LA PLAINE DE LA MITIDJA AVANT 1962
RAPIDE SURVOL DES COMMUNES DE LA MITIDJA

BOUINAN VILLAGE DE REGROUPEMENT
Georges Bouchet

mise sur site le 24-6-2011

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BOUINAN VILLAGE DE REGROUPEMENT


Cette photo a été prise en 1960 ; vraisemblablement en été car l'oued paraît à sec.
Elle a été prise du nord vers le sud et tard le matin (ombres vers l'ouest étroites).
Elle représente une petite partie de l'Atlas blidéen. Par rapport à la photo, Blida, qui est à l'ouest est donc " à droite " et non " à gauche " comme sur les cartes habituellement.

LE CADRE GEOGRAPHIQUE

C'est l'Atlas avec des altitudes modestes ( tout juste 1400m pour la crête la plus haute) mais un relief tourmenté dans le détail en raison d'une érosion rapide à cause du régime des pluies violentes et de la proximité du niveau de base local des torrents qui descendent de l'Atlas. Il y a 1000m de dénivellation en 6km (à vol d'oiseau). Le pied de la montagne est à 110m d'altitude ; et le village de colonisation de Bouinan à 95.

L'oued du milieu de la photo est l'oued el Had. Très encaissé dans la montagne, son lit s'élargit beaucoup ensuite avec les habituels chenaux anastomosés de tous les oueds qui débouchent dans la Mitidja. Un petit bout de la plaine apparaît tout " en bas " de la photo.

A l'arrière-plan deux alignements de djebels ; le plus éloigné est le djebel Feroukha (1481m) dont la crête se poursuit jusqu'à Chréa, et au-delà jusqu'à la grande coupure des gorges de la Chiffa. Le plus proche est le djebel Marmoucha (1143m). Les sommets paraissent déboisés, mais il subsiste, à mi-pente, quelques espaces forestiers qui ont survécu à l'exploitation intensive des années de guerre après 1939. A moins qu'ils n'aient été reboisés par le service des eaux et forêts après 1945.

LES MARQUES D'ACTIVITES HUMAINES

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Les cultures ne sont bien visibles, sans être identifiables, que dans la plaine. Il s'agit, non pas de rangs de vigne pour une fois, mais de vergers. De quels arbres ? Si l'on en croit les textes, on avait planté dans la plaine des orangers bien sûr, mais aussi des oliviers et des amandiers ; et sur les premières pentes des caroubiers et des figuiers.

   
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Les fermes européennes ou indigènes sont nombreuses au contact du piémont et de la plaine. La plus imposante, sur la rive droite est bâtie à un endroit qui m'étonne car tout près d'une rive concave qui est, comme chacun le devine, la plus exposée au travail de sape des oueds en crue. Je doute qu'elle soit toujours là 50 ans plus tard.
   
   ·   Les pistes. On voit nettement le départ des deux pistes qui serpentent vers les crêtes. A cet égard, grâce à ces pistes de montagne, Bouinan est une commune exceptionnelle. Ailleurs il n'y a rien de carrossable dans la montagne (que des sentiers de chèvres) hors des rares grandes routes du sud. A l'ouest (à droite de la photo) la piste rejoint une piste de crête qui conduit à Chréa, la station de ski des Algérois. A l'est (à gauche de la photo) la piste grimpe jusqu'à la crête et redescend vers la vallée de l'Harrach qu'elle atteint un peu en amont d'Hammam-Melouane. En 1950 il était question de la prolonger jusqu'à Berrouaghia.
   
   ·   Les banquettes du service de la DRS. On aperçoit nettement leurs parcours qui respectent rigoureusement les courbes de niveau. Il y en a au-dessus et au-dessous du village de regroupement. Ces banquettes sont l'aboutissement d'une réflexion qui a commencé avant 1914, avec en 1903 une loi de principe sur la lutte contre l'érosion et en 1911 la création d'un service du reboisement. Le service de DRS (défense et restauration des sols) est plus tardif et plus ambitieux. Il a été créé le 8 septembre 1941 par un arrêté du gouvernement de Vichy ; et il doit restaurer ce qui a été déjà bien érodé. La méthode utilisée consiste à creuser une banquette horizontale où l'eau pourra s'infiltrer au lieu de dévaler la pente. S'il pleut assez pour y planter des arbres fruitiers, c'est encore mieux car leurs racines fixent la terre.

LE VILLAGE DE REGROUPEMENT

Il n'est pas conforme au schéma habituel . ce village est moins " confortable " pour les regroupés que les autres. Il y a peu de maisons familiales, il n'y a aucune cour fermée familiale où les femmes pouvaient aller s'aérer sans sortir de la maison, et il n'y a pas de place centrale où se réunir. Il n'y a, en bas des maisons les plus petites, qu'un vaste espace marginal qui reste peut-être à construire. Le village paraît coupé en deux par une piste : à gauche des maisons pour deux familles et à droite pour une seule. Mais l'absence de cour est générale. On n'aperçoit aucune tour ; donc ni mirador, ni château d'eau.

La promiscuité tant redoutée par les regroupés devait être à son zénith pour les quelque 70 familles (c'est peu) qui vécurent là 3 ou 4 ans ; car je doute que le village soit resté habité après 1962. Il était trop contraire aux traditions. Par contre il n'est pas impossible que la proximité des champs ait permis aux hommes, sous surveillance militaire, d'aller récolter les fruits de leurs figuiers, voire de semer. Mais pas tous les jours. La crainte française était qu'une liberté de mouvement ne favorise trop les contacts avec les rebelles qui n'étaient pas très loin, ainsi que leur ravitaillement.

Il est tout à fait possible que les hommes aient trouvé du travail sur des chantiers d'entretien des pistes et des banquettes de la DRS.

Les bâtiments de l'inévitable SAS sont un peu au-dessous du village. Une piste y conduit. Par contre je ne discerne pas de dispositif de protection militaire de l'ensemble. Pourtant il devait sûrement y en avoir un, bien camouflé.

Notule sur les SAS : sections administratives spécialisées

Les SAS s'insèrent dans la tradition des bureaux arabes (1838-1870) que la République a eu le tort de supprimer, ainsi que dans celle des officiers des affaires indigènes (1926-1955) qui devaient être diplômés en arabe. Elles sont implantées tout près d'un poste militaire qui assure indirectement leur protection.

C'est Soustelle qui les créa en septembre 1955 pour remédier au sous encadrement administratif des communes mixtes ; communes où les Européens étaient très peu nombreux. En 1960 il y en avait au moins 700.

C'est l'échelon administratif le plus accessible pour toute démarche. Elle est aussi un dispensaire (éventuellement mobile) qui dispense un minimum d'assistance médicale en assurant des consultations, des vaccinations et des soins gratuits. Elle participe, indirectement, au plan de scolarisation. Elle est bien sûr aussi , en liant le plus de contacts possibles avec les habitants, un organisme de renseignement et de " guerre psychologique ". D'ailleurs la consigne est, pour le lieutenant chef de la SAS, de multiplier les tournées dans les douars pour souligner la pérennité de la présence française ; et ramener vers la France les hésitants. Il peut aussi se charger du premier interrogatoire des suspects, avant de les confier à des personnes mieux rodés pour cet exercice difficile.

Dans son personnel, au demeurant peu nombreux, il y a forcément un interprète, et un médecin. Et un chauffeur. L'instituteur éventuel peut être un militaire.

De tous les officiers cocufiés par De Gaulle , les officiers des SAS sont ceux qui ont porté les plus belle cornes. Ils avaient mission d'inspirer confiance aux populations en général et aux supplétifs en particulier ( moghazni et membres des GAD : groupes d'auto-défense : les futurs harkis). Cela ne pouvait s'obtenir sans de solennelles promesses de ne jamais céder devant le FLN. A partir de juillet 1961 De Gaulle a pourtant changé de politique et au printemps 1962 on a demandé aux officiers des SAS de désarmer leurs hommes ; on leur a même interdit toue initiative susceptible de les sauver de l'égorgement, puisqu'ils étaient, faisait-on semblant de croire, protégés par les garanties inscrites dans les accordes d'Evian.,

Notule sur les communes mixtes du Tell (hors Sahara)

Ce sont des communes très vastes (à peine 78 en 1930) où vivent très peu d'Européens ; et le plus souvent il s'agit de fonctionnaires de passage : instituteurs médecins de colonisation et forestiers notamment.

Elles ont une organisation spéciale, avec à leur tête un administrateur nommé. Il joue le rôle de maire mais est aussi " l'agent de la surveillance et de la tutelle des citoyens de statut civil local " (les musulmans donc). Il préside une commission municipale où siègent des adjoints européens et musulmans, élus ou nommés selon la période.

Ce maire peut s'appuyer sur des caïds, des aghas et des bachagas nommés. Il doit aussi composer avec les Présidents des Djemaâs locales ; assemblées de notables représentant les douars et les mechtas (fractions de douar).

A la suite de ces notules générales et sans images, je souhaiterais ajouter une notule personnalisée et illustrée sur " ma "SAS d'Aït-Aïcha.

Notule sur la SAS d'Aït-Aïcha

Durant les vacances d'été en 1956, je fis un séjour imprévu en zone rebelle dans une SAS de la commune mixte du Haut-Sébaou : celle d'Aït-Aïcha. Pour s'y rendre il faut une bonne carte de Kabylie : allez à Azazga, puis prenez la route touristique de Michelet. Au bout d'une vingtaine de kilomètres prenez la piste à gauche. Après 6 ou 7km, de bonne piste vous y serez. En 1956 c'était une impasse.

J'avais été en tant qu'étudiant algérois " réquisitionné et mis à la disposition d'un Général Commandant civil et militaire dans une zone de pacification ". Deux réquisitionnés étaient envoyés dans la même SAS. Mon collègue était un ami personnel. Nous fûmes mis à la disposition d'abord de l'administrateur de la commune mixte qui résidait à Azazga. Il ne savait pas à quoi nous occuper. Il finit par nous expédier à Aït-Aïcha. Juste un détail pour mesurer l'ampleur de la sous-administration du bled. La SAS dépendait de Fort-National soit à 76km par la route la plus commode et à 51km par la plus courte.

La SAS était attenante à un poste militaire tenu par des " rappelés " dont le parti communiste n'avait pas réussi à empêcher le départ. Nous y avons trouvé le vivre, le couvert, une bonne ambiance et une occasion de nous instruire. Elle était dirigée par le lieutenant Goldstein (d'active) tout juste rentré du centre-Annam et avait un médecin civil rappelé nommé Hesnaut.

Avec mon collègue réquisitionné nous eûmes à mettre de l'ordre dans un énorme monceau de cartes d'identité qui avaient été enlevées aux villageois pour confisquer d'éventuelles fausses cartes, et en fabriquer de nouvelles. L'opération exigeait dans un premier temps de photographier tous les hommes ( les hommes seulement). Je fus chargé du développement des clichés, que mon collègue avait pris, dans un modeste laboratoire. On m'affecta un aide kabyle prénommé Dib qui, me croyant plus compétent que je n'étais, me demanda de lui communiquer un savoir-faire que je ne possédais nullement.

Vers le milieu du séjour nous partîmes à dos de mulet, et avec une escorte de moghaznis, passer deux jours en bas dans la vallée, chez le caïd dont dépendait le territoire où se trouvait . la SAS. Son village s'appelle Tifrit ; son couscous était bon, mais j'ai oublié son nom. Nous n'avions rien à faire. Le lieutenant s'informait et le docteur soignait les bobos qu'on lui montrait.

Je termine par ces quelques petites photos.

Le site. Au fond la forêt d'Akfadou
Le site. Au fond la forêt d'Akfadou

Le site et le bâtiment de la SAS .Au fond la forêt d'Akfadou. Les villageois attendent pour la photo.
Le site et le bâtiment de la SAS. Les villageois attendent pour la photo.

Les deux barbus réquisitionnés pour des vacances au bon air de la Kabylie.
Les deux barbus réquisitionnés pour des vacances au bon air de la Kabylie.
Les deux barbus réquisitionnés pour des vacances au bon air de la Kabylie.
Au fond le village.

Deux moghaznis ; dont un fellagha repenti au garde -à -vous.

A gauche, deux moghaznis ; dont un fellagha repenti au garde -à -vous.

               À droite, Dib qui servait surtout d'interprète.

L'autre est Dib qui servait surtout d'interprète.

La table du caîd et le chemin pour y accéder.
La table du caîd et le chemin pour y accéder.
La table du caîd et le chemin pour y accéder.