LA PLAINE DE LA MITIDJA AVANT 1962
Georges Bouchet
PRESENTATION GENERALE HISTORIQUE
A/Une plaine presque sans histoire avant les Turcs
B/La Mitidja turque 1515-1830
C/La Mitidja et la France

 


mise sur site le 15-1-2011

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PRESENTATION GENERALE HISTORIQUE


A/ Une plaine presque sans histoire avant les Turcs
Coincée entre un littoral qui posséda deux capitales (Iol-Caesarea) et (Icosium-Djazaïr des Beni-Mezghana), et un Titteri où furent situés les deux centres de pouvoir d'Achir et de Médéa, la plaine de la Mitidja resta en permanence un territoire dépendant de l'une ou l'autre de ces quatre villes.

Caesarea Mauretaniae (Cherchell) est le nom romain de la ville phénicienne de Iol fondée au IVè siècle avant j-c. Après la chute de Jugurtha en - 105 elle passa sous le contrôle des Romains qui se contentèrent de protéger, tout en les romanisant, les rois de Maurétanie ; et notamment Juba II
(-25 +23).

Rome attendit l'an 40 (le vrai en 40) pour annexer de facto la province dont le nouveau roi Ptolémée, fils de Juba II, avait été assassiné à Lyon sur ordre de Caligula.

L'annexion officielle fut décidée par Claude en 44. La Mitidja fit alors partie de cette " Maurétanie Césarienne ".


Achir, près d'Ain-Boucif, fut à partir de 936 la capitale du nouveau royaume ziride fondé par Ziri ibn Menad. Le fils de ce dernier, Bologhine ibn Ziri, fortifia sur la côte un ancien port phénicien, puis romain (Icossim-Icosium) qu'il rebaptisa Djazaïr des Beni-Mezghana, à l'emplacement de l'actuel Alger. En fait la Mitidja et le littoral échappèrent très vite à l'autorité des Zirides plus intéressés par l'Ifrikiya (Tunisie) et l'Egypte. La Mitidja devint une dépendance de fait de la ville d'Alger ; son arrière-pays immédiat et nourricier.


      1° sur la Mitidja sous les Carthaginois, je ne sais rien de sûr. On peut néanmoins imaginer que des éléphants carthaginois ont pataugé dans les marécages de la plaine ; pas les 37 éléphants qui, en -218, ont franchi avec beaucoup de difficultés les Alpes, on ne sait où au juste, pour attaquer Rome en vain, car ils étaient partis d'Espagne. Mais ceux qui ont aidé Hasdrubal à créer précisément cette Espagne carthaginoise autour de la ville de Carthagène, la bien nommée, en -227.

     2° La Mitidja romaine est un peu mieux connue
Elle appartient à la Maurétanie Césarienne administrée par un procurateur qui dépendait directement de l'Empereur et qui n'avait à sa disposition que des troupes auxiliaires. Donc pas de légionnaires dans la Mitidja. Le procurateur résidait à Cherchell.

On y a identifié quelques ruines romaines très modestes : rien qui ressemble à une ville ou à une chaussée empierrée. La ville la plus proche était sur la côte, à Tipasa. Seules quelques pierres taillées ont été trouvées, parfois enfouies profondément, comme celles aperçues près de Blida en creusant un puits. Il est certain qu'en deux millénaires les pierres romaines ont eu le temps d'être ensevelies sous les alluvions descendues de l'Atlas, ou d'être récupérées, plus tard, pour bâtir quelques fermes ou haouchs plus solides que les gourbis traditionnels.

La Mitidja romaine est restée à l'écart des itinéraires majeurs. La route stratégique Est-Ouest principale avait été tracée beaucoup plus au sud. Entre leurs provinces d'Afrique les Romains avaient aménagé, de la Proconsulaire (Tunisie) à la Tingitane (Oranie, Maroc) une sorte de rocade qui reliait Sitifis (Sétif) à la vallée du Chéliff par Auzia (Aumale), Rapidum (Masqueray) et Tirinadi (Berrouaghia). Le camp romain principal était celui d'Auzia, le plus proche de la Mitidja, celui de Thanaramusa, près de Berrouaghia.

En 212 les berbères de la Mitidja, avec l'édit de Caracalla, sont tous devenus citoyens romains. On peut donc dire, soit qu'il n'y avait que fort peu de Romains dans la plaine, soit qu'il étaient tous romains après 212. En réalité cette citoyenneté juridique n'a pas dû modifier grand chose. Et pas davantage le christianisme qui a connu quelques succès limités.

J'ignore s'il subsistait encore de vrais Romains en 429. Si oui, ils ont été éliminés ou chassés par les Vandales. Surtout la minorité qui s'était convertie au catholicisme, car les Vandales avaient adopté l'hérésie arienne.


vandales en afrique

 

Seuls les Vandales (trait vert) sont venus en Afrique.
NB. L'empire romain d'Occident disparut en 476
NB. Les vandales ont saccagé Rome en 455
Les Wisigoths l'avaient déjà saccagée en 410

On peut noter, tout en s'en étonnant, que malgré plusieurs siècles de présence, il n'est resté des Romains, en Algérie dans son ensemble, que des pierres et des ruines de villes. Ils ont raté leur colonisation, autant que nous, voire plus. La langue latine a été totalement oubliée, alors qu'ailleurs, elle a donné naissance au français, au portugais, à l'espagnol et à l'italien. Le christianisme, encore présent en 647, a été éradiqué au Maghreb, alors que des minorités chrétiennes ont subsisté jusqu'à nos jours au Liban, en Syrie, en Irak et en Egypte ! Le berbère s'est donc révélé parfaitement inassimilable. Cependant, plus tard, il adoptera la religion des nouveaux conquérants musulmans ; et parfois leur langue.

      4 ° Les Vandales n'ont fait que traverser la Mitidja
Les Vandales avaient franchi le détroit de Gibraltar sur des navires romains ! En effet Rome leur avait consenti le statut de fédérés, donc d'amis. En Espagne ils étaient soumis à la pression des Wisigoths (le trait noir de la carte ci-dessus) et ils saisirent volontiers l'occasion de partir lorsqu'un gouverneur romain de Maurétanie (Bonifacius) les appela à l'aide contre l'autorité de la régente à Rome (Placidie depuis la mort d'Honorius en 423).
Leur chef était Genséric. On estime le nombre des guerriers à au moins 30 000, plus les membres de leurs familles. Une fois débarqués près de Tanger, au printemps 429 ils se divisèrent en plusieurs dizaines de bandes qui se mirent en marche vers l'est en saccageant la Maurétanie. Certaines bandes, sinon toutes, traversèrent la Mitidja. L'une de ces bandes prit le temps de raser les murailles de Caesarea (Cherchell) et de Tipasa ; signe qu'elle n'avait pas l'intention de se fixer en ces lieux. Cela n'empêcha pas Genséric d'obtenir de Rome, en 435, la confirmation de son statut de fédéré avec possession de la Mitidja. Mais le but véritable de Genséric était la prise de Carthage qu'il conquit en 439 et dont il fit la capitale d'un royaume dont les limites n'englobaient pas la Mitidja.

Pourtant, autant que l'on puisse en juger, Rome n'a rien tenté pour réoccuper un territoire laissé libre après le départ de la horde vandale. Les textes n'ont gardé aucune trace d'une quelconque réaction du pouvoir impérial : voilà qui en dit long sur la dissolution interne d'un empire d'Occident voué à disparaître bientôt, en 476 précisément.

Après la conquête de Carthage par les Byzantins, les hommes en âge d'être soldats furent déportés à Constantinople pour y être engagés dans l'armée impériale et combattre sur d'autres fronts. Les autres, les femmes et les enfants restèrent en Afrique et se fondirent dans la population berbère locale. De l'Afrique vandale il ne resta rien, sinon une mauvaise réputation sans doute injustifiée, à cause du discours d'un député à la Convention à Paris vers 1793/1794 ; celui de l'abbé Grégoire. Voulant stigmatiser les pillards parisiens de son époque, il les traita de vandales, épargnant ainsi la mémoire des Wisigoths et des Ostrogoths qui ne devaient pas valoir mieux.

      5° La Mitidja est très marginale pour les Byzantins


ptrovinces reconquises par Byzance

En bistre les provinces reconquises par Byzance

Carthage est conquise en 533, ainsi que la Tunisie. Les deux étoiles de la carte situent les deux batailles décisives perdues par les Vandales. Au delà de Sétif et d'Auzia (Aumale) les troupes du général Bélisaire, sous l'empereur Justinien (527/565), n'ont occupé que les ports de Cherchell et de Tipasa. S'ils sont passés par la Mitidja, les Byzantins ne s'y sont pas installés. Cela a permis aux tribus de la plaine d'échapper aux troubles de la période : exactions fiscales, persécutions religieuses et mutineries de soldats. De toute façon, à partir des années 550, la priorité militaire de Byzance fut de combattre les Ostrogoths.

Il est probable qu'à l'écart du littoral l'effacement de Byzance a entraîné une sorte d'anarchie politique : le pouvoir central disparu ou très affaibli n'a pu s'opposer à la résurgence de formes de pouvoir tribales. Le pouvoir s'est éparpillé en reprenant, chez les indigènes berbères, les traditions ancestrales.

      6° La " colonisation " arabe de la Mitidja fut réussie
Je mets le mot colonisation entre guillemets car le but des compagnons d'Okba ben Nafi, n'était nullement de coloniser, mais de conquérir et sans doute aussi de propager les paroles du nouveau prophète Mahomet. Il menait un djihad et proposait la conversion aux vaincus païens, chrétiens et juifs, sans la leur imposer. Les conversions auraient été rapides, favorisées, pense-t-on, par le fait que les berbères échappaient ainsi au paiement de deux impôts spéciaux : la capitation et l'impôt foncier. Il se peut également que les chrétiens aient été préparés à l'acceptation d'un nouveau monothéisme plus simple que les précédents car ignorant les querelles théologiques sans fin sur la double nature du Christ.

L'invasion arabe en Tunisie a commencé en 647 ; le passage du détroit dit de Gibraltar par Tarik ibn Ziyad est de 711. Les arabes sont donc arrivés dans la Mitidja entre ces deux dates, et sont restés assez longtemps pour avoir islamisé les berbères et pour les enrôler dans un djihad vers l'Europe où les occasions de pillage ne seraient pas rares.

Pour l'arabisation ce fut plus long. L'arabe étant la langue des nouveaux maîtres, il est sûr que l'ascension sociale, ou plus simplement les contacts avec les représentants du pouvoir, exigeaient de connaître quelques mots d'arabe parlée. Il ne s'agissait pas de l'arabe du Coran, mais d'un arabe des bédouins d'Egypte, que nous appellerions dialectal. En 1830 le processus était allé à son terme dans les plaines, mais pas dans les montagnes de l'Atlas tellien. Entre 1830 et 1842 les rapports des officiers français qualifiaient de Kabyles les populations de l'Atlas qui venaient piller les premières fermes de la Mitidja.

Entre le XIè siècle et 1515 (arrivée des Turcs) la Mitidja disparut des chroniques et demeura une région sans histoire malgré les nombreux passages des conquérants venus de l'est, de l'ouest et même du sud

vers 950 les Zirides venus d'Achir,
vers 1000 les Hammadides venus de Bougie,
vers 1100 les Almoravides venus de Marrakech
vers 1200 les Almohades venus de Marrakech
vers 1300 les Hafsides venus de Tunis
vers 1350 les Zianides (ou Abdelwadides) venus de Tlemcen
vers 1400 les Mérinides venus de Fès.
Quelques jalons :



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B/ La Mitidja turque 1515-1830

Avec la conquête turque la Mitidja renoue avec une histoire écrite, précisément datée et localisée. Les Turcs y furent souverains durant 315 ans.

      1° La conquête fut quasi accidentelle et très facile
Elle fut accidentelle car ce sont les Algérois, du moins leur chef Salim el Teumi, qui appelèrent au secours, contre les Espagnols, Baba Aroudj, un corsaire grec renégat entré au service des Turcs et entouré d'un halo d'invincibilité. En 1515 Aroudj et son frère Kheir ed Din (plus tard sur nommé par nous Barberousse) accoururent, prirent la ville, tuèrent Salem el Teumi qui était le chef d'Alger et aussi de la tribu qui dominait la Mitidja. Ils occupèrent leurs compagnons en les lançant à la conquête de la Mitidja et des montagnes du Titteri et du Zaccar. Il ne leur fallut que quelques semaines pour soumettre toutes les tribus de la plaine.
Après la mort de son frère, Kheir ed Din se plaça sous la protection du sultan de Constantinople qui légitima sa conquête, lui envoyant 12 000 janissaires tout de suite et des administrateurs ensuite. C'est ainsi que la Mitidja devint turque et ottomane pour 315 ans.

      2° La Mitidja turque fit partie du Dar es Soltane
Ce qui signifie qu'elle dépendait directement du dey d'Alger. Elle fut divisée en quatre outhans (ou districts) qui découpaient la plaine en quatre bandes méridiennes dont les noms et localisations approximatives sont indiqués sur le croquis ci-dessous.


mitidja turque

NB. Le tunnel n'a été creusé qu'en 1930 par les Français pour vider le lac Halloula et lutter contre le paludisme.


A la tête de chaque outhan le dey nommait un caïd, généralement turc ; et le caïd avait pour adjoint des cheikhs généralement arabophones, voire arabes. Au-dessus des quatre caïds, un agha (chef militaire) dit agha des arabes. C'est lui qui nommait les cheikhs, après que ceux-ci lui aient offert des cadeaux jugés suffisants. Curieusement les cheikhs n'avaient pas le droit de résider dans leur tribu, afin de ne pas être tentés de prendre le parti de leurs administrés.

Les Turcs répartirent les tribus en deux catégories : les tribus du Makhzen supérieur (les Hadjoutes seuls) et les tribus raïas (les autres). Les tribus raïas payent tous les impôts, y compris les exceptionnels, à chaque investiture d'un nouveau dey par exemple. Les tribus Makhzen sont exemptées des impôts non coraniques mais doivent fournir au dey ou aux agents du dey un appui militaire en cas de besoin. Le besoin le plus fréquent, annuel, était la collecte des impôts. Les Hadjoutes devaient aider les cheiks dans cet exercice impopulaire, d'autant plus impopulaire que chacun savait que les cheikhs gardaient pour eux une partie de la collecte. L'agha était aussi le responsable de la sécurité des fellahs, souvent troublée par les incursions des tribus montagnardes de la plaine. Les Turcs, ayant conquis ces montagnes, installèrent un bey du Titteri à Médéa en 1548 et un autre, du Zaccar, à Miliana.

Tous les ans , au printemps, la Mitidja était traversée par une troupe de janissaires qui montaient à Médéa pour aider le bey du Titerri à collecter les impôts. Une fois la collecte achevée, ils redescendaient pour porter le trésor à Alger et le remettre au Khasnadar, trésorier du dey. Tous les trois ans le bey devait se rendre en personne à Alger pour y déposer son tribut et obtenir son maintien en fonction. Il faisait halte à Blida, la seule agglomération protégée par une muraille pourvue de 5 portes fermées la nuit et gardées.

      3° Blida est la seule ville de la Mitidja turque
Et elle est toute récente. Cette cité a été créée à l'époque turque, pour héberger des réfugiés morisques fuyant l'Espagne. Ces musulmans convertis de force au christianisme après 1499 supportaient mal cette situation. De surcroît les autorités espagnoles se méfiaient d'elles estimant leur nouvelle foi fragile. Sans être chassés, certains ont pris la décision d'émigrer vers un pays musulman. Les autres ne seront chassés qu'en 1609. La date retenue pour la création de Blida est 1533 ou 1535. Ces morisques ont apporté avec eux leur savoir-faire agricole qui maîtrisait notamment les techniques d'irrigation.

La Blida turque eut quatre rôles principaux :
            -ville de garnison,
            -ville étape sur la route de Médéa,
            -ville de relégation,
            -ville de plaisir enfin.

Les militaires devaient, d'une part sécuriser une étape importante sur les chemins conduisant au sud par Médéa, et à la vallée du Chéliff par celle de l'Oued Djer ; et d'autre part protéger les jardins du piémont contre les pillards de l'Atlas.

Les fonctionnaires en disgrâce y attendaient le changement de dey et une grâce éventuelle.

Les militaires et la plupart des fonctionnaires étaient sans famille ou l'avaient laissée à Alger. La présence de ces célibataires obligés eut deux conséquences à Blida :
  - le grand nombre des prostituées ; un Mezzouar était nommé. Ce fonctionnaire était spécialisé dans la gestion de tous les problèmes associés à cette profession ;
  - le grand nombre des Koulouglis, métis nés d'un père turc et d'une mère indigène.
Ces Koulouglis étaient craints par les indigènes pour ce qu'ils avaient de turc et méprisés par les Turcs pour ce qu'ils avaient d'arabe ou de berbère. Quand, en 1830 la France aida au " rapatriement " vers Salonique des officiels turcs, les Koulouglis ne furent pas du voyage et restèrent en Algérie.

Peu avant la conquête française la ville eut à souffrir de deux malheurs qui l'affaiblirent : en 1817 une épidémie de peste, et au printemps 1825 un séisme qui ébranla les murailles, détruisit des maisons et , plus grave, des mosquées. Il aurait tué la moitié de la population qui serait tombée de 6000 à 3000 habitants.

      4° Quelle mise en valeur ?
La Mitidja turque était-t-elle riche ? Difficile à dire tant les témoignages diffèrent sur sa richesse, tout en s'accordant pour accabler les trois siècles de gestion turque. En 1727 le consul des Etats-Unis, Schaler, a vu " de riches pâturages, de nombreux troupeaux et de splendides jardins " là où le capitaine de Saint-Arnaud, en 1838 n'a vu que des " mares boueuses et des fossés ".

Il est sûr que quelques haouchs étaient prospères, possédés le plus souvent par des propriétaires absentéistes, arabes ou turcs, qui vivaient à Alger, loin des fièvres de la plaine. Sur place les travaux agricoles étaient assurés par des khammès, (métayers). Le propriétaire y venait de temps à autre ; de préférence hors des mois à moustiques. Il est tout aussi sûr qu'il y avait des fellahs modestes qui donnaient vie aux nombreux souks hebdomadaires ; et qu'il y avait des marécages. En fait la Mitidja était diverse ; plus saine et cultivée au sud, au pied de l'Atlas, et à l'est ; plus pauvre et paludéenne au nord et à l'ouest où le lac Halloula stérilise des milliers d'hectares.

Ces marécages, les Turcs les connaissaient, mais l'idée d'engager des travaux de drainage ne leur est jamais venue. A vrai dire, hors de la ville de Blida, les Turcs n'ont bâti qu'une seule infrastructure durable : un pont sur l'Harrach (voir sur ce site: l'Harrach) construit en 1697 et restauré en 1735. En 1724, pour protéger ce pont situé près d'Alger, ils avaient installé le bordj Sidi Yahia : un fort de forme carrée. Cette forme serait à l'origine du toponyme français de Maison-Carrée.

C/ La Mitidja et la France

      1° Douze ans de conquête, difficile
La conquête fut longue, en partie parce que la décision de conquérir fut tardive. La prise d'Alger avait été décidée par Charles X que la révolution de juillet 1830 écarta bientôt du pouvoir. Son successeur, Louis-Philippe, et le président du conseil, Casimir Perrier, ne savent que faire de cet encombrant héritage. Fallait-il partir ? Ou rester et donc contrôler l'arrière-pays ? La décision de rester ne fut prise qu'en juillet 1834.
Elle fut très difficile en raison d'une forte résistance qu'il fallut combattre, dans la Mitidja, jusqu'à la fin 1839 ; voire au-delà à certains endroits.

Par ailleurs elle fut menée par des commandants en chef qui n'eurent pas la même stratégie, et qui restaient en poste trop peu de temps : 8 responsables furent nommés entre de Bourmont en 1830 et Bugeaud nommé en 1840. Ce dernier fut une exception car il resta en poste 5 ans. Il ne se contenta pas de consolider notre présence dans la Mitidja : dans la foulée de sa lutte conte Abd-el-Kader, il conquit presque toute l'Algérie, sauf la Kabylie.

Voici la liste de ces chefs. Les 5 premiers eurent le titre de Commandant en chef ; les suivants celui de Gouverneur Général. Tous étaient des officiers supérieurs, lieutenants-généraux ou maréchaux. La date mentionnée est celle de la prise de fonction théorique et non celle de l'arrivée à Alger.

Louis de Bourmont 31/01/1830
Bertrand Clauzel 12/08/1830 et 7/07/1835
René Berthezène 31/01/1831
René Savary 6/12/1831
Théophile Voirol 29/04/1833
Jean-Baptiste Drouet d'Erlon 27/07/1834
Charles Denys de Damrémont 12/02/1837
Sylvain Valée 13/10/1837
Thomas-Robert Bugeaud 2/02/1841
NB Je n'ai pas tenu compte des intérimaires

            -1a/ 1830-1834 fut le temps des hésitations et des opérations de reconnaissance
Le 6 juillet 1830, au lendemain de la prise d'Alger, de Bourmont franchit l'Harrach sur le pont turc de 1697 et longe la limite nord de la Mitidja pour aller au cap Matifou voir, d'en face, la ville d'Alger

Le 22 juillet 1830, avec 1200 soldats il traverse toute la Mitidja jusqu'à Blida : simple reconnaissance sans idée d'une prise de la ville qui aurait exigé un siège. Il reçoit une délégation de notables de la ville : entrevue sans suite. Sur le chemin du retour, le 24 juillet, il est harcelé par les tribus. Il ne laisse pas de soldats près de Blida, mais a pu constater le mauvais état des murailles.

Le 17 novembre 1830 c'est Clauzel qui traverse la Mitidja pour monter à Médéa et y châtier le bey Bou Mezrag qui nous a trahis après une apparente soumission. Il arrive à Blida le 18, s'empare de la ville, installe une garnison et transforme une mosquée en hôpital. Le 21 il repart pour Médéa. Le 26 les tribus attaquent la garnison qui tient bon, et gênent la progression des éléments de renfort.

NB1 Blida joua 3 fois encore le rôle de gîte d'étape sur le chemin de Médéa ;
       en juin 1831 avec Berthezène
       en août 1836 avec Clauzel
       en mai 1840 avec Valée

NB2 A cette époque le chemin de Médéa ne remontait pas les gorges de la Chiffa
(voir sur ce site: les gorges) alors impraticables, mais gravissait le djebel Mouzaïa qui était franchi par un col haut de 1 043m.

            -1b/ 1834 fut décisive pour trois raisons : une parisienne et deux locales.
Le 22 juillet 1834 est publiée une ordonnance royale qui décide que la France restera en Algérie. Par conséquent Louis-Philippe nomme un " Gouverneur Général des possessions françaises dans le nord de l'Afrique " au lieu d'un commandant en chef. Le premier fut Drouet d'Erlon qui dut contrôler les environs d'Alger, à commencer par le Sahel et par la Mitidja.

Le 15 juin 1834 Voirol attaque les Hadjoutes dans leur territoire et engage un conflit à répétitions contre notre adversaire principal. Les tribus du centre de la Mitidja, Beni-Moussa et Beni-Khelil, nous ont aidés en rejoignant le camp français. Les tribus montagnardes, surtout du côté de la Kabylie, ont aidé les Hadjoutes en nous obligeant à combattre aux deux extrémités de la plaine.

Fin 1834 un camp militaire fortifié permanent est envisagé près du lieu-dit Bou Farik où se tenait, le lundi, un souk très fréquenté dans une zone marécageuse. Ce camp est appelé d'abord camp d'Erlon ; puis après que des européens aient été autorisés à venir commercer, le Bazar d'abord et Médina Clauzel ensuite. Il se forma ainsi une sorte de village informel qui obtint, le 20 septembre 1836, une consécration officielle avec la création du centre de colonisation de Boufarik, pour 142 familles.

            -1c/ 1835-1838 4 ans d'insécurité due au harcèlement constant des postes et des fermes français par tous les arabes et berbères qui demeuraient hostiles aux infidèles ; et notamment à l'ouest par les Hadjoutes et à l'est par les Kabyles. La stratégie française fut de multiplier les camps militaires, surtout au pied de l'Atlas. La nécessité de les ravitailler et d'assurer la rotation des troupes, entraîna la hausse des embuscades contre nos convois et nos détachements. Il était aussi quasi impossible de sécuriser les environs de Boufarik (20 colons sont surpris et massacrés en juin 1837 près de Boufarik ; ils étaient pourtant armés mais avaient laissé leurs armes un peu à l'écart).

En mai 1838 Valée améliore le dispositif en créant au nord de Blida deux nouveaux camps dit supérieur et inférieur (origine des villages de Joinville et Montpensier créés en 1843). Il s'agissait de sécuriser les routes de Médéa et du Chéliff. Contre les Hadjoutes, le général Berthois avait imaginé la création d'un obstacle susceptible de bloquer les cavaliers. Cet obstacle, appelé " fossé continu " était un fossé, de préférence ennoyé, et ponctué de blockhaus en bois tous les 500m. Ce fossé resta inachevé, après la soumission des Hadjoutes en 1842, mais les blockhaus furent utiles aux colons : ils leur servirent de réserves de planches.

Il est possible de cliquer sur la carte pour l'agrandir.
colonisation du Sahel

Remarquez l'étendue des marais (hivernaux) en bordure du Sahel
Le camp du Hamiz est à l'origine du village de Fondouk
Le camp de Kara Mustapha est au-dessus de la plaine et vulnérable
Le projet de fossé continu suivait à peu près le tracé de l'oued Chiffa

            -1d/ Le désastre de l'automne 1839 fut l'un des épisodes les plus sanglants de la lutte contre Abd-el-Kader. Ce dernier avait signé avec les Français un accord dit de la Tafna le 30 mai 1837, selon lequel la Mitidja était à nous. Mais les deux textes, arabe et français, étaient peu clairs en ce qui concerne la limite de la Mitidja du côté de la Kabylie. Or, du 23 octobre au 2 novembre Valée conduisit personnellement les troupes qui relièrent Sétif à Alger à travers un territoire qu'Abd-el-Kader considérait comme sien en vertu de l'article 2 de l'accord.
Le 18 novembre il nous déclara le djihad.
le 19 ses khalifas saccagèrent la Mitidja en massacrant les chrétiens et les musulmans qui travaillaient pour eux.
Le 20 un convoi est surpris et massacré.
Le 21 unité perd 105 soldats près d'Oued-el-Alleug. Les Hadjoutes emportent 98 têtes.

massacres de la mitidja

J'estime l'aspect des fermes des colons peu crédible. Par contre le mode de leur décollation est tout à fait vraisemblable.

Décembre fut un mois désastreux pour la Mitidja. Valée fit évacuer tous les postes militaires sauf 5 ; à savoir Kara Mustapha, Arba, Fondouk, Blida supérieur et Maison-Carrée. Ce dernier servait de base de départ pour tous les envois de renforts ou de vivres. Il ordonna aussi de replier de force les colons survivants.

Valée fut remplacé par Bugeaud qui décida d'attaquer les Hadjoutes sur leurs terres à l'ouest de l'oued Ameur-el-Aïn. C'est son adjoint Théodule Changarnier qui reçut leur soumission en juin 1842, mettant fin ainsi à 12 ans de brigandage. La mise en valeur et la colonisation de la Mitidja par des fermiers devint possible.

Changarnier s'était déjà illustré en août 1840 en venant au secours du camp de Kara Mustapha, menacé par les troupes du khalifa Ben Salem. La garnison fut sauvée, mais le camp, trop vulnérable aux lisières de la Kabylie fut abandonné.

On avait vainement essayé d'engager les Hadjoutes, en tant que tribu makhzen, parmi nos auxiliaires. Mais ils n'acceptèrent pas de servir des infidèles comme ils avaient servi les Turcs : ils avaient une foi aussi bien chevillée au corps qu'un turban sur la tête de son mollah. Pourtant, près d'Oran, les Douairs et les Smelas, dans le même cas avaient accepté.