sur site le 26/09/2002
-Des portes d'Isly à la Colonne Voirol.
"Ces portes, c'était, pour moi, l'entrée dans un monde enchanté : le quartier des villas et des grands hôtels cosmopolites, des gens riches, des hiverneurs de marque, des étrangers et des artistes. Avec leurs prétentions monumentales, leurs pilastres et leurs colonnes à tambour, ces braves Portes d'Isly faisaient toute espèce d'embarras pour vous donner par avance une idée de ces splendeurs."
Louis Bertrand de l'Académie Française a vécu une dizaine d'années à Alger à partir de 1891.
Dans son ouvrage, il raconte ses promenades dans le vieil Alger. En voici un extrait.
Nouvelles Éditions du Siècle, Paris, 1938.

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retour rue Michelet
retour Colonne Voirol
 


------Ces portes, c'était, pour moi, l'entrée dans un monde enchanté : le quartier des villas et des grands hôtels cosmopolites, des gens riches, des hiverneurs de marque, des étrangers et des artistes. Avec leurs prétentions monumentales, leurs pilastres et leurs colonnes à tambour, ces braves Portes d'Isly faisaient toute espèce d'embarras pour vous donner par avance une idée de ces splendeurs.

Les anciennes portes d'Isly (extrait du livre, édition 1938)
Les anciennes portes d'Isly (extrait du livre, édition 1938)


------Mais pour y arriver, il fallait, comme pour le Jardin d'Essai, traverser d'abord une zone ingrate, la bourgeoise rue Michelet, artère principale d'un Mustapha, qui n'étant plus inférieur, n'était pas encore supérieur, et qui sentait un peu le faubourg. Les ponts franchis, on avait à sa droite un pâquis planté d'eucalyptus et qui s'intitulait pompeusement "le Parc d' Isly". Il a disparu depuis longtemps. Je ne le regrette pas. Ce parc était mal peigné, et ses eucalyptus, démentant leur nom, donnaient fort peu d'ombrage. Il y avait, après cela, - et il y a toujours, -l'imposante façade des Écoles supérieures, devenues Université d'Alger, construite depuis peu sur un emplacement que les maraîchers mahonnais appelaient " El camp des naps ! ", le champ des navets : terrain évidemment désigné pour la culture universitaire. Et puis, après avoir atteint, dans un petit tramway poussif, les hauteurs du plateau Saulière, on commençait enfin l'ascension de Mustapha supérieur; montée ou descente triomphale par une route en lacets, dont chaque boucle marque un changement de paysage. Et quel paysage! Tout le golfe étalé jusqu'aux lointaines plages du cap Matifou, les blancheurs d'Alger et de l'amirauté, le port, les rouges cheminées des navires, la courbe étincelante des moles et les monts de Kabylie à l'horizon!...
------De chaque côté de la route montante, le défilé des villas fameuses : le Bardo, alors complètement restauré et habité par le musicien Pierre Joret, le Bardo avec sa cour de marbre, ses bassins et ses jets d'eau, ses kiosques et ses cafés maures, ses jardins en terrasses,- petit alhambra algérien. Puis, la villa du gouverneur, ou Palais d'été; la villa Francis, véritable musée d'art indigène, composé et aménagé avec un goût exquis par un amateur anglais, collectionneur fervent. Au milieu de tout cela, les grands hôtels échelonnés de distance en distance, jusqu'au Bois de Boulogne et jusqu'à la Colonne Voirol : blanches façades encadrées de cyprès, de palmiers et d'eucalyptus, tapissées de bougainvilliers, de banxias, de plumbagos et de roses grimpantes. Un air Côte d'Azur mais corrigé par l'esthétisme et la tenue britanniques, embellie et enchantée par ce je ne sais quoi de secret, de violent et de voluptueux que l'Islam dépose partout où il passe.

  ------Parmi tous les chemins et les sentiers qui aboutissaient à la grande avenue montante de Mustapha, il y en avait un que je préférais et qui, d'ailleurs, avait ses fidèles, pour ne pas dire ses initiés. A cette époque-là, il était encore mal connu et assez peu fréquenté: c'est ce charmant chemin du Télemly, dénommé aussi chemin des Aqueducs, qui, épousant les sinuosités, les anfractuosités du coteau, voire les gorges de certains petits ouadi, serpente pendant près d'une lieue, au-dessus des faubourgs et de la mer, à travers des jardins et des villas. Je l'aimais tellement que j'y avais loué une maisonnette, juste au-dessus du village d' Isly. Cela s'appelait la Villa des Marguerites : c'était tout ce qu'il y avait de plus primitif comme installation. Mais, du petit balcon du premier étage, je aominais un immense horizon de mer et de montagnes. Et c'était un spectacle de tous les instants.
------Ce chemin du Télemly était lui-même un spectacle perpétuel. Dans cet Alger panoramique, c'était peut-être le lieu le plus panoramique de tous. A mesure qu'on avançait, on avait comme l'impression d'un film qui se déroule, tant les aspects variaient et se succédaient rapidement, avec les coudes brusques, les détours et les retours du petit chemin idyllique. Le grand charme, c'était de le parcourir tout entier, en partant du champêtre quartier Saint-Augustin et en franchissant les glacis des fortifications, pour aboutir aux environs du Palais d'Été, sur la grande route de Mustapha.
------Les villas n'étaient pac encore très nombreuses dans ces parages. Il y avait, je me rappelle, une villa belge, habitée par de pieuses matrones d'Anvers ou de Bruges, une villa anglaise bâtie par un musicien ou un poète londonien, qui avait mis partout des lyres dorées, une villa alsacienne qui s'appelait " La Robertsau ", nostalgique souvenir d'un Strasbourgeois exilé, nid de verdures touffues, où l'on reconnaissait les plus beaux arbres du Nord. On cheminait ainsi, dans une solitude à peu près complète, au milieu des brillants feuillages méditerranéens, auxquels se mêlaient des tilleuls et des acacias, au bruit d'une foule de petits ruisseaux invisibles. Et le plus délicieux et le plus exaltant, c'était, avec la fraîcheur et l'air très pur de ces hauteurs, ces vastes échappées de mer et de ciel et, partout, comme une largesse inépuisable, cette effusion radieuse de la lumière.