mise sur site le 16-09-2004
-Alger, Algérie, à propos de nos cimetières
REQUIESCANT IN PACE…..
Pierre Dimech
Les medias évoquent beaucoup, ces temps, les voyages de pieds-noirs en Algérie et les visites de nos cimetières. Campagne orchestrée?

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------------Jusqu'à une époque récente dans l'ordre du Temps, mais qui paraît faire partie d'un autre âge, au niveau des mentalités, nos défunts, à l'issue de leur séjour dans cette Vallée de larmes, étaient censés avoir gagné la Paix. La Paix de la douce invocation latine " Requiescant in Pace ", dans le cas de ceux, innombrables, qui partaient accompagnés des prières des vivants, ou bien la redoutable " Paix des cimetières " dont on parlait lorsqu'on évoquait luttes et combats sans merci, qui ne trouvaient leur issue, et la délivrance de ceux qui tombaient, que dans cette " Paix des cimetières ", à l'entrée desquels les fureurs s'apaisaient, comme un incendie noyé sous une pluie diluvienne. Respect instinctif, inspiré au moins partiellement par la crainte d'un Au-delà mystérieux et vengeur ? Zone de pureté inaccessible aux violences, commune à tous ? Notion de la limite naturelle des actions humaines, où tout ce qui est de l'Homme prend fin et devient inutile ? En tous cas, signe essentiel de Civilisation.

------------Ce temps n'est plus. Les demeures terrestres des morts sont proies faciles, et comme offertes, à tous ceux qui, pour être membres de l'humanité, au sommet de la Création, n'en sont pas moins inférieurs, et de beaucoup, à ceux du monde animal. Il n'y a plus l'absolu de la " Paix des cimetières ".

------------À partir de cette nouvelle situation, tout se met en place pour la grande mascarade des esprits pervers de notre " Bel Aujourd'hui ". Bons morts et mauvais morts ne sont plus égaux devant les émotions contrôlées de l'Opinion Publique, ce géant aveugle et inepte, que des nains retors et agiles guident par la main. Il y a toute une hiérarchie sémantique graduant les outrages qu'ils subissent. Et nos Créons officiels veillent scrupuleusement à son application destinée aux foules assises, figées devant leurs écrans qui sont véritablement des écrans entreposés entre le réel et elles. Antigone n'avait pas la télé…

------------Nos morts d'Algérie, pour beaucoup, beaucoup trop d'entre eux, n'ont pas eu droit à cette Paix des cimetières. Privés de visites des leurs, ils reçurent dans trop de cas, celle des profanateurs. Et les lamentations annuelles, au nord de la mer, face à d'indispensables mais pauvres monuments de la mémoire, n'y pouvaient rien. Alors, certains se dévouèrent, dans l'opacité du silence général. En groupes, et même parfois dans la solitude d'une démarche qui tenait de la mission impossible. En recueillant, par le biais de la photo, des pièces à conviction. Créon n'a pas interdit ou désapprouvé, non, n'allons pas jusque là. Créon n'a rien dit. Créon était sourd et muet. Alors, pour le convaincre, Antigone n'eut plus que ses yeux pour pleurer. Mais Créon ne vit rien. Il n'était pas aveugle mais il ferma les yeux.

------------Et puis maintenant, soudain, ces morts intéressent. Comme de vulgaires électeurs. Certes, ils ne vont pas voter, comme les méchantes langues le dirent si souvent pour quelques endroits folkloriques, ou jugés tels. Mais ils feront voter, du moins c'est ce que certains stratèges, ou thanato-stratèges, espèrent. Alors, ils envoient des missions, et surtout des messages, destinés à leurs cibles. Ils enfoncent un peu plus le pic de la division chez les survivants de ce qui fut, plus qu'une " communauté ", un peuple nouveau en voie de formation, qui tenait à la fois de la latinité méditerranéenne éternelle et de l'assemblage dynamique des conquérants d'un Ouest mythique, le tout sous la bannière de France. Ce pic résonne de ses coups lugubres sur le cercueil de leur unité " érodée ". Le Temps est passé par là, usant plus les vivants qu'il n'a dérangé les morts. Alors, tels ces fous que Jupiter avait décidé de " perdre ", ils se battent entre eux, et s'agitent, sous le regard narquois de Créon, qui, pour l'occasion, a rouvert son œil de cyclope. Car les Puissants de ce jour, dépassent en force les anciens Grecs, mariant et assemblant leurs personnages mythiques pour en décupler la force monstrueuse.

 

 

------------C'est ainsi que nos morts, nos pauvres morts d'Algérie, qui ont eu l'outrecuidance de rester là-bas, comme des témoins irréductibles de notre Présence, et qui ont payé cette insupportable audace de la perte de leur paisible attente, sont aujourd'hui un enjeu. Ira-t-on jusqu'à voir des cortèges rivaux, conduits par des meneurs politiques en campagne, prendre d' assaut ces lieux encore paisibles, en dépit de leur délabrement et des outrages subis? L'herbe folle n'est pas en soi une salissure, et le chant des oiseaux est un requiem des plus doux. Le cyprès démesurément grandi a bousculé le marbre de la tombe, mais il lui offre son ombre infiniment douce. Et, tandis que les vivants sont partis mourir ailleurs, les registres des morts sont plus éloquents qu'une liste électorale pour dire l'Algérie bien aimée d'autrefois.

------------Ces lieux auraient dû être déclarés Sanctuaires, et défendus. Comme tels. Mais qui nous a défendus ? Ils étaient habités par les nôtres. Ils devaient être notre future demeure. Et, dans leurs allées, quelque chose des Disparus flottait dans l'air, morts à nous parmi les morts, " connus seulement de Dieu ". C'étaient des Lieux sacrés. Mais ici, qui se préoccupe du Sacré ? Nos morts, à leur insu, reprennent provisoirement vie. ------------Comme dans les films d'épouvante. Sauf que cette fois, l'horreur vient des vivants.

------------R. I. P.


PIERRE DIMECH