Sahara
BOU AMAMA
LE DERNIER MARABOUT INSURGÉ D'ALGÉRIE
Le chou-fleur de Bou Amama

Echo du 18-12-1951 - Transmis par Francis Rambert

BOU AMAMA
LE DERNIER MARABOUT INSURGÉ D'ALGÉRIE
Le chou-fleur de Bou Amama

" Bou Amama, l'éternel ennemi, le foyer de toutes les agressions… L'instigateur principal et incontestable de toutes les hostilités que nous rencontrons dans l'Ouest.
… Comme on l'a raté pendant 22 ans, je n'ai pas la prétention d'en venir à bout en 6 mois ".
LYAUTEY.

Le touriste le plus indifférent à l'histoire de l'Algérie et aux contingences politiques, ne saurait voyager au Sahara oranais sans entendre parler du marabout Bou Amama. Non que les populations lui racontent l'aventure de cet adversaire de la France qui, pendant un quart de siècle - de 1879 à 1906 - " fut le foyer de toutes les agressions dirigées contre nos postes et nos colonnes ", mais dès Tiout et Béni-Ounif, le voyageur le moins curieux de botanique est frappé par une plante qui foisonne par endroits, et dont la physionomie est pour lui si nouvelle qu'il ne peut pas ne pas la voir ni demander son nom. C'est alors qu'on lui répond : chou-fleur de Bou Amama

Végétal curieux. comme une erreur ou une hésitation de la Nature, tellement son apparence est celle d'un minéral. Sa structure en taupinière, " en, coussin ", disent, je crois, les savants, et ses rameaux agglomérés et ténus, que terminent une efflorescence de minuscules étoiles, aiguës et dures comme de silex, et d'une coloration oxydée comme l'agave, accrochent l'œil du passant.

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BOU AMAMA
BOU AMAMA
LE DERNIER MARABOUT INSURGÉ D'ALGÉRIE
Le chou-fleur de Bou Amama

" Bou Amama, l'éternel ennemi, le foyer de toutes les agressions… L'instigateur principal et incontestable de toutes les hostilités que nous rencontrons dans l'Ouest.
… Comme on l'a raté pendant 22 ans, je n'ai pas la prétention d'en venir à bout en 6 mois ".
LYAUTEY.

Le touriste le plus indifférent à l'histoire de l'Algérie et aux contingences politiques, ne saurait voyager au Sahara oranais sans entendre parler du marabout Bou Amama. Non que les populations lui racontent l'aventure de cet adversaire de la France qui, pendant un quart de siècle - de 1879 à 1906 - " fut le foyer de toutes les agressions dirigées contre nos postes et nos colonnes ", mais dès Tiout et Béni-Ounif, le voyageur le moins curieux de botanique est frappé par une plante qui foisonne par endroits, et dont la physionomie est pour lui si nouvelle qu'il ne peut pas ne pas la voir ni demander son nom. C'est alors qu'on lui répond : chou-fleur de Bou Amama
Végétal curieux. comme une erreur ou une hésitation de la Nature, tellement son apparence est celle d'un minéral. Sa structure en taupinière, " en, coussin ", disent, je crois, les savants, et ses rameaux agglomérés et ténus, que terminent une efflorescence de minuscules étoiles, aiguës et dures comme de silex, et d'une coloration oxydée comme l'agave, accrochent l'œil du passant.
Pour les Berbères, cette plante, c'est " l'abelbal ", pour les Arabes, le " dega ", pour les naturalistes, " l'anabasis aretinoïdes ", et pour tout le monde le chou-fleur de Bou Amama, appellation ironique qu'il tient des premiers soldats qui guerroyèrent contre le marabout. Et l'image fait honneur à ceux qui l'inventèrent, bien qu'il manque au dega la tige ligneuse du chou-fleur.
Sa racine est un pivot et il émerge et s'arrondit comme une boursouflure de la terre : une taupière, je le répète. Et par endroits s'en trouvent des tribus si pressées qu'il devient impossible de circuler entre les plants.
Il en est de fort gros, et ceux-là font penser à de hautes fourmilières et, je les ai vus, arrachés par les " cantonniers " du Sud, servir de balises sur les pistes. Pour les jeunes, à distance, ils font penser
à des hérissons, de jolis hérissons, pelucheux comme l'enveloppe de l'amande dont ils ont la nuance.
Mais que notre main s'y porte - et, instinctivement, nous voulons les toucher - on la retire avec effroi, tant leur contact est rude. Qui s'y trotte, s'y pique ! Ce sont bien des " guenfoud " !
Quant à s'asseoir dessus (et il est si tentant de le faire sur les gros que tous les " bleus " du Sud l'ont fait), c'est une expérience qu'on ne renouvelle pas, car on a la sensation, particulièrement les dames à la cuticule sensible, de s'être posé sur un coussin d'émeri...
Eh bien, cet émeri vivant, ce bouquet d'épingles, ce végétal si dur qu'il semble un minéral, je l'ai vu mangé comme une tendre luzerne par le chameau qui me portait lors de ma traversée de l'Erg occidental par les bas-fonds de l'oued Namous ! Il est vrai que ce même chameau, je l'ai vu manger les ossements, oubliés sur la piste, d'un de, ses congénères - ô chameaux chamophages !

Avorteur et sourcier
Une autre singularité du chou-?eur de Bou Amama : on ne le rencontre guère que dans le Sud oranais, théâtre des exploits du marabout baroudeur, auquel il doit son nom. Il existe ailleurs, car je l'ai rencontré au Maroc où je l'ai vu vendre par les droguistes indigènes, à Meknes notamment, sous
le nom de " sagra harara zaria ".
Selon le professeur Maire, il serait utilisé là-bas comme abortif. Mais je ne crois pas me tromper en écrivant que le Sud oranais est son habitat optime, sa " terra typica ", pour parler doctement. Il est ici chez lui.
Cette localisation, due au climat, bien sur, n'est-elle pas, chez l'anabasis, un surcroît d'originalité ? En voici une autre, rapportée par Duveyrier et citée par L. Trabut dans sa " Flore du Nord de l'Afrique " :
" Les Sahariens prétendent qu'on peut creuser un puits avec sécurité partout où croit le belbal, parce qu'on est certain de trouver de l'eau à peu de profondeur. " Voici donc le dega avorteur et sourcier !

Une métempsycose qu'on envie
Mais que dire de la chance de ce Bou Amama, adversaire de la France, dont les Français perpétuent la mémoire par le truchement, d'une plante ? Le souvenir de ses aventures sera perdu que le dega continuera d'être nommé par son nom, même si l'on ne sait plus en rappeler l'origine.
Se survivre dans une plante, et dans une plante aussi étrange que ce chou-fleur désertique, je le dis sans façon : bien qu'il existe dans l'Aurés, sous les noyers de Bouzina, une " source Claude-Maurice-Robert ", j'envie à Bou Amama son apparente métempsycose !

Aprés le chou-fleur, Ie château
Mais la faveur du thaumaturge ne se limite pas à cela. Bien avant d'atterrir sur l'aire de Colomb-Béchar, on voit, sur la droite de l'avion, se profiler la silhouette d'un inattendu castel moyenâgeux, lequel, à mesure que l'on approche, captive mieux l'attention, car il s'érige solitaire sur la hammada nue.
Cette balise romantique, qui n'est en réalité qu'une butte-témoin nommée " gara ", érodée par les intempéries millénaires, et qui se nomme sur les cartes " Oum es Sebaa " (la Mère du Lion), n'est connue dans le pays que sous son nom populaire " le Château de Bou-Amama ".
Non seulement l'image est juste, car c'est à s'y tromper, un burg médiéval (et j'ai vu le peintre Konrad abusé par cette ressemblance, créée par la lumière magicienne et l'éloignement), mais cette appellation, après celle du chou-fleur, témoigne de l'espèce d'obsession que fut pour nos soldats, au début de ce siècle, le marabout insurgé.
Chez les Ksouriens, et à Figuig plus qu'ailleurs dont il était natif, sa popularité d'antan est attestée par la présence de nombreux Bou Amama aujourd'hui semi-séculaires.
Ce qui veut dire que leurs pères furent fiers de leur donner leur homonyme pour parrain.

Les débuts d'une carrière mouvementée
Bou Amama était né vers 1840, à El-Hammam-Foukani, l'un des sept ksour de Figuig où, selon la déclaration du marabout de Kenadsa à Isabelle Eberhardt, son père était brocanteur. Mais il avait pour ancêtre collatéral Sidi Tadj, un des fils de Sidi Cheikh, le fondateur éponyme de l'influente zaouia d'El-Abiod, entre Géryville et Aïn-Sefra. Son nom exact était Mahammed el Arbi. Le surnom de Bou Amama (l'Homme au Turban) lui vint 'u gros chèche dont il couvrait sa tête.
De sa jeunesse. je n'ai rien pu apprendre. Vers 1875, il installe une première zaouia a Moghrar Tatani et se fait une clientèle. Il partage alors son temps entre celle-ci et Figuig. En 1879, la création par la France du poste de Tiout le décide à déclencher un mouvement insurrectionnel. Ses partisans à ses débuts se composent d'Ouled Sidi Cheikh non ralliés ou dissidents.
Une expédition punitive immédiate l'aurait paralysé. Mais la promptitude n'est pas le privilège d'un État démocratique : on le sait depuis Homère. Le gouvernement discuta, ergota, délibéra, et finalement s'abstint d'intervenir. Et Bou Amama continua, encouragé par l'inertie officielle.

Charles de Foucauld réintègre l'armée pour combattre Bou Amama
Au géneral de la division de Tlemcen qui lui suggérait, en 1880, d'envoyer une colonne répressive contre les insurgés, le gouverneur général Albert Grévy fit cette réponse sans réplique : " L'ère des insurrections est close. " De sanglants événements allaient démentir cet augure.
Le massacre de la mission Flatters au Hoggar, qui fut connue dans les ksour avant de l'être à Paris,
stimula la xénophobie de Bou Amama et de ses affiliés. Et ce fut, cette même année, l'assassinat du lieutenant Weimbrenner_
En avril 1881, une colonne, sous les ordres du colonel Innocenti, voulut en tirer vengeance. La rencontre fut pour nous désastreuse. Et Guy de Maupassant, dans son livre " Au Soleil ", dénonça, avec une ironie cinglante, l'incurie des autorités responsables qui aboutit au carnage des Européens isolés, cheminots et alfatiers espagnols.
C'est en ces circonstances que le lieutenant de Foucauld en non-activité " pour inconduite notoire " - depuis ses esclandres de Sétif, alarmé par la gravité des événements, sollicita et obtint de rentrer dans le rang. Et c'est au cours de cette campagne contre Bou Amama. qu'il reprit contact avec l'Afrique et rencontra le lieutenant Laperrine qui, lui aussi, baroudait contre l'agitateur.

Un marabout ubiquiste
La politique pusillanime de Paris interdisant à nos soldats d'agir efficacement, Bou Amama ne manquait pas de l'exploiter. Notre temporisation n'était pas, à ses yeux, commande par la diplomatie, mais par la peur qu'il inspirait. Ce n'était pas le Quai d'Orsay qui paralysait notre action,. c'était sa baraka !
Et un jour vint où il sut gagner à sa cause la majorité des tribus des confins algéro-marocains qu'il avait fanatisées : Ouled-Djérir, Douï- Menia, Béni-Guil, et jusqu'aux lointains Chaâmba, Une belle victoire pour nos politiciens ignares et palabreurs !
Enfin, ce qui devait advenir arriva. : Bou Amama s'allia au Rogui Bou Hamara, qui disputait son trône au sultan marocain, et tous ses partisans se virent armés de fusils à tir rapide alors que nos goumiers ne possédaient encore que l'armement 74, ce qui les plaçait dans une situation d'infériorité qui les démoralisait.
A cette époque, Bou Amama n'est plus seulement géant, il est devenu dangereux.
Réfugié au Maroc oriental, où il est interdit à nos troupes de le poursuivre, il fut. selon Lyautey,
l'organisateur de toutes les agressions dirigées contre nous : " On retrouve sa griffe partout. Il est l'instigateur des combats d'El-Moungar et de Tarit. Partout se reconnaît son influence dissociante. "
Son prestige est tel qu'il contamine nos auxiliaires. Le 2 mars 1906, Lyautey en informait Étienne, ministre de la Guerre : " Songez qu'ici mes propres partisans payent la " ziara " à Bou Amama ! "
La cinquième colonne existait avant Hitler !

Vingt-trois ans aprés l'avoir combattu le Père de Foucauld bénit les victimes de Bou Amama
Cette apogée du prestige du marabout, due aux aberrations de la politique française, nécessita un dispositif de défense qui s'étendit de Berguent, aux confins orano-marocains, jusqu'à Béni-Abbés, dans le Grand Erg occidental, d'où le Père de Foucauld, devenu ermite, vint bénir les morts des combats d'El-Moungar et de Tarit (août et septembre 1903).
Plus de vingt ans après qu'il l'avait combattu, Bou Amama faisait encore des victimes parmi les nôtres ! Mais, écrivait dans le même temps Lyautey, " ces accidents sont fatals puisque (chez nous) tout le monde et personne ne commande ".
Et il avait beau dire : " Les latitudes qu'on ne me donne pas, je les prends ". Il est freiné comme les autres par la calamiteuse inertie des bureaux !
Ainsi, d'un chef de bande, une politique d'incapables a fait un chef de guerre ! Ce n'était pas la première fois: l'histoire de l'Algérie est pleine de ces erreurs sanglantes.

A l'ombre des bétoums
Vaincu enfin au Kreider, abandonné des séides que ses succès subjuguaient, Bou Amama se retira tout d'abord à Figuig, ensuite au Gourara, à Deldoul, minuscule oasis de l'Erg occidental, et plus tard à El-Aioun-Sidi-Mellouk, entre Oujda et Taza, au Maroc oriental, que son allié, le Rogui Bou Hamara avait enlevée, en 1904, aux troupes sans foi ni solde du sultan Moulay Hafid.
C'est là qu'il est mort, en 1907, et qu'il fut inhumé, sous la koubba candide réservée aux marabouts, dans un cimetière que des " bétoums " plusieurs fois séculaires transforment en Bois Sacré.