Alger, Algérie : documents algériens
Série sociale : émigration
les nords-africains en France

15 pages + 6 pages photos et graphes - n°45 - 10 mars 1955

Mais, surtout, cessons de considérer comme indésirables ces trois cent mille hommes qui, assurant la dualité et la réciprocité du lien, contribuent à le raffermir et nous aident à transformer une demi-servitude en une association qui, unique en son genre, devrait pouvoir, si nous en sommes dignes, être citée, dans une ou deux générations, en exemple au monde entier."

mise sur site le 10-08-2005
graphique 1 : émigration des Musulmans algériens vers la métropole
graphique 2 : comparaison entre le recrutement de main d'oeuvre étrangère et nord-africaine.
graphique 3 : aspects du mouvement migratoire
retour
76 ko / 19 s

---------Passé depuis la guerre en premier plan de l'actualité. le problème des Nord-Africains en France n'en est pas moins fort mal connu du grand public qui n'en est trop souvent informé que par des faits isolés et exceptionnels résultant d'une forte sélection spontanée.
---------Il convient tout d'abord de préciser que le terme très général de " Nord-Africains " englobe trois catégories de personnes très distinctes. En fait, il y a en France des Tunisiens, des Marocains (Pour ce qui est de l'émigration marocaine cf. " Les Marocains en Lerance " par J. Pey - Paris-Sirey.) et des Algériens.
---------Les Tunisiens et les Marocains sont des protégés français qui ne peuvent venir en métropole que munis d'un passeport et d'un contrat de travail.
---------Toute autre est la situation des Algériens ou plus exactement des Français-Musulmans d'Algérie.
---------Si avant la guerre de 1939-45 des mesures restrictives, souvent illusoires d'ailleurs, ont pu être prises pour freiner l'émigration algérienne, il n'en est plus de même aujourd'hui.
---------En effet, l'article 2 du Titre ler de la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l'Algérie prévoit que " L'égalité effective est proclamée entre tous les citoyens français, Tous les réesortissants de nationalité française, des départements d'Algérie jouissent, sans distinction d'origine, de race, de langue, ni de religion, des droits attachés à la qualité de citoyens français et sont soumis aux mêmes obligations. Ils jouissent notamment de toutes les libertés démocratiques, de tous les droits politiques, économiques et sociaux, attachés à la qualité de citoyens de l'Union Française, garantis par le préambule et l'article 81 de la Constitution de I République Française. "
---------Aussi, est-il normal que le Français-Musulman d'Algérie puisse se rendre librement à Paris ou à Lyon tout comme le ferait un Alsacien ou un Breton.
---------Mais pourquoi le Français-Musulman d'Algérie quitte-t-il sa campagne ou sa montagne natale pour venir en France ? Pourquoi tente-t-il la grande aventure au delà de la mer ? Pourquoi constitue-t-il l'immense majorité du groupe " nord-africain se trouvant en Métropole ?
---------Pour des raisons simples et souvent identiques à celles qui poussèrent et poussent encore les gens des pays pauvres du Massif Central, de Bretagne ou des Alpes soit vers les cités industrielles, soit vers des régions plus fertiles.

LES CAUSES DE L'EMIGRATION

---------Les causes de l'émigration algérienne sont en gros de trois ordres : démographiques, économiques et psychologiques. Le problème démographique est indéniablement celui qui domine et surtout pèse sur la vie algérienne.
---------Evaluée en 1856 environ à 2.300 000 habitants, la population de l'Algérie est déjà supérieure à 4 millions en 1901, De 1921 à 1936, la population musulmane passe de 4 millions 890.000 habitants à 6 millions 160.000. Le recensement de 1948 démontre 7 millions 800 000 Français-Musulmans et des sondages effectués ces dernières années permettent d'affirmer que l'accroissement annuel de cette population dépasse le chiffre de 210.000 unités.
---------La poussée démographique traduit un taux des naissances extrêmement élevé (40 %) qui indique que la limitation des naissances est restée jusqu'ici négligeable dans cette population. Ce taux de natalite résulte de la conjugaison d'une forte fécondité et d'une nuptialité très élevée et très précoce.
---------L'accroissement démographique pose automatiquement des problèmes économiques.
---------Tout individu, pour qu'il puisse vivre, doit, pouvoir satisfaire Ies besoins élémentaires et naturels suivants : se nourrir, se vêtir, se loger. Or, dans notre société moderne, ces trois impératifs ne peu-vent être satisfaits que dans la mesure où l'individu gagne sa vie, c'est-à-dire dans la mesure où il peut travailler, donc dans la mesure où il peut trouver un emploi.
---------C'est là que le drame commence.
---------En étudiant les rapports qui existent entre les richesses et la population de l'Algérie, on s'aperçoit que celle-ci n'arrive plus à employer ni à nourrir tes populations habitant sur son sol.
---------Alors qu'au Maroc apparaît une marge réelle entre les richesses existantes et les richesses possibles, ainsi qu'entre les niveaux de vie existants e,, les niveaux de vie possibles, cette marge est dans bien des régions d'Algérie (Kabylie, Aurès, Trara, etc.) pratiquement inexistante. Si au Maroc le problème économique l'emporte encore sur le probleme démographique, en Algérie le problème démographique pose le problème économique mais aussi le paralyse. Dès 1935, l'Algérie ne suffit plus à assurer la subsistance d'une grande partie de sa population. Les Pouvoirs publics doivent lutter contre la famine en prélevant 100.000 quintaux de blé sur le stock de sécurité pour le ravitaillement des populations nécessiteuses, En 1936, 430.000 quintaux sont ainsi distribués et ces dernières années 17 % des récoltes céréalières commercialisées étaient retenues pour faire face a d'éventuelles calamités.
---------Chaque année, par suite du simple accroissement de la population plus de 200.000 quintaux supplémentaires de céréales sont nécessaires. La population vivant essentiellement de céréales, on calcule qu'en 1871 chaque habitant disposait de 2,5 q et aujourd'hui, avec une bonne récolte, il n'en a plus guère que 2 q à sa disposition.
---------L'émigration vers la France devient donc une nécessité vitale pour permettre à une masse sous-alimentée, et en voie de prolétarisation, de vivre.
---------A la lueur de ces faits, on comprend fort bien que les quelques 5.000 Algériens qui se trouvaient en France en 1912 soient devenus plus de 300.000 de nos jours (Cf. graphique n" 1 et " Les Musulmans algériens en France et dans les pays islamiquess " (pages 57 à 83). par Jean-Jacques Rager. Presses Universitaires de France.). Les Marocains sont environ 20.000 et les Tunisiens 5.000.
---------Quelques chiffres de ces dernières années montrent nettement l'allure que prend l'émigration algérienne.
---------En 1951, on compte 142.651 départs et 88.084 retours, soit une émigration effective de 54.567 personnes ; en 1952, les départs se chiffrent à 149.000, les retours à 134.000, soit une émigration effective de 12.000 personnes ; en 1954, 151.000 départs contre 129.000 retours, sort une émigration effective de 22.000 personnes ( Graphique n°2. l'immigration aurait rapporté en 1954 aux Compagnies de Navigation et aux Compagnies Aériennes1 milliard 300 millions.).
---------Enfin, une importante cause d'ordre psychologique pousse le Français-Musulman à franchir la mer : il se trouve en France, malgré bien des frictions, dans une situation morale différente de celle qui lui est faite en Algérie.
---------Il ressort donc clairement que chaque année des milliers de Français-Musulmans viennent grossir le nombre de ceux qui se trouvent déjà en France.
---------La situation économique de l'Algérie ne s'etant guère modifiée par rapport aux besoins croissants de la population, il est certain que l'émigration continuera, au cours des années prochaines, à jouer le rôle de soupape de sécurité.
---------Aux causes économiques algériennes pulsatrices s'ajoutent des raisons économiques métropolitaines attractrices : les rémunérations supérieures obtenues dans l'industrie, des régimes d'allocations familiales et de sécurité sociale plus avantageux que ceux existant en Algérie.
---------A côté de ces diverses raisons constantes et normales, il convient de mentionner sans y attacher une trop grande importance, des causes artificielles et p issagères telle la propagande diffuse de recruteurs sans vergogne qui, à une certaine époque, n'ont pas hésité à parcourir les douars pour le compte de compagnies de transports et de faire de Belleville et de Clichy des sortes d'Eldorados (Il convient, par contre, de féliciter " Air France" pour son effort d'humanisation de l'émigration.Voir photo).

LES PRINCIPALES REGIONS D'EMIGRATION

---------Les centres essentiels de l'émigration sont les Kabylies. D'importants départs sont également en-registrés dans un certain nombre d'îlots berbères des Babors (El-Milia) ou d'Oranie (Mazouna, Médrona, Marnia). L'émigration tend toutefois à s'étendre aux douars sédentaires de la région de Sétif et de Maadid. Le dépouillement du dernier recensement (1954) de la population en Algérie permettra de mieux connaître la répartition des émigrants dans chaque département Toutefois, [enquête effectuée en 1949 permettait déjà de constater (Les musulmans algériens en France et dans les pays islamiques p. 107 124, par Jean-Jacques Rager. Presses Universitaires de France.) que certaines communes des arrondissements de Tizi-Ouzou ou de Bougie envoyaient en France de 4 % a 12 % de leur population totale soit de 20 % à 50 % parfois de leur population masculine adulte. Ainsi, la commune mixte de Fort-National sur le territoire de laquelle vivaient 83.000 individus, soit une densité de 295 habitants au kilomètre carré contre 230 en 1936, comptait en France 8.000 hornmes, soit 10 % de sa population totale. Elle n'en comptait que 5.500 en 1933.

CARACTERES GENERAUX DE L'EMIGRATION

---------La durée de l'émigration est assez inégale. Elle varie selon les régions et selon le degré d'enrI-chissement de l'émigrant. Beaucoup de retours s'effectuent pour le Ramadan et l'Aid-el-Kébir.'
---------L'Algérien émigre généralement seul. Toutefois, on constate depuis 1948 une tendance (qui va en s'accentuant) des émigrants à partir en France avec leur épouse et leurs enfants. Contrairement à une légende solidement accréditée, le Musulman n'est plus polygame, bien que sa religion l'y autorise : aussi, les amateurs d'exotisme seront-ils déçus s'ils espèrent voir arriver en France des " harems " (Sur 40.000 dossiers d'allocataires de la Caisse interprofessionnelle du département d'Alger, on ne comptait que sept polygames.). Le nombre de familles musulmanes installées en France dépasse actuellement le chiffre de 5.000. L'implantation de ces courageuses familles doit, dans l'intérêt général, être favorisée.
---------Les départs maxima sont enregistrés en septembre, c'est-à-dire au lendemain des récoltes, et le maxima des retours en octobre, donc à l'approche de l'hiver.
80 % des émigrants ont de 20 à 40 ans. Ils arrivent en France dans la pleine force de l'âge et représentent, de ce fait, une puissance de travail intégrale. Peu d'émigrants ont plus de 55 ans. On peut estimer qu'un sur sept parmi les hommes adultes algériens se trouve en France.
---------Les qualités physiques et morales varient quelque peu selon les groupes ethniques. Le Kabyle des régions scolarisées est indéniablement le plus apte à s'adapter au travail industriel et au genre de vie occidentale. Aussi, l'émigration kabyle, la plus ancienne d'ailleurs, est-elle celle qui connaît le moins d'échecs. D'une manière générale, de solides traditions migratoires sont établies en pays berbère alors que les gens des hauts plateaux tâtonnent davantage et s'insèrent plus difficilement dans la vie économique française.

REPERCUSSIONS DE L'EMIGRATION

---------Le départ massif de l'élément masculin musulman ne s'effectue pas sans provoquer directement ou par contre-coup des modifications dans la situation économique, sociale, sanitaire et politique de l'Algérie.
---------Sous l'angle économique, l'émigration se traduit, d'une part, par un départ de main-d'oeuvre et, d'autre part, par des envois d'argent de la Métropole vers l'Algérie. Ce départ de main-d'oeuvre diminue le nombre de bouches à nourrir sur une terre pauvre et surpeuplée.
---------Les envois de fonds métropolitains constituent une très importante source de richesses pour le pays et permettent à de nombreuses familles d'équilibrer leur maigre budget.
---------On a estimé pour 1954 à 35 milliards de francs le montant des salaires expédiés en Algérie par les travailleurs émigrés en Métropole, soit plus du quart du total des salaires payés en Algérie par le commerce et l'industrie et un chiffre à peu près égal au montant global des salaires versés par l'agriculture. Environ deux millions d'Algériens vivent de l'émigration qui, dans certaines régions (Soummam,etc.), procure plus de 80 % du total des revenus (produits du sol + solariat local + mandats de Métropole). La moyenne annuelle expédiée par un ouvrier algérien travaillant en Métropole e situe autour de 140.000 francs. L'émigration a des conséquences importantes sur le plan social et en particulier sur celui de la famille.
---------On situe à peu près à une dizaine de milliers le nombre des Musulmans algériens mariés à des Européennes. Quelques centaines de ces ménages seulement sont venus s'installer en Algérie. Par ailleurs, plus de 15.000 femmes musulmanes se trouvent abandonnées et l'on peut penser que près d'une trentaine de milliers d'émigrants songent à se fixer définitivement en France.
---------L'émigration accélère également l'évolution des moeurs : le costume s'occidentalise, les vieilles superstitions telle celle de 1' "Enfant endormi " disparaissent. Souvent aussi, l'autorité du vieux père de fa-mille est battue en brêche, l'idée de l'indispensable scolarisation progresse, le médecin remplace le marabout, le mariage forcé recule.
---------Certes, souvent l'émigrant de retour au pays retrouve ses anciennes formes de pensée et est repris par la conscience collective du douar, mais il n'en est pas moins vrai que dans les régions où l'émigration est une habitude solidement établie, les modifications du genre de vie ne feront que s'accentuer et ce, peut-être plus rapidement qu'on ne le pense généralement.
---------Si l'argent envoyé de France contribue essentiellement à nourrir (Une enquête alimentaire menée sur l'ensemble du territoire algérien ne manquerait pas de fournir des don-nées extrêmement utiles tant sur le plan éeonomique que sur le plan sanitaire.) les familles restées au pays, certains émigrants, après avoir payé leurs dettes, achètent souvent un lopin de terre et augmentent leur cheptel.
---------L'habitat se modifie également, mais assez lentement.
Certains commerçants de Fort-National en particulier ont construit des habitations confortables () où ils pourraient, si les femmes étaient éduquées, vivre d'une façon moins primitive. L'apparition de placards, buffets, matelas dans les demeures est signalée un peu partout, ainsi que l'inévitable réchaud à pétrole.
---------Il est souvent difficile de faire dans ces transformations la part de l'influence de l'émigration et celle de l'enseignement. Il convient toutefois de noter que beaucoup de Kabyles souhaitent la construction d'écoles professionnelles, de chemins de pénétration dans les douars et l'adduction d'eau " tout comme en France ", disent-ils.
Par ailleurs, on s'accorde généralement pour reconnaître que si l'émigrant rentre au pays plus " revendicateur " qu'avant son départ, il n'en est pas moins devenu plus sociable. Très sensible aux égards dont il a pu être l'objet en France, il supporte mal d'être traité différemment à son retour en .Algérie. Il demeurera toujours " celui qui a été en France " et jouira d'un certain prestige auprès de ses coréligionnaires.
---------Si socialement l'émigration constitue une soupape de sécurité pour les classes aupérisées d'Algérie, elle ne paraît toutefois pas encore avoir provoqué des réflexes tendant à une limitation du nombre de naissances.

ASPECTS METROPOLITAINS DE L'EMIGRATION

---------Le nombre des Français-Musulmans actuellement en Métropole est évalué à environ 300.000 (Étude de M. Main Girard " Les Algériens musulmans en France " dans " Réalités Algériennes " n° 1, pages 40-4I, COMITEC, 1, rue Languedoc, Alger.). Rapportée aux populations française totale et musulmane algérienne totale au ler janvier 1954, elle représente respectivement 0,7 % et 3,5 %.
---------De tout temps, la région parisienne a exercé sur les travailleurs algériens une grande attraction, sans doute en raison de l'importance des besoins de main-d'oeuvre qui s'y manifestent et aussi de la facilité avec laquelle les Algériens parviennent à se fondre dans une énorme population agglomérée. On les évalue présentement à plus d'une centaine de mille.
---------Après la région parisienne, les départements des Bouches-du-Rhône, du Nord, de la Moselle et du Rhône, de la Loire et du Gard, du Pas-de-Calais, de la Meurthe-et-Moselle et de l'Isère en comptent le plus grand nombre. Toutes ces régions sont fortement industrialisées.
---------Si l'on compare la situation actuelle avec celle de 1938 où la localisation urbaine était déjà très marquée, on remarque que celle-ci demeure mais que la densité' croit et que la pénétration rurale atteint les campagnes les plus reculées. Seuls des départements comme la Vendée, la Vienne, les Côtes du Nord, le Vaucluse ne connaîtraient guère d'arrivées de Nord-Africains.
---------Ainsi que nous l'avons déjà écrit, les qualités physiques et morales varient quelque peu selon les groupes ethniques. Les Kabyles des régions scolarisées sont indéniablement les plus aptes à s'adapter au travail industriel. Leur genre de vie sédentaire tes prépare également à cette adaptation. Il est en effet compréhensible qu'un villageois arboriculteur ait plus de prédispositions pour un travail demandant de la précision qu'un pasteur nomade ou semi-nomade.
---------Aussi, n est-il donc pas étonnant qu'ayant plus de cordes à leur arc que les Musulmans des autres régions, les Grands Kabyles ét les Petits Kabyles aient réussi à se faire une place dans diverses branches de l'économie française. Vétérans de l'émigration, ils ont, certes, plus de traditions migratoires que les gens des régions voisines des Hauts Plateaux, mas c'est indéniablement leur atavisme villageois au-quel s'ajoute un acquis dû à leur passage à l'école ou à leur contact relativement fréquent avec la société occidentale, qui leur permet de différencier non seulement des non-Kabyles, mais même entre eux : Les petits Kabyles, gardiens et laveurs de voitures dans plus d'un, garage parisien ne travaillent-ils pas pour les propriétaires de taxis originaires de certains villages anciennement scolarisés des environs de Fort-National ?
---------Venus les premiers en France, Grands Kabyles et Petits Kabyles ont pu progressivement s'im-.)lanter dans divers secteurs industriels au fur et à mesure des besoins en main-d'oeuvre. La solidarite villageoise jouant, ils se sont soit regroupés dans telle et telle usine ou dans tel et tel quartier où ils ont d'ailleurs " leurs cafés ", véritables têtes de lignes de " petits réseaux téléphoniques berbères ".
De fort intéressantes monographies pourraient être écrites sur la vie de chacun de ces noyaux qui ont certainement chacun leur grande et leurs petites histoires mais tel n'est pas notre propos.
---------Une prochaine publication de l'Institut national d'études démographiques et du Groupement d'études sociales nord-africaines fera connaître quelle était approximativement, ces dernières années en Métropole, la répartition des Algériens par région d'origine. S'il est, certes, intéressant de savoir qu'un groupe de Kabyles originaires des villages du douar Aït-Ameur ou Ali (C.P.E. de Bougie) travaillant à Lyon, se retrouve dans un café proche de la place du Pont et tenu par X... X.., lui-même originaire de Bougie et véritable restaurateur, facteur, banquier et conseiller de cette petite colonie, il n'en est pas moins vrai que l'important de l'affaire est de retenir que si ces Bougiotes ont pu s'insérer dans la vie économique française, donc se fixer relativement, c'est parce qu'ils étaient déjà un peu dégrossis (Ces petits Kabyles ont tellement bien compris qu'ils avaient pu à peu près réussir parce que un peu " dégrossis ", que certains d'entre eux ont emrnené leurs fils avec eux pour leur assurer une scolarisation normale. Autre exemple : dans une usine du bassin de la Sambre, se trouvent employées 3 générations de la même famille L'adaptation est réalisée.).
---------Toute autre est la situation des pasteurs semi-nomades des régions voisines des Hauts-Plateaux.
---------Ayant connu un genre de vie ne les prédisposant pas au rythme de vie industriel, appartenant à des régions jusqu'ici peu touchées par la scolarisation, venus les derniers à l'émigration, ils sont automatiquement relégués vers les travaux tes plus durs et les plus simples, vers les travaux de pelle et de pioche.
---------De ce fait, ils sont amenés à parcourir la France au hasard des chantiers de travaux publics et lorsque la mauvaise saison interrompt ces travaux, ce sont eux qui refluent vers les grandes villes où ils submergent les centres d'accueils et les bureaux d'embauche, inquiètent le Français moyen qui ne se doute pas que ces vagabonds rêveurs pensent, prabablement à un être cher qui risque la misère là-bas au pays, là-bas dans ce pays si proche et si différent où les femmes chantent encore :
" Nous avons levé nos tentes. nous avons rassemblé nos troupeaux,
" Nos chameaux sont bardés, nos chevaux sont libres d'entraves,
"
Nous allons de l'autre côté de la terre chercher dss astres nouveaux,
" Chercher un pays lointain, oublié depuis l'origine des mondes ".

REPARTITION PROFESSIONNELLE

---------Quelle est la répartition professionnelle des travailleurs algériens ? Selon le " Bulletin d'Information et de Documentation Professionnelle " du Ministère du Travail, la répartition par qualification professionnelle des travailleurs nord-africains occupés en Métropole se présentait au ler septembre 1954 de la façon suivante : 114.757 manoeuvres, 33.129 ouvriers spécialisés, 7.519 ouvriers qualifiés, 95 dans la maîtrise et 147 employés.
---------Ces salariés se répartissaient à la même date par branches d'activité comme suit : agriculture 2.445 ; énergie : 1.013 ; mines de houilles et de lignites : 7.689 ; autres mines et carrières : 3.541 ; production des métaux : 20.272 ; industries mécaniques et électriques : 30.781 ; verre, céramique, matériaux de construction : 4.453 ; chantiers d'aménagement hydro-électriques, barrages : 1.370 ; entre-prises, établissements, chantiers non compris dans la rubrique précédente : 50.568 ; industrie chimique : 10.185 ; industrie textile : 5.006 ; transports 3.306 ; autres activités : 15.108. Total : 155.647.
---------Si l'on compare la répartition par qualification professionnelle des travailleurs nord-africains employés dans les principales industries de la Métropole au 30 septembre 1952 avec celle au 30 septembre 1953, on constate que dans toutes les branches d'activité, exception faite du bâtiment et des travaux publics, le nombre des manoeuvres et des ouvriers spécialisés diminue, tandis que le nombre des Nord-Africains de la catégorie " ouvriers qualifiés " et de la catégorie " maîtrise " augmente. S'il est heureux de constater un accroissement du nombre des Algériens qualifiés, il convient néanmoins de souligner que l'évolution précitée est due au fait que dans l'ensemble de l'industrie le " manoeuvre balai " tend de plus en plus à disparaître, chassé par les progrès de la technique. Une conclusion s'impose donc : les travailleurs algériens ne conserveront à l'avenir une place dans l'industrie que dans la mesure où ils bénéficieront d'une qualification professionnelle de plus en plus poussée. Or, toute formation professionnelle suppose 'à priori la connaissance de la langue française. Aussi peut-on se demander si les régions d'Algérie où l'émigration est devenue une nécessité ne devraient pas bénéficier d'une certaine priorité lors de l'application du plan de scolarisation ?

 

-LES NORD-AFRICAINS AU TRAVAIL

---------La main-d'oeuvre algérienne étant assez rarement qualifiée est souvent reléguée aux postes les plus humbles.
---------En période de crise, elle est la première frappée par le chômage. On évalue actuellement à environ 100.000 le nombre des " sans emploi " algériens se trouvant en France (Soulignons qu'un " sans emploi " n'est pas obligatoirement un chômeur au sens de la législation du travail. L'Algérien qui n'a pas effectivement perdu son emploi niais qui, simplement, ne trouve pas d'emploi, ne bénéficie pas de l'allocation de chômage.). Aussi conviendrait-il que les Pouvoirs publics se décident à limiter sérieusement l'émigration officielle ou clandestine de travailleurs étrangers non qualifiés ou soi-disant qualifiés susceptibles de concurrencer la main-d'oeuvre algérienne. Le graphique n°3 montre nettement les incidences de l'émigration étrangère sur le recrutement de la main-d'oeuvre algérienne. Le Ministère du Travail a d'ailleurs fort bien compris l'importance de ce problème, mals il est néanmoins souhaitable de voir le Gouvernement préciser lors des discussions internationales que toute politique européenne d'émigration devra tenir compte de l'excédent démographique des trois départements français d'Algérie (Cf. Intervention de M. Amar Illoull sur les questions de population et d'émigration (Journal officiel de l'Algérie - Débat de l'Assemblée algérienne du 26-3-51, pages 348 à 350, et Bulletin Hebdomadaire de la Confédération Générale du Patronat Algérien) " L'Europe est-elle surpeuplée ? " no 188 à 194, ainsi que " Etudes Européennes de Population ". Publication du Centre Euro péen d'Etudes et de Population. Kdition de l'Institut National d'Altudes Démographiques, Paris 1954).
---------Les métiers exercés par les Algériens sont en général pénibles, malsains et salissants. Ils correspondent très souvent à une branche de métier fort simple exigeant peu ou pas de formation.
--------Les métiers pénibles sont ceux qui exposent aus inconvénients des températures élevées (conduites des fours, chaudières, chauffeurs dans les raffineries de sucre et dans l'industrie des corps gras). Les postes malsains sont ceux occupés dans les fabriques d'accumulateurs, de produits chimiques, d'alliages divers et de caoutchouc. Les postes salissants sont ceux que nécessitent la préparation de la soude, le broyage dans les fabriques de produits chimiques, la manutention du charbon et du minerai dans les aciéries. Seule une formation professionnelle sérieuse peut amener les Nord-Africains à occuper des postes moins pénibles.
---------Cette formation professionnelle est-elle possible ? Cette question ne supporte plus, à l'heure actuelle, aucun doute car l'expérience de la dernière guerre ayant prouvé qu'une forte proportion d'Algériens même incultes pouvait accéder assez rapidement à une certaine technicité, bon nombre d'industriels français en particulier dans les industries des métaux et dans le bâtiment, ont, sous l'impulsion d'hommes avertis et généreux, donné leur chance aux Français-Musulmans et tenté les expériences de base indispensables. Sélection psychotechnique appropriée, politique du logement, alimentation rationnelle, éducation des cadres en vue de l'accueil du Nord-Africain dans l'usine, cours du soir, hygiène industrielle, sécurité, organisation des Loisirs, bref, toutes les mesures appropriées ont été étudiées et prises pour mettre au maximum le travailleur algérien dans les mêmes conditions de vie matérielle et morale que le travailleur européen (Différents cahiers publiés Dar les Etudes Sociales Nord-Africaines (ESNA), 6, rue Parye, Paris (17°) traitent de ces questions qui ont également fait l'objet de la part du patronat français de publications hors commerce destinés aux employeurs de main-d'oeuvre nord-africaine.).
---------La légende de l'imperfectible musulman, le slogan du " travail arabe " ont été balayés et relégués au sottisier sociologique tandis qu'à l'occasion de l'inauguration de logements modernes construits pour les travailleurs nord-africains, le directeur du personnel d'un important groupement industriel du Nord n'hésitait pas à déclarer :
---------" La main-d'oeuvre nord-africaine représente plus du quart de notre effectif et pour un service important, l'aciérie Martin plus de la moitié.
---------Il est bon que l'on sache, et c'est tout l'honneur des travailleurs nord-africains, que plus des deux cinquièmes d'entre eux ont pu accéder à des postes d'ouvriers spécialisés et de professionnels et par-mi ces derniers 17 sont professionnels PI, 8 professionnels P2 et 1 professionnel P3.
---------Si l'on veut bien penser que l'énorme majorité de ces ouvriers est nouvellement venue à l'industrie, on doit admirer cette promotion exceptionnellement rapide à des postes supérieurs dans la hiérarchie, et ceci devrait pleinement édifier ceux qui, mal documentés, pouvaient douter de la qualité des ressources que nous apporte cette main-d'oeuvre
".
----------Certes, l'effort maximum n'est pas pleinement réalisé. Si dans certaines usines sidérurgiques les Nord-Africains spécialisés montent déjà à l'assautde l'échelle de la hiérarchie dans bien d'autres secteurs le mouvement ne fait que s'amorcer et ce n'e st que par une action continue, par des contacts multiples et une persuasion de tous les moments que l'on parviendra à faire disparaître les préjugés, à modifier les habitudes pour finalement " implanter " l'ingénieur social qui lancera la promotion ouvrière nord-africaine envers et contre tout.
---------Ajoutons que diverses mesures d'ordre général peuvent contribuer à accélérer l'intégration des Français-Musulmans dans l'économie et la vie françaises. Il convient tout d'abdrd de noter que de même qu'il est normal d'adapter la formation professionnelle aux besoins de l'économie, il serait hautement souhaitable de voir réalisée en Algérie une liaison entre l'enseignement et l'économie.
---------Par ailleurs, de l'avis même de nombreux industriels métropolitains, le jeune Algérien qui a été " dispensé " d'accomplir son service militaire se trouve sérieusement handicapé au départ lorsqu'on veut lui donner, en usine, une formation professionnelle. Aussi, conviendrait-il de réviser certaines positions et de procéder dans ce domaine aux réformes nécessaires.
---------Les ouvriers algériens employés en France dans l'agriculture sont peu nombreux. Leur nombre est toutefois passé de 600 en 1949 à 1.800 en 1953, le plus important contingent - environ 600 - étant implanté dans les Pyrénées-Orientales (Il convient de signaler que dans cette région les cultures pratiquées se rapprochent de celles du littoral algérien et que les conditions d'accueil ont été favorables. Plusieurs travailleurs sont inscallés avec leur famille.).
---------D'importants groupes sont également utilisés dans les rizières de Camargue et pour l'arrachage des betteraves.
Divers projets d'implantation de familles paysannes musulmanes dans tes campagnes françaises ont été étudiés. Si beaucoup de prudence s'impose en la matière, il n'en est pas moins vrai qu'une gamme d'expériences allant de l'équipe de village à la gérance de fermes inexploitées, mériterait d'être tentée.
---------Le placement individuel à la campagne doit, pour l'instant, être écarté car le Nord-Africain n'ai-me pas la solitude. Il a trop longtemps été habitué à la vie patriarcale pour passer brusquement à ta vie de l'ouvrier agricole. Il serait rapidement gagné par l'ennui et, au bout de quelques jours, réintègrerait la ville où il retrouve ses amis ou ses parents, ses cafés et des gens avec lesquels il peut parler du pays. En matière de salaires, la main-d'oeuvre algérienne perçoit présentement les mêmes émoluments que les autres main-d'oeuvre, dans to us les métiers et partout en France. De tout temps le manoeuvre algérien travaillant en France a plus gagné que l'ouvrier agricole ou le manoeuvre occupés en Algérie. Cette différence de salaires est une des causes de l'émigration.
---------Depuis 1944, les travailleurs algériens employés en Métropole bénéficient des allocations familiales. Ces dernières sont versées à leurs familles restéesen Algérie mais à un taux inférieur à celui pratiqué en France. Cette différence de taux explique partiellement le développement de l'émigration familiale. Le montant des allocations familiales versées en 19 53 aux familles des salariés algériens occupés dans la Métropole s'est élevé à 5 milliards 232 millions répartis entre 73.600 allocataires comptant 169.000 enfants, soit une moyenne de 71.000 fr. par allocataire et de 30.900 fr. par enfant ( Les allocations familiales sont comprises dans les 35 milliards transférés de Métropole.).
---------Le problème des lois sociales se pose également différemment pour les travailleurs algériens qui se sont mariés en France ou qu, y ont emmené leur famille et pour ceux qui ont laissé les leurs en Algérie. Les premiers sont traités, ainsi que leurs familles, sur le même pied que les travailleurs métropolitains, les seconds ne sont traités comme les travailleurs de Métropole qu'en ce qui les concerne personnellement. leurs familles bénéficiant toutefois. depuis 1953, du même régime que les ayants-droit des assurés sociaux algeriens du secteur noa agricole. Les prestations allouées à ces familles sont d'ailleurs à la charge du regime métropolitain de sécurité sociale.
On estime que si tous les travailleurs algériens cotisant en France avaient emmené leurs familles, ils auraient perçu, depuis 1947, tant en allocations familiales proprement dites, qu'en autres prestations, plusieurs milliards. Le principe de la territorialité ne pouvant en aucun cas être transgressé, il est logique que le Fonds d'Action Sanitaire et Sociale de Métropole réalise un sérieux effort en vue de faciliter la construction de logements destinés aux travailleurs algériens de Métropole et à leurs familles.

LES PROBLEMES EXTERIEURS AU TRAVAIL

---------En raison de leur faiblesse économique qui, pour les sans-travail, atteint la véritable misère, les travailleurs algériens sont, plus que quiconque, victimes de l'actuelle crise du logement, particulière-ment grave dans la région parisienne,
---------Certes, les centres d'hébergement organisés grâce aux initiatives officielles ou privées en dépannent un nombre toujours croi;,ant, mais la grande majorité continue à s'entasser dans des garnis où la location d'une paillasse sordide atteint plusieurs centaines de francs par jour. Leurs conditions de logement sont un défi aux lois les plus élémentaires de l'hygiène. Ces conditions mediocres de logement découlent également du fait que, trop souvent, pour pouvoir envoyer plus d'argent à leurs familles, les travailleurs limitent au plus juste tes dépenses strictement indispensables à leurs besoins matériels, de logement, de vêtements et de nourriture.
---------Aussi, sont-ils, dans les grandes villes naturellement portés vers les taudis. Ajoutons à cette rai-son d'économie que, dépaysés, le, Nord-Africains cherchent à se grouper pour éviter l'isolement.
---------Actuellement, un nombre de plus en plus important d'industriels se préoccupent de loger leur main-d'oeuvre algérienne.
---------Diverses expériences allant du dortoir collectif à la chambre individuelle en passant par le pavillon loué aux familles musulmanes, ont été réalisées.
---------D'une façon générale, les ee.ployeurs qui togen leur main-d'oeuvre algérienne ét qui lui facilitent ravitaillement et cuisine, obtiennent des résultats,
---------Si la politique du logement en faveur des Nord-Africains doit être souple et acaptée à leur besoin de vivre en groupes il convient toutefois de ne pas perdre de vue le désir que manitestent bon nombre d'entre eux de s'évader du cadre tribal.
---------Aussi, une politique du logement qui créerait des " cloisons étanches " doit-elle être proscrite. En aucune façon, il ne saurait être créé, a la porte de nos grandes villes, des cités arabo-berbères qui constitueraient en fait une ségregation comparable a celle pratiquée en Afrique du Sud et aux Etats-Unis.
---------La ségrégation choquerait énormément les Musulmans qui, ne l'oublions pas, considèrent l'hospitalité, karam-el-Arab, comme une chose sacrée et ont horreur des conceptions " concentrationnaires ".
---------A côté du problème du logement, mentionnons celui de l'alimentation et des vêtements.
---------Dédaignant généralement les cantines, le travailleur algérien prépare sa nourriture lui-même, espérant réaliser ainsi de plus substantielles économies. Il se nourrit mal et ignore totalement l'importance qu'il y a à composer ses menus selon certaines normes. Un médecin d'une importante usine sidért rgique chargé de détecter les causes du bas rendement de quelques travailleurs algériens mis dans les mêmes conditions de vie que l'ensemble des ouvriers de cette même entreprise, constata, après une enquête minutieuse, que les Algériens précités préparant eux-mêmes leurs repas manquaient simple-ment de certaines vitamines. Les travailleurs en question modifièrent, sur les conseils du médecin, la composition de leurs menus et, rapidement, leur courbe de productivité " rejoignit celle de leurs camarades, tandis que, tuée par les vitamines, disparaissait dans cet établissement la légende de la " paresse nord-africaine "...
---------Négligeant trop souvent de se procurer des vêtements chauds, les travailleurs algériens sont une proie facile pour la tuberculose. Dans ce domaine également, l'information et l'éducation des émigrants demeurent à faire, tout comme d'ailleurs en Algérie la liaison entre l'enseignement et la santé publique.
---------Plusieurs milliers de familles musulmanes sont actuellement installées en France (1). L'émigration familiale a débuté en 1948.
---------Une enquête approfondie per mettra d'ici quelque temps de connaître la situation exacte de l'émigration familiale et l'évolution ce ces familles. Vingt-quatre d'entre elles groupant 43 enfants sont fixées dans le bassin de Briey. Les :tommes travaillent ; la mine et touchent des salaires élevés auxquels s'ajoutent les allocations familiales et des avantages en nature. Ces familles sont logées dans des mai-sons ouvrières convenables pourvues de jardinets et disposant de 2, 3, 4 pièces, selon le nombre d'enfants.
---------Les enfants sont propres, bien tenus.. Tous ceux d'âge scolaire fréquentent l'école. Ils sont depuis l'âge le plus tendre, vêtus selon la mode française : l'adaptation des enfants s'avère extrêmement rapide. Ils fusionnent et s'entendent très bien avec leurs petits camarades métropolitains Sur aucune des filles nées en France, on ne relève la marque de tatouage. Les intérieurs sont très propres. toutefois le mobilier demeure des plus sommaire. ---------Tous les intérieurs sont identiques. Ceci marque le manque d'influence de la femme dans ce domaine, surtout quand on compare ces intérieurs a ceux des ménages mixtes.
---------Les conditions matérielles sont égales, mais dans ces ménages, on trouve des ameublements très coquets et une recherche de confort et de décor.
---------Par contre, le vestiaire des lemmes musulmanes est très bien fourni. Ni leur costume ni leur aspect extérieur n'ont subi de modifications. Parfois richement habillées avec de Ires beaux châles et fardées à la mode oranaise, elles sont pour la plupart jeunes et vivent dans l'ombre de leurs maris. Elles se rendent aux consultations médicales et certaines apprennent à tricoter. Bans ces familles, la religion est observée. Le carême a été accompli. Il est peut-être trop tôt pour pouvoir préjuger de l'avenir de ces familles. Un fait est cependant marquant : elles attachent toutes un très grand prix à ce que leurs enfants reçoivent une Instruction française.
---------Si, par ailleurs, à Aix-en-Provence, 35 femmes suivaient les cours de l'Ecole ménagère, il n'en est pas moins vrai qu'aucune politique suivie n'existe encore en faveur de l'émigration familiale algérienne.
---------Divers services sociaux publics et privés se penchent en France sur les travailleurs nord-africains et leurs familles. Leurs moyens sont toutefois insuf fisants et le manque de coordination des affaires sociales nord-africaines ne leur donne pas toute l'efficacité souhaitable.
---------Le problème posé par la présence en Métropole de Français-Musulmans est avant tout un problème économique et social lié à l'absence d'une politique de population. Il dépasse donc largement le cadre des commissariats de police.
---------Transplantés en France, tes travailleurs algériens continuent à vivre le plus possible de leur vie particulière. La vie en Métropole n'est très souvent pour eux qu'une vie factice car leur vie intérieure les transporte constamment vers leurs montagnes où sont restés tous les êtres et toutes les traditions qui leur sont chers.
---------Leur comportement différent, leur méconnaissance de la langue française les ecartent trop souvent du milieu ouvrier français.
---------Notons d'ailleurs que les Pott oirs publics s'efforcent d'arracher cette foule à l ignorance. Une centaine de cours du soir, créés par le Ministère de l'Education Nationale, fonctionnent pour les travail-leurs nord-africains sur l'ensemble du territoire métropolitain. Diverse: méthodes d'enseignement du français adaptées aux Nord-Africains ont été mises au point. Par ailleurs, un sérieux effort est présentement réalisé dans le domaine de la formation professionnelle tant en Métropole qu'en Algérie .

LE COMPORTEMENT DU NORD-AFRICAIN DANS LA CITE FRANÇAISE

---------Sans vouloir analyser dans le détail ce problème particulièrement étudié dans le cahier n" 20 de l'Institut National d'Etudes Démographiques, nous mentionnerons seulement quelques traits essentiels :
---------Tout d'abord, nous insisterons encore sur le fait que si les contacts avec les milieux européens sont rares et difficiles, c'est essentiellement parce que les Nord-Africains sont hélas, trois souvent illettrés
---------Ce seul fait les classe aux yeux des Métropolitain: comme des êtres à part, comme des " inconnus dont on ne sait pas et ne peut pas savoir grand'cn ose. Or, dans toute société, " l'inconnu 2 est instinc-Uvement jugé comme quelqu'un qui risque de perturber lès habitudes et la tranquillité du groupe. Ce jugement peut s'avérer faux rosis à priori, on ne sait pas...
---------Il est donc certain que la barrière de la langue. une fois abattue, les compte-ses qui existent de ce seul fait tant du côté nord t 'icain que du côté européen, disparaîtront rapidement.
---------C'est d'ailleurs l'existence Ce ces complexes q ui contribue à provoquer la mauvaise renommée des Nord-Africains sur le plan de la moralité publique et à entretenir une psychose de tension.
---------Un " inconnu s a-t-il commis un quelconque' forfait, qu'automatiquement an songe au Nord-Africain. Et, pour peu qu'une certaine presse (pas toujours désintéressée) renchérisse, il est probable que les jeunes filles de bonnes familles n'oseront plus sortir seules le soir !
---------Pourtant, diverses statistiques, dont celles de Ir Préfecture de Police, sont formelles o proportionnellement et en pourcentage, 1e, Nord-Africains ne se conduisent pas plus mal qoie les Européens et il n'est pas douteux qu'il leur reste encore beaucoup à faire avant d'égaler " Pierrot le fou ".ou " le gang des tractions-avant ".
---------La misère physique et l'abandon moral sont des facteurs qui poussent vers le mal toutes les colonies
lcnies de " déracinés ". Or, le campagnard algérien, perdu dans nos cités techniques est moralement totalement abandonné (Mentionnons l'existence de la Mosquée de Paris et de quelques oratoires en province.).
---------Des " ponts " peuvent et doivent être jetés. nor, seulement par les Pouvoirs publics, mais encore et surtout par les ouvriers et les industriels français car de la façon dont auront été accueillis en Métropole les travailleurs algériens dependra sûrement un peu l'avenir de cette Union Française que la technique ne saurait bâtir sans l'aide du coeur.
---------Les problèmes posés par l'émigration des Musulmans algériens sont nombreux et complexes tant pour l'Algérie que pour la Métropole. Diverses solutions peuvent être envisagées peur les résoudre. Elles dépendent toutefois avant tout de la politique que le Gouvernement entendra adopter non seule-ment en matière d'émigration et de population, mais encore d'une façon générale en matière économique.

---------A l'heure présente, l'émigration algérienne résulte du déséquilibre entre la oopulation et les ressources et permet à deux millions de Français-Musulmans de vivre. Seule une augmentation et une sélection rigoureuse des investissements métropolitains pourront contribuer à une certaine expansion de l'agriculture et de l'industrie algérienne qui entraînera le dévelopement de l'emploi et l'augmentation du niveau de vie des populations.
---------Mais, quelle que soit, en cours des années à venir, l'ampleur donnée par la Métropole à ces investissements, l'émigration demeurera, pendant un certain laps de temps -incore. une r.ée,essité vitale Aussi convient-il de la valoriser et de la rationaliser tout en ne tolérant pas d'émigration étrangère ni en France ni dans l'Union Française tant qu'il y aura des Français-Musulmans d'Algerie sans travail

---------Et, pour achever cette rapide étude d'un des plus graves problèmes humains que la France ait a résoudre, nous pensons qu'il n cal peut-être pas in utile de rappeler les conclusions d'un remarquable article sur l'émigration algérienne publié par M. Al fred Sauvy, Directeur de l'Institut national d'études démographiques, sous le titre " La population franco-algérienne " Les raisons d'une émigration - Des droits de réciprocité "

---------" Un territoire colonial ". ce ne sont pas des mines ou des plantations dom la main-d'oeuvre est l'accessoire, ce sont des hommes qui méritent de vivre et en ont le droit,
---------L'association France-Algérie pourra être dissoute. Il faudrait en ce cas rapatrier peu a peu la plupart des 1.100.000 Français établis là-bas. Personne, à notre connaissance, n'a propose une telle solution. Dès lors, la situation est claire : le droit des Français de vivre en terre africaine crée la réciprocité.
---------Dira-t-on qu'un problème de minorité risque de se poser et que nous introduisons une population radicalement inassimilable, inadaptable ? Qui peut l'affirmer avec une telle vigueur ?
---------Celui qui eut prétendu au XVIè siècle que catholiques et protestants vivraient un jour en commun tout en conservant leur foi, sans aucun trouble, n'aurait pas été pris au sérieux. Les hommes excellent à changer de temps à autre de préoccupations.
---------" Cinquante-deux millions de Franco-Algériens, liés par les caprices de l'histoire dans un même des-tin, sont pour 'e moment sépares beaucoup moins oui des caractères héréditaires que par une différence d'éducation, dans le sens le plus large du terme. Céder à la facilite, c'est aller, tôt ou tard, à une séparation qui ne pourra être que violente. Nous devons donc réagit contre nos préjugés et parfois contre notre confort.
---------" Mais, surtout, cessons de considérer comme indésirables ces trois cent mille hommes qui, assurant la dualité et la réciprocité du lien, contribuent à le raffermir et nous aident à transformer une demi-servitude en une association qui, unique en son genre, devrait pouvoir, si nous en sommes dignes, être citée, dans une ou deux générations, en exemple au monde entier."

Jean-Jacques RAGER,
Docteur de l'Université d'Alger
(ès-lettres)