Oued Taria, village de l'Algérie française
Mascara à Saïda

-Pieds-Noirs d'hier et d'aujourd'hui mars 2000 n°110
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Oued-Taria, village de l'Algérie française

-----C'est en 1860 que le génie, qui construit une route de Mascara à Saïda, installe un caravansérail sur la rive droite de l'OUED-TRARIA (orthographe exacte de l'époque). Cet oued prend sa source à 50 km environ du point où il coupe la route, et coule dans une direction générale de l'est à l'ouest. L'eau est peu salubre et son débit moyen est de lm3 seconde mais ne descend jamais en dessous de 0,2m3. La route franchit la rivière à environ 33 km de Mascara et 40 de Saïda. C'est parce que les convois charretiers ont de grandes difficultés à traverser la rivière à gué que le génie, sous les ordres du commandant BONGARCON entreprend de construire un pont à cet emplacement. Cet ouvrage est en pierres d'une seule arche ayant 25 mètres d'envergure, et la chaussée se trouvant à 13 mètres au-dessus du niveau de l'eau, fait environ 6 mètres de large, à laquelle viendront se rajouter, beaucoup plus tard, deux trottoirs

Une maison cantonnière

-----Les Ponts et Chaussées, travaillant cri collaboration avec le génie, achètent le 11avril 1867 au Sieur SI-EL-AZIL-OULD-DJELLOUL, un terrain pour la construction d'une maison cantonnière avec puits. La maison cantonnière est le premier édifice du village, et sera toujours connue sous ce nom-là.
-----Mais déjà une animation s'établit autour du caravansérail qui abrite l'armée, les services topographiques, les ponts et chaussées et sert de gîte aux convois de passage. Certains, pour la plupart militaires démobilisés, s'installent comme commerçants, et l'on voit des auberges florissantes sous des toiles de tentes. D'autres, plus aventureux, traitent directement avec les indigènes l'achat de terres, et commencent à défricher, à pratiquer l'élevage, ou à acheter et transporter l'alfa. Monsieur COMEMALE sera l'un de ceux-là, et on peut considérer qu'il est le premier propriétaire à OUED-TARIA.
-----La commission des centres, constatant l'animation croissante de ce lieu, se réunit le 13 mars 1872 sous la présidence du général CEREZ commandant la subdivision de MASCARA, et décide de soumettre un projet de création d'un hameau routier prenant le nom de OUED-TARIA. Ce centre se situerait sur le versant sud de la rivière, le long de la route et aurait une superficie de 500 Ha environ Ainsi établi le territoire du village portera à la fois sur la tribu des BENI MERIANI TAHTA, celles des ZOOUA et celles des OULEDS ABBAD. Le centre urbain comprendrait 24 lots de 15 ares environ chacun. 4 lots seraient réservés pour la construction de l'église, l'école, le presbytère, et plus tard la gendarmerie. L'alimentation en eau potable se ferait par puits à creuser au centre du village, et il serait construit un abreuvoir et un lavoir sous le pont. Des plantations comprendraient des rangées d'eucalyptus le long de la route. Après rapport de la direction d'ORAN le projet est transmis au gouverneur général de l'ALGÉRIE. Celui ci par un arrêté du 25 mai 1872, et signé du Vice Amiral DE GUEYDON, décide officiellement la création du centre, approuve les actes d'acquisitions de terrains au nombre de 45

Alsaciens-Lorrains

-----Avec l'arrivée des Alsaciens-Lorrains, expatriés pour demeurer Français, c'est véritablement le démarrage de la colonisation. Un état de peuplement du 7 juin 1873 fait apparaître l'installation de 20 familles dont 11 d'Alsaciens-Lorrains. Ceux-là seront les véritables pionniers du village.
-----Les ponts et chaussées, aidés par le génie et les disciplinaires, entreprennent de construire les édifices publics:
- les rues empierrées comprenant la rue principale et deux rues transversales.
- une chapelle de 70 m2 et attenant a la chapelle la sacristie, l'école, la mairie et le logement de l'instituteur composes chacun d'une pièce. (Toute cette construction formera beaucoup plus tard les logements des instituteurs).
- un bassin filtre alimentant un abreuvoir
- un puits au centre du village
- des plantations diverses de platanes, acacias, mûriers, ormes et peupliers représentant 372 arbres.
-----Mais déjà la vie s'organise dans le village, et un embryon d'administration se met cri place. Pierre DESBORDES assumera de 1873 à 1880 la fonction d'adjoint spécial. Libéré après 14 ans d'armée, il S'était installé au village comme aubergiste. Pendant son mandat il s'occupe avec impartialité des concessions à accorder aux premiers colons. Le dynamisme de la population, fait que l'administration dote le village d'un communal qui porte la superficie totale à812 hectares. On y comptait au dernier recensement de 1880 :139 Français, 49 Israélites, 36 Indigènes, 95 Européens (Espagnols pour la plupart) soit en tout 319 âmes. remarquons ici le chiffre élevé des Israélites et cela seul nous indiquera que TARIA est un point qui, par sa situation a une importance commerciale bien acquise. Si l'activité principale est la culture, il y a aussi plusieurs industriels qui se livrent au commerce de l'alfa.

Grands travaux

-----Le moment des grands travaux est alors venu. Afin de constituer cri terres irrigables une partie de son territoire au moyen des eaux de l'Oued, il est nécessaire de remonter jusqu'à environ 7 km et d'établir cri ce point un barrage. Ainsi seront constitués des lots de jardins à l'est du village cri direction des BENIAN qui deviendront une véritable oasis de verdure, de légumes et de fruits. Qui ne se souvient des pastèques de ZOUZOUNE. des tomates de BERRA ou des oranges de JULLIE?
À la même époque l'agrandissement de la commune se fait par le rattachement de 1050 hectares constitués par GUERDJOUM, SOUK ET BARBATA et BENIAN.
-----Pendant ce temps l'administration locale s'occupe des édifices publics devenus indispensables. Pendant deux ans (1880-1881) Monsieur COMEMALE assumera la fonction d'adjoint spécial puis Pierre NOUVEN, arrivé en Algérie en 1870 prendra en main le destin de la commune. L'exiguïté du local servant de mairie, ainsi que celui de l'école dont se plaint l'instituteur Monsieur GARDIÉ, amène à construire une nouvelle école.
-----Ce sont ces classes que nous connaîtrons par l'appellation d'écoles de garçons. Dans cette école j'ai rencontré et appris la France. Nous devons aussi à Pierre NOUVEN la construction de la mairie et de l'école des filles. C'est là d'ailleurs que ma mère fit toute sa carrière d'institutrice, en enseignant avec dévouement notre langue à beaucoup plus de petites indigènes que de petites Françaises. C'est ainsi que je suis né dans cette école. Dans le même temps, l'aménagement du village se réalise : plantations de nouveaux arbres, nivellement et empierrement des rues, constructions de caniveaux réalisés en 1902

Commune de plein exercice

-----Pierre NOUVEN se bat depuis longtemps pour que le centre devienne commune de plein exercice. Ce sera chose faite en 1903 et, le premier scrutin ayant lieu, tout naturellement, Pierre NOUVEN est élu maire
-----En 1920, SALVAT Auguste est élu maire. Il sera le maire le plus dévoué et le plus attachant pour la population. Nous lui devons la construction de l'hôpital, du monument aux morts et l'agrandissement définitif de la commune.
-----Pendant tout ce temps notre village n'a cessé de s'agrandir et de progresser, grâce au travail de ses élus et au dynamisme de ses habitants. Depuis la création du centre, le gros problème a été l'alimentation en eau potable. En effet, la prospérité du village est maintes fois éprouvée par de nombreux cas de maladies attribués à l'usage de l'eau de la rivière imparfaitement filtrée.
-----En 1903, il est effectué un premier partage de la source de l'AIN NEFMOUT, située à10 km environ, qui permet de constater un débit minimum de 40 litres/minute qui suffit provisoirement aux besoins des habitants. Le 16 août 1904, sera inaugure enfin le château d'eau.
-----L'activité économique très dense fait qu' on y trouve des commerces très florissants avec plusieurs épiceries, boulangeries , des forgerons ou maréchaux ferrants, des bouchers aubergistes et surtout des usines d'alfa très importantes au début de la colonisation et dont les derniers exploitants furent Messieurs NAVARRO et PORTUGUES. Et comment ne pas évoquer également ces hauts lieux du village : nos deux cafés. Celui d'en haut tenu par PETIPERRIN et GILLABERT, où nous avons tous fait notre apprentissage au 81 ou au Solo l'autre, le BAR-BOULES-CLUB dirigé successivement par MARTINEZ, BERGE et enfin MILLET c'était le rendez-vous de la jeunesse pour y faire un billard, un baby-foot et l'espoir, disons le franchement de faire un brin de cour à COLETTE. Mais depuis la création du centre, la principale activité commerciale sera toujours le marché du mercredi. Serons-nous chauvins cri disant qu'il est l'un des plus importants de la région ? Le marché couvert (il sera transformé plus tard en salle des fêtes) abrite les poissonniers, bouchers et marchands de légumes. Tout autour les étals de marchands de linge, vaisselle ou autres camelots s'étendent sur plus d'un hectare. Et bien entendu le marche à bestiaux (chevaux, vaches et surtout moutons). Étant petit, les maquignons ont toujours fait mon admiration pour leurs palabres et leur roublardise, et je n'ai jamais su s'il était exact que CORTES limait les dents de ses chevaux pour les rajeunir. Mais bien qu'aucune signature ne les engageait, ils concluaient toujours leur affaire par un "tape là" qu'ils respectaient jusqu'au bout.

Une activité accrue

-----Toute cette activité tourne bien entendu autour des colons et de leur travail. Si en 1922, le territoire de la commune ne comprend que 3 179 hectares, il sera porté à près de 10 000 hectares par le rattachement des terres dites de la côte rouge, des OULED CHERIF, OULED MOUSSA, OULED ALI BEN AISSA et surtout OUIZERT. La plus grande partie de ces terres est ensemencée de céréales (blé tendre, orge et blé dur) produisant parfois d'abondantes récoltes, ou provoquant le désespoir des propriétaires les années de sécheresse. On y cultive aussi avec beaucoup de réussite l'olivier dont les récoltes sont vendues aux huileries de Perrégaux ou Relizane. Mais le fleuron de l'agriculture restera certainement la vigne. La qualité et l'abondance des récoltes, obligera les colons à se grouper cri coopérative, et à construire une cave en 1932. Notre vinificateur, Monsieur BARTHER fera un rosé dépassant parfois les 16° et qui sera, disons-le sans fausse modestie, apprécié et demandé dans toute l'Algérie.
-----La foi était grande dans notre communauté et notre église a toujours tenu une place importante dans la vie du village. A la construction de la chapelle, en 1876, aucun prêtre n'officiait, et il fallu attendre 1888, pour voir arriver le Curé MAURY. Plus tard, se succédèrent les Abbés PORTE, GUILLOT, ALLEMAND, FRANÇOIS, FAVRIFL et BOUGUET Ces derniers auront la chance d'officier dans notre belle église.
-----Les loisirs ne sont pas absents et si du temps de la colonisation on dansait sur la route au son de l'accordéon de Monsieur CHOMETTE, viendra le temps des grandes fêtes du village avec des orchestres réputés (Martial Ayela) et des baraques foraines (la maison du bonheur). On dansera même le dimanche dans nos cafés, séparément au moment des élections selon que l'on soit partisan d'une liste ou de l'autre, pendant que les jeunes, indifférents a ces rivalités, se donneront rendez-vous au foyer rural. Les plus âgés ont leur boulodrome, et si nous n'avons pas de piscine, c'est parce que la nature nous en a offert une si belle avec notre rivière, nous avons le choix pour le bain entre la " Bouchkara ", la "Noria" ou les "Abattoirs" avec son rocher qui sert de plongeoir. Notre préférence pour le sport allait au football où de bons joueurs se sont illustrés tels NOUVEN Robert et Guy, NAVARRO René, YOUSSEF, DUPUIS, les frères PORTUGUES, les frères BRU, JULLIE Marceau, LOPEZ François, FUSTER, ALGATE, BENACEUR, HADJ MEKKAOUI, BARTHET Georges et bien d'autres. Avec de tels éléments notre E.R.O.T a fait trembler bien plus d'une équipe dite supérieure.
-----Mais bientôt les années tristes vont arriver. Comme dans tout l'Algérie, notre village va basculer dans une nuit noire de laquelle il ne se réveillera pas. Si les premiers attentats nous paraissent lointains, et nous laissent indifférents, nous serons bientôt touchés à notre tour. Comme toujours notre communauté paiera un lourd tribut, et huit de nos camarades seront lâchement assassinés ou tués au combat. Puisque leurs noms ne figurent sur aucun monument, ils méritent bien d'être cités ici : CID-GARCIA Jean - DUPUIS Jean -EPPLIN René - EPPLIN Roger - HAENSEL Joscph - JULLIE Eugènc - REZKI Abdelkader - REZKI Mekki. Nous n'oublierons jamais ces camarades. D'autres aussi seront touchés cri étant internés et parfois torturés, ou en participant activement à la défense de notre pays. Mais taisons ces moments douloureux et gardons seulement le souvenir d'un village heureux, travailleur, aimé, notre village : OUED-TARIA. Près de 40 ans après, que reste-t-il de plus de cent ans de présence et de travail ? Peu de chose de ce que nous avons créé, puisque la population essentiellement jeune, a quadruplé, ce qui a entraîné de nouvelles constructions et la modification sensible de l'aspect du village. Ainsi si nous retournions tout nous semblerait étranger. Et pourtant... pourtant nous y avons laissé une trace qui s'effacera difficilement. Pour preuve voici la conversation que j'ai eue au cours d'un voyage souvenir en 1983, alors que je prenais un thé au café maure avec un jeune algérien de 20 ans à qui je disais que j'étais un enfant du village:
" Ah oui, vous êtes Jean -Claude OBER, le fils de l'institutrice, et c'est votre père que tout le monde appelait NINI ".
Très surpris, je lui répondis:
" Comment peux-tu me connaître puisque tu n'as que 20 ans ? "
- C'est par mon père qui me parle tout le temps des Français qui habitaient le village".
Voilà pourquoi, anciens d'OUED-TARIA, soyez fiers de votre oeuvre, même les Algériens ne l'oublient pa
s.

OBER Jean-Claude