Yusuf, un général hors-pair
pnha, n°86, janvier 1998
sur site le 18-3-2003

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-----Yusuf, chef d'escadrons, est à l'état-major du Maréchal Clauzel qui ll voyait en lui toutes les qualités d'un grand chef et d'un meneur de peuples. Il apprend qu'Abd-el-Kader entouré de sa cavalerie, est aux prises avec les goumiers d'El-Mazari, allié des Français. Il se lance personnellement à la poursuite de l'Emir mais, manque de peu sa capture, après quatre heures de galop. Abd-el-Kader dans sa fuite attise la haine de ses coreligionnaires en appelant à la guerre sainte, ce qui n'empêche pas le général Cavaignac de demeurer avec ses 500 volontaires dans la garnison de Tlemcen à partir de laquelle il assure avec bonheur la sécurité des tribus. Clauzel estime la guerre terminée. Il part de Boufarik, entre à Médéa et chasse les représentants d'Abd-el-Kader.
------Voulant se débarrasser du bey de Constantine, Ahmed, il le destitue et nomme à sa place Yusuf qui s'installe à Bône pour expliquer aux indigènes, la politique du Maréchal Clauzel. C'est alors qu'Abd-el-Kader reprend le dessus, punit sauvagement la tribu des Bordjia et reprend la ville de Médéa. La situation de l'Emir se trouve confortée par la terreur que pratiquent ses partisans. Le général d'Arlanges est bloqué au camp de laTafna, il demande en vain des renforts. Enfin le général Bugeaud, à la tête de trois régiments reçoit mission de mettre en état de défense le camp de la Tafna et de fortifier Tlemcen. Simultanément l'escadre française doit faire des démonstrations de force, le long des côtes du Maroc. Mais Abd-el-Kader barre la route au convoi que protège efficacement la colonne mobile que Bugeaud constitue pour ravitailler Tlemcen, c'est la fameuse bataille qui se déroule le 6 juillet 1836 à La Sikkak et qui s'achève par un succès marquant des troupes françaises au détriment de l'Emir battu.
------Mission accomplie pleinement par Bugeaud qui rentre en France après avoir démontré que sa tactique militaire est la plus efficace. La paix sera sauvegardée par ces colonnes mobiles agissant dans l'Ouest de l'Algérie. B n'en est pas de même dans l'Est et au Centre.
------La Mitidja fait l'objet d'insoumissions des plus ravageuses des Hadjoutes. Bône accuse la politique nouvelle ferme et par trop brutale, à leur goût, de Yusuf qui connaît la psychologie des Ottomans. C'est pourquoi Clauzel demande au gouvernement de nouveaux renforts destinés à éradiquer les vestiges de la domination ottomane. Il conçoit un vaste plan d'occupation de toutes les villes du Tell où règne la terreur, et la création, dans chacune des provinces, de camps militaires retranchés à partir desquels rayonnent des colonnes mobiles.
------Abd-el-Kader a connaissance de ce plan et reporte ses bases plus au Sud, faisant des ruines de Tagdemit sa capitale.
------Mais le pouvoir de la France fait la sourde oreille à l'appel de Clauzel qui offre sa démission et, pour forcer le gouvernement met sur pied un corps expéditionnaire de faibles effectifs et se lance à sa tête à l'attaque de Constantine. C'est un échec. Il bat en retraite dans de très mauvaises conditions. A son retour à Bône, 15% de ses effectifs sont perdus. C'est alors qu'une commission d'étude militaire, condamne le "système Clauzel".
------Le général Damrémont à la tête de cette commission de censure, succède au Maréchal Clauzel qui est rappelé.
------L'échec de Clauzel va avoir des conséquences imprévisibles car Abd-et-Kader fait ravager la Mitidja par les Hadjoutes, enlever les troupeaux de la garnison d'Oran et interdire aux indigènes de pénétrer dans cette ville.
------C'est alors que le 3 avril 1837, le général Damrémont, censeur de Clauzel débarque à Alger.
Le général Bugeaud a inspiré confiance au roi de France et reçoit de lui mission de régler la question Abd-el-Kader par tous les moyens qu'il juge nécessaires soit par les armes, soit par la négociation, sous deux conditions essentielles:
1) la reconnaissance par l'Emir de la souveraineté du roi de France;
2) l'acceptation que son domaine reste limité à la seule province d'Oran. En réponse Abd-el-Kader réclame toute l'Algérie, à l'exception des villes d'Alger et d'Oran.
------L'anarchie règne sur tous les territoires de l'Algérie qui ne dépendent pas d'une autorité reconnue.
------Des négociations sont menées activement à partir du 24 mai 1837. Elles aboutissent le 30 par un traité, celui de laTafna, qui sera ratifié par le gouvernement du roi LouisPhilippe 1", le 15 juin 1837. La France consolide ainsi, pour la seconde fois, la puissance d'Abd-el-Kader. Son administration s'étend à la province d'Oran, au Titteri et à la partie non française de la province d'Alger. Il lui est interdit de pénétrer dans les autres territoires de la Régence. Ainsi la France lui cède Rachgoun, Tlemcen avec son Méchouar qu'Abd-el-Kader n'a jamais réussi à prendre. Les Français conservaient dans la province d'Oran, les villes d'Oran, de Mostaganem, de Mazagran, et d'Arzew. Dans la province d'Alger, la France conservait la ville d'Alger, le Sahel, la Mitidja, la ville de Blida et la ville de Koléa. mais elle ne peut communiquer par terre, entre ses possessions. Le reste du décret précise que le commerce était libre entre Français et Algériens, mais qu'il ne devait se faire avec l'extérieur que par les ports français, aucun point du littoral ne doit être concédé à une puissance étrangère, sans l'assentiment de la France. Armes et poudre sont fournis par la France àAbd-et-Kader qui en contre-partie, fournit une quantité de blé, d'orge et de bêtes à cornes.
------Bugeaud a cédé le Titteri, ce qui n'est pas conforme aux instructions reçues du Roi.
D'autre part, la traduction, du texte français en arabe, présente des lacunes quant à la reconnaissance de la souveraineté de la France. De plus les limites de la Mitidja sont imprécises et Abd-el-Kader interprète à son profit, la clause du tribut. Il estime que la fourniture des céréales et des bêtes à cornes ne doit être faite qu'une seule fois.
------Bien des contestations en résultent, mais Bugeaud après avoir lui-même rencontré Abd-el-Kader a une foi absolue dans les dispositions de l'Emir.
------Ce dernier est condamné par l'opinion indigène. Mais descendant de Marabout il cite deux versets du Coran qui permettent aux musulmans, momentanément trop faibles, de telles tractations, sans renoncer à la lutte, mais seulement pour se préparer à la reprendre.

------Le traité de la Tafna oblige donc Damrémont à renoncer à l'oeuvre de pacification de la province d'Alger qu'il avait entreprise avec quelque succès. Il peut alors se consacrer au règlement de la question de Constantine.
------Le 9 août 1837, un ultimatum du Gouverneur Général fut rejeté par le bey Ahmed. Damrémont, l'homme de l'occupation restreinte, progressive et pacifique doit se résigner à attaquer Constantine. Après un vif combat de rues commandé par le général Valée et l'assaut des Zouaves de Lamoricière au travers de la brèche ouverte par l'artillerie, une garnison est installée dans la ville qui tombe le 13 octobre 1837, Damrémont est tué la veille, le 12, alors qu'il inspectait une batterie. L'explosion d'un magasin de poudre blesse le général Lamoricière.
------Il faut noter, pour l'Histoire, que le duc de Nemours, fils du Roi Louis Philippe, commande, dans l'action, une brigade d'infanterie.
------Mais avant de poursuivre sur la lutte contre Abd-el-Kader, la vie d'un héros d'épopée mérite que l'on s'y attarde : le général Yusuf.

Yusuf,"fils de mes oeuvres et de mon sabre"

------La narration qui suit est puisée dans la publication de Maurice Constantin-Weyer, sous le titre de "La vie du général Yusuf"parue, en 1930, dans le n°54 de "Vies des hommes illustres" de la librairie Gallimard. Les parents de l'enfant Yusuf sont aux ordres de l'Empereur alors que celui-ci après sa première abdication règne sur l'île d'Elbe, à l'Est de la Corse. Leur fils Joseph se rend à partir de cette île dans un établissement scolaire de la côte italienne, pour y parfaire son instruction. ------Sur le trajet maritime, le bateau est attaqué par des corsaires barbaresques. Enlevé l'enfant est mis en vente sur le marché des esclaves où il est acheté pour le compte du Bey de Tunis. Le médecin français Lambert prit l'enfant sous sa protection, le fait vivre au harem et lui apprend à écrire la langue française. Il étudie également, le Coran ainsi que les langues arabe, turque, et espagnole. Il est destiné à être "Mamelouk" soldat-esclave dans la milice du Bey. Son prénom Joseph est transformé en Yusuf. En raison de ses bonnes dispositions intellectuelles, il est mis à la disposition du trésorier du Bey où il remplit des tâches de secrétariat, bien que l'enfant préfère la vie de combat du mamelouk à celle de scribe. Dans les' opérations punitives, il excelle et reçoit une grave blessure au cours de l'une d'elle. Il est investi à dix-sept ans de la haute dignité de bey de camp. Il fréquente assidûment le représentant de la France et se lie d'amitié avec les fils du consul, Jules et Ferdinand de Lesseps.
------Mais un soir du printemps 1830 sa vie va brutalement changer. Trahissant ses devoirs de mamelouk et de fraternelle amitié qui le lie au bey Hocéin, il se prend d'amour pour la fille de ce dernier, Keboura. Il mérite la mort par strangulation, décapitation, pendaison ou par le suprême privilège d'être fusillé.
------Le Bey juge sa fille non coupable et de ce fait celle-ci fait savoir à son amoureux qu'il ne l'est pas, non plus et qu'il ne sera pas fusillé. Il sera autorisé à se retirer du beylicat entouré d'une garde composée d'assassins à la solde du Khaznadar, le trésorier du Bey, qui voulait sa mort. Les frères de Lesseps apprennent la chose et tiennent Yusuf pour un citoyen français. Ils organisent son évasion au cours du guet-apens où il doit être assassiné et le font embarquer sur l'Adonis, brick du roi de France, qui rallie, le 13 juin 1830, la flotte française.
------Le général commandant en chef l'expédition, comte de Bourmont, l'affecte, le 5 juillet 1830, dès la prise d'Alger à son étatmajor et lui confie la fonction d'aide de camp attaché à sa personne. Sa connaissance des coutumes guerrières dans le beylicat lui sera des plus précieuses. Il n'est pas toujours écouté par ceux des officiers qui se posent en connaisseurs des moeurs algériennes. Au cours de l'action sur Blida, une attaque de kabyles se trouva réduite grâce à l'intervention de Yusuf qui montre aux cavaliers ses compétences dans le combat "après avoir fendu, pourfendu quelques crânes et séparé quelques membres des corps de ses adversaires". Le chef d'escadrons Yusuf connaît alors l'estime des cavaliers français.
------Levant des Goums, éclaireurs de l'armée, inaugurant des rezzous, il met au point, pour la France, cette magnifique cavalerie indigène qui devient le corps des Spahis. Au faîte des honneurs, il retrouve ses parents à qui il répond : "Je suis le fils de mes oeuvres et de mon sabre". Il se rappelle avoir été baptisé, abjure la religion musulmane pour se faire catholique et se marier à Mademoiselle Weyer qui est la sueur du maréchal-des-logis Gustave Weyer, qu'il a décoré pour fait de guerre après la charge d'Isly.
------A la fin de sa vie il est dans une disgrâce imméritée et la mort le surprend loin de cette Algérie qu'il a contribué à conquérir et tant aimée jusque dans son agonie. Il fera parler de lui tout au long des actions de l'armée dans l'Algérie Française.

Gaston Bautista