Alger, Algérie
TIDDIS : BOURGADE PAYSANNE DE NUMIDIE

---- Tiddis montait la garde au seuil de la petite Kabylie. Avec la petite ville satellite, Caldis, elle faisait partie. pour la protection du Nord-ouest, de cette curieuse ceinture fortifiée que l'ensemble (des castella formait autour de Colonia Cirta.
---- L'intérêt des fouilles de Tiddis est certain. On n'y trouvera certes pas la somptuosité d e Timgad ni de Djemila. Dans un cadre urbain plus petit, il faut y rechercher d'abord l'évocation de la vie d'un castellum à l'époque roumaine, mêlant les édifices du style classique aux habitations troglodytiques.

Texte issu , avec autorisation, de la revue n°77, octobre 2013"A.F.N. Collections" http://afn.collections.free.fr/pages/bulletin.html
mise sur site : janvier 2014

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TIDDIS : BOURGADE PAYSANNE DE NUMIDIE
L'ensemble de vestiges le plus original et l'un des plus attachants du patrimoine archéologique de l'Algérie antique.
Serge Lancel

Entre Constantine et El Milia, au milieu de l'âpre nudité des montagnes, une route récente conduit à Tiddis. A la sortie d'un virage, apparaît le squelette de la ville antique, tâche d'ocre vif au milieu du gris du versant de la montagne. A moins de vingt kilomètres à vol d'oiseau de Constantine, le Rhummel a taillé dans le relief schisteux des gorges semblables à celles où a été construit Cirta. De là vient que l'on a longtemps nommé Ksantina-el-Kdina, Constantine la Vieille, les ruines de la ville antique qui occupent une pittoresque position à l'entrée des gorges du Khreneg et s'étagent sur les pentes d'une sorte d'acropole. La cité antique était connue depuis un siècle et demi mais des fouilles approfondies ont commencé en 1941 et sont l'oeuvre d'André Berthier, archiviste en chef du département de Constantine. Elles ont permis de mettre à jour une grande partie de Castelluin Tidditanorum.

Une occupation du site antérieure à celle de Rome


L'occupation du site remontant à une époque antérieure à la pénétration romaine, celui-ci conserve les vestiges d'une ancienne civilisation berbère. Les fouilles ont mis à jour des monuments funéraires appartenant à cette tradition. Ils se présentent sous formes de tertres à base cylindrique qui ont inspiré les grands mausolées comme le Médracen ou le Tombeau de la Chrétienne. Ces bazinas (Bazina : tombe de forme circulaire caractéristique de la culture protohistorique numide) étaient utilisés comme ossuaires et ont livré également un grand nombre de poteries modelées dont les décors peints figurés ou géométriques sont sans doute à l'origine des motifs qui se perpétuent aujourd'hui encore sur les vases kabyles.
La cité faisait partie d'une couronne de " castella ", villages fortifiés qui protégeaient le territoire de Cirta. Les habitants de ces cités ont vécu trois siècles au sein de cette organisation administrative qui était la " Confédération cirtéenne ".

Une ingénieuse adaptation au relief escarpé

Les textes antiques ne mentionnent pas la petite cité et seuls, les monuments épigraphiques trouvés sur le site ont apporté un éclairage sur l'histoire de cette cité qui deviendra par la suite municipe (Un municipe : cité jouissant d'un statut intermédiaire entre le droit pérégrin et celui de cité romaine de plein exercice.). C'est surtout au Ille siècle que les romains vont s'adapter au relief à la suite de travaux gigantesques : entaillant la colline, aménageant des rampes et des terrasses, construisant des murs de soutènement, les ingénieurs réussiront à intégrer des équipements publics, des voies, des lieux de culte et même un forum sur ces pentes escarpées.

Un souci permanent : l'eau.

Mais le principal problème, c'était l'approvisionnement en eau, le bourg étant dépourvu de sources. La région est de pluviosité moyenne, peu abondante, irrégulière. De plus, les ressources financières de la petite ville ne lui permettaient pas d'envisager la construction d'un aqueduc qui lui aurait permis d'aller chercher plus loin le précieux liquide. Il a donc fallu faire preuve d'ingéniosité.

Sur le plateau sommital, le Ras ed-Dar, a pris place un étonnant complexe hydraulique, le " château d'eau ". lui-même constitué de trois immenses bassins contigus dont le remplissage demandait toute l'eau pluviale qui ruisselait sur le Ras-ed- dar. Les filets de cette eau étaient canalisés vers les cuves par toute une série de " voies " et notamment par un escalier taillé dans la roche. L'eau était dirigée sur un plan incliné vers des bassins de décantation avant d'être stockée dans de grands réservoirs. Le principal client du " château d'eau " était des thermes construits un peu en contre bas. Une inscription situe au milieu du Ille siècle ce système hydraulique. Le texte nous apprend qu'après avoir fait déblayer les lieux et entaillé la montagne, le " curateur ", patron des colonies attachées à Cirta dans le cadre de la confédération a pourvu " à la captation de l'eau utile à la Santé publique ".

Habitations et sanctuaires troglodytiques.


" Entailler la montagne ", c'était le maître mot à Tiddis. On a entaillé autant que l'on a construit. C'était le souci constant de l'urbanisme. On taillait la roche d'abord et encore pour recueillir l'eau dans de nombreuses citernes (il y en a plus de cinquante actuellement connues) disposées, en ligne et recouvertes de toits formant impluvium. La falaise était aussi forée, en maints endroits, de cavités souvent recreusées pour en faire des habitations ou pour aménager en sanctuaires les cavités les plus spacieuses. L'une d'entre elles était toute désignée pour abriter un culte au dieu Mithra, importé et aimé des militaires. Le culte à ce dieu solaire d'origine perse se pratiquait ordinairement dans des cryptes. A l'entrée de ce sanctuaire, une curiosité arrête et interroge le visiteur : un phallus muni d'ailes et de pattes munies d'ergots. Le phallus peut avoir deux sens : celui de protection contre le mauvais oeil ou bien celui de symbole de fécondité. Une tête de taureau représentée de face sur une pierre semble avoir appartenu peut-être à un temple de Cybèle car le baptême par le sang, le " taurobole " au sens précis et rituel de ce mot n'a jamais fait partie de la liturgie mithriaque mais était un symbole rituel du culte de Cybèle. Les femmes exclues de l'initiation aux mystères de Mithra, participaient à ceux de la Magna Mater ( Magna Mater : Grande mère. Autre nom donné à Cybèle.). Les cultes de Mithra et de Cybèle se sont trouvés ainsi juxtaposés. Une hypothèse aurait fait supposer qu'il y eut à Tiddis, côte à côte un double sanctuaire Mithra-Cybèle.

Le christianisme n'est pas sans avoir laissé de traces de son passage. Faisant face au sanctuaire de Mithra, un petit édifice de basse époque semble avoir été transformé à l'usage de la religion chrétienne ; sa destination est attestée par des sépultures, des mosaïques, des traces de formulaire chrétien.

Principaux édifices exhumés

S'il fallait donner un aperçu de la partie sommitale de la ville pour en comprendre la problématique posée à l'urbanisme, il nous faut maintenant repartir du bas pour prendre possession de l'ensemble de cette cité à l'architecture peu commune. On aborde le site au pied du versant Est sur lequel il s'étage en terrasses successives.

Les bazinas typiquement protohistoriques, à l'entrée même de la ville, sont déjà un indice de l'ancrage dans le passé lointain. La route d'accès au site se prolonge par le cardo, voie dallée qui se dirige vers le forum après être passée par une porte monumentale couverte d'un arc et munie de deux vantaux. Un décret des décurions que commémore une inscription visible sur place réglemente le fonctionnement et la périodicité du marché qui se tenait à l'entrée de la ville. Un système de marchés tournants s'échelonnait au fil du mois aux portes des bourgs numides qui faisaient couronne autour de Cirta.

Après une centaine de mètres sur le cardo (Cardo : voie romaine orientée nord-sud), on parvenait au forum. On comprend fort bien qu'il n'y eut pas ici d'espaces consacrés à des activités commerciales comme cela fut le cas à Timgad avec le marché de Sertius et à Djetnila avec celui de Cosinius.
Sur l'un de ses côtés, s'ouvrent trois petites salles munies de banquettes : l'une d'entre elles devait abriter les réunions de l'ordre des décurions, le conseil municipal de l'époque.

A mi-pente, un escalier comprenant cinq paliers et une quarantaine de marches monte à l'assaut de la pente et tient lieu de " decamanus maximus (Décamnanus : voie romaine orientée est-ouest) ". Il reliait la ville basse au quartier du forum.

Un travail important pour les épigraphistes

Une centaine d'inscriptions ont été mises à jour. Pour les épigraphistes, la tâche s'annonce ardue mais passionnante. L'espoir est que les quelques plages d'ombre qui demeurent sur le passé préromain de Tiddis soient éclaircies.

Parmi ces inscriptions, il y a lieu de donner une place de choix à celle qui rappelle la carrière de Q. Lollius Urbicus, né près de Tiddis et qui devint préfet de Rome au lie siècle. Cet enfant du pays, devenu un des principaux personnages de l'empire est un bel exemple de réussite personnelle et de promotion officielle.

Les activités de la ville antique

Les fouilles de Tiddis ont permis de recueillir une multitude de petits objets et notamment un important lot de pièces de monnaie (10 000 pièces). On a, en particulier, trouvé plus de 60 pastilles de verre appelées dénéraux et considérées comme des masses pour de très petites pesées. Ceux-ci ayant été trouvés dans tous les quartiers de la ville, il est permis de faire l'hypothèse que Tiddis était un centre artisanal important sans savoir encore la matière travaillée par ces artisans.

Le site a également livré des éléments importants pour l'histoire de la poterie. La grande variété des échantillons trouvés et leur appartenance à diverses époques a permis d'établir une succession chronologique. La poterie préromaine existe sous la forme de débris de vases à couverte noire. La poterie romaine comprend de très nombreux tessons de vases en terre rouge. La découverte d'un poinçon et d'un tesson de sigillé rouge orangé portant cette marque a confirmé que Tiddis était un des centres de production africaine de ce type de céramique. Par ailleurs, un important quartier de potiers a été mis à jour. On y a étudié une vingtaine de fours et, souvent groupées par trois, nombre de cuves qui servaient à préparer l'argile.

Ces activités multiples : centre artisanal, fabrication de poteries, important marché agricole ont fait la prospérité de Tiddis dont la densité de sa population a contraint les urbanistes à construire des faubourgs en dehors des positions fortifiées.

En guise de conclusion
Quels sont les traits caractérisant Tiddis ? Il est indéniable que sa position fortifiée lui confère d'abord une valeur militaire. Mais, la multiplication des sanctuaires et des divinités auxquelles un culte était rendu a fait de Tiddis une acropole religieuse.

Ajoutons à cela ses activités de marché et de centre artisanal qui ont fait de la cité une grosse bourgade paysanne.

Certes, le site n'a pas la somptuosité de Timgad et Djemila mais il offre à tout passionné d'histoire l'évocation de la vie d'un castellum à l'époque romaine dans le cadre pittoresque d'un site inattendu.

Claude Barnier


Bibliographie :
Tiddis, antique Castellum Tidditanorum André Berthier.
L'Algérie antique Serge Lancel (Mangés)
L'Algérie, sites et monuments antiques Blas de Roblès et Sintes (Edisud)