sur site le 18/06/2002
-Le port d'Alger…Hommage aux scaphandriers

extrait de " aux échos d'Alger, septembre 2000, n° 70 "

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Le port d'Alger…Hommage aux scaphandriers
Joseph PALOMBA


-------Le développement progressif de ce port, qui de la darse de l'Amirauté au pied du Pénon, s'étendra en direction des collines de MUSTAPHA, bénéficiera de la construction de la grande jetée Nord, qui par étapes prendra sa forme définitive et une fois terminée portera le nom de Pierre WATTIER.
-------Faisant suite à cette première jetée, en sera construite une seconde dénommée jetée de l'Est (que nous appelions Môle Cassé) et entre ces deux jetées on laissera un vaste espace pour servir d'entrée principale du port avec sur chacune en bout de musoir, un feu de signalisation.
-------La jetée de l'Est fera l'objet, au fil des ans, d'un allongement continu. Extension qui protégera l'ensemble du vaste bassin de 1'AGHA et de l'Arrière-Port qui bénéficiera d'une large passe d'entrée indépendante de l'entrée principale de ce grand port.
-------A cette jetée viendra s'adjoindre par d'importants travaux, les jetées Butavand et de Mustapha qui formeront sans interruption une digue de protection d'une longueur impressionnante.
-------Sur la vaste étendue d'eau ainsi protégée, l'on construira de nombreux quais comme le quai de l'ORIENT, celui d'HERBILLON, ceux de GRANVILLE, DAKAR, FÉDALAH, FORT DE FRANCE, FALAISE, DUNKERQUE et de DIEPPE. Ces quais abriteront tout un complexe industriel et serviront aussi aux stockages des combustibles liquides et au charbon, ensemble adossé à la grande route MOUTONNIÈRE jusqu'à la hauteur du Jardin d'Essai.
-------Pour bien comprendre l'importance du port d'ALGER et de son Arrière-port nous devons citer en plus de ces grands quais et en partant depuis la darse de l'Amirauté les môles suivants le petit Môle Lyvois ou Môle de la Santé, le Môle de Pêche ou Jérôme TARTING, le Môle El-Djefna ou de la Transat, le Môle de la Gare Maritime, le Môle Amiral Mouchez (avec les bassins de radoubs) et le Môle du Minerais ou Grand-Môle.
-------Voilà brièvement tracée l'étendue d'un port pour lequel pendant des décennies les scaphandriers accomplirent un travail de titan.
-------Les Algérois qui se souviennent apprécieront ces distances.
-------Où est-il le port des barbaresques qui d'une superficie de 3 (trois) hectares en 1830, atteindra les 200 (deux cents) hectares en 1960?
-------Quand on y ajoute le développement spectaculaire de tous les autres ports de la côte algérienne, on comprendra mieux l'hommage rendu aux scaphandriers.
-------Les concernant, on ne sait pas trop si à la fin du XIX et au début du XXè siècle, les scaphandriers étaient nombreux dans le quartier de la Marine, proche du port. Quartier où s'implantèrent émigrés italiens: majoritairement des marins-pêcheurs.
-------Nous savons seulement que deux entreprises de travaux Sous-marins appartenant à Messieurs R. GADUON et Auguste GHERARDY avaient leur siège l'une au 23, rue d'Orléans et l'autre 2, impasse Philippe au coeur du quartier. Le nom de ces hommes dénote certainement qu'ils n'étaient pas d'origine italienne.
-------Nous trouverons plus tard, un magasin de vente de matériel destiné à la plongée appartenant aux Frères PETROSINO, Rue des Consuls. Au moins l'un des frères exercera le métier de scaphandrier. Y en avaient-ils d'autres dans ce quartier ? Des recherches s'imposent.
-------Mais sur le port, la postérité nous transmettra le nom de ZAGAME, BARTHELEMY fondateur de la Société Algérienne de Sauvetage et de Travaux Sous-marins, implantée à ALGER et à ORAN, et ceux de Gaetan PICONE, Antoine RANDO, PETROSINO, ARGENTO, MAZELLA et RIVECCIO Père.
-------Au passage nous citerons également le nom de deux scaphandriers, anciens plongeurs de la pêche aux éponges du port de Philippeville, les frères KRITICOS dont un surnommé " Jean le Grec " fut de très grand renom.
A cette époque cela paraîtra excessif d'employer pour les scaphandriers le terme " Entreprise " ou celui e d'Armement ". En réalité à ALGER, pour ce que nous savons, ce métier fonctionnait sur le mode artisanal ou familial.
-------Car c'est l'embarcation typique du scaphandrier qui était véritablement son " fond de commerce ". Même si parfois certains d'entre eux se groupèrent pour la location d'une voûte devant servir d'entrepôt comme ce fut le cas sur le port lors de la construction de Môle de Pêche. On peut encore voir sur une ancienne photo quatre de ces embarcations au mouillage à proximité de ce môle.
-------Entreprise familiale certes, car il fallait toujours avoir sur la barque un homme de confiance " pour assurer la sécurité du plongeur. C'est lui qui détenait la responsabilité de l'opération: parfois la vie même du scaphandrier sous l'eau!
-------On a peine à comprendre aujourd'hui le danger que représentait en ce temps-là le simple fait pour un homme de plonger à 25 mètres de fond pour accomplir des travaux d'une durée limitée. Sa vie ne tenait qu'à un fil: plutôt au filin qui le reliait au Bosco là-haut sur la barque avec lequel il ne pouvait communiquer que par e signes e transmis par ce filin. La simple rupture du tuyau par lequel l'air lui parvenait devenait fatale. Malgré une sévère vigilance, les accidents furent nombreux et souvent bien graves. C'est la raison que l'homme désignait comme Bosco était soit un associé, soit un membre de la famille ou encore un fils destiné lui-même à devenir scaphandrier.
-------On ne dira jamais assez les dangers qu'eurent à affronter ces "pieds lourds "au cours de leurs plongées. En plus, arriva le temps où ces artisans eurent à subir la concurrence des grosses entreprises de travaux maritimes venues de Métropole et aussi de l'étranger, attirées par le développement ou la construction de ports en ALGÉRIE. Ces entreprises possédaient leurs propres plongeurs, obligeant ainsi plusieurs scaphandriers locaux à rejoindre les services de la Chambre de Commerce et d'Industrie, gérante des bassins de radoub ou les Ateliers TERRIN, filiale de la Cie SCHIAFFINO détenant le monopole des réparations de navires à ALGER.
-------Signalons que dans ce port, en plus des travaux à l'intérieur, les scaphandriers s'exposèrent aussi à l'extérieur notamment lors de l'extension de la jetée Est nécessitant l'immersion de blocs de béton de 450 tonnes sur un fond mal défini, avec des enrochements pour lesquels l'emploi d'explosifs sera indispensable. Dangers aggravés en cet endroit par les courants marins et le fort ressac qui fut toujours la "plaie" du port d'ALGER.
-------En avons-nous connus des ressacs violents et meurtriers à l'intérieur du port, obligeant les cargos à délaisser le port d'amarrage pour sortir se mettre à l'abri dans la rade tandis que les chalutiers fuyaient le môle de pêche pour se réfugier au fond de l'arrière-port de l'Agha.
-------Au sujet du temps sur nos côtes, voici ce qu'écrivait dans son livre en 1926 le professeur A. GRUVAL: " Jusqu'au début du 20e siècle la circulation des eaux de la Méditerranée était encore mal connue dans ses détails. Elle diffère du reste entre les deux bassins, occidental et oriental, et se complique de courants secondaires dus à des causes difficiles à préciser. Mais le seul bassin occidental intéresse la côte algérienne. Les vents d'ouest sont des vents forts, souvent des tempêtes, ceux d'Est parfois assez violents aussi sont au contraire des vents de beau temps et de ciel clair. Les plus fortes tempêtes, celles qui soulèvent des vagues énormes et rendent la circulation sur la côte dangereuse et parfois impossible, même pour les grands bateaux sont dues à des vents de Nord-ouest qui halent vers le Nord."
-------Pour le port d'ALGER, nous avons souvent eu l'illustration du déchaînement de ces tempêtes. Peut-on oublier celle terrible du 3 février 1934 qui emporta en plein jour 300 mètres de la jetée Est en cours d'extension ? Ce jour-là, les ouvriers de l'Entreprise SCHNEIDER étaient à l'ouvrage sur la jetée. Malheureusement six d'entre eux emportés par une lame périrent noyés.
-------Les vagues énormes vinrent s'éclater aussi sur les blocs de la jetée Nord pour retomber en cascades à l'intérieur du port. Le remorqueur SAINT CHARLES et le petit caboteur NOTRE-DAME D'AFRIQUE de la Cie SCHIAFFINO, désarmés et amarrés à cet endroit furent mis en péril.
-------Le spectacle était féerique ! Enfants nous y assistions au milieu d'une foule d'Algérois pressés sur les boulevards et les rampes dominant le port comme le dit l'écrivain Jean BRUNE: " Boulevards qui sont la rampe d'orchestre de la Ville-Théâtre. "
-------Ce mauvais temps qui dura deux jours ne réduira pas l'activité du port. De 1929 à 1939 (la guerre) il semble bien que ce fut l'âge d'or pour le port d'ALGER.
-------La bande de " Oualliones " (jeunes garçons) que nous formions trouvait chaque fois sur les quais de nouveautés qui excitaient notre curiosité. Nos divagations sur la jetée Nord nous permirent d'assister à la construction du bâtiment d'un Sport-Nautique ainsi qu'à celui des Bains-Sportifs dont les assises furent mises en place par des scaphandriers.
Le môle EL-DJEFNA se terminait. Il prendra plus tard l'appellation courante de môle de la Transat.
-------Commémorant le Centenaire de l'arrivée des Français sur cette côte, le Président de la République nous rendait visite. Toute la flotte de guerre basée à Toulon l'accompagnait. Escadre gigantesque, pavillons déployés, trouvant difficilement un mouillage dans le port, ce qui obligera bon nombre de bâtiments à mouiller sur rade. Le port était en fête et la population aussi.
-------C' était également l'époque des grands travaux d'extension de la jetée Est qui permettra la création de l'arrière-port de l'Agha.
-------C'était surtout pour nous presque sur nos lieux de loisirs, le début de la construction du môle de pêche au bas des escaliers de l'ancienne pêcherie. Ce môle une fois terminé portera le nom de Jérôme TARTING.
C'est ainsi que nous avons assisté je dirais bloc après bloc à la naissance de ce quai.
-------Donc, face aux escaliers de la pêcherie partant du Quai Nord en direction de la jetée du même nom et retour, les blocs uniformes furent posés sur le fond l'un sur l'autre jusqu'à dépasser la surface de l'eau, formant ainsi un grand bassin rectangulaire (genre piscine) que l'on comblera au fur et à mesure par le charroi de terre et de pierres extraites de la Carrière JOBERT, sur le haut de BAB -EL-OUED.
-------Comment et par qui furent posés ces blocs pour construire ce quai? D'abord ils étaient amenés sur chalands depuis l'arrière-port et soulevés par une grue flottante (" L'Atlas " je pense) qui très lentement les descendaient sur le fond à l'emplacement que limitait en surface l'embarcation caractéristique du scaphandrier de service.

-------Car le gros de l'entreprise incombait aux SCAPHANDRIERS!
-------C'était un enchantement pour nous de pouvoir assister au déroulement des travaux et suivre les plongeurs des yeux. Surtout lorsque nous n'étions pas trop pourchassés par le responsable du chantier, irrité de notre curiosité.
Assis majestueusement au centre de la barque (embarcation ventrue, surmontée d'une petite potence) le scaphandrier revêtait Sa tenue et chaussait ses lourds souliers de plomb, aidé par le "bosco " qui dirigeait la manoeuvre. Celui-ci, après avoir vissé le hublot du gros casque de cuivre, donnait aussitôt l'ordre à deux matelots d'actionner par deux volants, une grosse pompe à air se trouvant sur le pont. Après être gauchement descendu dans l'eau par une petite échelle de bois, le scaphandrier disparaissait à notre vue entraînant le tuyau d'air le reliant à la barque alors que nous restions fascinés par les bulles qui crevaient la surface de la mer!

-------Etait-ce aussi l'âge d'or pour les scaphandriers?
-------De ce que nous savons, c'était surtout le temps du travail intense qu'ils fournissaient sur les plans d'eau d'un port qui ne cessait de s'accroître. Nous les avons même connus à l'intérieur d'un bassin de radoub en cours d'assèchement où en plongée ils contrôlaient la bonne pose de la quille d'un cargo sur les tins de bois au centre du bassin.
-------Ils étaient là pour le renflouement du petit remorqueur " Provençal 9 " entraîné par le fond lors d'une manoeuvre de sortie du port par le paquebot italien " Saturnia" un jour de gros mauvais temps. Naufrage où trouva la mort le Capitaine du remorqueur, père de deux enfants, nos amis.
-------Quelques années plus tard, les scaphandriers toujours eux, purent renflouer le " Furet Il " remorqueur de la Compagnie SCHIAFFINO, remonté du fond suspendu aux élingues de la puissante grue "Atlas ".

-------Qui comptabilisera les interventions de ces hommes?
-------Parlerons-nous d'une plongée pour colmater une brèche sous la flottaison du chalutier " Hunier " échoué sur la plage de la POINTE PESCADE (ou Port aux Mouches) si chère aux Algérois. Opération réussie mais fâcheusement lors de son remorquage pour rejoindre le port d'ALGER, une rupture de câble se produisit et depuis ce chalutier repose sur le fond, à la hauteur du " Kassour " à une encablure du port.
-------Plus heureux fut un autre sauvetage, celui du chalutier " Julietta " qui se mit au sec sur un rocher au pied de CAP TÉNES à 200 km d'ALGER. Un scaphandrier venu d'ALGER, accompagné d'une équipe de charpentiers fit preuve de courage et d'ingéniosité pour tirer le bateau de sa position dangereuse. Exploit remarquable qui permit un remorquage rapide du chalutier jusqu'au port de TÉNES le sauvant ainsi d'une forte tempête qui déferla le lendemain sur la côte et aurait signé immanquablement sa mort.
-------Beau travail accompli par ces " pionniers " de la plongée. Dommage de ne pas avoir le " Journal de Marche " ou les archives... si elles existent, de tous les travaux effectués par eux dans un grand port comme celui d'ALGER, a fortiori de ceux des autres ports de la côte Algérienne.
-------"Pionniers " disions-nous car quel oracle aurait pu prédire au début du XXe siècle l'autonomie d'un plongeur se déplaçant sans entrave au fond des mers avec le seul secours d'une bouteille d'air sur le dos. Comment envisager l'extraction du pétrole ou les longues recherches au service de l'Archéologie ou des épaves enfouies sous l'eau depuis des millénaires et la plongée devenue un sport initié aux jeunes, garçons et filles, dans le monde entier. Sans compter après les " Cloches de Plongées " l'avènement du Bathyscaphe permettant à des humains d'atteindre trois, quatre ou cinq mille mètres de fond sous la surface de la mer ! Prédictions impensables ou fallait-il se nommer Jules VERNE pour en décrire la fiction.
-------Pourtant ces scaphandriers que nous avons rencontrés au cours du temps, sur le port ou dans les quartiers alentours ne semblaient pas tellement différents des marins-pêcheurs de notre entourage.
-------Habitués, chacun dans son métier à affronter les mêmes dangers de la mer, partageaient-ils pour autant les mêmes instants de loisirs qu'ils pouvaient avoir le dimanche... ou les jours de gros mauvais temps?
Rien n'est moins sûr. Malgré que n'étant pas adeptes du "farniente ces hommes retrouvaient parfois leurs amis pêcheurs dans les cafés de la Marine, non pas pour " y boire " vraiment mais pour se retrouver " entre soi " pour parler métiers (souvent " avec les mains " comme seuls les napolitains savent le faire) ou simplement pour entamer une partie de cartes
-------Par tablées, dans des " matchs " effrénés et bruyants (pas à la belote française mais avec des cartes dites espagnoles) s'engageaient des parties de " Ronda " (jeux arabo-ibérique) ou alors de terribles " Scopa " à l'italienne qui en plus de quatre joueurs rassemblaient derrière eux toute une " galerie " de spectateurs enthousiastes... et très critiques
-------Pour poursuivre l'évocation de la vie des scaphandriers et des autres marins des quartiers de la Marine à ALGER, il nous faut bien en situer les contours.
D'abord, avec le temps, par l'intégration et la naturalisation qui en firent des Français, beaucoup d'entre eux en franchirent les limites, mais sans trop s'éloigner du centre. Or, le centre en fut pendant longtemps la Place du Gouvernement.
-------Grande et belle place dominant le port que la bêtise transformera plus tard en parking. A l'époque, la statue équestre du Duc d'Orléans s'élevait altière sur son socle, faisant face à la ville. Cette place qu'enfants nous appelions " Place du Cheval " et les Musulmans " Blacet-el-Aoud " était le véritable centre de la ville. Sa perspective avec d'un côté la mer comme toile de fond et de l'autre le dôme et le minaret de la Mosquée Djemaa-eI-Djedid, lui donnait un cachet particulier. De plus, elle abritait toutes les manifestations culturelles, religieuses ou profanes de la cité.
Religieuses et chrétiennes, comme la Fête-Dieu célébrée en grande pompe chaque année au mois de juin. A ce sujet, voici ce qu'en dit Fernand ARNAUDIES dans son merveilleux livre des " Esquisses anecdotiques et historiques du VIEIL ALGER " page 219. (La Fête Dieu): " Elle se célébrait chaque année le 14juin, Place du Gouvernement. L'Évêque, sous son dais écarlate entouré et suivi des dignitaires du Chapitre, accompagné des magistrats en toge, des officiers brillamment décorés. A l'élévation, 100 tambours et 6 orchestres dont 4 musiques militaires se faisaient entendre. Se rendant ensuite auprès de la balustrade qui, jadis, limitait d'un côté la Place, le prélat bénissait la mer tandis que tout un peuple impressionné fourmillait à l'entour sur les terrasses étagées et dans les rues avoisinantes. Cette manifestation sur la place publique sera illustrée encore en 1929 par KLEIN dans les feuillets d'EL-DJEZAIR ".
-------Pour les manifestations profanes qui eurent lieu " Place du Cheval "signalons entre autres les concerts en public du jeudi soir, pendant la belle saison. Au centre de rangées de chaises disposées en cercle, la Fanfare de la Saint-Philippe (Patronage de la cathédrale voisine) ou parfois l'Orchestre de la Lyre Algérienne, dont le local se situe Rue Bruce, toute proche se produisaient pour le plaisir d'une nombreuse assistance où dominaient les cheiches, les turbans et les burnous écarlates des hauts dignitaires musulmans.
-------A l'entracte, nous les jeunes, vagabondions autour de la place et assistions au dernier départ du tramway des C.F.R.A. à destination d'HUSSEIN-DEY. Ou bien, penchés sur la balustrade du boulevard dominant le port, nous regardions la sortie des chalutiers, feux tricolores allumés dans la nuit, alors qu'au loin tournaient les rayons
lumineux du phare de CAP-MATIFOU. Tout cela dans la chaude nuit Algéroise, sous un ciel éclatant d'étoiles. Beaux soirs d'ALGER, qui nous les rendra?
-------Il nous faut citer aussi une manifestation, mi profane, mi religieuse que nous retrouvions chaque année sur cette place, pendant la période sacrée du ramadan pour les musulmans.
-------Des dizaines d'étals, croulants de pâtisserie orientale envahissaient la partie gauche de la Place, face au minaret " de l'Horloge " de la Mosquée toute proche. Entre 18h30 et 19h00 (selon la saison) l'animation était à son comble autour des étals. Les autochtones, un zlabia et un mokroun en main attendaient avidement que retentisse le coup de canon tiré depuis le musoir de l'Amirauté et qu'un Iman hisse au haut du minaret un petit pavillon signalant la fin du jeûne observé toute la journée. Aussitôt, des hommes s'empressaient de mordre dans leur gâteau, alors que d'autres allumaient prestement une première cigarette.
-------Que faisions-nous parmi ce " rituel "? A dire vrai, comme tous les enfants, nous étions gourmands. Aussi, avions-nous toujours au fond de nos poches quelques sous pour l'achat d'un zlabia dégoulinant de miel. Tandis que les plus grands d'entre nous gardaient une préférence pour l'étal du père GADÉA, vieux Maltais sympathique installé chaque soir au pied du premier pilier de l'arcade de la Rue BAR-EL-OUED, où il vendait, tout chaud de succulents " Caldis " aux fromages et des friands à l'anchois très prisés des Algérois.
-------Oui, belle et grande " PLACE DU CHEVAL ". En avons-nous entendu enfants des récits et des légendes sur ce fameux cheval. On disait que l'auteur de la statue s'était suicidé en se jetant du haut du " Boulevard en bas " pour avoir fait une erreur lors de la mise en place. Laquelle ? Chi lo Sa. Serait-il du fait que le cheval tournait le dos à la Grande Mosquée, ce qui à l'époque provoqua la désapprobation de tous les musulmans? On ne le saura jamais.
Pourtant, il semble bien que faisant face à la mer, le cheval et son illustre cavalier auraient eu aussi fière allure. PLACE qui avec le temps perdra son hégémonie, surtout quand viendra la décision de la démolition de la Rue de la Marine et de rues et ruelles adjacentes. Décision qui sonnera le "glas " de l'ancien Centre Ville.
-------La Cathédrale, fleuron du quartier perdra ainsi 80 % de paroissiens et sombrera lentement dans l'oubli. Le Palais d'Hiver son voisin subira le même sort. Fini les cérémonies de la grand-messe du dimanche matin, fini aussi les processions à l'intérieur de l'église et à l'extérieur devant le Palais Episcopal, processions rehaussées par la présence des Confréries Religieuses, les " fratelli ", résurgence de la croyance "naïve " des pêcheurs du quartier, d'origine napolitaine.
-------Mais l'exode qu'engendrera la démolition de ces rues sera bénéfique pour les faubourgs de BAB-EL-OUED qui accueilleront presque toute la population de la " Marine ".
-------Les scaphandriers (pour revenir à eux) y figuraient-ils? De ce que nous savons, seule se retrouvera dans un immeuble " de la consolation " la famille PETROSINO, scaphandrier déjà cité.
-------En parlant de croyance, dans ce domaine pouvait-on dire que les scaphandriers partageaient les " pratiques " de leurs amis marins-pêcheurs qu'ils côtoyaient sur le port? Rien n'est moins sûr, malgré qu'il est commun de dire que tous les marins.., sont croyants. Par contre, pour avoir assisté bien souvent aux préparatifs d'une plongée, nous pouvons affirmer que chaque fois, assis au milieu de sa barque avant que le " bosco " le coiffe du lourd casque de cuivre, le scaphandrier se signait d'un1arge " signe de croix" un peu comme le font aujourd'hui beaucoup de joueurs de foot en entrant sur le terrain.
-------Mais avant que ne s'estompe l'activité des quartiers de la Marine, il nous faut dire un mot sur les rassemblements coutumiers du dimanche matin, regroupant presque toute la " Maistrance " du port, dans les nombreux cafés et brasseries du pourtour de la Place du Gouvernement.
-------Cafés, comme celui de l'hôtel de la Régence ou ceux du " SUCCES "et du " PROGRES " sous les arcades et les Grandes Brasseries (avec terrasses) comme le " BORDEAUX " et surtout " LA BOURSE " bien proche de la rampe dominant le port.
-------Ne pensez surtout pas que ces établissements étaient des lieux de " beuveries ". Ils avaient une âme et appartenaient au passé de notre ville voire même à son patrimoine culturel. C'était aussi des lieux de rencontres et de convivialité, suffisamment pour que Jean BRUNE écrive: " Horace VERNET peignait les plafonds des grands cafés de la place du Gouvernement où le Duc d'AUMALE trinquait avec YUSSUF, CHASSERIAU dessinait pour les yeux d'Eugénie de MONTIJO, les admirables perspectives des boulevards qui sont la rampe d'orchestre de la Ville-Théâtre. "
-------C'était l'endroit du rendez-vous avant midi le dimanche et les jours fériés de ceux que nous désignons " maistrance du port " c'est-à-dire Acconiers, Charpentiers, Scaphandriers, Maîtres et Armateurs de pêche, Mandataires de la pêcherie, Chefs, Dockers, Pilotes et Mécaniciens du service du Pilotage, Borneurs et autres employés des Services du Port.
-------Ces hommes qui se retrouvaient ce jour-là étaient les mêmes que nous pouvions rencontrer en semaine " en bas la marine " la plupart revêtus d'un " bleu de chauffe ", casquette sur la tête et bottes aux pieds, quand ce n'était sur le pont d'un chalutier ou en " calfat " sous un chaland ou alors à la barre d'une pilotine ou bien émergeant de l'eau on tenue de scaphandrier.
-------Oui, ce sont eux que nous retrouvions le dimanche, méconnaissables, " tirés à quatre épingles ", costumes trois pièces (pour le gilet) allure " altière ", visage bronzé et buriné par le soleil et les embruns, coiffés d'un feutre (ou un canotier on été) avec comme seul point d'orgueil la chaîne de montre (en or) leur barrant le gilet.
-------Ce sont les souvenirs que nous conservons de ces hommes, scaphandriers ou autres. Assis aux terrasses ou accoudés aux comptoirs, dégustant une anisette ou l'été une tisane glacée au goût de réglisse (spécialité de la brasserie " la Bourse ") discutant entre eux du métier, du temps, du port et de leur " gagne-pain " LA MER. Quoi qu'il en soit, ils méritent l'hommage que nous devons leur rendre et tout particulièrement aux scaphandriers.
L'œuvre immense qu'ils contribuèrent à construire, se matérialisa, hélas pour nous par la dernière vision que nous emporterons en quittant ce très grand port si cher à nos coeurs.
-------Et pour dire merci aux scaphandriers, nous ajouterons à la célèbre citation de PLATON disant: " Il y a trois sortes d'hommes: les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer ".
-------Ces mots, " ET AUSSI CEUX QUI VONT SOUS LA MER... "

Joseph PALOMBA