HOMÉLIE DE NOTRE CHER PÈRE JEAN-YVES MOLINAS EN CE PREMIER JOUR DU MOIS DE MARIE AU PIED DE NOTRE DAME D'AFRIQUE A THÉOULES SUR MER
mai 2022

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Frères et Sœurs,
Chers compatriotes,
Chers amis,
Il y a plus ou moins soixante ans, la Vierge Marie, à Alger, à Oran, à Stora voyait partir ses enfants. Elle les accompagnait bien sûr dans leur exil.

Après huit années d’une guerre horrible où des milliers d’innocents furent sacrifiés à la folie des idéologies et de l’intégrisme, nous avons été contraints de choisir entre la valise ou le cercueil. Et ce fut alors, malgré le déchirement indicible que peut être l’arrachement à la terre natale, l’exil pour une terre qui, bien qu’étant notre patrie, nous accueillit du bout des lèvres pour ne pas dire du bout des pieds. « Que les Pieds-Noirs aillent se réadapter ailleurs ! » Ces paroles, parmi bien d’autres, n’ont-elles pas été prononcées par le maire de Marseille de l’époque ? Et que penser du sort qui fut réservé aux harkis et à leur familles, placés derrière les barbelés de camps dont les noms resteront tristement célèbres, alors que les membres du FLN pouvaient librement aller du nord au midi et de l’est à l’ouest de l’hexagone. Fort heureusement, il y eut aussi, des hommes et des femmes de bonne volonté qui se mobilisèrent non seulement pour nous venir en aide dans ces circonstances tragiques mais, avant même, s’engagèrent aussi pour la défense de l’Algérie française, cette province, ces départements français d’Algérie voués à l’abandon. Pour cela ils eurent à payer, eux aussi, le prix fort de leur patriotisme et de leur résistance. Honneur leur soit encore rendu aujourd’hui.

Durant ces soixante ans, la foi et la volonté nous ont fait tenir debout. Envers et contre tout nous avons réussi à nous établir en reconstruisant, en innovant, en apportant aussi notre savoir-faire et notre espérance en l’avenir dans de nombreux domaines comme l’agriculture, le commerce, l’industrie, l’art, la culture…. Notre volonté d’intégration n’est pas à démontrer, les résultats obtenus sont là pour en témoigner. Mais notre cœur souffre encore d’une blessure toujours ouverte et qui, sans doute, ne cicatrisera jamais, parce que, en tous cas jusqu’à aujourd’hui, le mensonge continue de prévaloir officiellement sur la vérité.

Certains d’entre nous, ne supportant plus de vivre avec le passé et son cortège de souffrances, s’étaient éloignés de « notre cause », puis les années s’écoulant comme le sable du désert, c’est-à-dire inexorablement et vite, ils se sont à nouveau penchés sur notre histoire et ils ont ressenti l’impérieux besoin de la redécouvrir et de s’engager pour la défense de la vérité et de la mémoire. En cela beaucoup a été fait par les uns et par les autres, mais il reste beaucoup à faire. Et nous savons que ce combat devra se poursuivre jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort du dernier d’entre nous. Il est fort probable que notre peuple disparaîtra alors, en tous cas par la disparition de tous ceux qui naquirent là-bas, mais nous pouvons déjà nous féliciter de l’énorme travail de mémoire qui aura été accompli et qui permettra de mettre à la disposition de tous ceux qui souhaiteraient continuer notre combat les éléments nécessaires pour procéder à des recherches ultérieures.
Mais nous n’en sommes pas encore là. La mission sacrée qui est la nôtre n’est pas encore achevée. Nous devons continuer de nous battre pour faire reconnaître le martyr de tous ceux des nôtres, musulmans, chrétiens, non-croyants, qui sont tombés sous les coups des terroristes durant ces huit années d’une guerre inhumaine. Hommes, femmes, enfants, vieillards… nuls ne furent épargnés.

Alors, que l’on ne vienne pas nous parler de repentance ! Je vous le dis en tant qu’homme et aussi en tant que prêtre. Oui, je prends la responsabilité de le dire et de le proclamer, cette repentance-là ne nous concerne pas ! Nous n’avons pas à nous repentir de fautes que nous n’avons pas commises. Si l’Etat français veut le faire pour satisfaire un pouvoir algérien qui ne se maintient qu’en ranimant sans cesse la haine et le ressentiment, qu’il le fasse. Cela ne nous regarde pas. Certes, chaque chrétien doit se repentir de son propre péché devant Dieu et Lui seul, devant ce Dieu trois fois Saint et infiniment miséricordieux qui nous est révélé par Jésus-Christ. Mais nul repentir n’est à exiger de la part de tous ceux qui se sont unis, qui ont sué sang et eau pour faire surgir du néant de la barbarie un pays nouveau qui progressivement s’ouvrait à la collaboration et à la fraternité entre les différentes communautés qui le composaient. Et puis, dans le cadre d’une guerre, puisque guerre il y eut, deux partis sont en présence ; l’autre parti, celui des égorgeurs et de ceux qui leur succèdent aujourd’hui sont-ils disposés à se repentir de leurs crimes ?

En même temps qu’il est de notre devoir de nous opposer de toutes nos forces à une telle ignominie, parce qu’elle entacherait la mémoire et l’honorabilité de nos aïeux et de ceux qui ont donné leur vie pour l’Algérie et pour la France, en tant que chrétiens nous ne pouvons pas ne pas envisager le pardon. Ce n’est pas facile, j’en conviens, mais le Christ, notre seul Maître et nous n’en avons pas d’autres, nous le demande. Lui qui, du haut de la Croix, a demandé à son Père de pardonner à ceux qui l’ont crucifié, nous demande de le suivre sur cette voie de la miséricorde et de la libération. Chacun, sur le plan personnel, implore la miséricorde pour le pardon de ses péchés, mais pour recevoir cette miséricorde, chacun doit reconnaitre ses fautes, les regretter et les confesser, avec le ferme propos de s’en corriger. Le meilleur moyen pour recevoir la miséricorde étant de l’exercer soi-même envers les autres par des actes, des paroles ou la prière. Jésus confie à sainte Faustine Kowalska : « Si l’âme ne fait aucun acte de miséricorde quel qu’il soit, elle n’obtiendra pas ma miséricorde au jour du Jugement.» Comprenez bien ce que je veux vous dire : il ne s’agit pas de demander pardon collectivement pour ce qui ressort de la guerre d’Algérie, mais d’accorder notre pardon.

Frères et sœurs, écoutez maintenant le récit tragique qui me fut confié par une femme médecin, oranaise. Sa famille établie en Algérie dès les premières années de la colonisation, et qui comptait parmi elle de nombreux médecins, était fort honorablement connue à Oran. Cette famille, très catholique, était en lien étroit avec le Foyer de Charité de Châteauneuf de Galaure dans la Drome, auprès duquel se trouve la ferme où vivait la stigmatisée Marthe Robin qui est à l’origine des Foyers de Charité ; Marthe Robin dont le procès de canonisation est actuellement en cours.

Nous sommes en 1962, quelques temps avant l’indépendance. Le frère de cette femme, lui-même étudiant en médecine à Paris, est de retour chez les siens pour quelques jours de vacances. Il décide de se rendre à Notre Dame de Santa Cruz. Après avoir prié Notre Dame de Santa Cruz, Luc, appelons-le ainsi, prend le chemin du retour sur la ville, mais il est arrêté par un groupe de terroristes et enlevé par eux. Un témoin de cet enlèvement donne l’alerte et des recherches sont très rapidement entreprises par l’armée et la police. On retrouve Luc dans un fourré, égorgé, émasculé mais encore vivant. Sa sœur est à son chevet lorsque leur mère entre dans la chambre de l’hôpital où il a été transporté. La maman prend la main de son fils et lui dit : « Luc, si tu pardonnes à ceux qui t’on fait ça, serre-moi la main. » Puis elle répète la même phrase. Et très ostensiblement, Luc serre la main de sa mère. Avant toute vengeance ou ressentiment cette maman a pensé au salut éternel de son fils qui va mourir quelques instants plus tard. Celui qui a égorgé Luc va être tué quelques jours après lors d’un accrochage avec une patrouille de parachutistes. Lorsque tous ces faits furent rapportés à Marthe Robin qui était la marraine de Luc, la stigmatisée eut ce propos inouï : « Grâce au pardon accordé par Luc, son assassin est lui aussi entré en paradis. » Voilà jusqu’où peut aller la miséricorde de Dieu. Tout cela nous amène à une profonde méditation et une réflexion qui demande du temps et surtout de la prière. Je sais quelle est votre souffrance parce qu’elle est aussi la mienne ; cette souffrance que nous portons depuis plus de 60 ans et dans laquelle on nous maintient en continuant de nous accabler par toutes sortes de jugements iniques sur ce que fut notre histoire. Mais, « parce que le jour baisse et que déjà la nuit approche » (Lc 24,29), je vais faire personnellement cette démarche de pardon. Vous pouvez vous y joindre du fond de votre cœur aujourd’hui ou quand l’heure sera venue pour vous de vous ouvrir à ce pardon que Jésus veut donner à travers chacun de nous.
Soyons bien clair, je le répète, nous ne demandons pas pardon, mais avec le Christ en Croix, qui pardonne à ceux qui le crucifient, nous accordons notre pardon.

Ainsi donc, pour tous les innocents sacrifiés à
- Sétif, Guelma, Philippeville, El Halia, Seigneur je pardonne.
-Pour tous ceux qui ont été massacrés à Mélouza, et dans tant d’autres douars qui ne voulurent pas suivre la rébellion, Seigneur je pardonne.
-Pour les fusillés de la Rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962, Seigneur je pardonne.
-Pour les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants assassinés à Oran le 5 juillet 1962, Seigneur je pardonne.
Pour les dizaines de milliers de Harkis et leurs familles abandonnés par la France et livrés entre les mains des criminels, Seigneur je pardonne.
- Pour les milliers d’autres victimes encore, au quotidien de ce que fut cette guerre. Seigneur, je pardonne.
- Et surtout, surtout, comment pourrions-nous oublier tous ceux qui furent enlevés et dont nous ne savons toujours pas quel fut leur sort. La torture à laquelle ils furent sans doute soumis, la torture morale de leurs familles, de leurs proches. Souffrances telles que nombreux sombrèrent dans la folie. Ne pas savoir ce qu’ils sont devenus ! Ont-ils survécu ? Si oui, combien de jours, de mois, d’années et dans quelles conditions ? L’abandon qu’ils ont dû ressentir, le désespoir et la mort qui survint peut-être même comme une délivrance. Pour tous ceux-là, Seigneur, je pardonne.

Je pardonne, Seigneur, mais je ne peux pas oublier. Je ne les oublierai jamais !

Amen !

Jean-Yves MOLINAS +
Prêtre et Pied-Noir.


voir la vidéo ci-dessous =

https://www.youtube.com/watch?v=JXwmaFRuF78