sur site le 06/02/2002
-Xavier Yacono, un universitaire pieds-noirs
pnha n°44 mars 1994
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-------Né à Alger en 1912, mort au Chesnay en Octobre 90, issu d'une famille d'origine italienne, le professeur Xavier Yacono, si sa réputation était établie dans le milieu universitaire, était sans doute moins connu dans notre communauté. Sa modestie en fut la cause comme son souci de ne pas se disperser et de se consacrer à son enseignement et à ses recherches.
-------L'enseignement, il en avait gravi tous les échelons du Primaire au Supérieur... A 16 ans, il entrait à fEcole Normale de la Bouzareah où il côtoya des instituteurs algériens favorables à l'assimilation. Il passa ensuite par l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud qui formait les professeurs des EPS (Ecoles Primaires Supérieures). Revenu en Algérie, il enseigna dans le bled (Boufarik, Orléansville) puis à Maison Carrée et à Alger (au Champ de Manoeuvre). En même temps il entamait des études dans le Supérieur avec une licence classique (qui nécessita qu'il apprit tout seul le latin) puis une spécialisation en Histoire-Géographie. Il rédigea une thèse d'état sur «la colonisation dans les plaines du Chéliff »(1)complétée par une étude sur "les Bureaux Arabes"(2). Ces travaux lui valurent le titre de Docteur d'Etat (en 1956). Ce qui lui permit d'entrer à l'Université d'Alger en 1957 où il professa jusqu'en 1962.
-------On le voit, une carrière classique mais avec de la ténacité et du travail. En juin 62, il gagna la France avec sa famille. En principe une chaire d'histoire de la colonisation devait lui être donnée en Sorbonne. Mais Hier (et comme aujourd'hui) le monde universitaire a ses clans et ses interdits. Certains appuis (promis, juré) lui firent défaut et il y eut contre lui une campagne calomnieuse. Il était suspect de complicité avec l'OAS. Il tenta sa chance à Aix. Même obstruction. Finalement c'est le doyen de la Faculté des Lettres de Toulouse, Jacques Godechot qui l'accueillit et lui confia la chaire d'histoire d'Outre Mer. Jacques Godechot passait pour avoir des idées avancées. Lui et sa famille avaient souffert pendant l'Occupation mais c'était un grand universitaire dans tous les sens du terme. Et un honnête homme.
-------Xavier Yacono enseigna à Toulouse jusqu'en 1977 où il prit sa retraite. Habitant Paris il connut les problèmes des déplacements hebdomadaires et son état de santé s'en ressentit. A la retraite il continua ses recherches, rédigeant livres et articles et siégeant à l'Académie des Sciences d'Outre Mer. Malgré une santé de plus en plus précaire, il eut le temps de terminer son "Histoire de l'Algérie" (1830-1954) dictant de mémoire certains chapitres car il lisait de plus en plus péniblement.
-------Si certains veulent découvrir son oeuvre, je vais essayer de les guider. Ce qui me paraît le plus accessible ce sont deux excellents précis parus dans la Collection Que sais-je ? et souvent réédités (ainsi que remis à jour) "L'Histoire de la Colonisation Française" et "les Etapes de la Décolonisation Française"(3). A travers ces deux petits livres, Xavier Yacono ne fait ni le pamphlet ni l'apologie d'une entreprise menée par la France et les Français pendant des siècles (il n'y eut pas moins de deux Empires Coloniaux). En conclusion de l'un d'eux il met en garde contre les "deux légendes" qui marquent l'histoire coloniale. La "rose" (triomphante dans les années 30) et la "noire" (qui sévit dans les années 60). A noter que cette dernière recule sérieusement devant la faillite des pays décolonisés ....
-------Il a étudié aussi l'action de la franc maçonnerie en Algérie et publié un livre sur le sujet qu'il faudrait compléter par une intervention à un colloque(4). Il n'était pas franc maçon mais eut accès aux archives du Grand Orient. Avec sa rigueur et son honnêteté habituelles, Xavier Yacono démontrait que la franc maçonnerie accompagnant la colonisation en Algérie ne sut pas conquérir la société musulmane. Certes il y eut des Algériens franc maçons et parmi eux Abd El Kader (5)' mais ceci avant 1870. -------Lorsqu'ensuite le Grand Orient s'éloigna du séisme pour adopter la libre pensée, Abd El Kader quitta une société où il avait vu une passerelle entre le christianisme et l'Islam. Ce sont les faits et chacun peut en conclure ce qu'il veut...
-------Un autre aspect des travaux de Xavier Yacono consiste dans des articles rédigés pour des revues et dont il faut espérer qu'un jour où l'autre ils seront réunis en volume. Je n'en signalerai qu'un mais capital. En 1982 dans la Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée il publia une analyse des "Pertes Algériennes de 1954 à 1962".
-------S'appuyant sur des chiffres irréfutables (car publiés en Algérie après 62) il démolit de façon magistrale le "mythe" (d'origine FLN) du million voire du million et demi de morts de la "guerre de libération". Après avoir confronté et recoupé les chiffres, il arrivait à un bilan de 300 000 (toutes pertes confondues, civiles, militaires, européens et musulmans). Depuis d'autres études d'historiens qui furent et restent anticolonialistes (et parfois s'opposèrent à Yacono) ont encore abaissé ce chiffre (6). Et même chez les soutiens (de plus en rares il est vrai) de l'Algérie algérienne, le "million" n'est plus cité. A noter pour montrer l'objectivité de Xavier Yacono, qu'il estimait "impossible" d'accepter le nombre de 150 000 harkis massacrés mais aussi de citer un chiffre vérifiable dans ce domaine.
-------Tout Xavier Yacono est là. A la fois vérifier et critiquer les faits, les documents, les archives avec un esprit positiviste à l'écart des idéologies et des passions.
-------On retrouvera sa griffe dans sa courte mais dense étude sur "De Gaulle et le FLN" (7). Il ne cédait ni à la nostalgie ni à la passion. Il concluait qu'en raison des contraintes internationales, des problèmes économiques et financiers, de l'explosion démographique et d'un conflit de plus en plus mal supporté par la Métropole, l'indépendance était inévitable mais il analysait au scalpel les palinodies et les mensonges qui menèrent du "Je vous ai compris" de 1958 au "lâchez tout" de 1962. On peut méditer ces dernières lignes "Danton était dans l'erreur. Ceux qui dans leur très grande majorité ont quitté définitivement le rivage sud de la Méditerranée emportèrent avec la liberté, leur vraie patrie à la semelle de leurs souliers".
 

-------Il y eut enfin cette "Histoire de l'Algérie" (8) qu'il ne put mener jusqu'en 1962. Livre testament où il faut parfois être un spécialiste pour discerner comment Xavier Yacono lutte contre les désinformations anticoloniales. Là encore ni apologie ni caricature. Mais démonstration que l'Algérie des Français (sans doute pas aussi française dans ses profondeurs que nous le croyions ou l'espérions) fut une grande construction difficile, tourmentée, voire contradictoire mais animée par la France. Il n'est pas question de nier qu'il y eut une autre Algérie qui résista à notre influence et donna naissance à un nationalisme algérien (d'ailleurs né en Métropole chez les travailleurs immigrés) qui aboutissant à une longue et cruelle guerre se termina par sa victoire etl'indépendance. Mais après lecture je me suis personnellement interrogé. C'est le ciment français incarné sur place dans différentes communautés qui a créé et tenu l'Algérie.
-------Trente ans après 62 l'Algérie Algérienne s'effondre dans la misère, l'anarchie, le terrorisme avec un risque d'éclatement (voir le mouvement berbère). Est-ce que la montée et le succès de l'islamisme ne reposent pas sur le fait qu'il comble le vide de 1962 ? Et ce repli (que l'on annonce massif) d'Algériens vers l'ex Métropole ne montre-t-il pas qu'il commençait à y avoir osmose entre les deux rives de la Méditerranée ? Tandis que demain ou après demain le pire peut arriver. Je termine en précisant que je n'ai que tardivement (et je le regrette) rencontré et connu Xavier Yacono même si j'avais lu ses principaux ouvrages. Par ses élèves et étudiants, par les universitaires qu'il a aidés ou patronnés (dont de nombreux Algériens bien prudents ces derniers temps) j'ai su qu'il fut un maître dans tous les sens du terme. C'est dire combien sa disparition nous est cruelle. Heureusement il a des continuateurs. Par exemple Jacques Freneaux, professeur à l'Université de Nice qui vient de publier "Les Bureaux Arabes dans l'Algérie de la conquête" (9) (il cite Xavier Yacono dans sa préface) et Jacques Valette, professeur à l'Université de Poitiers qui vient de sor-tir deux bonnes études sur l'Afrique du Nord et au sud du Sahara "(10)
-------Peut-être y en a-t-il d'autres qui émergeront dans les années à venir ? II me semble que l'on a assisté à un tournant dans la manière dont on étudie maintenant "l'aventure coloniale" (11). Xavier Yacono y est pour beaucoup...
-------Et c'est son plus bel héritage. Au delà des connaissances livresques transmettre une leçon, une présence, une influence, qui ne disparaîtront jamais.

Jean-Paul Angelelli

Tous nos remerciements à Madame Yacono qui fut la fidèle collaboratrice de son époux surtout dans la mise au point de ses derniers ouvrages et nous a si aimablement fourni documents et renseignements.
(1) - Edité d compte d'auteur chez Imbert (Alger) 2 tomes (1955).
(2)-Éditeur Larose, Paris, 1953.
(3) - Les Étapes de la décolonisation. Que sais-je ? N°428. L'Histoire de la Colonisation. Que sais-je ? n°452.
(4) - Un siècle de Franc Maçonnerie Algérienne (1875-1884), Maisonneuve Larose, Paris, 1969. Et la Franc maçonnerie française et les Algériens Musulmans (1787-1962) in Anales de Historia Contemporeana, Murcie, 1987.
(5) - Abd el Kader franc maçon par Xavier Yacono, Humanisme. Numéro spécial histoire maçonnique. N°57 (mais juin 1966).
(6) - Voir C. R. Ageron "Les pertes humaines de la Guerre d'Algérie" dans "La France en guerre d'Algérie" (Catalogue de l'exposition de la BDIC, 1992) CR. Ageron qui avait polémiqué avec Xavier Yacano à propos de sa thèse sur "Les Algériens Musulmans et la France" aboutit à un bilan "entre 200 et 250 000". Ce qui pour 9 millions d'habitants aboutit proportionnellement au même pourcentage que le bilan français de 14-18. Ce n'est donc pas négligeable...
(7)-Éditions de l'Atlanthrope, BP 165, 78001 Versailles Cedex
(8) -Éditions de l'Atlanthrope, BP 165, 78001 Versailles Cedex
(9)- Collection l'Aventure Coloniale de la France, Denoël, 1993.
(10) - Vient de publier aux éditions Sedes "La France etl'Afrique Subsaharienne" (de 14 à 62) 1993 entre "la France et l'Afrique du Nord" (1914-1962), 1994.
(11) Voir le numéro d'Enquête sur l'Histoire (n°8 -Automne 93) qui porte sur ce sujet.

o Histoire de l'Algérie, 400 pages, format 21x29. Nombreux tableaux, cartes graphiques. Édition brochée 330 F. Édition de luxe, reliée pleine toile avec lettres dorées sous jaquette imprimée bichromie : 540 F.
o De Gaulle et le FLN 1958-1962, l'échec d'une politique et ses prolongements, 128 pages : 70 F.
Chèque à l'ordre des Éditions de l'Atlanthrope,