Musée National des Beaux-Arts, le Hamma, Alger
sanctuaire de l'Art français en Algérie
devenu, en quelques années, un grand centre de culture et d'enseignement.

...Car il est évident que, sans l'inlassable dévouement de ses premiers conservateurs, (MM. J.-B. Brunot, Charles de Galland et Fritz Muller) le Musée d'Alger n'aurait jamais pu se développer ni remplir, avec autant d'éclat, la noble mission qui lui fut confiée de 1908 à 1928...
Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, avril 1950. Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot, Alger
sur site le 24-11-2004
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---------Lorsque j'étais enfant, j'apportais un soin tout particulier à l'organisation de mes loisirs. Le jeudi, j'allais au cinéma où, grâce à la généreuse complicité d'une marque de chocolat, je pouvais m'offrir à très bon compte un spectacle dont les facéties de Max Linder et les premiers films de cow-boys constituaient le principal programme. Mais le dimanche, je n'aurais pour rien au monde renoncé à ma promenade habituelle, qui empruntait d'abord les quais du port d'Alger, pour se terminer, le plus souvent, au musée municipal des Beaux-arts.
---------J'aimais la mer, les bateaux. J'aurais bien volontiers passé et le jour et la nuit à déambuler dans l'enchevêtrement des amarres, à respirer l'odeur du goudron et des huiles lourdes, à rêver aussi d'évasion et d'aventures devant ces noms obsédants Bilbao, Gênes, Yokohama... Mais si j'acceptais d'écourter mes joies personnelles et de consacrer la fin de mon après-midi à la visite du " musée ", c'est que mon père éprouvait une visible satisfaction à parcourir ses galeries et que je m'en serais voulu de le priver de ce plaisir raffiné.http://alger-roi.fr par B.Venis. Je dois avouer, d'ailleurs, que mes sentiments n'étaient pas tout à fait désintéressés. Il y avait, en effet, au " musée " deux mystérieuses momies égyptiennes qui suggéraient à ma jeune imagination des idées assez étranges mais aimablement romanesques. Ce sont elles qui me firent adopter de bonne heure Théophile Gautier. Et c'est à elles sans doute que je dois de pouvoir évoquer aujourd'hui, sans
trop de défaillance, les aspects essentiels de ce bon vieux musée algérois qu'on avait essayé de rendre coquet malgré l'austérité du bâtiment militaire qui lui servait d'abri. Je revois parfaitement, en effet, ses murs gris, son rez-de-chaussée et le plancher poussiéreux de ses deux étages où, la nuit venue, des rats de taille fort respectable se donnaient, paraît-il, de joyeux rendez-vous. Et lorsque je pense que, pendant vingt ans, des chefs-d'œuvre authentiques et toujours plus nombreux ont séjourné dans ce local de fortune sans subir le moindre dégât, je ne puis m'empêcher de rendre un discret hommage d'admiration à ceux qui ont permis la réalisation de ce véritable miracle.

---------Car il est évident que, sans l'inlassable dévouement de ses premiers conservateurs, (MM. J.-B. Brunot, Charles de Galland et Fritz Muller) le Musée d'Alger n'aurait jamais pu se développer ni remplir, avec autant d'éclat, la noble mission qui lui fut confiée de 1908 à 1928.


COMMENT EST NÉ LE MUSÉE NATIONAL BEAUX-ARTS D'ALGER

---------Ainsi donc le résultat de cette première tentative décentralisation artistique justifiait pleinement les suggestions que la " Société des Artistes algériens et orientalistes " avait émises dès le début du siècle, en même temps qu'il ouvrait la voie à des conceptions plus hardies mais, aussi, plus rationnelles.
---------En 1906 déjà, dans un rapport adressé au Gouverneur
général et publié par le journal " Akhbar ", mr. Arsène Alexandre avait proposé de construire un musée de peinture et de sculpture dans une partie des jardins qui dépendaient du Palais d'Été.
---------Mais ce projet, jugé trop audacieux à l'époque, n'eut aucune suite, et ce n'est qu'en 1927 que, grâce à une heureuse intervention de M. le professeur Jean Alazard, l'idée de transformer le musée d'Alger fut enfin retenue.
---------Dès cet instant, les choses allèrent assez vite puisque trois ans plus tard, le 5 mai 1930 très exactement le nouveau Musée - qui, de municipal, devenait national - était officiellement inauguré par le Président de la République, M. Gaston Doumergue.
---------Ses plans, comme le choix de son emplacement, furent l'objet d'une étude minutieuse où le grand talent de M. Paul Guion trouva l'occasion de s'exprimer de la façon la plus brillante. .http://alger-roi.fr par B.Venis.Adossé au fond de verdure du bois des Arcades et terminant avec élégance le jardin à la française du Hamma, le Musée National des Beaux-arts d'Alger se distingue, en effet, par la parfaite harmonie de ses lignes et l'imposante noblesse qui se dégage de son ensemble architectural. Mais ce monument, si séduisant d'aspect, offre encore ceci de particulier qu'il a été conçu dans un style dont le principe repose sur les plus récentes données de la technique muséographique. C'est ainsi, par exemple, que les galeries d'exposition bénéficient d'un très bel éclairage et que les plafonds, à la fois imperméables et incombustibles, sont inclinés pour permettre une meilleure diffusion de la lumière et faciliter l'aération naturelle des salles.
---------Ce qui frappe, enfin, le visiteur, c'est la parfaite unité de décor qui règne dans ce musée modèle auquel le peintre Louis Fernez a su imprimer un cachet à la fois discret mais plein de charme.

UNE MAGNIFIQUE RÉALISATION,

---------Un tel cadre ne pouvait que mettre davantage en valeur les collections rassemblées par M. le professeur Alazard, dont le nom restera étroitement attaché à l'histoire du Musée national des Beaux-Arts d'Alger qu'il dirige depuis sa création, toute la foi d'un apôtre et la précieuse compétence maître éclairé.

Galerie d'exposition des bronzes
Galerie d'exposition des bronzes


---------Sans doute, les toiles de l'ancien musée municipal ont-elles d'abord constitué l'essentiel de ces collections. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Mais de nouvelles acquisitions permirent bientôt au conservateur de réaliser, dans une très large mesure, le programme qu'il s'était tracé, programme dont il nous a lui-même résumé les grandes lignes dans l'un de ses ouvrages : " À un pays jeune, il fallait un art jeune. Il était impossible de chercher à constituer une collection oeuvres du XVIè, du XVIIè et du XVIIIè siècles. Tout au plus pouvait-on donner, par quelques exemples bien choisis, l'idée de ce que fut l'art français avant le XIXè siècle ; mais c'était, bien évidemment, au XIXè et au XXè qu'il fallait se consacrer tout particulièrement ".
---------Et c'est probablement grâce à ces conceptions que l'on peut étudier au Musée d'Alger, mieux qu'ailleurs, ces trois chapitres de l'histoire de l'art : l'évolution de l'orientalisme, la peinture impressionniste et post-impressionniste et la sculpture française depuis Rodin. On y trouve, en effet, quelques toiles comptant parmi les plus caractéristiques de Delacroix, Decamps, Fromentin, Dehodencq, Chataud et Guillaumet, ainsi que des œuvres d'Albert Lebourg et des esquisses de Renoir qui rappellent, par leur vivacité et la chaleur de leurs tons, les meilleures études de Delacroix. Je n'ai certes pas l'intention d'énumérer ici tous les tableaux de valeur que recèle le Musée du Hamma. Il me paraît utile, cependant, de préciser que la plupart des orientalistes connus y figurent en bonne place, qu'il s'agisse d'Étienne Dinet, de Besnard, d'Edouard Herzig, de P. E. Dubois ou des anciens élèves de la villa Abd-elTif, et qu'à côté des œuvres maîtresses de l'école française du XIXe siècle - " Le Vieux-Port ", de Courbet, " Les Rochers de Belle-Isle ", de Claude Monet, " Les Meules ", de Guillaumin, etc... - figurent sur la cimaise des toiles de Puvis de Chavannes, Fantin-Latour, Pissaro, Vlaminck, Marquet, Utrillo et Henri Matisse.

Une des galeries d'exposition des peintures
Une des galeries d'exposition des peintures


---------Mais, bien que les salles de peinture du Musée, d'Alger soient d'un intérêt incontestable, c'est encore sa galerie de sculptures qui en constitue la grande attraction : " On trouverait difficilement en France, a écrit Paul Fierens à son sujet, l'équivalent de cette collection où les bronzes les plus vigoureux, les plus souples, les figures les plus hardies, les bustes les plus expressifs de Rodin, Bourdelle, Maillol, Despiau, Drivier, Jeanne Poupelet, Joseph Bernard, Pommier, Poisson, Wlérick, Niclause-Gimond, André Greck, ou Belmondo sont présentés dans l'ordre le plus impressionnant et dans la lumière la plus flatteuse ".

--------Cette appréciation ne fait que traduire avec exactitude l'impression qu'on ressent d'instinct dès qu'on pénètre dans la galerie de sculpture du Musée et, un peu plus tard, dans la non moins admirable galerie des moulages dont les pièces principales proviennent de l'ancien Trocadéro, du Louvre et même de certains musées étrangers, tel, entre autres, ce " Torse de paysan flamand " que les spécialistes considèrent généralement comme l' oeuvre capitale de George Minne.-
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Des dessins de sculpteurs, des gravures modernes allant de Toulouse-Lautrec à Picasso, des céramiques de
Lenoble et de Decœur, des médailles et de nombreux documents de caractère historique complètent cet ensemble dont la rapide description que je viens d'en faire suffit, sans doute, à souligner l'incomparable valeur.
---------Je voudrais vous parler également de la bibliothèque. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Mais cette étonnante réalisation, où le génie de l'architecte et le goût délicat du décorateur ont su si bien s'associer, mériterait à elle seule une étude détaillée qui dépasserait largement le cadre de cet article. Elle ne fait, en tout cas, qu'augmenter encore l' attrait d'un établissement que sa conception technique et le prix exceptionnel de ses magnifiques collections ont déjà classé parmi les plus beaux musées de France.


Une partie de la bibliothèque du musée

NAISSANCE ET AVENIR DE " L'ÉCOLE D'ALGER "

---------Il était logique, d'ailleurs, que ce véritable sanctuaire de l'art français fût construit à Alger. Et M. le professeur Alazard (Doyen de la Faculté des Lettres d'Alger où il enseigne, depuis de nombreuses années, l'histoire de l'art.) se chargera de justifier cette opinion lorsqu'il me dira, au cours de l'entretien qu'il me fera l'honneur de m'accorder:
---------- C'est d'Alger qu'est parti cet élan d'enthousiasme qui devait directement conduire à la création d'une école dont personne, aujourd'hui, ne saurait contester l'autorité : " l'école algérienne " ou, mieux encore, " l'école d'Alger ". La naissance de ce mouvement remonte à 1832, époque à laquelle Delacroix entreprit son fameux voyage en Algérie et au Maroc. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Certes, Delacroix ne passa que trois jours à Alger, mais trois jours qui furent capitaux puisqu'il en est sorti d'incomparables chefs - oeuvre. Après Delacroix, ce fut Chasseriau, et puis Renoir et, enfin, toute une pléiade de peintres dont le talent s'est affermi au contact des possibilités nouvelles que leur offrait le pays. Le premier, le Gouverneur général Jonnart comprit qu'il était indispensable et urgent de rendre plus effective cette participation de l'Algérie à la peinture française et il créa, en 1908, la villa Abd-el-Tif. Cette institution a joué un grand rôle-dans l'évolution de l'art en Algérie, puisque plusieurs pensionnaires s'y sont fixés, et que même ceux qui sont retournés dans la Métropole ont

Une des galeries d'exposition des sculptures
Une des galeries d'exposition des sculptures

continué à peindre des thèmes " orientalistes ". Mais si l'Algérie possédait des musées archéologiques, par contre elle ne disposait encore d'aucun musée des Beaux-Arts, en dehors du modeste musée municipal d'Alger. C'est le Centenaire qui a permis d'inaugurer la politique des musées des Beaux-Arts à laquelle, dans la suite, le Gouvernement général a porté toute son attention. C'est, en effet, en 1930 qu'on a construit le Musée national des Beaux Arts d'Alger auquel sont venus bientôt s'ajouter les musées municipaux d'Oran et de Constantine. Puis, sur les fonds du Centenaire et grâce à la bienveillante compréhension des différentes Assemblées algériennes, on a commencé à faire quelques achats importants qui ont permis d'organiser à Alger un musée d'art français comportant notamment une galerie de sculpture et une collection de peintures allant du XVè siècle à l'époque contemporaine. Les musées d'Oran et de Constantine n'ont pas été oubliés. On y a constitué une première collection oeuvres d'art surtout contemporaines mais, depuis lors, ces collections ont augmenté en importance. C'est ainsi que, cette année même, il a été possible de mettre en dépôt, tant à Oran qu'à Constantine, une quinzaine de toiles de valeur.
---------" Ces musées, surtout celui d'Alger, sont de véritables centres de culture et ils contribuent efficacement à développer le goût dans ce pays. À Oran, par exemple, il s'est constitué des collections particulières vraiment intéressantes, tandis qu'à Alger, on peut voir aujourd'hui des amateurs pleins de dynamisme suivre l'exemple de M. Meley, ce mécène de la première heure. Je pense ici à Mme et M. Frédéric Lung dont la remarquable collection compte sans doute parmi les plus belles qui soient en France.
---------" Le goût se développe aussi dans le public fréquente nos musées. Les étudiants y viennent de plus en plus volontiers, et il faut souhaiter qu'ils soient, les uns et les autres, d'excellents laboratoires pour les élèves des Beaux-Arts désireux de se parfaire dans leur technique.
---------" Ce qu'il est utile d'encourager également, ce sont toutes ces expositions officielles qui s'organisent un peu partout en Algérie et dont la mission ne doit échapper à personne. En 1949, par exemple, les expositions consacrées à Marquet et à La Patellière, dans le cadre du musée d'Alger, ont eu d'heureux résultats tandis que " l'exposition artistique de l'Afrique française ", qui s'est tenue à Oran, n'a pas manqué de susciter dans cette ville un très vif mouvement d'intérêt. .http://alger-roi.fr par B.Venis.De son côté, Constantine a mis sur pied des expositions d'un bon enseignement et il serait utile que cette politique des musées des Beaux-Arts, à laquelle s'attache le Gouvernement général et, plus spécialement, la Direction de l'Intérieur et des Beaux-Arts, porte tous ses fruits et que d'autres villes algériennes - en particulier Bône, Tlemcen, Bougie et Philippeville - suivent au plus tôt l'exemple d'Oran et de Constantine en créant, à leur tour, des musées municipaux. Bougie serait prête à montrer l'exemple. Quant à Philippeville, il y aurait peu à faire. Cette coquette cité se trouve avoir, en effet, dans les locaux de la mairie, un certain nombre de toiles intéressantes qui devraient lui permettre de constituer très rapidement un charmant musée d'art contemporain ".
---------Et M. le professeur Alazard a conclu
---------" Car tout ce qui est fait pour la culture artistique est fait pour la culture en général, et le développement des musées doit aller de pair avec celui des établissements d'enseignement ".

Michel LUZY.