Le port d'Alger
De la réparation à la construction navale en Algérie
Textes et illustrations extraits de " Alger-Revue, été 1957 "- collection B.Venis
sur site le 28-9-2007

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L'ALGÉRIE dispose d'une bande côtière de plus de 1.300 km et cette façade maritime constitue à la fois une défense naturelle, mais aussi un poumon qui lui permet de respirer, de recevoir des produits fabriqués et d'expédier en retour les produits de son sol et de son sous-sol. La vocation maritime de l'Algérie est donc une nécessité naturelle et il est de fait que les plus grosses concentrations de population se situent sur la côte tandis que la densité humaine s'amoindrit à mesure que l'on s'en-fonce vers l'intérieur des terres.

Depuis le milieu du XIXè siècle, l'Algérie est entrée dans l'ère moderne de son histoire maritime : Alger en particulier est devenu un grand port moderne et occupe une place de choix dons la chaîne des ports qui s'étendent de Nemours à La Colle. Il est vrai que c'est par là que débuta le prodigieux essor qui caractérise l'Algérie d'aujourd'hui.

Géographiquement, ce port est situé à distance égale de Gibraltar, de Marseille et de Tunis. Au large de cette ville passe une des routes maritimes les plus vieilles et les plus fréquentées du monde. Son arrière-pays d'une richesse agricole certaine, lui assure toute l'année des approvisionnements et du fret de retour pour les navires qui y font escale.

Grâce à ces circonstances heureuses, Alger s'est placé en 1951 au troisième rang pour le tonnage de jauge, au septième rang pour le tonnage de marchandises et au quatrième rang pour le nombre de passagers parmi les ports de l'Union française.

Situation privilégiée du port d'Alger

Le port d'Alger bénéficie de plus de circonstances naturelles qui l'ont amené à jouer le rôle de port de refuge et de réparations. Il est à remarquer que les ateliers de réparations de navires ont suivi un développement parallèle à celui du port et il est possible d'affirmer qu'à Alger, tout navire en difficulté peut trouver l'aide qu'il est en droit d'attendre.

De tradition déjà ancienne, cette industrie a commencé à se développer autour de 1869, date à laquelle la Chambre de Commerce fit construire les formes de radoub. M. Albert Fèvre créa en 1875 les Ateliers qui portèrent son nom, pour exécution de travaux de mécanique, fonderie, chaudronnerie et réparations navales. Durant la première Guerre Mondiale, entre 1914 et 1918, les ateliers ont grandement participé à l'effort de de guerre en réparant de nombreux navires avariés par l'action de la Marine ennemie et en équipant d'autres bâtiments pour les besoins de la guerre sur mer.

Modernisation de l'équipement local

Après cette période, on a assisté à un développement de l'armement local qui s'est équipé en navires modernes. Les armateurs eurent alors toutes possibilités de confier leurs bateaux aux réparateurs d'Alger qui purent améliorer leurs équipements, augmenter leur personnel et leurs moyens. L'effectif ouvrier proprement dit fut de 500 ouvriers environ, non compris le personnel affecté à l'entretien des coques, c'est-à-dire peintres, piqueurs, nettoyeurs.

Remise en état, dans le petit bassin de radoub, du bas de l'étrave d'un cargo.
Remise en état, dans le petit bassin de radoub, du bas de l'étrave d'un cargo.

II est possible de citer au nombre des réalisations de cette industrie algéroise, la transformation de nombreux navires pour la chauffe au mazout ou encore la fourniture à un navire avarié d'un cylindre MP de machine à vapeur alternatif de 1.500 CV.

L'approche de la deuxième guerre mondiale a conduit les services responsables du Ministère de la Marine, à entraîner la main-d'œuvre locale et les ateliers de la place, aux travaux d'entretien des navires de guerre et on eut à enregistrer l'envoi à Alger d'un certain nombre d'unités, en particulier de torpilleurs.
La guerre obligea ces ateliers à participer à l'entretien des flottes de guerre ainsi qu'à l'équipement des navires de commerce réquisitionnés pour les besoins de la Défense Nationale. Cependant l'armistice de 1940 amena le Port d'Alger au niveau d'une léthargie forcée, entrecoupée de belles réalisations, tel l'équipement d'un navire-citerne pour transport de vin, d'une capacité de 10.000 hl.

L'activité fébrile de la guerre

Le débarquement allié de 1942 bouleversa cet ordre des choses et anima toute la rade d'une activité intense : Alger, devenue capitale d'un monde en guerre, à proximité des opérations aéronavales de Méditerranée, devient le refuge d'une foule de navires endommagés à la suite de combats. L'on vit alors la conversion de nombreux ateliers étrangers à la réparation navale, sur l'impulsion du service des constructions de la Marine Nationale, à tel point que le potentiel de remise en état fut plus que doublé.
En un an, près de 2.000 navires purent être réparés et ceci par un effectif ouvrier dépassant 1.500 hommes (non compris les piqueurs, nettoyeurs et peintres).

Ce vénérable et unique document témoigne de la position privilégiée d'Alger. Il s'agit du torpilleur russe " Révolté " revenant endommagé de la bataille navale de Tsouchima (guerre russo-japonaise 1912) se faire réparer dans notre port.
Ce vénérable et unique document témoigne de la position privilégiée d'Alger. Il s'agit du torpilleur russe " Révolté " revenant endommagé de la bataille navale de Tsouchima (guerre russo-japonaise 1912) se faire réparer dans notre port.

L'Armistice de 1945 mit fin évidemment à cette période de travail intense et le problème de la reconversion se posa : cependant, il fallut remettre en état de nombreux navires dont l'entretien avait été négligé au cours des hostilités, ainsi d'ailleurs que de nombreux bâtiments qui avaient été renfloués. Mais cette période fut éphémère et l'activité diminua rapidement, restant cependant au-dessus du niveau de l'avant-guerre. De nombreux ateliers retournèrent alors à leurs anciennes spécialités, ne subsistant que les " anciens ".

Depuis le retour aux conditions normales d'exploitation, des travaux importants ont été entrepris et menés à bien, notamment dans le domaine du matériel de transport des vins en vrac (deep-tanks, citernes à vin, cuves indépendantes). C'est ainsi que la Société des Ateliers Terrin de l'Afrique du Nord, la plus importante entreprise de construction et de réparations navales en Algérie, a exécuté des installations sur 12 navires, portant sur un total de 62.000 hl installés, la plus importante atteignant la capacité de 17.000 hl.

Essor de nos entreprises navales.

La technique de ces entreprises est d'ailleurs en perpétuelle évolution et progrès : c'est ainsi que le moteur Dieseléquipant actuellement la presque totalité des navires construits dans l'après-guerre, les réparateurs du port d'Alger ont adapté leurs installations au travail spécial du moteur Diesel de bord, notamment à l'utilisation rationnelle des aciers spéciaux (traitement thermique, rectification).

Les navires modernes font un grand usage de l'électricité et les réparateurs du port d'Alger ont perfectionnéleur main-d'oeuvre spécialisée surtout dans la technique du courant continu. C'est ainsi que les Ateliers Terrin ont acquis la spécialité du rebobinage et de la réfection des moteurs à courant continu de grande puissance.

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Vue, prise en hélicoptère, des Ateliers Terrin implantés au môle
Vue, prise en hélicoptère, des Ateliers Terrin implantés au môle
Amiral-Mouchez et des 2 bassins de radoub.

C'est ainsi que le pétrolier " Stanmore ", à propulsion turbo-électrique s'était présenté au port d'Alger, son moteur d'hélice noyé par la rupture d'une canalisation d'eau de mer : nous citerons pour fixer les idées, les dimensions du rotor d'un diamètre de 3 m 50 environ. Le navire quitta le port après remise en état complète de ce moteur et vérification de l'expert du Lloyds'Register.

Les réparateurs de navires du port d'Alger, trouvent auprès des industries de la région algéroise, une aide précieuse sur laquelle ils ne pouvaient compter il y a encore quelques années. Heureux effets du plan d'industrialisation de l'Algérie : c'est ainsi qu'un atelier a pu obtenir la fabrication de garnitures en caoutchouc synthétique pour un appareil télémoteur de barre de construction anglaise. Par ailleurs, une usine créée récemment aux environs d'Alger a pu exécuter la confection de segments de moteurs Diesel sur la demande d'un atelier du port d'Alger.

Par un juste retour des choses, des jeunes usines ont pu trouver une aide appréciable auprès des réparateurs de navires qui disposent de moyens de fabrication puissants : c'est ainsi que les ateliers Terrin ont fabriqué récemment une cuve pour imprégnation sous pression de 3,5 de haut, 3 m 50 de diamètre, pesant à vide 12 tonnes et timbrée à 4 kg de pression intérieure.

La réparation de navires ne constitue pas une fin en soi puisqu'il est permis d'espérer qu'un jour Alger connaîtra la fabrication à titre permanent de bâtiments. C'est un rêve ambitieux, mois il n'est pas interdit de rêver surtout si l'on considère que dans ce domaine, des réalisations, bien modestes mois pleines d'enseignements, sont à l'actif des réparateurs de notre port.

Trois belles réalisations

Nous nous permettons de citer en particulier, la Société des Ateliers Terrin qui au cours de l'année 1956 a créé et mis au monde trois membres de notre famille maritime algéroise :

On sait que de Nemours à La Calle, 150 chalutiers draguent les hauts-fonds de la plate-forme continentale qui borde nos côtes, Tous sont en bois. Un arrêté gubernatorial a fixé le remplacement de ces chalutiers par des plus grands, de plus de 30 tonnes et d'une puissance de 100 CV minimum, ce qui doit entraîner dans les années à venir le remplacement de la majorité des bâtiments en service.

La Société des Ateliers Terrin a conçu et fabriqué un chalutier prototype à coque d'acier qui pourrait être le modèle des futurs chalutiers algériens.Long de 23 m. 40, large de 5 m. 80, ce navire baptisé " Louis Boutan ", est équipé d'un moteur Diesel de 200 CV. II est la propriété de l'Inscription Maritime qui l'a mis à la disposition du Professeur Dieuzeide, Inspecteur Technique des Pêches, Directeur de la Station d'Aquiculture de Castiglione qui l'utilise pour la recherche et la prospection des fonds de pêche en eau profonde. Cette activité devant faire l'objet d'une étude dans cette revue, nous ne nous étendrons pas sur cette question.

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La construction du chalutier en fer "Louis-Boutan " sous un hangar spécial.
La construction du chalutier en fer "Louis-Boutan " sous un hangar spécial.

Deux bâtiments de servitude du port d'Alger ont vu le jour également en 1956: il s'agit de " barges " ou citernes auto-propulsées qui assurent le ravitaillement en eau des navires touchant le port d'Alger. Jaugeant chacun 120 tonnes, ces deux bâtiments exercent leur activité sur tous les plans d'eau du port d'Alger, sous les couleurs de la Société Charbonac qui en est propriétaire.

Perspectives d'avenir

Le port d'Alger voit s'ouvrir devant lui de brillantes perspectives d'avenir : le pétrole découvert au Sahara va nécessiter la création d'une flotte de pétroliers destinés au transport des produits bruts ou raffinés. II est à prévoir que cette flotte de transport utilisera les ateliers du port d'Alger qui verront leur activité augmenter considérablement. Le seul goulot d'étranglement à craindre semble être l'exiguïtédes bassins de radoub déjà en service depuis 1869 et qui ne répondent plus aux exigences actuelles. La Chambre de Commerce d'Alger et les autorités administratives qualifiées ont prévu la fourniture d'un dock flottant qui prendrait position face à l'actuel quai de Bayonne du môle Amiral-Mouchez, bien que toujours réservé aux industries de la réparation navale. II n'est guère besoin d'insister sur le futur développement de cette spécialité qui est liée aux projets d'exploitation des richesses sahariennes.

Dans ce même ordre d'idées, signalons que le port d'Alger présente une caractéristique intéressante : il permet à un pétrolier qui vient de livrer sa cargaison aux raffineries de la région marseillaise, de consacrer son voyage de retour à l'opération du " dégazage ", sans laquelle aucun travail n'est possible à bord en raison des dangers d'incendie ou d'explosion. Actuellement un pétrolier qui a besoin de réparations, s'il vient les faire exécuter dans le port de Marseille doit auparavant effectuer des cercles au large de ce port et ce, pendant plusieurs jours au cours desquels il peut " dégazer ". Il s'ensuit une perte de temps et d'argent qui peut être évitée par l'utilisation du voyage sur Alger à l'opération de " dégazage ". Le navire se présente alors devant notre port en bonnes conditions pour être soumis aux travaux d'entretien.