Le Professeur Henri Choussat (1906 -1994)
pnha n°58 juin 1995
sur site le 9/06/2002

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-------Le Professeur Henri Choussat vient de nous quitter, à la fin d'une longue vie de labeur, d'efforts, et toujours de réussite ; vie exemplaire et exceptionnelle que j'ai eu le privilège de suivre depuis son entrée en Médecine en 1926.

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Mes souvenirs personnels ont pu être complétés et précisés par ceux de M. Patrice Clarac. Je l'en remercie.

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H. Choussat était né à Montpellier, fils unique, de famille modeste, qui vient s'installer en Algérie, à Lafayette, dans le sud constantinois. Son père y devient médecin de colonisation, où il vit de son maigre traitement, ayant renoncé à faire payer une clientèle sans grandes ressources.

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Ainsi Henri Choussat, jusqu'au certificat d'études, ne peut faire ses études primaires qu'avec un ancien curé, gendarme du village.

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A quatorze ans, il entre au Lycée d'Alger, en quatrième, qu'il suit d'abord difficilement, puis "se rattrape" au point d'être proposé pour le prix d'excellence, qui ne lui est cependant pas attribué ; mais ce qui lui permet, après avoir étudié sans répit pendant les vacances, dans son bled, d'un été torride, qui l'oblige à travailler dans la cave, un peu moins chaude.
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Il peut ainsi "sauter" une classe, et obtient, en seconde, le prix d'excellence. I1 est même proposé pour le Concours général.

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Après encore un même effort estival, il parvient à "sauter" la première, et à la fin de l'année de philosophie, à passer son baccalauréat, à dix-sept ans.

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Ayant d'abord ambitionné de préparer Normale supérieure, il se fait finalement inscrire en Médecine, et en même temps en Droit (qu'il ne poursuivra pas).

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C'est alors, en 1927, que nos destinées se rencontrent, lorsque son père vient me demander d'accepter son fils dans mes conférences d'Internat.

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-------Aussitôt se révèle, parmi nous, sa puissance de travail dans les "questions d'internat" du programme. Les "questions étudiées à fond étaient de véritables" questions d'agrégation. II est interne en 1928 ; puis il ira un certain temps travailler à Constantine chez le Dr Oulie, excellent chirurgien, et s'initiera à la pratique chirurgicale qui lui permettra de faire les opérations courantes ou urgentes.

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A la fin de son internat, il épouse une camarade d'études Juliette Clausse, qui suivait aussi mes conférences d'internat.

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Ayant obtenu, plus tard, un certificat de radiologie, son épouse adjoindra cette spécialité à la pratique du couple dans leur clientèle.

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Ils vont alors s'installer dans une petite ville, Ménerville, à une cinquantaine de kilomètres d'Alger, où ils exerceront la médecine de campagne. Leur clientèle va rapidement se développer et dépasser le cadre du
domaine de la ville. Henri Choussat est vite considéré comme un médecin consultant dans sa région et même la dépassant.

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Il était médecin de l'hôpital de Ménerville, son activité va vite dépasser, et multiplier les services de ce petit hôpital. Il l'agrandit, convertit les salles communes en chambres particulières, crée une salle opératoire (où il m'invite parfois à opérer), il installe un service de radiologie dirigé par son épouse, recrute des internes. Il organise une formation d'enseignement post-universitaire pour une vingtaine de médecins de la région, en fait une véritable petite Université régionale de médecine. Il y adjoint une bibliothèque classée dans des caisses obtenues d'une usine d'explosifs dont il est médecin, et des fauteuils désaffectés d'Air France, dont il est aussi médecin (en effectuant le service à l'aéroport d'Alger à 40 km). Il était aussi médecin des chemins de fer, de la police et de la gendarmerie, et de bien d'autres organismes locaux.

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Le travail du couple était intensif, de six heures du matin à onze heures ou minuit. Bien plus, il avait en même temps ouvert un cabinet de médecine thermale à Vittel, pendant la saison d'été, ajouté à sa pratique ménervilloise.

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Aucune fatigue ne l'arrête, et une magnifique ambition l'amène à Alger comme Chef de Clinique du Professeur Lebon à l'hôpital de Mustapha, en entreprenant des voyages quotidiens, chaque matin à Alger, pratiquant à Ménerville l'après-midi.
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Il ne s'arrête pas là : il prépare et obtient la fonction et le titre de médecin des hôpitaux d'Alger, dont il assure le service de la même façon.

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Bien plus, il décide de se présenter au concours d'Agrégation de Médecine en 1925. Pour le préparer, il n'hésite pas à s'installer pendant trois mois à Paris (dans l'hôtel Madison, à Saint Germain des Près), où, dans trois pièces, il va travailler sans arrêt, puisant dans les trois caisses de livres, de dossiers, de documents apportés de Ménerville, avec la collaboration permanente de deux secrétaires. Cet effort est couronné par un magnifique succès : le voilà reçu major de l'Agrégation (devançant les candidats parisiens, à qui est réservé traditionnellement cet honneur et ce titre).

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Ayant obtenu de la direction de la Santé, par convention, le rattachement de son hôpital de Ménerville au Centre hospitalo-universitaire d'Alger, il va - jusqu'à l'indépendance de l'Algérie en 1962 + assurer à la fois sa pratique à l'hôpital de Ménerville et ses fonctions universitaires à Alger. Il devient Professeur de la Chaire de pathologie générale à la Faculté d'Alger.

Déjà en 1950, il avait été élu membre correspondant de la Société médicale des hôpitaux de Paris, titre très envié ; il est promu Chevalier de Légion d'Honneur en 1956, et officier dans l'Ordre national du mérite ; officier dans l'ordre des Palmes académiques. Ces honneurs sont justement rendus à ses efforts, à son mérite et à ses réalisations sociales et médicales ; il est en outre décoré de la médaille des épidémies et de la médaille d'honneur du Service de Santé des armées. Lorsqu'arrive le moment de quitter notre Algérie Française, en 1962, il est affecté à la Faculté de médecine de Bordeaux, au titre de professeur de séméiologie, puis de pathologie médicale. Il va se consacrer particulièrement à la gérontologie jusqu'à sa prise de retraite en 1977.

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Un évènement dramatique survient alors, trois mois avant sa retraite : au cours d'un congrès en Roumanie avec son épouse, celle-ci est tuée sur le coup, dans un accident de voiture, et lui-même est grièvement blessé au crâne. Il ne se remettra jamais du chagrin de son deuil, entretenant pieusement la tombe de sa femme.

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Sa mise en retraite hospitalo-universitaire ne sera pas une accession au repos. Au contraire, et peut-être pour distraire son chagrin et sa solitude, il multiplie ses activités et ses voyages de façon incessante, à des conférences, des congrès, des organisations diverses, aux travaux de l'O.M.S., de l'U.N.E.S.C.O., ou de l'O.N.U. En 1983, il participe à la mission dirigée en Polynésie française par le Professeur Dausset pour l'étude des groupes sanguins H.L.A. De même, par trois voyages, à l'île de Pâques ; il se rend aussi dans les îles les plus septentrionales du Japon, chez les populations A'inhous, race non mongoldide, d'origine encore mystérieuse.

-------La gérontologie continue à l'intéresser et il s'y consacre totalement. II est membre du conseil scientifique du C.L.E.I.R.P.A. (Centre de Liaison et d'Etude, d'information et de recherche sur les problèmes des personnes âgées) ; aussi, membre de l'A.I.U.T.A. (Assemblée internationale des universités du Troisième âge). Il est membre du conseil d'administration du F.I.A.P.A. (Fédération Internationale des associations des personnes âgées) ; et de l'O.P.A.B. (Office aquitain de recherche, d'étude, d'information et de liaison sur les problèmes des personnes âgées). Il est membre de la Société française de Gérontologie de Bordeaux et du Sud-Ouest.

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II organise à Bordeaux un club du troisième âge, ou du temps libre, qui est un modèle de groupement de quatre cents personnes environ, dans des occupations de tous genres, (conférences, voyages, promenades, art et artisanat, culture physique et sport).

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Il participe aux séances de l'Assemblée mondiale du vieillissement, qui se tient à Vienne en 1982. Il se consacre à l'éducation sanitaire des masses. C'est dire son inlassable, entier, dévouement à la cause des personnes âgées, son abnégation, son esprit social de sacrifice en général.

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Il a toujours porté un intérêt fidèle et une contribution active aux problèmes des Médecins rapatriés d'Afrique du Nord dans le sud-ouest en France. Chaque année, la conférence qu'il faisait lors de la réunion annuelle de cette Amicale, était impatiemment attendue et suivie, tant elle était brillante, originale, consciencieusement préparée, illustrée de documents, de projections, de dispositives toujours remarquables. Elles présentaient toujours les résultats illustrés d'un de ses voyages récents. Entre autres, celles de l'île de Pâques étaient inoubliables.

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Sa passion pour les voyages était bien connue parmi nous, sans cesse à travers le monde. Peu de pays lui sont restés ignorés. La richesse de sa documentation était surprenante. Tout l'intéressait, l'ethnologie, l'étude des écritures indéchiffrées, l'hématologie des races. Ainsi sa curiosité pour l'écriture ancienne indécriptée des pierres et des bâtons de l'île de Pâques, fournit un exemple de son dynamisme et de sa persévérance dans la recherche : il désirait photographier des écritures gravées sur un long bâton planté, sur toute sa hauteur. Mais, à cause du manque de recul nécessaire, son objectif photographique n'en couvrait pas toute la longueur. Henri Choussat prit alors - tout simplement...- l'avion pour Santiago du Chili, il y trouva et acheta l'objectif grand angle qui convenait, regagna Pâques et prit sa photo !

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Un autre exemple de sa ténacité dans l'étude de l'écriture de Pâques, au cours de son séjour dans l'île, il sut qu'un voyageur français avait aussi travaillé cette question et pouvait le renseigner, et se trouvait actuellement à Tahiti. Sans hésiter, (et toujours "simplement") Choussat prit l'avion pour Tahiti. Arrivé là, il apprit que son personnage était reparti pour Paris. Donc, le voilà reparti pour Paris, sans plus de renseignement, et là en entreprend la recherche, qui finit par lui procurer, dans un annuaire, le nom et l'adresse de la dite personne. Il l'atteint enfin, le rencontre. Hélas, leur étude commune n'obtient pas de résultat satisfaisant.

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Avec une même obstination, dans le cas de l'écriture des Aïnhous du Japon, il fit un effort semblable et un voyage au Japon où il se rendit plusieurs fois - sans résultat encore.

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De même il s'intéressa à l'écriture encore mystérieuse de la civilisation proto - historique de l'Indus, pour laquelle je pus lui fournir des documents.

Son tempérament était rigoureux dans son métier médical, scientifique, consciencieux à l'extrême, mais son caractère, dans ses relations avec les amis, était plein de fantaisie et d'humour.

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Et pourtant, depuis de longues années, sa santé était lourdement affectée par une grave ostéoporose qui causa plusieurs fractures vertébrales extrêmement douloureuses. Elles n'arrêtaient guère son activité, ni ses voyages en avion et en train. Il témoignait là encore d'une implacable volonté et d'une courageuse résistance physique.

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La mémoire de sa femme lui était constamment présente ; ainsi, au cours d'un voyage en Inde ; il eut une perte de connaissance momentanée, premier signe d'une atteinte cardiaque, et dans la nuit qui suivit, il n'avait qu'une pensée et ne cessait de me répéter : « Et si je disparais, qui prendra soin de la tombe de Juliette ?".
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J'ai toujours été ému de la confiance qu'il m'accordait, me confiant ses malades chirurgicaux, et surtout en mettant une fois, entre mes mains chirurgicales, le sort de l'être qu'il chérissait. Sa confiance encore quand il me demande de venir d'Alger à Paris, pour opérer une de ses grandes malades de Vittel. Notre fidélité était réciproque et totale.

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Il eut la satisfaction d'une réussite dans tout ce qu'il avait entrepris, et visa toujours plus loin et plus haut. Sa vie fut un progrès et un exemple jusqu'à la fin. Aussi sa présence était très recherchée dans notre milieu, et son exceptionnelle personnalité a marqué notre époque.
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II eut la satisfaction d'avoir réussi sa vie familiale, de connaître le succès de ses enfants, tous parvenus aux grands titres et aux plus belles situations. L'exemple, les conseils, les directives d'un tel père déterminèrent les qualités et les succès de ses enfants.

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La mémoire d'un tel homme d'exception honore le souvenir de notre pays, et reste l'exemple et la consolation des siens, de ses élèves, de ses amis, de ses compatriotes.

F. Lagrot - P. Clarac