LA PLAINE DE LA MITIDJA AVANT 1962
RAPIDE SURVOL DES COMMUNES DE LA MITIDJA

BOURKIKA VILLAGE DE REGROUPEMENT
Georges Bouchet

mise sur site le 19-6-2011

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BOURKIKA VILLAGE DE REGROUPEMENT

 


Le village de Bourkika nouvelle manière qui est représenté ci-dessus, ne remplace pas l'ancien. Il le complète pour une période à priori de courte durée. Il a été créé en 1958 ou 1959 ; c'est-à-dire à une époque de grande insécurité, surtout pour les populations montagnardes. Il a sans doute été abandonné par les regroupés peu après l'indépendance acquise en 1962. Mais je ne puis rien affirmer péremptoirement : ce n'est que l'hypothèse la plus probable.

Toutefois la nature de l'urbanisme, avec ses petites maisons à cour fermée familiale, avait été conçue pour pouvoir durer un " certain temps ". Ce n'était pas un village de tentes, même s'il semble y en avoir quelques unes en périphérie, mais un village en dur. Ceci étant, ce devait être tout de même, ne serait-ce qu'à cause de la promiscuité, un vrai bouleversement des conditions de vie en plus de la perte de toute les ressources traditionnelles de la culture et de l'élevage.

Ce village est très officiellement un village de regroupement de piémont situé tout près de la plaine de la Mitidja, dont on aperçoit à gauche quelques rangées de vigne. Il a été établi à l'écart des terrains de culture trop chers à exproprier ; et sur un petit plateau. C'est un site d'oppidum sans les solides fortifications qui l'accompagnent généralement. Il faut dire que son aménagement a dû prendre quelques semaines tout au plus : cette hâte est due à des préoccupations militaires.

Les alignements ont une rigueur toute militaire. Les cours intérieures sont justifiées par le désir de ne pas trop perturber les fellahs qui avaient dû laisser dans la montagne leur maison, leurs champs et peut-être leur bétail. Mais c'était le prix à payer pour éviter les menaces et les exactions des rebelles ; voire la mort par égorgement. La maison couvre 20m2 (deux pièces et un coin cuisine) et avec la cour 50m2.

J'ai compté 156 maisons semblables, de quoi loger entre 600 et 800 réfugiés. Le village est entouré d'une protection légère ; des rouleaux de barbelés vite posés, je suppose. Il y a aussi deux tours : mirador ou château d'eau ? Un mirador est plus vite et plus facile à construire.

J'imagine que les bâtiments blancs à droite de la photo regroupent quelques commodités collectives et d'abord les bureaux du responsable militaire, chef de la SAS (section administrative spécialisée) ; et de quoi loger l'officier, un lieutenant le plus souvent, et ses adjoints.

Le village est traversé par une bonne piste aménagée tout exprès.

Notule sur les regroupements

Cette appellation officielle a été inventée en 1957 pour désigner ce cas particulier de personnes déplacées collectivement vers un refuge créé et protégé par l'armée. Ce déplacement est presque toujours contraint et accompli dans l'urgence.

Les antécédents. Il avait eu dès 1955 des " recasements " et des " resserrements ", les uns et les autres spontanés. L'initiative était privée, mais la raison était déjà le désir de fuir les dangers et les exigences des rebelles. Un recasé allait chercher refuge chez un frère ou un cousin vivant en zone considérée comme sûre, pour un temps ; ou dans un bidonville des environs d'Alger, pour toujours. Les resserrés, tout en restant dans leur commune, se " regroupaient " à l' endroit de la commune le plus rassurant ; près d'une gendarmerie ou d'un poste militaire par exemple.

La chronologie. Le regroupement, décidé par les autorités françaises et conduit par l'armée, devient systématique en 1958 dans toutes les zones où nous voulons enlever aux rebelles le " gourbi, le couscous et le chouf ". Il s'agit de gêner la vie et les informations des rebelles. Le toit c'est l'abri pour la nuit, le couscous c'est la nourriture et le chouf c'est le guetteur.

Il s'agit aussi de permettre aux populations d'échapper à l'emprise de la rébellion sans les obliger à prendre parti pour la France. En d'autres termes on n'a enrôlé comme supplétifs que les volontaires.
Il est arrivé parfois que la zone évacuée soit ensuite déclarée interdite d'accès : décision applicable le jour grâce à la surveillance aérienne, mais pas la nuit.

En novembre 1959 est publiée la première directive officielle.

En mai 1960 est créée une Inspection Générale des Regroupements.

En 1961 on cesse, sans le proclamer, de créer de nouveaux villages de regroupés.

NB. La meilleure étude des regroupements que je connaisse, se trouve dans les annales de géographie : volume 71 en 1962. C'est un long article signé Henri Baulig


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