Notre-Dame d'Afrique - Alger,
DE LA CONSULAIRE AU RAVIN DES CRABES par Monique Milla Tourot
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sur site le 12-05-2003

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-----Où se trouve la Consulaire ?

-----A l'Ouest d'Alger, sur les hauteurs de Saint-Eugène dont il (ou elle) fait partie, se trouve ce quartier très mal connu , mais combien attrayant et agréable .

Le Grand Séminaire et Notre-Dame d'Afrique
Le Grand Séminaire et Notre-Dame d'Afrique
photo de Marc Stagliano

Il domine le couvent des Clarisses, le grand séminaire et la Basilique de Notre-Dame d'Afrique!, et offre un panorama incomparable sur l'entrée de la baie d'Alger jusqu'à Cap Matifou;on voit les soirs de temps clair, clignoter le signal du phare de Cap Djinet, plus à l'est.
-----De cet endroit, un des seul d'Alger, les matins d'hiver, je m'amusais à regarder le soleil se lever derrière les montagnes enneigées du Djurdjura : c'était un spectacle rare et grandiose et inoubliable !
-----Après la basilique, pendant environ 1 kilomètre 800, la route appelée Vallée des Consuls ou Avenue Général Laquière

La Vallée des Consuls
La Vallée des Consuls

(1855/1928 ) serpentait agréablement entre talus et ravins, sous les contreforts maritimes de la Bouzaréah , pour finir devant l'entrée de la propriété du dit général, l'entrée du Fort Duperré et au pied du lotissement, c'est-à-dire devant chez moi.
-----Des clarisses au fort , trois ravins fortement encaissés se rejoignaient en s'étranglant à quelques mètres après l'église de Saint- Eugène
-----Dans l'un de ses ravins , quelques algéroises principalement venaient le lundi se recueillir dans la petite Chapelle champêtre de Notre-Dame du Ravin, tenue par les sœurs clarisses
-----Le lotissement s'est construit au fil des années le long de la propriété LAQUIERE qui commençait au fort Duperré et montait jusqu'au sémaphore . Le chemin romain servait de limite naturelle.
-----Dans ce " chemin " les eaux parfois torrentueuses descendaient vers les ravins et la mer . Le long de l'unique route de terre battue, les maisonnettes en dur et les gourbis entourés de haies de figuiers de barbarie ou d'amandiers, cohabitaient en formant trois balcons fuyant vers le sommet .
-----En plein milieu , la maison des ZAHRA, style chalet suisse ,

La maison des "Zahra"
La maison des "Zahra"

donnait une note montagnarde à notre colline . Il a fallu plusieurs années avant qu'elle ne soit terminée. Je m'y sentais aussi bien que chez moi ; je les accompagnais souvent dans leurs sorties, car ils avaient une voiture .
-----Sur une petite placette, Mr SCOTTO , le forgeron, savait mieux que quiconque faire chanter son marteau sur l'enclume et tordre les tiges de fer en de gracieuses volutes.
-----Mon coin préféré c'était la propriété Laquière, tout près de chez moi. Je n'ai pas passé un jour sans aller dans cette propriété . Je prenais l'allée de terre bordée sur le côté chemin romain d'aloès et d'oliviers , puis de petits bosquets de plantes exotiques, telles qu' aloès du cap, yuccas , et de talus tapissés de plumbago, sous de grands pins parasol ; d'eucalyptus, d'un caroubier aux gousses délicieuses lorsqu'elles étaient mûres à point.
-----Avec ANNIE et JACKY STAFRADJ, qui logeaient dans une maisonnette au milieu des champs nous investissions deux arbres que je suppose être des pandanus et dans lesquels nous passions des heures et des heures à jouer chacun sur assis sur une branche épaisse et ronde, dans l'ombre des longues feuilles effilées, tranchantes comme des rasoirs.. Mais ce que nous préférions c'était aller jouer autour de la belle maison mauresque inhabitée , ; elle était l'objet de toutes nos investigations.
-----Bâtie derrière un tertre, invisible aux rares promeneurs, elle était précédée de trois gigantesques eucalyptus ; Envahie par la bignonia et la glycine centenaire qui la couvrait à demi. ; la blancheur de ses murs paraissait encore plus éclatante au milieu de toute cette verdure.
-----Dans l'avant-cour il y avait un jardin d'été ouvert à tous vents avec sur le côté une petite pièce fermée, ( c'était le bureau du général ) des bancs de mosaïque étaient les seuls ornements avec les grilles des ouvertures béantes.
-----La maison de style mauresque était imposante et agréable ; une petite porte de bois sombre cloutée avec un judas grillagé semblait presque minuscule au fond l'immense porche vouté.
Comme nous étions du même âge qu ' ARESKY, le fils de la gardienne, nous franchissions quelques fois, cette porte si attirante et mystérieuse, derrière laquelle ,après un demi palier, nous pouvions admirer la cour intérieure pavée de mosaïque, avec au centre une belle fontaine aux larges vasques .Autour, de fines colonnades torsadées bordaient une galerie aux murs recouverts au trois quarts de beaux carrelages colorés, sur laquelle s'ouvraient les appartements du rez de chaussée . Un grand escalier conduisait à l'étage ,les chambres et le salon aux vitraux multicolores donnaient sur un péristyle de fer forgé. Nous étions émerveillés par tant de beauté .
-----Cette maison était un consulat du ROYAUME UNI avant d'appartenir à la famille LAQUIERE.
-----A l'arrière , il y avait la ferme . Nous étions une vingtaine d'enfants de tous âges à attendre tous les soirs avec notre petit bidon de fer blanc, le bon lait frais ; - " frais " est un euphémisme, car il était encore tout chaud des mamelles des vaches !. Mr PAUL FRIEDLI, le fermier suisse nous laissait entrer les soirs d'hiver, dans l'étable nous réchauffer et le regarder traire ce bon lait. Il avait une trentaine de vaches, quelques chevaux que son fils GEORGIE attelait parfois au cabriolet ( la générale s'en servait aussi pour ses courses et chercher son petit fils au collège des Jésuites). Je n'ai jamais connu ni la générale ni son mari mais ces faits m'ont été rapportés par deux de leurs petits enfants auprès desquels je me suis renseignée.
-----Dans les ravins couverts presque totalement de lentisques et d'épineux, nous jouions à la guerre avec pour armes des sarbacanes faites dans des roseaux que nous trouvions sur place, pour munitions les fruits rouges ou verts du lentisque que nous stockions dans la bouche, avec toute la poussière et autres araignées et bestioles ! nous n'avions aucun souci de l'hygiène !

La maison de Monique
La maison de Monique

-----Devant notre maison, était l'endroit idéal pour le départ des courses de charrettes à roulements à billes.
-----Une pente de cinquante mètres environ se terminait par un large virage légèrement remontant. Les enfants du coin rivalisaient d'ingéniosité pour fabriquer avec trois planches et quatre clous, trois ou cinq roulements et de la ficelle, des carrioles sur lesquelles la meilleure façon de freiner c'était de mettre les pieds ou de foncer dans le talus. Combien de courses se sont terminées par des carambolages ! des plaies ! des pugilats ! des pleurs ! des insultes de tous genres : en français, en arabe ! et c'était sous notre balcon que les réparations se faisaient avec pour outils : une pierre et un canif, au grand dam de mon père qui ne pouvait faire sa sacro-sainte sieste !

Vue sur Notre-Dame d'Afrique...et plus loin encore !
Vue sur Notre-Dame d'Afrique...et plus loin encore !

-----J'étais la seule fille à jouer avec les garçons à la toupie, pas celle sur laquelle on appuie dessus pour qu'elle tourne, non, la nôtre était une boule de bois terminée par un clou, on entourait savamment la ficelle autour de ce clou, et hop, d'un mouvement sec du poignet, on lançait la toupie qui tournait comme une folle, il fallait aussi la faire rentrer sur la paume de la main, les doigts écartés, pour qu'elle continue encore à tourner !

----Comme j'étais une petite vagabonde, les jours de solitude, j'empruntais la route du fort, longeais les hauts murs, et m'asseyais au bord du chemin de chèvre- dont j'ai appris seulement cette année qu'il s'appelait " chemin BOU AMAR " qui débouchait en face de la PHARMACIE du FORT . J'aimais contempler la
mer d'en haut ; on voyait bien en plein été ,les mouvements des nageurs dans l'eau claire , près des rochers , sous le boulevard Pitolet.
-----Après le fort il y avait une dernière propriété " LA SIMONETTE ", juste au-dessus de l'entrée des Deux Moulins, entourée de terrains incultes en pentes abruptes ; ces champs étaient quadrillés de haies de roseaux, pour retenir la terre et c'est là que fleurissait à profusion, au printemps le lin jaune
-----Dans les moindres recoins poussait l'oxalis jaune dont nous mastiquions la tige fleurie au goût acide, appelée " vinaigrette "
-----Après le repas de NOEL, nous faisions une balade traditionnelle avec toute la famille ZAHRA Nous traversions la propriété en diagonale et passions la belle et inutile grille de fer forgé, derrière la ferme , aboutissant au-dessus de la " simonette "
Par un mauvais chemin , sur environ deux ou trois kilomètres, dans les plis et replis de la colline toujours plus haut, nous allions jusqu'aux grands réservoirs de retenue des eaux qui alimentaient tout le littoral.
-----Ces réservoirs étaient situés sous le sémaphore. Nous descendions ensuite un petit chemin rocailleux jusqu'au fond du " Ravin des Crabes ". Personne à ma connaissance n'y a jamais vu un seul crabe !
-----Un filet d'eau cristalline coulait de la roche, nourrissant un pauvre cresson, vite jaunit aux premières chaleurs.
-----Tous ces endroits évoquent pour moi un parfum, une couleur, une plante , une personne
-----Les belles de nuit et le jasmin me rappellent surtout Marcel et Robert ZAHRA, mes aînés de quelques années, il me faisaient des colliers de ces fleurs en été, et le miel de leurs ruches que leur maman tartinait si généreusement sur nos tartines.
-----Quand je pense aux ravins autour des clarisses, je pense à l'odeur forte des sumacs et des ricins , aux beaux ormeaux et aux chatons parfumés des trembles ;
-----Au couvent ce sont les grands mûriers bordant l'allée principale, qui donnaient de si belles feuilles pour mes vers à soie, et à mes amies MARIE CLAIRE et HENRIETTE BAEZZA ,qui y habitaient avec leurs parents, avec qui j'avais beaucoup de complicité. Nous allions souvent acheter à Notre Dame d'Afrique ,pour nos sœurs aînées, le journal à la mode de l'époque -madrigal- ; nous lisions le feuilleton en marchant. et en nous disputant le journal pour mieux lire !
-----Le patronage des sœurs de Saint Vincent Paul qui occupait le côté gauche du lotissement , tout en escaliers, évoque les chants et les jeux avec les petites filles venues de La Basseta , de BAB el OUED, passer les jeudis et les belles journées de vacances, et leur dénonciation, le jour où, avec JEANNOT GOMEZ ( sa sœur OLGA, s'était mariée cette année là avec mon frère ) ; nous étions partis, main dans la main, pour nous marier !
-----Pour la ferme et la villa si riches en odeurs et en couleurs, c'est le subtil parfum des fleurs des orangers amers qui reste le plus vivace.
-----Au fort, c'est l'immense eucalyptus d'au moins trente mètres de haut , aux énormes cabochons que nous cueillions pour faire des fumigations et soigner nos gros rhumes !
-----Enfin, le sémaphore me rappelle ma première énigme : une petite plante découverte alors que nous étions montés chercher les épis d'une lavande : lavandula Stoechas pour le couscous de la maman d'ARESKY. Cette petite plante, cachée dans l'humus, sous les buissons de cistes , de romarin , était particulièrement jolie avec son corselet de velours sombre et ses petites zébrures dorées .. Je l'ai cueillie pour la mettre entre les pages de mon dictionnaire . " (sacrilège ") Après de longues recherches , j'ai découvert qu'il s'agissait d' une ophrys- abeille !
-----Il y a une autre énigme que je n'ai pas encore résolue. Et je pose cette question :
-----Qui était cette famille , " montant " de Saint- Eugène par le chemin de chèvre, empruntant le chemin romain , jusqu'au sémaphore peut-être, composée de plusieurs enfants, filles et garçons tous blonds comme les blés, que je suis censée être la seule à avoir vue ? (D'après Marc Stagliano : la famille blonde me parait être celle des Champion. Le fils d'un des frères Champion, Thierry (31/08/66), a fait une carrière exceptionnelle en tennis professionnel. Il a même atteint une demi-finale de Rolland Garros.)
-----J'espère que ce récit vous rappellera aussi vos jeux d'enfants, si simples, si sains. Que j'aurai réussi à faire revivre quelques souvenirs , et peut-être même ,vous rappeler que vous êtes passés par là, dans ce quartier si loin de la ville, un jour , pour une promenade dominicale.
-----Je dois à la famille MILLA, qui m'a élevée, ma famille de cœur, qui est pour moi, ma seule , ma vraie famille, une éternelle reconnaissance pour tout ce qu'elle m'a donné avec tant de générosité et tant d'amour.

MONIQUE MILLA