont légion, qui passent par MOUZAIAVILLE ont remarqué cette cité coquette et bien tracée, deux fois détruite au cours de notre ère. Si la première fois fut suivie d'un long assoupissement, la fois dernière elle se redressa très rapidement dans l'ambiance créatrice de la paix française. Elle a continué d'emprunter d'un pied sûr la route tracée par les pionniers de 1842.

ELEPHANTARIA renaît dans MOUZAIA VILLE après des siècles d'obscurité.Un mur d'enceinte remplaça en 1848 le fossé primitif: ceci fut fait sur l'ordre de M. BOSELLI, directeur des Affaires Civiles du moment. Dans ces limites vivaient assez médiocrement 72 habitants. Parmi ceux-ci nous avons relevé les noms de MM. RABEY, MIRAVAL, BELLON, MEYNET, KLENE, NICOLET, ENGEL, MASSAU, RONCHAUD. Ils venaient du Dauphiné, d'Auvergne, d'Alsace et de Franche-Comté.