Le Centenaire de la Légion.
Après avoir été
à la peine pendant un siècle, tous les enfants de l'Europe,
sinon du Monde, qui ont servi dans la Légion, sous les plis du
drapeau tricolore et dont beaucoup dorment leur dernier sommeil, vont
enfin être à l'honneur.
Nous avons déjà décrit le Monument aux Morts de
la Légion dont la masse imposante se dresse dans la cour de la
Caserne Viennot, face à la grille d'entrée. Ensemble harmonieux
et d'un remarquable effet artistique, dont les légionnaires sont
fiers parce qu'il est leur uvre et qu'il symbolise leurs sacrifices
et leur fidélité.
Au matin du 30 avril, un immense voile tricolore recouvrait le monument.
Un gai et tiède soleil de printemps brillait dans le ciel promettant
une heureuse journée. Dans la cour, les troupes, baïonnette
au canon, se massent clans le fond et sur le bas-côtés
de la sculpture. D'autres troupes sur deux rangs forment une double
haie jusqu'à la grille d'entrée. Il y a là tout
le 1er Régiment Étranger, puis les importants détachements
du 2ème, 3ème et 4ème. La musique du 1er s'est
massée à gauche du monument. Les premières, les
nombreuses délégations d'anciens légionnaires se
présentent avec leurs drapeaux et se groupent clans l'allée
centrale. Puis, viennent ensuite de nombreux délégués
de Sociétés d'anciens militaires, d'associations locales,
de fonctionnaires, de conseillers municipaux et généraux,
de conseillers d'arrondissement, le Conseil général d'Oran,
de Tlemcen, de Mascara ; le Barreau en robe ; le clergé dont
Mgr Bollon, évêque d'Alger et Mgr Durand, évêque
d'Oran, de nombreuses sections de la Croix-Rouge, de l'U.F.F., etc...
Parmi les personnalités, citons encore, en nous excusant, vu
leur nombre, d'en omettre quelques-unes.
MM. Galle, président des Délégations Financières
; Menudier, maire d'Oran, et ses adjoints ; Brière, Parés,
député ; Marlier, préfet ; Fouque, président
du Tribunal de Commerce ; presque tous les Maires et de nombreux adjoints
et conseillers du département.
Rassemblés au pied du Monument, on remarque de nombreux généraux
en grande tenue et revêtus de leurs insignes et, au premier rang,
les officiers généraux délégués étrangers
qui ont tous appartenu à la Légion : le brigadier général
Stanley Ford, attaché militaire américain; le colonel
Szarvas, de l'armée roumaine ; le capitaine Godrington et le
colonel Etheron, de l'armée anglaise ; le colonel Kosik et le
commandant Preminger, de l'armée Tchécoslovaque.
Mais voici qu'un commandement vient de se faire entendre. Toutes les
troupes, avec un ensemble parfait présentent les armes tandis
que résonne la sonnerie " Aux Champs ", que le Gouverneur
Général, le Maréchal Franchet-d'Espérey,
suivis de leurs chefs de Cabinet et d'officiers d'ordonnance, apparaissent
à l'entrée de la cour et viennent, au milieu des acclamations,
se placer au pied du Monument. A ce moment, six avions du centre de
La Sénia, auxquels se sont joints deux appareils venus de Colomb-Béchar,
passent et repassent rapidement dans l'azur étincelant.
Une tribune tricolore a été aménagée à
gauche du monument. Le premier, le colonel en retraite Forey, qui fut
l'âme de ces réjouissances, y monte et, au nom de tous
ses collaborateurs, grands et petits, de toute la Légion, adresse
ses remerciements à ceux qui ont répondu à son
appel, en particulier au Gouverneur Général et au Maréchal
Franchet d'Espérey. Puis il rappelle que ce fut le général
Rollet qui eut l'idée d'élever un Monument aux Morts de
la Légion. Enfin, il expose par quels moyens le Comité
parvint à accomplir la mission sacrée qui lui avait été
confiée.
Au milieu des applaudissements, le premier orateur cède maintenant
la place au colonel Nicolas, commandant le 1er Régiment Étranger.
Celui-ci remercie tous ceux qui ont permis, par leur dévouement,
l'édification du Monument, puis, en termes vibrants d'émotion
narre l'épisode du combat do Camerone, dont la date a été
choisie pour la célébration du centenaire. Une longue
acclamation accueille cette péroraison.
C'est maintenant à M. Maurer, président de l'Union des
Sociétés d'anciens légionnaires de France et de
l'étranger, d'exprimer sa profonde gratitude au général
Rollet et au colonel Forey.
" Combien il serait désirable, s'écrie-t-il, que
toutes les mères, épouses et surs françaises
sachent que ceux que nous honorons aujourd'hui ont droit à leur
reconnaissance, puisque le sang versé si généreusement
par ces nobles parias leur ont épargné tant de larmes
et de deuils.
...La France, ajoute-t-il, pas plus dans la vie que dans la mort, ne
fait de différence entre ceux qui sont nés sur son propre
sol et les étrangers accourus pour combattre sous les plis de
son glorieux. drapeau ! Tous sont égaux et tous sont honorés
avec la même piété, puisque tous ont également
bien mérité de la Patrie. "
Quatrième orateur, M. Valleur, maire de Tlemcen et vice-président
du Conseil général d'Oran, excuse M. Saurin, empêché,
puis apporte à la Légion l'hommage admiratif du Corps
élu qu'il représente.
M. le Maréchal Franchet-d'Espérey lui succède et
termine son discours longuement applaudi par ces mots :
" Honneur et fidélité fut la devise offerte à
tous ces hommes. Partout la Légion a répondu " Pré"
sent " et sur les traces de ses pas vainqueurs, le soleil ne se
couche pas. La gloire de ce corps
illustre suffit, dans le cur des siens, à remplacer l'image
de la Patrie perdue. La Légion a conquis, dans les rangs de l'armée
nationale, une place de choix. Troupe étrangère sous le
drapeau français, son aîné, elle est devenue française.
L'esprit de la Légion ne mourra pas ! "
C'est à M. Carde que fut dévolu le soin de compléter
ces nobles harangues.
En termes excellents, empreints d'émotion, le Gouverneur Général
brosse un prestigieux tableau de l'uvre accomplie par les légionnaires
pendant un siècle puis termina en évoquant la Grande Guerre
: " Lorsqu'en 1914, à l'appel de la Patrie en danger, nous
vîmes nos splendides régiments d'Afrique se jeter dans
un élan sublime au combat pour barrer la route à un ennemi
plein de superbe et de jactance, ne retrouvions-nous pas dans nos zouaves
et nos chasseurs d'Afrique, les vertus de nos vieux légionnaires,
qui, par une sorte d'atavisme, renaissent en nos soldats algériens
de la Grande Guerre, démontrant ainsi à l'Univers étonné,
que les enfants de l'Algérie savaient, comme leurs pères,
vaincre et mourir.
Dans cette glorieuse cité de Sidi-bel-Abbès, berceau de
notre Légion, où se forment chaque jour, à la tradition
de leurs anciens, les jeunes légionnaires de demain, devant la
majesté de ce monument qui évoque d'une façon si
magistrale les gestes de ces fidèles et courageux serviteurs
de la France immortelle, élevons nos curs à la hauteur
des sacrifices des héros que nous honorons en ce jour et reportons
pieusement nos pensées vers nos grands et chers morts pour y
puiser une foi nouvelle dans les destinées futures de notre Mère-Patrie
bien-aimée et de sa fille aînée, l'Algérie
".
Avant de terminer, le Maréchal, chaleureusement applaudi, donne
lecture d'un télégramme de M. Maginot qui s'associe au
nom de l'Armée française à l'hommage rendu aux
glorieux morts de la Légion étrangère.
De nombreuses délégations et personnes déposent
des fleurs au pied du monument débarrassé du drapeau qui
le recouvrait, puis on procède à la remise des décorations.
Les troupes se retirent pour défiler devant le Monument aux accents
entraînants de la " Marche de la Légion ". Défilé
impeccable. En tête marche martialement le général
Rollet, suivi des 1er, 2ème, 3ème et 4ème étrangers
précédés de leurs officiers. On remarque tout particulièrement
les sapeurs de la Légion vêtus du long tablier blanc et
portant la hache. En arrivant à la hauteur du monument, les officiers,
d'un geste large, saluent de l'épée. Le Gouverneur Général
et le Maréchal félicitent ensuite chaudement le général
Rollet pour la belle tenue de ses troupes.
Après la cérémonie, M. Carde se rend à l'École
d'Agriculture pour la visiter. Au seuil de l'établissement, il
est reçu par M. Brémond, directeur qui le pilote dans
les différentes salles. Mais l'heure du banquet officiel offert
par la Légion approche. Près de quatre cents convives
se trouvent réunis dans le cadre verdoyant des glacis où
se trouve le garage Falcon dans lequel aura lieu le banquet.
A la droite du Gouverneur Général, qui préside,
prennent place : le Maréchal Franchet-d'Espérey et M.
Brière, député ; à sa gauche, le Prince
de Monaco et M. Parés, député. Remarqués,
en outre, toutes les personnalités et autorités civiles
et militaires déjà citées.
Avec sa façade pourpre et sa salle ornée de fleurs, de
plantes vertes et d'oriflammes, le garage transformé en réfectoire,
offre un aspect enchanteur qui fait honneur aux organisateurs. Dehors,
par les larges portes vitrées l'on aperçoit la fraîche
verdure de la promenade du Ruisseau.
Au Champagne, le Général Rollet vivement acclamé
se lève pour prendre la parole.
D'une voix mâle et vibrante, il dit sa gratitude à tous
ceux qui ont bien voulu honorer de leur présence les Fêtes
du Centenaire de la Légion dont il salue les délégations
venues, au nombre de 27 de différents pays. U exprime sa joie
en recevant de nombreux télégrammes des légionnaires
de l'active en détachement au Tonkin. en Indo-Chine, dans le
Levant, au Maroc en Tunisie, sur les confins du Sahara.
" J'ai l'honneur le droit et le devoir dit-il de crier bien haut
ma fierté d'être légionnaire et, aujourd'hui, le
premier d'entre eux..
Je lève mon verre à la France que les légionnaires
ont servie et serviront toujours avec honneur et fidélité.
"
Après ces paroles couvertes d'applaudissements, la " Marche
de la Légion " est exécutée par des musiciens
du 2ème étranger qui ne cessèrent sous la direction
de M. Giaccardi, et durant tout le repas, de se faire entendre dans
des morceaux et dans des chants en français et en allemand d'une
remarquable exécution.
Puis un représentant des volontaires étrangers de la Grande
Guerre rappelle que 45.000 d'entre eux; accoururent pour défendre
notre pays dans les rangs de la Légion..
M, Maurer, président des Anciens Légionnaires, expose
la genèse du groupemenHt qu'il a l'honneur de représenter.
" La Légion, précisa-t-il, c'est la Démocratie
avant la lettre ".
M. Bellat, maire de Bel-Abbès, exprime toute la reconnaissance
de la ville pour les légionnaires qui ont fondé cette
cité actuellement en pleine prospérité.
M. Carde enfin brosse un prestigieux tableau de l'uvre à
la fois guerrière et colonisatrice accomplie par la Légion
depuis un siècle.
Il remonte même à l'origine des Corps étrangers
qui combattirent sous les ordres de nos rois. Il rappelle les mercenaires
de l'Helvétie, les régiments Irlandais de Fontenoy, les
heures vibrantes de la Révolution de 1789, du Consulat et du
1er Empire, les légions Batave, Germanique, Suisse, Italienne,
Irlandaise,
Hellénique, les lanciers de Poniatowsky et le régiment
de Hohenlohe.
Il ressuscite également, la prise d'Alger, l'émir Abdelkader,
les combats de Sidi-Chabal, de la Macta, d'Arzew et Mostaganem, Miliana
où les légionnaires perdirent 102 hommes sur un effectif
de 750 unités. De là il passe à la Crimée,
au Sud Oranais et plus récemment à l'échauffourée
du Djihani (1929) où un peloton de légionnaires complètement
encerclé tint pendant quatre heures, après avoir perdu
les 2/3 de ses hommes.
En achevant, son exposé, écouté religieusement
par tous, M. le Gouverneur Général dit quelle dette de
reconnaissance l'Algérie a contracté envers la Légion.