Notre Dame d'Afrique
Le rôle méconnu des Prémontrés dans la construction de Notre-Dame d'Afrique
extraits du numéro 115 , septembre 2006, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

30-8-2011

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Le rôle méconnu des Prémontrés dans la construction de Notre-Dame d'Afrique
par Jean-Claude Xuereb

notre dame d'afrique

L' IMAGE de l'imposante basilique de Notre-Dame d'Afrique reste indissolublement liée dans nos mémoires à la grande figure du
cardinal Lavigerie, dont la statue se dresse toujours à quelques mètres du sanctuaire, sur l'esplanade qui surplombe le cimetière de Saint-Eugène et ouvre largement le regard vers l'ovale caressant de la baie d'Alger.

Sa candidature ayant été soutenue par le maréchal de Mac-Mahon, alors gouverneur général de l'Algérie, Mgr Lavigerie, seulement âgé de 42 ans, quitte l'évêché de Nancy pour venir occuper en 1867 le siège épiscopal d'Alger, récemment promu au rang d'archevêché. Se référant au lointain héritage de saint Augustin, il nourrit le projet de rechristianiser la population de l'ex-Afrique romaine. Mais il devra très vite, après quelques conversions ou baptêmes, renoncer à une telle prétention, source de frictions avec les autorités civiles et militaires et d'oppositions indignées de la part des musulmans. C'est Mu Lavigerie qui, promu cardinal en 1882, prônera en 1890, à la demande du pape Léon XIII, le ralliement de l'Église à la République, dans un fameux toast prononcé lors d'une réception à Alger.

Un pan entier de l'histoire Notre-Dame d'Afrique serait demeuré dans l'oubli si ancien abbé général en Prémontrés, Norbert Calmels n'avait récemment exhumé, des archives une masse de documents qui établissent e rôle déterminant joué à Notre-Dame d'Afrique par les Prémontrés de Saint-Michel de-Frigolet.

Compte tenu de sa forte personnalité et du rôle éminent qu'il a joué dans les relations entre la France et le Saint-Siège, Mgr Lavigerie a quelque peu éclipsé le souvenir des prélats qui l'ont précédé à Alger et de ceux qui l'y ont accompagné dans son action. " A lui seul il vaut un corps d'armée ", disait de lui Gambetta. C'est pourtant son prédécesseur immédiat, Mgr Pavy, qui a fait ramener la statue en fonte devenue la Vierge Noire de Notre-Dame d'Afrique. Cette statue avait été provisoirement placée dans une petite grotte voisine, sous la garde de deux tertiaires franciscaines venues de Notre-Dame de Fourvières. C'est aussi Mu Pavy qui, ayant recueilli 30000 F de dons, entreprend l'édification du sanctuaire que nous connaissons.

Cependant un pan entier de l'histoire de Notre-Dame d'Afrique serait demeuré dans l'oubli si un ancien abbé général des Prémontrés, Norbert Calmels n'avait récemment exhumé des archives une masse de documents qui établissent le rôle déterminant joué à Notre-Dame d'Afrique par les Prémontrés de Saint-Michel-de-Frigolet. Vers le milieu du >axe siècle, le père Edmond Boulbon avait entrepris de restaurer l'Ordre hospitalier de saint Norbert. Il était parvenu à regrouper entre 1858 et 1867, plus de 40 religieux à Frigolet. Ayant eu vent de cette réussite, Mgr Lavigerie propose dans les mois qui suivent sa propre installation à Alger, au père Edmond Boulbon, d'y établir un prieuré de chanoines réguliers. Il visite Frigolet le 28 septembre 1867 et début novembre de la même année, le père Boulbon se rend sur les lieux à Alger. Ils rédigent ensemble un projet de contrat qui a été conservé, afin de concrétiser leur accord. Fin janvier 1868, douze religieux des Prémontrés sont accueillis à Notre-Dame d'Afrique par l'archevêque qui leur confie la mission d'achever la construction entreprise par Mu Pavy.

Ils continuent les travaux de construction de la chapelle, y installent notamment les vitraux et un pavement de marbre blanc, le choeur étant garni de quarante-cinq stalles. Ils commencent la construction du monastère proche du sanctuaire. En même temps que bâtisseurs, ils deviennent agriculteurs sur les terres voisines où ils créent un jardin potager, plantent des pommesde terre, de la vigne et des arbres et sèment du blé. En octobre 1868, d'imposantes cérémonies ont lieu au cours desquelles l'archevêque d'Alger et les
évêques d'Oran et de Constantine venus se joindre à lui, consacrent les autels, et donnent la bénédiction au clergé et à la foule agenouillée.

À cette même époque, épidémie de choléra et destruction des récoltes due à une invasion de sauterelles provoquent dans le bled une terrible famine. Cent mille musulmans meurent en six mois. Grâce aux aides venues de France, mais aussi d'Amérique, d'Angleterre, d'Espagne, de Belgique, Mgr Lavigerie accueille quelque 1800 personnes, surtout des enfants orphelins dont certains seront baptisés. Les Prémontrés en reçoivent une centaine.

Cependant Mgr Lavigerie et le père Boulbon, tous deux dotés d'une forte personnalité, ne tardent pas à se heurter. Un premier différend surgit à propos de la répartition des produits de la quête entre l'Archevêché et Notre-Dame d'Afrique. Des missives de plus en plus péremptoires et violentes s'échangent, même si elles sont enrobées des formules traditionnelles de l'onction ecclésiastique. Il s'agit en réalité des premières péripéties d'un conflit de pouvoir entre l'archevêque d'Alger et le prieur de Frigolet, chacun d'eux entendant exercer une autorité exclusive et sans partage sur les chanoines de Notre-Dame d'Afrique. Une autre pomme de discorde survient à propos des plans du prieuré, l'un défaisant ce que l'autre met en place.

En juin 1869, le Saint-Siège érige Saint-Michel-de-Frigolet en abbaye et en septembre de la même année, le père Edmond Boulbon est élu à l'unanimité père abbé du monastère. Les frères installés à Alger ont participé à ce vote. En août 1871, le père Boulbon écrit à l'archevêque pour lui faire part de son intention d'aller, conformément aux constitutions de l'Ordre, rendre visite à Notre- Dame d'Afrique. Il s'y rend effectivement le 23 octobre et le procès-verbal du Chapitre, tenu à cette occasion au couvent de Notre-Dame d'Afrique, ne contient aucune allusion au conflit en cours. Le père abbé ne semble pas pendant son séjour avoir rencontré Mgr Lavigerie. En tout cas aucune trace d'une telle rencontre n'a été retrouvée. Plusieurs lettres sont ensuite adressées après son retour à Frigolet par le père Boulbon à l'archevêque qui ne daigne pas apparemment répondre.

Malgré le malaise persistant, la communauté religieuse poursuit ses travaux de finition. La basilique est achevée le 4 mai 1872. Elle est inaugurée en grande pompe par Mgr Lavigerie le 2 juillet 1872, jour de la fête de la Visitation. Il y a un grand absent à cette cérémonie: le père abbé de Frigolet. Dans une lettre envoyée le 20 juillet 1872 à Mg' Lavigerie, le père Alexandre, prieur de Notre- Dame d'Afrique, se plaint du refus, qui n'avait rien d'étonnant dans un tel contexte, refus opposé par le père Boulbon à une demande d'envoi d'un renfort de religieux à Notre-Dame d'Afrique. Malgré quelques échanges de correspondances, les malentendus ne sont pas dissipés. Parallèlement, le père Boulbon saisit le Saint-Siège de la difficulté, ce qui n'arrange pas les choses aux yeux de Mgr Lavigerie, tandis qu'entre-temps Notre-Dame d'Afrique est érigée en prieuré par Rome.

En avril 1873, le père Boulbon propose à l'archevêque de venir le rencontrer à Alger pour s'expliquer. La réponse est immédiate: Mg' Lavigerie s'oppose à cette venue qui risquerait de provoquer un scandale dans le climat conflictuel existant. Il enjoint au père abbé de rappeler deux par deux à Saint-Michel, les pères Prémontrés pour lesquels la gratuité du voyage sera assurée. Ainsi s'opère petit à petit le retour des religieux à Frigolet, sauf pour certains d'entre eux qui choisissent de rester à Alger.

Après qu'il ait accepté d'endosser une dette de 35 000 F représentant le solde du coût des travaux de Notre-Dame d'Afrique, Mgr Lavigerie remplace les Prémontrés par " La Société des Missionnaires diocésains ", que l'on continuera néanmoins à désigner sous l'appellation de " Pères Blancs ", perpétuant ainsi en Algérie la dénomination originairement appliquée aux Prémontrés de Provence. La version officielle a consisté, dans un raccourci aussi rapide que perfide, à expliquer que Mg' Lavigerie avait renvoyé dans leurs foyers les Prémontrés, ces derniers ayant été dans l'incapacité de rembourser la dette qû ils avaient contractée.

Dans les mois qui suivent, l'abbé Boulbon réclame à maintes reprises la restitution des livres de l'Ordre, des habits et du linge que les religieux avaient laissé sur place. Ses lettres demeurent sans réponse et les documents réclamés ne seront jamais restitués. Puis un jour, le père abbé reçoit un avis l'invitant à prendre livraison de deux colis en gare de Graveson. Les deux grosses caisses récupérées ne contiennent que du linge sale... et deux énormes pierres de taille pesant chacune 30 kg. Les interprétations les plus fantaisistes circulent dans la communauté sur la présence de ces pierres. Certains y voient un geste symbolique de la part de l'archevêque d'Alger renvoyant aux Prémontrés les pierres d'angle du couvent bâti par eux, comme pour effacer toute trace du travail accompli. L'explication semble en réalité plus prosaïque : les deux caisses qui avaient servi d'emballage au maître-autel venu de France étaient entreposées dans une buanderie attenante au monastère. Pour éviter qu'elles ne soient emportées par des voleurs, chacune d'elles avait été lestée d'une énorme pierre. Les religieux y avaient, avant de partir, déposé leur linge sale. Les " Pères blancs " nouveaux venus, expédièrent ensuite ces caisses à Frigolet sans même s'inquiéter de leur contenu.

Sous la bannière éclatante de la charité et du dévouement, deux hommes de pouvoir, également jaloux de leurs prérogatives, se sont ainsi affrontés, provoquant chez leurs subordonnés le trouble, la zizanie, voire chez certains la duplicité et d'inutiles souffrances.

Sous la bannière éclatante de la charité et du dévouement, deux hommes de pouvoir, également jaloux de leurs prérogatives, se sont ainsi affrontés, provoquant chez leurs subordonnés le trouble, la zizanie, voire chez certains la duplicité et d'inutiles souffrances. On sait bien que l'histoire donne le plus souvent raison au vainqueur et qu'elle préfère recouvrir d'un voile pudique faiblesses et petitesses des hommes les plus célèbres pour l'édification des peuples. Vae Victis! Il n'en reste pas moins qu'à la faveur d'un séjour de près de cinq années, les Prémontrés ont largement contribué à la construction de la basilique, qu'ils ont édifié le couvent voisin et ouvert la voie à l'installation durable des Pères Blancs en Algérie. L'équité justifie que soit rétablie la place qu'ils méritent dans notre mémoire.
Ainsi la célébrité du haut lieu que constitue l'abbaye de SaintMichel-de-Frigolet, dont les clochers et les murailles se profilent sur les collines boisées de la Montagnette, ne tiendra pas seulement aux vapeurs alcoolisées de l'élixir d'un certain révérend Père Gaucher issu de l'imagination d'Alphonse Daudet. Quoi qu'il en soit, la basilique de Notre-Dame d'Afrique continue dans sa majesté de témoigner d'un passé religieux sans doute révolu et elle attire à nouveau la visite de pèlerins de plus en plus nombreux venus de France sur leurs lieux de mémoire. Elle suscite toujours le respect et la dévotion de nombreux musulmans. Une copie de la Vierge Noire trône à présent sur l'autel de la nouvelle chapelle de Notre-Dame d'Afrique bâtie à Carnoux-enProvence.

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Bibliographie:
- GRUSSENMEYER (Mgr), Documents biographiques sur le cardinal Lavigerie, deux volumes, Librairie Jourdan, Alger, 1888.
- JAMMES Francis, Lavigerie, Flammarion, 1927 (panégyrique très poétique mais sans grand intérêt historique).
- LAVIGERIE (cardinal), Écrits d'Afrique, préface du cardinal Zoungrana, Grasset, 1966.
- BAROLI Marc, La vie quotidienne des Français en Algérie, Hachette, 1967.
- CALMELS Norbert, Lavigerie et les Prémontrés, éditions Pastorelly, 1986, (ouvrage très détaillé