-Alain MIMOUN :
l' AUSTRALIE ET LES JEUX OLYMPIQUES
1956 : HÉROS À MELBOURNE - 2000 : OUBLIÉ À SIDNEY
-1956, c'est l'automne dans l'hémisphère Nord. En Australie, c'est le printemps. A Melbourne, s'achèvent les Jeux Olympiques. Dans quelques heures ce sera la grande fête du sport qui, après deux semaines de compétitions, scellera la clôture, dans la fraternisation, de ces journées durant lesquelles on en s'est pas fait de cadeaux. Les adversaires d'hier redeviendront amis
extrait de " aux échos d'Alger, décembre 2000, n°71 "

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Marcel ETALIS

------1956, c'est l'automne dans l'hémisphère Nord. En Australie, c'est le printemps. A Melbourne, s'achèvent les Jeux Olympiques. Dans quelques heures ce sera la grande fête du sport qui, après deux semaines de compétitions, scellera la clôture, dans la fraternisation, de ces journées durant lesquelles on en s'est pas fait de cadeaux. Les adversaires d'hier redeviendront amis.
------Mais avant, c'est la tradition, une dernière épreuve doit encore être disputée. La plus éprouvante. La course mythique. Celle dont "l'inventeur" perdit la vie en arrivant. Il avait couru depuis Marathon, sans s'arrêter, pendant 42 kilomètres et 195 mètres.
------Les concurrents gagnent la ligne de départ. Malgré la température ambiante, ils ont échauffé leurs muscles. Ils sont prêts. Pour les spécialistes de l'athlétisme, le futur vainqueur est déjà connu. Comme à Londres, en 1952, ce ne pourra être qu'EmiI ZATOPEK. Depuis des années, sur 5.000 ou 10.000 mètres, sur le marathon comme en cross, l'officier tchèque est intouchable. Ce n'est donc pas aujourd'hui qu'il sera battu.
------Pourtant un petit Français s'apprête à prendre le départ. Un petit Français qui va disputer son premier marathon. Certes, ce n'est pas un inconnu. Il a rencontré bien souvent, sur son chemin, ZATOPEK, qui l'a toujours précédé à l'arrivée. Les deux hommes s'apprécient. Ce sont maintenant de grands amis. Mais, durant la course, on ne fait pas de sentiment et, de plus, jusqu'ici on n'a jamais vu un " débutant " remporter sa première course après 42.195 m de souffrance.
------Parce qu'il s'est bien préparé, le petit Français est sans complexe. En 1956, Melbourne n'était atteint qu'après un long voyage. A chaque escale, il a couru. Depuis son arrivée, il s'entraîne en s'imposant un programme quotidien de trois séances de deux heures. A l'époque, les Jeux n'étaient ouverts qu'aux amateurs. Mais quelle conscience Quelle volonté de ne pas décevoir ceux qui lui avaient fait confiance malgré son inexpérience du marathon!
------Est-il superstitieux le Français ? Il n'en a rien dit. Sur son beau maillot bleu, bleu de France, il a épinglé son dossard. C'est le 13. Pour certains ce nombre porte chance. Pour d'autres, c'est la poisse qu'il véhicule. On verra bien. Sur ses cheveux frisés, il a posé une drôle de coiffure. Elle est constituée d'un mouchoir que lui a confié sa femme et dont il a noué les quatre coins. Sous le soleil austral, ce ne sera pas une précaution superflue. Peu avant le départ, on lui a remis un télégramme. Sa femme, restée en France, vient de le rendre père. Comme toujours, en ce temps-là, le message est laconique. Il annonce " naissance enfants ". Oui, au pluriel. On saura plus tard qu'il s'agit probablement d'une erreur de l'opérateur. Ce n'est qu'après la course qu'il apprendra qu'une petite fille, une seule, est née en France. Elle se prénommera Olympe. Qui pourrait s'en étonner?
------En attendant le coup de pistolet du starter, le nouveau marathonien réfléchit. Ce pluriel le trouble. Il pense être le père de jumeaux. Lui, qui, dans le civil, est garçon de café, se demande combien de pourboires il lui faudra recevoir chaque jour pour faire vivre sa famille qui n'est plus si petite que ça.
------Le départ a été donné. Les coureurs se sont lancés dans la chaleur étouffante de Melbourne. D'abord groupés. Puis, tandis que les kilomètres se succèdent aux kilomètres, le peloton s'étire.
------A mi-parcours, surprise. On attendait ZATOPEK. C'est le dossard 13 qui vire en tête. Au trentième kilomètre, il compte une minute d'avance sur le premier poursuivant.
------Mais, soudain, la belle machine à courir se détraque. La défaillance semble proche. Respiration coupée. Foulée raccourcie. La plante des pieds en feu. Notre champion a jeté parmi la foule, qui continue à l'acclamer, sa drôle de coiffure. Il est en proie aux hallucinations.
------Aurait-il consenti tous ces sacrifices, fourni tous ses effort de préparation pour rien ? Aurait-il présumé de ses possibilités ? Va-t-il être rejoint ? Inconsciemment, il s'engu... " Tu en baves, mais les autres aussi. Tu ne vas pas lâcher si près du but. Ce serait formidable si lu gagnais. "
------Il pense à sa femme en France, au drapeau tricolore qu'il voyait déjà au sommet du mât central et lui sur la plus haute marche du podium écoutant la Marseillaise. Il continue. Il retrouve le bon rythme. C'est reparti. Cette fois, il en est sûr, il ne sera pas rejoint.
------Le stade est en vue. Il entre sur la piste. Il termine au sprint. Il a gagné. La foule s'est levée pour applaudir le vainqueur. Il refuse la couverture que lui tend un officiel et, en trottinant, il attend. Il attend les suivants. Il attend surtout son ami ZATOPEK. Enfin, il a pu le précéder.
------Je ne vous apprendrai rien. C'est Alain MIMOUN qui vient de triompher. ZATOPEK ne sera que sixième. Les deux hommes se donnent l'accolade. Le Tchèque n'est pas le vainqueur mais il est heureux de la victoire de son vieil ami.., et rival.
------Sur le podium, MIMOUN, est figé au garde-à-vous pendant que retentit la Marseillaise et que les trois couleurs s'élèvent très haut dans le ciel. Ses yeux sont humides. Il est fier et ému en même temps.
------Pour la France, pour la presse, MIMOUN, le vainqueur du marathon de Melbourne est devenu un héros. Sa médaille d'or fait le bonheur de toute la délégation.
------Vous tous, pour qui Alain MIMOUN n'est pas un inconnu, vous savez que, comme toute sa carrière sportive, sa victoire tient du miracle.
L'enfant du TELAGH, qui a passé sa jeunesse à ALGER, s'est engagé en 1939, lors de la déclaration de guerre. Il vient d'avoir 18 ans. Il fera campagne en Belgique jusqu'à l'armistice de 1940. C'est alors le retour à HUSSEiN-DEY, au 19e Génie. En 1942, il reprend le combat. Ce sera la Tunisie puis l'Italie.
------A Cassino, il sera grièvement blessé. Des éclats d'obus dans la jambe gauche, c'est la fin d'un rêve pour celui qui était déjà un bel athlète. Mais la providence veillait. A Naples, dans un hôpital français, il a la chance de retrouver un médecin qui connaissait bien son palmarès. Il le prit en charge. Après l'avoir opéré et à l'issue de sa convalescence, MIMOUN put de nouveau chausser les pointes.
------Depuis il court. La médaille d'or de Melbourne avait été précédée de 5 médailles d'argent, olympiques et euro péennes, 4 victoires dans le Cross de Nations, 33 titres nationaux, 86 sélections, 44 succès dans les matches entre pays.
------Ce n'était pas fini. A 44 ans, il fut, pour la quatrième fois, champion de France du marathon. A 56 ans, il devint champion des vétérans. Un palmarès exceptionnel.
------Aujourd'hui, MIMOUN court encore, MIMOUN court toujours. C'est sa passion. Commandeur de la Légion d'Honneur, Croix de guerre avec quatre citations, il court pour le plaisir. Il a fait remarquer "j'ai parcouru six fois et demi le tour de la terre et ce n 'est pas fini ". il court vers ses 80 ans qu'il fêtera le 1er janvier 200l.
------Les Australiens n'ont pas oublié l'exploit de MIMOUN. Fin 1999, ils l'ont invité à Melbourne. Là, le Français a revêtu son beau maillot bleu, le dossard 13. lia revu le stade où fut jugée son arrivée en 1956, il l'a trouvé transformé. En compagnie de jeunes australiens, il a couru quelques centaines de mètres. Il a rencontré de " vieilles gens " qui l'avaient applaudi 44 ans plus tôt. Il a découvert une plaque célébrant son exploit. Puis il est revenu en France et a retrouvé sa famille.
------En l'an 2000, les Jeux Olympiques sont retournés en Australie. A Sydney. La France a sélectionné 340 sportifs de haut niveau. Pour les accompagner, les conseiller, les soigner, les masser, les chouchouter, une foule de sélectionneurs, directeurs techniques, entraîneurs, préparateurs physiques et mentaux, médecins, kinés et même cuisiniers. Madame la ministre de la Jeunesse et des Sports, plus quelques membres de son cabinet étaient du voyage. Tout cela pour le résultat que l'on connaît. Pas le moindre succès dans les sports-rois, athlétisme et natation.
------Le français moyen qui n'a pas oublié Melbourne, se dit que dans cette armada on a certainement réservé une place à MIMOUN. C'était la moindre des choses. Un journaliste espagnol n'a-t-il pas écrit " MIMOUN fait partie du patrimoine de la France ". Le patrimoine, on en prend soin.
------Hélas, personne n'a pensé à inviter MIMOUN. Ni le Comité National Olympique et Sportif français, ni la Fédération Française d'Athlétisme. Ni le ministre. On l'a oublié. Toutes ces personnalités étaient sans doute trop occupées à évaluer les chances de voir Marie-José PEREC prendre le départ des 400 mètres. Pour le remercier de tout ce qu'il a apporté à la France, à près de 60 ans, on aurait pu lui offrir le plaisir d'assister, en spectateur, aux derniers Jeux Olympiques du siècle. Mais non, il n'y avait pas de place pour lui.
------C'est donc devant son poste de télévision que MIMOUN a suivi les Jeux Olympiques. Comme il est toujours passionné, il n'a pas hésité à passer des nuits blanches pour bénéficier du direct, lorsque certaines épreuves se déroulaient en début de matinée à Sydney, c'est-à-dire à une ou deux heures du matin chez nous.
------Voilà comment, en l'année 2000, la France a récompensé l'un de ses vieux serviteurs, celui qui, un jour où le Général de GAULLE visitait l'Institut National des Sports, il y était alors moniteur, se présenta en ces termes:
------" Alain MIMOUN, né en ALGERIE, mais toujours citoyen Français "
------Honte à ceux qui n'ont pas hésité à envoyer à Sydney des athlètes hors de forme, lesquels n'ont fait que de la figuration, et qui n'ont pas eu la délicatesse d'honorer un grand champion.

Marcel ETALIS