Jacques Bedos
Ne pas confondre avec le pseudo comique qui sévit actuellement...
pn n°55 mars 1995
sur site le 6/05/2002...+ mars 2014

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-------Nos routes se sont souvent croisées, et je souhaite qu'il en soit encore ainsi longtemps.
-------Jacques Bedos est quelqu'un que j'ai toujours rencontré là ou là. A Alger, à Paris, récemment à Aix-en-Provence, et aujourd'hui à Versailles où il est venu s'installer.
-------Adolescent, je le voyais parfois sur la scène du cinéma le Paris à Alger, dans le cadre de l'émission radiophonique (vous vous en souvenez probablement) "Le Petit Music-hall du dimanche", animée par... par... vous ne pouvez pas avoir oublié leurs noms, par... mais oui : Jack Redson et Jacqueline Dory. Il était "Good bibine", cette sorte de clown à barbe qui commentait l'actualité à l'envers, en trois minutes.
-------« J'ai commencé par l'écriture, nous dit Jacques. J'avais fait mon service militaire avec un type qui s'appelait Jean Voilet, Pieds-Noirs, agrégé d'anglais à 17 ans. Un garçon complètement ,fou. Il était le cousin germain des demoiselles Faure dont l'une a été la femme d'Albert Camus. La première fois que je l'ai vu, il portait des nus-pieds, à lanières de cuir, et un short. Très blond. Une gueule. Et en plus de ça, champion d'Afrique du Nord des mille cinq cents mètres. Une vraie valeur.
-------On a eu l'idée de,faire une émission "Les Pieds au Mur" ; une fois acceptée, nous n'avons trouvé personne pour l'interpréter, et nous avons décidé de la présenter nous-mêmes. C'est comme cela que je suis devenu metteur en ondes, puis chef des variétés à Radio Alger.
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L'un de mes plus beaux souvenirs c'est "6-4-2" une émission dont les Pieds-Noirs, trente cinq ans après, parlent encore. Lorsqu'ils me rencontrent, sais-tu comment ils m'interpellent ? "Alors 6-4-2 ça va ? " C'est ça la chaleur Pieds-Noirs ; c'est ça l'amitié ,franche, sans façon.

-------Jacques, je le rencontrais aussi au Boulevard Bru, dans les studios alors tout neufs de télévision.
-------« Je filmais, poursuit-il, des pièces de théâtre, dans lesquelles je jouais parfois. "Les Femmes Savantes", nous l'avons donnée dix fois sur scène, au Colisée, transformé en théâtre. J'étais Trissotin...
-------Dans la distribution, bien sûr, Paule Granier, cette merveilleuse comédienne auprès de qui ma mère avait, un jour, mené Guy (Gilles) mon cousin et moi-même. Paule Granier allait nous enseigner la diction. Paule, dont... quelques années plus tôt elle avait été, elle-même, l'élève ! . . .
-------Chère Paule, je pense souvent à vous, aux phrases que l'on devait prononcer sans aucune faute ("Les chaussettes de la Duchesse sont sèches, archisèches"), aux cours que vous donniez au Conservatoire et auxquels j'assistais en auditeur libre, à ce chant grégorien que vous m'aviez demandé d'interpréter, sur la scène de l'Opéra d'Alger, à l'occasion d'une présentation par Gilles Bouchara, dans le cadre des concours de fin d'année, du dernier acte de "Ruy Blas". Chère Paule vous qui saviez m'accueillir avec tant d'affection dans votre maison à Carqueiranne lorsque je venais vous rendre visite, vous qui cultiviez avec nostalgie ces iris, venus d'Algérie !...

-------«« L'Algérie, j'ai voulu, aussi la retrouver, reprend Jacques, à travers Camus. Avec Serge (Reggiani) qui disait le texte, nous avons réalisé un disque pour Polydor "L'Étranger" (aujourd'hui épuisé). Pendant les prises de son j'étais à nouveau à Belcourt, au bain sportif... Tu te souviens du bain sportif ?»
-------Si je m'en souviens ? Je revois la petite barque que l'on empruntait pour se rendre au bout de la jetée. Les Plongeons ; la Ville d'Oran, la Ville d'Alger, le Kairouan que l'on voyait entrer au port ; ce bain sportif où Visconti est allé planter ses caméras lors du tournage du film adapté du livre. Un film qui n'a pas été ce qu'il aurait pu être. A cause de Visconti ? de Mastroianni ? de Anna Karina ? D'un tout probablement. Il ne suffit pas d'être méditerranéen, encore que Karma soit d'un pays... un peu plus au Nord, pour exprimer la sensibilité, l'âme Pieds?Noirs. La comprendre oui, l'exprimer...
------Et c'est justement chez Polydor, qu'à Paris j'allais souvent retrouver Jacques. Il s'occupait de plusieurs vedettes-maison dont Jeanne Moreau ; j'écrivais des musiques pour certaines d'entre-elles. Près de la rue Cavalotti, où se trouvaient les bureaux de cette firme de disque existe une rue qui s'appelle Damremont.
------« À chaque ,fois que , j'y passe, dit Jacques, je pense à l'école communale que j'ai fréquentée, un court moment certes, mais qui reste présente pour moi.
------Un court moment car, après leur mariage, mes parents se sont trouvés, comment dire, un peu de "passage à Paris". Mon grand-père Alfred Le Tellier, député d'Alger, était né en 1842 à Alger. Ses parents, fonctionnaires avaient fait partie de ces français envoyés en Algérie après la conquête. Mon père, également, fonctionnaire, muté à Paris, a rencontré là une "Parisienne" et l'a épousée. J'ai à peine le temps de naître à Paris, d'y vivre six années, que déjà mes parents sont invités à refaire leurs valises et regagner Alger.
------Même si en arrivant dans la blanche ville, j'étais un petit "Patos ", je suis très vite devenu un PiedsNoirs, un vrai, et ça, c'est ancré, en moi, à jamais.»

A bientôt.

Jean-Pierre STORA