sur site le 29/04/2002
-Les jeux de mon enfance
Comme tous les pays méditerranéens, l'Algérie était terre de lumière. Une lumière qui jetait très tôt les enfants dans les espaces de la vie au grand air dont le plus beau fleuron était "la rue".
pnha n°38 août-septembre 1993

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-------Comme tous les pays méditerranéens, l'Algérie était terre de lumière. Une lumière qui jetait très tôt les enfants dans les espaces de la vie au grand air dont le plus beau fleuron était "la rue".
-------L'enfant claironnait à sa mère : "Maman ! Je descends en bas dans la rue", et avant qu'elle n'ait eu le temps d'émettre la moindre réserve. il dévalait quatre à quatre les escaliers qui le menaient vers le paradis des jeux d'enfants. Attendu comme le messie par la bande du quartier, il se fondait dans cette famille créée de toutes pièces par la fréquence des rencontres qui débouchaient inévitablement sur l'amitié. Une amitié foute méditerranéenne, entretenue par des jeux d'enfants empruntés aux générations précédentes, qui ne Coûtaient pas un sou aux parents.

JEUX DE PAUVRES
-------Le premier de ces jeux qui me vient à l'esprit demandait une grande dose de débrouillardise et d'insouciance conjuguée : LA CARRIOLE. Débrouillardise car il fallait récupérer du bois auprès des menuisiers pour constituer la base du véhicule (siège, volant, support des roues) et les roulements à billes chez le ferrailleur. Lorsque l'engin était terminé, intervenait alors. l'insouciance. Assis ou couchés à plat-ventre sur cette espèce de kart non motorisé, nous dévalions à tombeau ouvert des rues dont la déclinaison accélérait la vitesse à chaque tour de roues. Le tout dans un bruit infernal, au grand dam des habitants du quartier qui n'hésitaient pas à nous déverser des seaux d'eau sur noue passage.
-------LES NOYAUX pris dans le coeur des abricots demandaient pour leur part de l'adresse et de la roublardise. De l'adresse pour détruire les tas de quatre noyaux (pignol pour les Oraniens) qui constituaient l'enjeu d'une partie. De la roublardise pour ceux qui misaient sur la maladresse des copains.
-------Assis par terre, les jambes bien écartées, ils plaçaient un noyau, de préférence minuscule, et proposaient dix noyaux à qui "dégommerait" la cible appelée "la tapette".
-------Une autre variante née de l'imagination des enfants Pieds-Noirs voyait un " croupier" utiliser les fameux "tchic-tchic". S'il sortait le numéro joué par son adversaire, il "payait" le nombre de noyaux misés. S'il parvenait à sortir le numéro sept, il ramassait le pot. Pour une raison obscure car la langue de Shakespeare n'envahissait que très peu les rues de Bab-el-Oued, la jeunesse d'Algérie affublait ce jeu du nom anglais " seven "
-------LA TOUPIE très prisée par les enfants de chez nous se pratiquait de différentes façons et avec différents modèles. Les joueurs moyens se contentaient de la toupie normale, très légère et de couleurs vives, qui tourbillonnait au moindre lâcher de guitane, cette corde lisse dont nous entourions le corps de la toupie.
-------Les cracks quant à eux, achetaient la toupie italienne, plus lourde, plus grosse et de couleur toujours beige dont le gangui (sur lequel tournoyait la toupie) dépassait d'un bon centimètre. Si le joueur moyen banalisait ce jeu, les "as" s'affrontaient au cours de parties homériques sur trois fronts.
o Le Cercle. Chaque joueur lançait sa toupie avec l'intention avouée de toucher, voire de casser celle qui servait de cible pour avoir été la première à s'arréter de tourner lors de l'engagement du jeu. A cet effet, certains poussaient le vice jusqu'à remplacer le gangui à pointe douce par un véritable clou.
o La mauresque qui demandait de l'espace car il n'était pas rare de voir une toupie tourner à cinquante mètres du lâcher de guitane. Pour cela, le joueur lançait sa toupie en effectuant le même geste que l'on ferait en jetant une pierre plate dans la mer pour la faire ricocher plusieurs fois.
o La volante. Alors là, les meilleurs, seul; réussissaient ce prodige de maîtrise de soi et de technique: lancer sa toupie tout en lui imprimant à l'aide de la guitane un effet de fouet afin de la remonter jusqu'à sa main tendue et la faire tourner sur sa paume offerte relevait du miracle pour certains. Mais, nombreux étaient ceux qui répétaient ce geste devant une assemblée médusée.
-------Combien de carreaux cassés par des lancers maladroits de la toupie ont vidé en un instant les rues de mon enfance !
LES TCHAPP'S (masculin ou féminin)
-------Avec son nom à coucher dehors, la tchapp's semblait sortir tout droit d'un cerveau dérangé dont l'imagination délirante créa un jeu très en vogue en Algérie.
-------La tchapp's est tout simplement la face imagée des boîtes d'allumettes que les petits Pieds-Noirs collectionnaient, jouaient, gagnaient. perdaient, achetaient ou revendaient.
-------Comme pour les noyaux, les billes ou les bouchons, il s'était instauré dans le sérail de la jeunesse une véritable bourse avec une cotation qui grimpait ou dégringolait selon l'humeur de chacun.
-------Comment jouait-on à la tchapp's ? Très simplement. Les joueurs lançaient à tour de rôle et d'un emplacement donné les tchapp's catapultées par une détente du pouce en direction d'un mur situé à dix mètres, qui constituait le "paradis". Le propriétaire de la tchapp's la plus proche du mur gagnait le droit de ramasser le pot mais ne l'empochait pas pour autant. II lui fallait lancer en l'air le tout pour les faire retomber le côté image face au ciel afin de les gagner définitivcment. Ce qu'il ne parvenait pas à faire totalement. A son tour, l'adversaire prenait la main, lançait les tchapp's restées au sol face imagée contre la terre et tentait de n'en laisser aucune à son camarade.
-------Les ténors de ce jeu parvenaient très souvent à "faire cabane" contre le mur, c'est-à-dire à placersa ou son tchapp's à cheval, ce qui lui donnait automatiqucment la "main".
LE CARRÉ ARABE
-------Un autre jeu a bercé l'enfance des petit Pied-Noirs. On l'appelait tout bêtement "le carré arabe" sans savoir s'il nous arrivait tout droit du ventre des cafés maures où se disputaient de mémorables parties ou d'un quelconque autre endroit de la planète. Toujours est-il que bien des mères de familles lui en étaient reconnaissantes tant il était prisé lors des jeudis après-midi pluvieux.
-------Comme son nom l'indique, ce jeu se composait d'un carré tracé sur une surface plane ( le sol faisait parfois l'affaire). On y traçait deux diagonales puis des lignes partant des milieux des quatre côtés Avec trois pions pour chacun des deux ,joueurs, il fallait tracer une ligne droite ininterrompue en passant son temps à empêcher l'adversaire d'en faire autant. On déplaçait les pions à tour de rôle en priant le bon dieu d'être le plus fort.
J'vous dis pas la colère quand on perdait
 

LES BILLES
-------Quant aux billes, l'enfant d'Algérie aimait y jouer dans la rue de deux manières différentes
o Jeu de rigoles. On investissait une rigole de trottoir, la plus longue et la plus plane possiblee, et en avant nous z'autres. Comme on était des laouères on ratait souvent la bille qu'elle fût en terre, en verre ouen agate. Alors on avait instauré une variante qui nous permettait de nous en approcher au maximum : le PAM qui représentait la distance entre l'extrémité du pouce et celle du majeur. Celui qui se "tapait le carreau" ramassait les billes.
o Jeu assis.Lorqu' 'il pleuvait, on s'accaparait une entrée de maison au grand dam de la concierge. On s'asseyait l'un en face de l'autre et on tentait de toucher la bille que l'adversaire plaçait devant lui. Mais ce qui nous caractérisait tous, c'était la façon que nous avions de lancer la bille. On la coinçait entre le pouce replié et l'index, puis le pouce catapultait le bille vers la cible. Champion du monde, on était, ma parole !

JEUX DE MAINS ! JEUX DE VILAINS !
-------Certains jeux pouvaient prétendre à l'appclation contrôlée de jeux innocents tels la course de bouchons de bouteilles lestés de bougies fondues, les billes coincées entre le pouce replié et l'index, puis propulsées par une détente du pouce, un saute-mouton à la sauce pataoutète appelé "Un - le - Brun", etc...D'autres jeux par contre s'apparentaient plus à un combat permanent tels " la savate", "Fort-Apache", "Papa Vinga" oui les bagarres inter-quartiers programmées à l'avance, à seule fin de passer le temps.
-------LA SAVATE exigeait de ses participants une résistance à la douleur et une dose de cruauté que seule l'amitié pardonnait. Une boite d'allumettes, une savate (espadrille en corde ou meva à semelle crêpe), un morceau de bois suffisaient à ce jeu. Un côté grattoir repéré d'une croix pour matérialiser le juge qui décidait les sanctions. L'autre côté grattoir pour le bourreau, détenteur de la savate.
-------Des joueurs qui jetaient à tour de rôle la boite d'allumettes en tentant de la faire retomber côté grattoir juge, côté grattoir bourreau ou sur la face imagée qui donnait une seconde chance. Quant à la face bleue, côté pile, elle désignait la victime. Le juge alors ordonnait au bourreau d'administrer sur la main ouverte du malheureux joueur des coups de savate.
-------Au rythme des lancers de e la boite d'allumettes Caussemille, le bourreau devenait victime et vice versa. Ce jeu cruel cessait lorsque les larmes roulaient sur les visages et que les mains ne parvenaient plus à maîtriser les tremblements causés par les
coups de savate. Ce défi jeté en pature à l'ennui des enfants par eux-mêmes, se relevait toujours car l'orgueil et la fierté étaient deux des principes de vie de la jeunesse algérienne..
-------FORT APACHE ne pouvait se dérouler sans un camion à l'arrêt qui servait de forteresse à prendre. Une équipe en défendait l'accès alors qu'une autre utilisait tous les moyens pour prendre d'assaut ce fortin improvisé. Tous les coups étaient permis et ces véritables combats de rues, aussi paradoxal que e cela puisse paraître, ne se déroulaient qu'entre garçons d'une même bande.
-------LE TAOUETE, lui, se voulait, arme de défense lors des bagarres inter quartiers programmées à l'avance. Cet amusement qu'un accord tacite réglementait se disputait toujours en terrain neutre et ne terminait qu'à la nuit tombée sans vainqueur ni vaincu.
-------Les plaies et les bosses témoignaient souvent de l'adresse des utilisateurs de taotrètes qui, il faut bien le reconnaître, se voulaient surtout armes de dissuasion.
-------PAPA VINGA. Comparées à Papa Vinga, les mêlées de rugby semblent d'aimables divertissements empruntés à la bibliothèque rose. Pour pratiquer ce "jeu de fou", deux équipes d'au moins sept joueurs étaient nécessaires. Après tirage au sort, uneéquipe s'arqueboutait contre un mur en imitant la chenille afin d' offrir"ses dos" comme réceptacle du saut des sept membres de l'équipe adverse (B). Le plus souplede la formation B prenait alors son envol et atterrissait sur le dos de celui qui se trouvait le plus près du mur afin de laisser le maximum de place pour ses coéquipiers. Le jeu consistait à maintenir l'équipe (B) toute entière sur la chenille. Si elle échouait, les rôles étalent inversés. Le nombre de contusions, de bras cassés ou de dos esquintés par ce "jeu de fou" était colossal. Les mères se faisaient un mauvais sang,, comme seules les mères d'Algérie produisent. Quant aux docteurs, c'est tout juste s'ils ne nous encourageaieni pas à jouer à "Papa Vinga", afin de grossir leur clientèle.

.JEU DE BALLE ,JEU DE BALLONS
-------Dès son plus jeune âge, le petit Pieds-Noirs tapait dans une balle. Balle de papier journal qui salissait les murs des couloirs, balle de chiffon confectionnée avec des tombées de tissus, boîte de chique jetée par les arabes au grand bonheur des footballeurs en herbe. Puis l'enfant descendait à la rue pour confronter sa valeur à celle de ses petits camarades du quartier.
-------Alors, la balle de tennis remplaçait les balles de chiffon et les bouches d'égout devenaient des cages où les buts s'accumulaient. Seule récompense pour le butteur, plonger sa main dans l'égout pour récupérer la balle !
-------Au fil des ans, la circonférence de la sphère devenait plus grande car tous les apprentis footballeurs se cotisaient pour acheter l'objet de leur passion.
-------Les rencontres inter-quartiers étaient monnaie courante et chacun s'évertuait à gagner sa place pour défendre l'honneur de l'équipe. Lorsque le nombre de joueurs n'étaient pas requis pour entamer un match de football, les défis tête à tête dans une entrée de maison ou encore la BOLERA passionnait les enfants. La BOLERA se jouait avec une balle de tennis frappée avec la paume de la main contre un mur tracé préalablement d'une ligne horizontale faisant office de filet.
-------Certaines villes d'Algérie, du Maroc ou de Tunisie, certains quartiers pratiquaient d'autres jeux, le SFOLET,( voir plus bas )par exemple, sorte de volant de Badmington que l'on se lançait à l'aide du coup de pied, mais je me suis interressé à décrire seulement ceux qui bercèrcnt mon enfance à Bab-el-Oued. Des jeux qui resteront, à jamais gravés dans ma mémoire d'enfance, jardin luxuriant où se forgent les amitiés " à la vie, à la mort " si nombreuses sur notre belle terre d'Afrique du Nord.
ALGÉRIE - ENFANCE - AMITIÉ. Une trilogie à écrire en lettre d'or au fronton du souvenir.

H.Z.

Mot du Déjanté, auteur du site :Le sfollet , parlons-en. J'y ai joué dans le couloir de l'appartement d'Édouard, le cousin de ma mère. Les voisins du dessous s'en souviennent ! Sorte de volant ( comme au badmington) . Il était fabriqué à partir de ces pièces trouées de l'époque, 10 ou 20 centimes, je ne sais. Dans le trou , on glissait une sorte de pompon en papier, découpé en lanières.On y jouait comme un ballon sauf qu'il n'y avait pas de rebond possible. On jonglait sur son pied, sa poitrine, sa tête et shoot pour marquer un but à l'adversaire.
-------C'était aussi un jeu dans les cours d'école, dans la rue...n'importe où le plaisir nous prenait d'y jouer. Car peu cher même gratuit ,vite confectionné en cas de besoin. Le bonheur des plaisirs simples !