sur site le 9-4-2003
- Félix Lagrot, un grand de la famille pieds-Noirs
Félix Lagrot est un des fondateurs de la Société Française de Chirurgie Plastique en 1952, Société qu'il présida deux fois, comme il préside le Collège international des chirurgiens en 1967 : il était Officier de la Légion d'Honneur et de l'Ordre National du Mérite, médaillé du Service de Santé de l'Armée de l'Air, de la Santé Publique, Officier des Palmes Académiques ; il a été récemment honoré par une distinction de la ville de Toulouse, et le Centre de Grands Brûlés de cette cité porte son nom.
pnha, n°102, juin 1999
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-----Le Professeur Félix Lagrot nous a quitté le 18 novembre dernier (note du site : nov 1998), presque centenaire.
-----Né à Alger en 1899 de familles installées en ALGÉRIE depuis 1843 et 1844 à Dély- Ibrahim, Blida, Berrouaghia et Alger, d'ascendances bourguignonne, varoise, et même hongroise, il a vu les Fées de la Colonisation penchées sur son berceau. Après avoir fréquenté le "Petit Lycée", futur Lycée Gauthier, puis le "Grand Lycée", devenu le Lycée Bugeaud, il poursuit ses études de médecine à la jeune Faculté d'Alger. Il participe à la fin de la grande guerre comme Médecin-auxiliaire dans la Rhénanie occupée. En 1924, il présente une thèse remarquée qui l'amène à fréquenter, à Paris, entre autres, le Museum d'Histoire Naturelle, où il s'intéresse - pour la vie- à l'anthropologie préhistorique. Sa carrière débute à Alger en chirurgie infantile, dans le Service du Professeur Joseph Curtillet, comme externe, interne, puis Chef de Clinique, chef de laboratoire. Aide d'anatomie, il assume le protectorat de son maître le Professeur E. Leblanc. Parallèlement à ces activités, il assure le remplacement de médecins dans le bled, devenant pour un temps médecin de colonisation sur les hauts plateaux, en particulier à Chellalah où une épidémie de typhus frappait plusieurs dizaines de milliers de nomades vers 1925 : irremplaçable expérience, par laquelle il acquiert très jeune à la fois l'immense respect de l'oeuvre accomplie par la France dans ces terres arides, et le sentiment très vif de participer à un travail de pionnier, pour une province, la sienne, où il y avait tant à faire...
-----Titulaire du prix David-Weill pour sa thèse, il effectue une tournée avec le Dr René Lavernhe en Citroën B14 en 1924 dans l'Europe d'après-guerre, opérant à Milan,Vienne, et dans d'autres capitales : ses pas le mènent jusqu'aux îles Féroé où il rencontre le grand Charcot sur le "Pourquoi pas ?". L'amorce d'un goût prononcé pour les grands voyages...
-----C'est ensuite le long cheminement d'un chirurgien acharné au travail, auteur de plusieurs centaines de publications scientifiques.
-----Conférencier d'Internat pendant dix-sept ans, il forme des élèves aux brillants résultats, qui lui conservèrent toujours plus tard leur amitié ; mais ses premières candidatures au chirurgicat des Hôpitaux d'Alger sont une série d'échecs, sans espoir de succès devant des juries toujours défavorables. Il s'y obstine - et, toujours admissible cependant, il obtient, dès ses débuts, un service de chirurgie de garde, puis de chirurgien adjoint, où il développe et confirme sa pratique chirurgicale, jusqu'à sa titularisation, beaucoup plus tard. Les années de préparation répétée à ce concours, à Alger, à Lyon, à Paris, sont pour lui une épreuve profitable, en l'obligeant à un long et fertile apprentissage de son métier. En 1939-1940, on le retrouve médecin capitaine d'une ambulance chirurgicale en Tunisie ; en Novembre 1942, au débarquement des Alliés à Alger, il entre dans l'Armée de l'Air, au Maroc puis en Angleterre où il rejoint d'abord le groupe Chasseur "Lorraine", puis la R.A.E à l'Hôpital des Brûlés à Ely, près de Cambridge : il y découvre la chirurgie plastique anglo-saxonne, source d'une nouvelle vocation, d'un nouvel "esprit chirurgical" minutieux et précis.
-----Après un séjour dans une formation de bombardiers dans le Yorkshire, il peut, en juin 1944, débarquer en Normandie, avec son équipe médicale de F.F.L. recrutée à Londres, et fonde un Hôpital pour les blessés civils de Normandie, à Caen, puis à Bayeux. Là fut utilisée pour la première fois la Pénicilline en France. Félix Lagrot présente celle-ci à la séance d'ouverture de l'Académie de Chirurgie à Paris, le 4 octobre 1944 : à ce titre, il peut être considéré comme celui qui a introduit cet antibiotique dans notre pays.
-----De retour à Alger, il reste l'assistant de son Maître le Professeur Henri Duboucher, son vrai Patron, son modèle respecté, jusqu'en 1946 au concours du Chirurgicat des Hôpitaux d'Alger, où il est enfin reçu, et pourvu d'un Service à l'Hôpital Parnet, qu'il assure jusqu'en 1958, ayant été agrégé en 1952.
-----Il a la joie d'y constituer une fidèle équipe, et y vit la plus belle époque chirurgicale de sa carrière, avec la quasi création, en Algérie, de la chirurgie plastique apprise en Angleterre ; le "rasoir rabot" qu'il lui faut inventer ; le traitement des brûlés ; la chirurgie digestive et le traitement du kyste hydatique, pathologie très répandue en Afrique du Nord. On pourrait aussi évoquer la chirurgie thoracique et pulmonaire, et la jeune chirurgie cardiaque.
-----En 1956, la "guerre d'Algérie" lui amène une clientèle très spécifique : celle des indigènes mutilés par les terroristes FLN, qui leur coupaient le nez, les lèvres, les oreilles, parce qu'ils fumaient du tabac français. Le Service de l'Hôpital Parnet les répare.
-----A la demande du Gouverneur Jacques Soustelle, un film (rigoureusement technique) pour l'ONU, des articles médicaux en furent tirés, des communications présentées devant les Congrès européens et les Facultés de France.
-----Ce fut l'origine des premières condamnations à mort, par le FLN, de ce Toubib gênant. Nommé titulaire en 1958, il occupe la chaire de chirurgie infantile jusqu'à son départ d'Alger en juin 1962, lorsque le FLN le "condamne à mort" une fois de plus pour son action résistante et "parce qu'il tuait les enfants arabes" dans son Service...
-----L'exode le mène à Toulouse où, suivant ses mots, "nous avons appris l'austère grandeur des recommencements, l'aride fierté de l'effort gratuit... Nous avons parcouru la voie doulou
reuse jusqu'au lumineux dépassement du désespoir"
.
-----Son activité se poursuit à l'Hôpital jusqu'en 1969, et en clinique privée jusqu'en 1975. Et encore jusqu'en 1985, il continue à opérer des confrères atteints de cancers professionnels des mains, venus de France et d'Europe, tous devenus des amis fidèles. Il opère ainsi dans diverses villes d'Europe et d'Afrique, jusqu'en Pologne, et surtout à Rome et en Italie, pays resté affectivement un peu le sien.

 

-----Cette activité est pour lui l'occasion de nombreux voyages, pour des conférences, des congrès, et il visite ainsi un grand nombre de pays d' Europe, le Moyen Orient, l'Égypte, l'Iran. Il aimait particulièrement l'Inde où il fait dix voyages, l'Himalaya, la traversée en trekking au pied de l'Annapurna, dont il a connu toutes les régions, le Népal, le Sikkim, l'Assam, le Bhoutan, le Ladakh, le Pakistan, devenant par ailleurs un connaisseur très approfondi des civilisations de ce sous-continent : Président des "Amis de l'Orient" à Toulouse, il produit de nombreuses conférences devant tous les publics. ..
-----Mais la Méditerranée reste pour lui la Mère du monde : la Grèce lui était chère, Rome était sa seconde patrie, dont l'histoire chrétienne des premiers siècles le passionnait ; ses séjours répétés dans l'Espagne Catalane, où les plages étaient dorées et les amis nombreux, sont le dernier lien charnel avec la province perdue... Algérianiste au sens vrai et profond du terme, il évoquait Tipaza, le môle du Rowing Club d'Alger comme le centre lumineux de ses souvenirs, ce qui n'excluait pas un amour passionné pour le Sahara où des périples répétés l'avaient amené au Hoggar, autour des grands Ergs, au Maroc, en Tunisie, dans le massif montagneux et hostile de l'Aurès. Cet intellectuel est un grand sportif : nageur accompli, il trace encore son mile nautique tous les matins d'été à l'âge de 80 ans, en un crawl impeccable, non sans avoir pénétré dans l'eau par un plongeon en saut périlleux ! Il avait pratiqué le ski à Chréa dès son plus jeune âge, alors qu'il était des premiers scouts d'Algérie... A 86 ans, il pratique encore le ski nautique, et les habitués du môle du Rowing Club d'Alger ont gardé en mémoire sa séance quotidienne d'Hébertisme sur "les blocs" par tous les temps, comme les tours du port au petit matin à la rame, sur les "huit
barrés" du club... Sa retraite lui permet de cultiver encore davantage son goût des lettres, particulièrement de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, et des arts, surtout de l'art roman, de la Renaissance italienne et de l'art indien. De nombreuses conférences sur le passé romain de l'Afrique du Nord, sur le pétrole français du Sahara, sur ses voyages asiatiques, font partager ce goût à des auditoires variés. Il avait connu et fréquenté à Alger tout ce que cette ville bouillonnante comptait d'artistes et d'universitaires, ami des peintres Rochegrosse, Aubry, De Buzon, Cauvy, Launois, Fernez, Le Poitevin et., des sculpteurs Alaphilippe et Greck, de l'architecte Claro, du conservateur Alazard et de bien d'autres, sans parler du brillant milieu littéraire qu'il cotoyait dans la librairie d'Edmond Charlot...
-----Profondément français, charnellement algérien, pionnier de tradition et de tempérament, il représente le type même de cet "Homme Pieds Noirs" que l'Histoire a - assassiné... Très impliqué dans la vie associative Pieds Noirs, il anime l'Association des médecins repliés, écrit de nombreux articles dans "l'Algérianiste", dans les "Échos d'El Biar" et dans bien d'autres publications. Sa fidélité à l'Algérie Française et sa révolte devant l'imposture qui nous en a chassés ne se sont démenties à aucun moment, et ont été la cause, comme pour d'autres, de maints ostracismes et vexations...
-----Sa plus grande fierté, son réconfort dans les amertumes de l'exil, ont été la fidélité de ses collaborateurs tous devenus d'éminents chirurgiens, cette famille hospitalo-universitaire dont l'amitié chaleureuse l'a entouré jusqu'aux derniers jours, comme l'a entouré la famille Pieds-Noirs qui a reconnu en lui, un des siens...
-----Félix Lagrot est un des fondateurs de la Société Française de Chirurgie Plastique en 1952, Société qu'il présida deux fois, comme il préside le Collège international des chirurgiens en 1967 : il était Officier de la Légion d'Honneur et de l'Ordre National du Mérite, médaillé du Service de Santé de l'Armée de l'Air, de la Santé Publique, Officier des Palmes Académiques ; il a été récemment honoré par une distinction de la ville de Toulouse, et le Centre de Grands Brûlés de cette cité porte son nom.

M. L.