Augustin, gloire de l'Afrique
pnha n°71, septembre 1996.
sur site le 22/11/2002

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-----Se pencher sur la personnalité d'Augustin, c'est se pencher sur un puits sans fond. Chaque fois qu'on croit l'avoir saisie, on s'aperçoit qu'elle nous a échappée, tant il est vrai que les génies transcendent le commun de l'humanité. Augustin est l'un de ces génies, l'un des plus grands parmi les plus grands, ce qui ne l'empêche pas d'être en même temps l'un des plus humbles parmi les plus humbles.
-----Son cas défie toutes les analyses psychologiques. Comment ce jeune homme, intelligent certes, mais aussi jouisseur effréné, a-t-il pu devenir un saint et le docteur le plus éminent de l'Eglise ?... Quand passe la grâce, l'homme n'a plus qu'à se taire... Celui qui avait rendu à la vie terrestre la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm, le frère de Marthe et Marie, celui-là seul pouvait sortir une âme d'élite de la mort du péché et l'amener à la sainteté.

NÉ DANS L'ANCIENNE SOUK-AHRAS

-----Augustin, nous le savons, est né en 354 dans l'antique Thagaste, au coeur de cette Afrique du Nord dont les turbulences donnaient tant de fil à retordre à l'administration romaine. Numide par la naissance, il le deviendra encore davantage parle caractère et par le coeur. Contrairement à certaines personnes qui, obligées de s'expatrier, se croient également obligées de perdre leur accent d'origine et d'adopter celui du pays d'accueil. Augustin reste fidèle à l'accent de son terroir. Bien que parlant couramment un latin châtié, il n'a jamais rien fait pour modeler sa prononciation sur celle des Romains ou des Milanais. De lui, ceux qui le côtoyaient disaient que sa langue était rude. Rude, c'est-à-dire qu'elle avait gardé de l'Afrique l'aspiration de la lettre h et la gutturalisation de la lettre k. Sur les rives européennes de la Méditerranée où le climat plus tempéré adoucit le langage, Augustin ne cède pas à la tentation de renier ses origines. L'homme n'est vraiment lui-même que dans la fidélité à ses racines.
-----Adolescent, il a cru un temps à une philosophie existentialiste qui le poussait à jouir de tous les plaisirs qu'offre le monde, surtout les plaisirs de la chair. Mais ces plaisirs lui laissent un arrière-goût d'amertume. Tout en s'y jetant à corps perdu, il sent leur artifice. Alors, il cherche ailleurs la vérité, et il espère la trouver dans le manichéisme.
-----Cette philosophie, qui se voulait religieuse, divisait le monde en deux principes perpétuellement en lutte : le principe du bien et celui du mal. Pendant neuf ans, Augustin sera son disciple d'autant plus ardent que les manichéens affirmaient ne rien imposer et tout démontrer. Ils se moquaient violemment de certaines coutumes païennes que les chrétiens d'Afrique n'avaient pas éliminées et que les esprits naïfs croyaient inhérentes au christianisme, comme les offrandes aux morts que la pieuse Monique faisait régulièrement.
-----Tant qu'Augustin sera convaincu que les manichéens détiennent la vérité, il leur sera fidèle. Mais, au fur et à mesure que tombent ses illusions, il découvre qu'en fait de vérité, les manichéens ne racontent que des légendes sans fondement. S'il ne rompt pas immédiatement avec eux, c'est par amitié pour certains responsables de la secte. -----Lors d'une confrontation avec l'évêque Faustus, un des plus importants chefs du manichéisme, Augustin acquiert la certitude de la fausseté absolue de cette doctrine et il la rejette catégoriquement.
Ce sont les sermons d'Ambroise, évêque de Milan, qui l'amèneront progressivement à la vérité. Alors, il rejettera également les philosophes et s'inscrira comme catéchumène. Les larmes et les prières de Monique trouvent enfin leur aboutissement.
-----Devenu chrétien, Augustin comprendra immédiatement que celui qui a rencontré Dieu sur son chemin ne peut plus vivre dans la médiocrité. Une seule voie s'offre à lui : celle qui conduit aux sommets. Augustin l'emprunte, son ascension est fulgurante. Moine d'abord, puis prêtre, enfin évêque, il s'éblouit de la miséricorde divine. Ayant bénéficié comme Marie-Madeleine d'un amour infini, il devient le chantre de cet amour. Les pages d'Augustin sur la miséricorde de Dieu sont parmi les plus profondes et les plus boulversantes jaillies d'un cerveau humain.

LES DANGERS ARRIVENT

-----Mais voici qu'un terrible danger menace le christianisme africain. Le schisme donatiste, d'abord circonscrit à quelques puritains, s'est allié aux circoncellions, ces miséreux qui vivent de vols et de pillages. La révolte revêt un triple caractère social, politique, religieux. Toute la civilisation romaine en Afrique se trouve menacée. Augustin reproche aux donatistes d'être en contradiction avec l'Evangile.
-----Croire que notre Eglise ne doit se composer que de purs, leur dit-il, est une erreur. Nous sommes tous pêcheurs et avons tous besoin de la miséricorde de Dieu. Ce n'est pas pour les justes que le Christ est mort, mais pour les pécheurs. Il les affronte en des débats publics parfois houleux. Débats inutiles, affrontements stériles, car devant lui se dresse l'infranchissable barrière de l'orgueil. Et qui dit orgueil dit mensonge.Ayant épuisé toutes les tentatives de réconciliation, Augustin se résout, le coeur serré, à faire appel au pouvoir impérial. L'armée romaine intervient brutalement et ramène de gré ou de force les égarés à la raison. Avec quelle tendresse Augustin accueille dans l'Eglise les ennemis de la veille !
-----Il intervient auprès des autres évêques de l'Afrique du Nord pour que partout les donatistes soient réintégrés avec la même tendresse.
-----Son Eglise d'Hippone, qui avait terriblement souffert du schisme, Augustin la guide avec la sûreté d'un pilote éprouvé. Ses écrits, ses sermons, ses interventions dépassent le cadre local. Il n'est déjà plus seulement l'évêque d'Hippone, mais aussi et surtout le docteur de l'Eglise universelle, celui qui montre la route au peuple de Dieu. Tout en restant passionnément attaché à son pays et à son peuple, il a conscience de sa responsabilité à l'échelon mondial. Magnifique exemple de mariage réussi entre régionalisme et universalisme ! Désormais, Augustin ne travaillera plus pour ses seuls fidèles, mais pour ceux de l'Eglise entière.
-----Mais Augustin vieillit. Dieu lui réserve une dernière épreuve, de toutes la plus douloureuse : l'invasion vandale qui détruit en Afrique et l'Eglise et la civilisation. Aucune discussion n'est possible avec ces barbares qui ne savent que piller, violer, incendier. Dans Hippone assiégée, l'évêque soutient la résistance. La puissance romaine n'existant plus, Augustin sait que la partie est perdue, qu'un monde s'écroule. Affaibli, malade, il ne quitte plus sa chambre aux murs de laquelle il a fait afficher les sept psaumes de la pénitence. c'est le 28 août 430 qu'il s'envole vers l'éternelle patrie. Dieu lui aura fait une faveur insigne : celle de ne pas assister à la chute de sa ville bien-aimée.
-----Si Augustin fut un apôtre de la vérité, le sommes-nous dans un monde tout entier plongé dans les ténèbres du mensonge ? Ne baissons-nous pas les bras, convaincus de notre impuissance ? Rien qu'en ce qui concerne l'histoire algérienne de la France, le mensonge est odieux. On devrait nous entendre, nous qui avons vécu cette histoire, qui l'avons écrite avec nos larmes, notre sueur, notre sang, oui, on devrait nous entendre crier qu'elle n'est faite que de gloire et d'honneur, que la France, loin de rougir de son passé colonial, a tout lieu d'en tirer une légitime fierté ! Ne sommes-nous pas les chiens muets de la société ?
-----Augustin, notre compatriote, notre frère, notre maître à penser, réveillez nos énergies et ramenez un jour sur les rives africaines de la Méditerranée la croix que les ennemis de Dieu en ont arrachée !

Abbé N. Poupeney