Relizane au temps des Romains... Mina
par Louis Abadie

extraits du numéro 119 , septembre 2007, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

sur site : avril 2012

68 Ko
retour
 

Relizane...
par Louis Abadie

La Berbérie était une terre de luttes entre factions diverses lorsque l'Empire romain est venu s'implanter en Afrique par ses conquêtes et une colonisation. Si Rome a pu occuper le nord des provinces de Berbérie, ce n'est que grâce à la création de deux limes, sorte de frontières pour se protéger d'invasions possibles. Un réseau routier constituait un des éléments de ces limes. Sur celui que la colonisation romaine avait établi en Maurétanie césarienne couvrant notre Oranie d'Aïn-Témouchent (Albulae) à Saint-Aimé (Gadaum), nous trouvons le Praesidium Castellum de Mina. Celui-ci est mentionné dans l'Itinéraire d'Antonin à seize milles de Ballene (sans doute
siège d'un évêché et à vingt-cinq milles de Gadaum (Saint-Aimé). Le commandant Demaeght, historien et archéologue d'Oranie, a écrit en 1887 : " Les ruines de l'antique Mina, qui empruntait son nom à la rivière sur la rive droite de laquelle elle était située, occupent la pente occidentale d'une colline qui domine les plaines fertiles de la basse Mina. On n'y trouve plus, aujourd'hui, d'autres vestiges de l'occupation romaine que les boursouflures du sol produites par l'amoncellement des décombres et une multitude defragments de poterie fine qui ne laissent aucun doute sur leur origine ". Et le même auteur signale ailleurs deux inscriptions qu'il a trouvées dans ces ruines, encastrées dans le mur de la maison Bonhomme, à Relizane, appartenant à cette époque à M. Sauve, maire de la


ville. Mina figure dans l'Africana christiana de Morcelli. C'était un des 133 évêchés de la Maurétanie Césarienne. La mémoire de deux de ses évêques nous est parvenue : Cecilius, qui est le 49e parmi les évêques de la Césarienne qui se rendirent en 484 au concile de Carthage, sur l'ordre du roi Hunéric. Fidèle à la loi catholique, il fut exilé, s'opposant courageusement à l'hérésie arienne. Secondin, lui, assista au concile de Carthage réuni en 525 par Boniface,sous le règne d'Hildéric. Il y fut le seul représentant de la Maurétanie Césarienne " car les autres furent retenus par la dure nécessité de la guerre" et signa " Secondin, évêque du peuple de Mina, de la province de Maurétanie ". Mais d'où vient ce nom Mina? Le savant Arthur Pellegrin qui a étudié les noms pense que ce nom de la rivière a été latinisé à partir d'une racine berbère " aman " qui signifie l'eau.

Avant l'arrivée desFrançais... Ighil Izan

C'est encore Arthur Pellegrin qui nous donne l'origine du mot Ighil Izan. Dans la plupart des dialectes libyco-berbères, le mot ighil, que l'on trouve souvent associé à un autre mot, aussi bien en Tunisie qu'en Kabylie, désigne une colline, ou bien une crête, ou une chaîne de montagnes. C'est ainsi que Ighil Izan veut dire " La Crête des mouches ".

D'après les recherches, toujours pointues de G. Bensadou, c'est la tribu berbère des Hawwara qui a toujours occupé la région de Relizane et que les Romains ont désignée sous le nom des Bavares, tribu importante qui domine, avant l'invasion arabe, les hautes plaines de l'Aurès à la Moulouya et en particulier la région qui nous intéresse, celle allant de Relizane à Mascara. Les Arabes baptisent l'Oued Hawwara, l'Oued Mina et le Djebel Hawwara, l'Ouarsenis.« Les Hawwara, selon Ibn Khaldoun, étaient des Branes, c'est-à-dire des tribus sédentaires. Et le centre le plus important était probablement El Bat ha qui; d'après le baron de Slane, traducteur du grand historien, se serait situé sur la rive droite de la Mina, probablement dans le voisinage de la ville de Relizane. Un autre centre important de cette tribu était le village de Kalaa, célèbre par ses tapis ". Ces tribus sont-elles païennes, chrétiennes, juives? Nous ne le savons pas. Par contre, elles sont islamisées à partir de l'invasion arabe et vont connaître les différents occupants de ces régions : le Royaume Ibadite d'Ibn Rostem, les Idrissides, l'Empire Fatimide et d'après Ibn Khaldoun, cette tribu des Hawwara est décimée à la fin du xe siècle. Ensuite viennent les périodes hillaliennes, puis la région de Relizane est soumise aux Almoravides, puis aux Almohades. Les luttes incessantes où s'affrontent les différents royaumes d'Afrique du Nord font passer cette région sous leur domination et particulièrement sous celles des Abdelouadites du Royaume de Tlemcen et des Mérinides de Fez.

À l'époque des Espagnols, des tribus arabes s'y implantent, en particulier celle des Zoghbas, une branche des Béni Hillal. Enfin, sous la Régence turque, elle fera partie du beylick de l'ouest dont les chefs-lieux successifs sont Mazouna, Mascara et Oran. Si beaucoup d'incertitudes pèsent sur ces siècles, on sait très bien à partir de l'occupation française que la tribu des Flitta gère le triangle L'Hillil, Inkerman, Zemmora au centre duquel se trouve Relizane. Ch.-André Julien parle " d'un territoire dangereux ". Quand Abd el-Kader est traqué par les Français, il se réfugie un temps chez eux et Mustapha Ben Ismail, le chef des Kouloughlis de Tlemcen tombe dans une embuscade chez les Flitta et y trouve la mort. En 1864, c'est un de leurs marabouts, Bou Hamama, qui attaque Relizane après avoir pillé Zemmora et brûlé Ammi Moussa. Le commandant d'Armagnac et le lieutenant Cordier le poursuivent et il sera tué le 3 juin 1864. Bou Hamama était aussi appelé Si Lazreg et le marabout avait sa koubba près de Kenenda. Les Relizanais se souviendront aussi du colonel Lapasset qui les délivra avec ses Chasseurs d'Afrique de cet envahissement de 1864.

Projet du village de Relizane sur la route de Tiaret
Projet du village de Relizane sur la route de Tiaret

Français, Espagnols, Piémontais... tous Relizanais!

En juin 1853, La Désirade est le bateau qui relie Marseille à Oran et sur lequel se trouvent les premiers pionniers, arrivant du Gard et spécialement de l'arrondissement du Vigan. Par voie d'affiche on les a encouragés au départ pour faire fructifier des terres et pour apporter à un pays une civilisation après l'effondrement de la Régence turque. Ils débarquent à Oran avec bagages, outils, chariots et même mulets. Bien vite, ils se dirigent vers ce Centre de colonisation nouvellement créé et occupé seulement, par les soldats. Le lieutenant Boniface les accueille, les installe sommairement. Pour eux, on a pu dire comme Pierre Dumas: " Je ne sais quel écrivain a dit, avec raison, qu'entre la France et l'Algérk, la Méditerranée n'est pas une barrière, mais une route ". Mais une route... vers l'inconnu, le désert, les fièvres, en somme vers ce pays qu'on appelle déjà " la Petite Cayenne ". L'émigration espagnole, elle, est importante durant la période 18701880. Ces natifs d'Ibérie sont attirés par ce pays, qui ressemble beaucoup au leur et ceux-ci savent tailler la vigne; ce sont des défricheurs, arracheurs de bois, charbonniers.

Jordi a écrit que " le peuplement de la plaine de Relizane s'est fait au moins autant par suite de la poussée des colons d'Oran que les voies de communication (route et chemin de fer d'Oran à Alger) mettent à quelques heures que par le déplacement des colons de Mostaganem ".
En 1886, les Espagnols de Relizane sont plus nombreux que les Français : 1 952 contre 1004.

Des Piémontais aussi sont arrivés à Relizane, certes en moins grand nombre que les Espagnols. Comme à d'autres Européens, on leur a fait miroiter l'Eldorado brésilien, puis on leur propose le départ vers l'Algérie, toute proche et certains, nommés Mazzia, originaires de Biella, dans la région de Turin, se mettent au service d'entrepreneurs italiens comme les Bellia, déjà installés à Relizane. Comme on le sait, ils sont des champions dans le bâtiment et les travaux publics. Ils créeront des entreprises de constructions, des fabriques de carrelage, qui deviendront très vite florissantes.

Ces premières années sont dures, à Relizane, tant pour l'élément européen que pour les autochtones. Cette ville est touchée par la famine en 1866, et le choléra, en 1867 a aggravé la mortalité qui représente six fois plus de décès que de naissances. En plus des familles qui vont cultiver leur concession, la colonisation capitaliste s'installe, sur la rive droite de la Mina, comme le souhaitait Napoléon III, par le truchement de la Société Générale Algérienne, au désespoir des colons de Relizane. Ceux-ci se livrent à la culture du blé, de l'orge, du tabac et bientôt du coton, ces deux dernières cultures seront abandonnées au début du xxe siècle.

La vigne avec des périodes fastes et également difficiles fait son apparition, tandis que les agrumes feront la richesse de la région grâce à l'irrigation, bien ordonnée. Et Relizane a bientôt sa banque locale, exemple rare en Algérie, le Comptoir d'Escompte qui, en accordant des crédits, contribue à la prospérité de la ville et de la région. Francine Dessaigne, qui nous a laissés de bons livres sur notre Algérie, a écrit dans Journal d'une mère de famille pied-noir, ce qu'elle a vu à Relizane en 1950 : " Relizane avait à cette époque un maire conscient de ses devoirs, dont la sollicitude municipale se manifestait dans les moindres circonstances de la vie de ses administrés. C'est ainsi qu'il avait songé à adoucir les rigueurs de l'été les plus dures qui soient, en mettant des jets d'eau et créant de beaux jardins publics qu'il arrivait à entretenir verts au plus fort de la chaleur. Lorsqu'il fait 45° à l'ombre, voir et entendre l'eau qui coule est presque aussi rafraîchissant que de la boire. II pensait à leur santé. Il avait fait construire un marché couvert en béton où les étalages de légumes rivalisaient de propreté avec ceux des bouchers. Les petites boutiques pourvues de réfrigérateurs, de vitres et de carreaux de faïence blanche, recevaient tous les Européens et tous les indigènes. D'autres, fidèles à l'habitude, préféraient le marché à la viande qui se tenait près de la mosquée ".

Relizane et son climat de toujours

Un fortin... sur une colline amie entre deux plaines, celle du Chélif et celle de la Mina... une région montagneuse à proximité de l'Ouarsenis et d'Ami Moussa, tel apparaissait aux premiers arrivants ce pays. Un environnement varié entoure la ville de Relizane où l'on trouve fleuve et rivières.

Dominique Rivière la décrivait ainsi:
Une plaine aride, parsemée de marais pestilentiels, quelques touffes de tamaris et de lauriers roses aux abords de la Mina: des jujubiers touffus sur l'emplacement actuel de la ville, tel était le décor général et particulier de ce que l'on avait choisi pour l'installation d'un Centre ".

Les premiers arrivants à Relizane ont été frappés immédiatement par " ce climat épouvantable " d'où le surnom de " Petite Cayenne ". Dans un rapport scientifique, tel celui établi en 1961 par J.-M. Boutin, on est surpris d'apprendre que la température, à Relizane, se situait en moyenne annuelle à 18°4 alors que celle d'Oran atteignait 18°3. Mais les moyennes relèvent de la théorie et ce qui rendait insupportable le climat étaient les écarts de température en cours de journée.

Ce climat provoquait sécheresse, aggravée par des vents du Nord en hiver, pas trop redoutables, mais en été il fallait subir le sirocco, sec et très chaud.

Quand on lit les cahiers journaliers de quelques agriculteurs, on s'aperçoit que la pluie était chez eux une obsession: ils notaient tantôt qu'elle était tombée, tantôt ils souhaitaient qu'elle tombe. Cruelle angoisse, en pensant à leurs cultures qu'ils surveillaient attentivement. Certains, toujours fidèles aux traditions de leur pays d'origine, étaient des inconditionnels du Zaragosano, l'almanach des prévisions météorologiques, indiquant les phases de la lune et les dates favorables à la plantation des cultures. Mais... Car cette pluviométrie était en moyenne de l'ordre de 300 à 360 millimètres avec des pointes de 460 et même de 533 millimètres dans les années 1950. Les précipitations étaient variables: pluie fine et continue ou bien orages de courte durée mais destructeurs du sol. En été, presque nulles étaient ces précipitations. Heureusement, les services de l'Hydraulique corrigeront ces carences et grâce au barrage sur l'Oued Mina, construit en 1859, on pouvait, en attendant les autres solutions, irriguer environ 7000 ha de plantation d'arbres fruitiers, mais en période sèche, seulement 200 ha. Géographiquement la situation de Relizane va s'avérer d'une importance stratégique en tant que carrefour de grandes voies de communication partant de la N4 Alger-Oran, l'une, la N23 vers Mostaganem, puis la N7 allant à Mascara-Sidi-Bel-Abbès, et la N23 allant vers Tiaret, sans compter la D13 desservant Uzès-le-Duc et Aïn Tédélès au nord-est. Sans oublier les nombreux chemins vicinaux et les pistes à mulets. Noeud ferroviaire aussi pour la grande ligne de chemin de fer Alger-Oran et Mostaganem- Tiaret. Centre de ravitaillement, de soins des nombreux villages des routes de Mostaganem, Inkermann, Perrégaux et Montgolfier.