Tipasa et le tombeau de la Chrétienne.
Ville antique de Maurétanie
5.-Monuments et leur visite : théâtre, nymphée, temples, musée

Jean Baradès, archéologue. Directeur des Fouilles de Tipasa.
Cette plaquette éditée sur l'ordre de M.Roger Léonard, gouverneur général de l'Algérie , par la Direction de l'Intérieur et des Beaux-Arts (service des antiquités) a été tirée sur les presses de l'Imprimerie officielle, en avril 1952, à Alger
pages mises sur site le 11-10-2005

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II.-LES MONUMENTS ET LEUR VISITE (5)

LE THEATRE

--------Le théâtre de Tipasa n'est ni le plus grand, ni le mieux conservé de ceux que l'on peut admirer en Algérie : c'est, incontestablement, le plus charmant et celui dont les proportions sont les plus heureuses comme les mieux équilibrées.

--------Sans doute, des oliviers et des plantes grasses ont-ils remplacé les gradins enlevés précipitamment en 1847 pour construire à Marengo un hôpital de cholériques : son caractère s'en harmonise peut-être mieux encore avec un cadre de verdure magnifique auquel la masse du Chénoua sert de fond.

--------Comme dans tous les théâtres romains, nous retrouvons ici la fosse de scène avec ses piliers ayant servi de supports à la charpente du plancher ; nous trouvons le mur en briques qui bordait la scène et dont les saillants et rentrants (de section demi-circulaire ou rectangulaire), autrefois recouverts d'un placage de marbre, servaient non seulement à séparer la scène de l'orchestre, mais encore à améliorer l'acoustique en brisant les échos.

--------Le mur de scène qui, du côté Nord, fermait l'édifice, a été déménagé pierre par pierre, comme les gradins ; il n'en reste que juste assez pour permettre de rétablir le plan de l'édifice. Les statues et tout le décor architectural ont disparu. Par contre, les larges couloirs dallés conduisant des entrées latérales à l'orchestre, les beaux piliers qui soutenaient les voûtes supportant les gradins supérieurs, les quatre escaliers extérieurs conduisant à la galerie médiane de circulation et d'où les spectateurs montaient ou descendaient pour rejoindre leur place, conservent à ce théâtre mutilé un aspect de noblesse.

--------Mais la grande particularité du théâtre de Tipasa, c'est qu'il n'a pas utilisé la forme naturelle d'un mouvement de terrain pour s'y tailler un emplacement facile et y asseoir ses gradins. Nous nous trouvons en présence du seul théâtre d'Afrique du Nord, avec celui de Madaure et celui de Sabratha en Tripolitaine, où le monument a été construit sur un noyau entièrement artificiel : ici, sur une masse de blocage pour les gradins de la moitié inférieure et sur des arcades ou des voûtes (rappelant celles des amphithéâtres classiques) pour les gradins de la partie haute.

--------Plus vaste que les théâtres de Djemila ou de Timgad, malgré l'impression de grandeur majestueuse que donnent ceux-ci depuis leur adroite restauration, le théâtre de Tipasa était fait pour contenir de trois mille à quatre mille spectateurs.

LE NYMPHEE

--------Au bord de la magnifique voie décumane se dressent les restes d'un nymphée : fontaine monumentale, théâtre d'eau, édifice consacré aux Nymphes, seules capables en cette terre d'Afrique de donner aux hommes fraîcheur, vie et richesses.
--------Déblayé autrefois par M. Trémaux, ce monument ne montre ses très belles proportions que depuis 1950: il est possible aujourd'hui de le voir sous l'angle sous lequel il devait être vu en circulant sur les dalles profondément usées par les charrois allant de l'ouest à l'est, de la capitale Caesarea (Cherchel) vers Icosium (Alger) (photo 34, p. 59).

--------Théâtre par sa forme, le nymphée présente une acoustique étonnante : l'eau y cascadait sur les marches de l'hémicycle, entre des colonnes de marbre bleuté du Chénoua et des statues, et jouait en chantant avant de retomber dans les bassins inférieurs. Malgré la mutilation de la partie haute et la disparition de tout le placage en marbre polychrome, dont seuls quelques fragments ont été retrouvés, c'est encore un des plus beaux monuments africains de ce genre (photo 33, p. 58).

--------On voit, en arrière du Nymphée (en cours de dégagement), les restes des piliers en pierres de taille qui supportaient à plusieurs mètres au-dessus du sol une conduite creusée dans la pierre : cette conduite reliait une canalisation demi-circulaire à ciel ouvert (visible à l'extérieur, en haut et à droite du nymphée) à la partie supérieure de l'ouvrage de répartition des eaux de la ville, situé un peu en arrière. Le répartiteur, dominant une profonde chambre de décantation d'où partaient diverses canalisations, constituait en fait l'extrémité d'un aqueduc long de plus de 10 kilomètres. Il amenait les eaux du Sud-Ouest en suivant un tracé très étudié où les couloirs souterrains, largement pour-vus de bouches d'aération et de nettoyage, alternaient avec une canalisation supportée soit par un remblai, soit par de
petites arcades.

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Immédiatement à l'est du Nymphée, on voit les piédroits d'un arc triple qui enjambait le decumanus : arc orne-mental complétant la placette demi-circulaire de la fontaine, il devait en outre avoir un caractère utilitaire. Tout semble prouver qu'il servait de support à une canalisation d'eau franchissant ici la voie pour alimenter la partie Nord de la ville.

DU NYMPHEE AUX TEMPLES

--------Pour regagner la sortie, depuis le Nymphée, on a le choix entre trois solutions :
--------a) Voie décumane. - La plus courte consiste à retourner aux temples en suivant la magnifique voie décumane qui vient d'être dégagée en 1951, et conserve constamment sa largeur, extrêmement rare, de quatorze mètres. Elle est bordée de trottoirs qui sont, en réalité, le revêtement supérieur de ses égouts (photo 4, p. 10).
-------b) Mausolée et sentier bleu. - Un sentier, qui prend à droite du nymphée et passe devant le répartiteur des eaux, est le plus ombragé, le plus plat et le plus romantique sans doute. Il permet de voir au passage (à une cinquantaine de mètres du nymphée) les restes d'un monument funéraire constitué par un colombaire de forme carrée dont les niches cintrées contenaient les urnes enfermant les restes des morts incinérés. Certains des pilastres cannelés des angles ont cédé sous le poids de la haute pyramide pleine à base octogonale qui les surmontait et qui s'est couchée, presque intacte, à côté du monument. La construction de ce tombeau remonte vraisemblablement au Ier siècle, c'est-à-dire à une époque où l'enceinte extérieure n'était pas construite.
--------Le sentier paresse sous les oliviers, dans une région émaillée pendant des mois par un fouillis de fleurs champêtres. Il montre des pans de murs, des restes d'absides ou de citernes à moitié cachés par les lentisques ou habillés de lianes. Il aboutit entre les deux temples par lesquels a commencé le circuit de visite.
--------c) Sentier jaune. - En face du Nymphée, s'ouvre sous les oliviers un sentier charmant et pittoresque qui, lui aussi, ramènera aux temples celui qui voudra bien se laisser guider par sa fantaisie en découvrant sans cesse des coins ravissants, où une nature luxuriante et les restes du passé se disputeront pour retenir son attention.

LE JARDIN-MUSEE

--------Son entrée est à quelques mètres de celle du Parc National. On y verra, dans un cadre charmant de verdure et de
fleurs, sous les arbres magnifiques d'un coin de la propriété privée de M. Angelvy où ils sont déposés et où les visiteurs sont autorisés à circuler, une collection de fragments architecturaux mis ici à l'abri du vandalisme moderne par M. Trémaux.
--------Toute une collection de chapiteaux ioniques ou corinthiens, des colonnes, des fenêtres en pierre découpée à jour, un magnifique linteau de porte avec l'anagramme du Christ accosté de l'alpha et de l'oméga, un sarcophage portant le très ancien symbole chrétien de l'ancre, alternent avec les amphores à vin et les grandes jarres ou dolia destinées à contenir l'huile ou à stocker le grain. Des moulins à huile rappellent que cette contrée était particulièrement riche en oliviers.

--------Mais il convient surtout de détailler quelques sarcophages qui prendront bientôt place dans le musée de Tipasa.
Le plus proche de l'entrée (à droite) est magnifique. En marbre blanc, païen par sa forme, par sa composition, par ses motifs latéraux de lions parés pour les jeux du cirque et égorgeant des gazelles, par les strigiles qui encadrent le motif central, il est essentiellement chrétien par ce dernier : nous y voyons en effet le sujet si souvent traité du Bon Pasteur portant sur ses épaules la brebis égarée qu'il vient d'aller chercher, tandis que les autres brebis du troupeau, qui l'entourent, lèvent la tête vers lui (photo 39, p. 65).
--------Un peu plus loin et toujours à droite, un tombeau païen s'inspire d'un thème classique. Les Dioscures, Castor et Pollux, figurés dans les deux registres latéraux, veillent sur le dernier sommeil des deux époux qui reposaient ici : les scènes centrales représentent respectivement, celle de droite la célébration du mariage, celle de gauche le sacrifice des adieux. Sur la face latérale, un taureau est tenu par le victimaire, dont le sculpteur a détaillé les instruments sacrés.
--------Presque en face de ce monument, mais dans l'allée proche du Parc national, on verra un troisième sarcophage, chrétien celui-là et de moins bonne facture ; il est aussi moins bien conservé. Au centre, le Christ, assis, enseigne la Nouvelle Loi ; autour de lui, quatre personnages facilement identifiables par leurs attributs traditionnels, reproduisent les types classiques des saisons (photo 38, p. 63).

LES GRANDS THERMES

--------C'était, très certainement, un des édifices les plus importants de la ville, dont il occupait à peu près le centre Cette position centrale est aussi celle du village moderne certaines de ses installations le recouvrent en partie. Aussi, malgré ses grandes dimensions, ne peut-on voir actuelle-ment qu'une partie du frigidarium (grande piscine pour les bains froids, à laquelle on accédait par trois larges marches en venant d'une vaste salle pavée de mosaïques orne-mentales en noir sur blanc).
--------Ce qui reste des thermes est encore impressionnant par sa hauteur (9 mètres), par la masse de ses murs de blocage alternant avec des assises de briques, par la portée de ses voûtes d'où la pierre de taille a été exclue et par les deux étages que comportait le bâtiment.
--------L'ensemble des locaux et chaufferies destinés aux étuves de sudation et aux bains chauds devait se trouver à l'ouest de la partie fouillée, sous l'angle du jardin-musée.

LE MUSEE


--------Actuellement en construction, le musée s'élève sur la place dominant le port, gracieusement offerte par la Municipalité de Tipasa pour y établir une agence des Monuments Historiques. Ce musée contiendra la collection d'objets conservés et préservés par M. Trémaux, ainsi que ceux trouvés depuis le début des fouilles de Tipasa : grande mosaïque de la basilique civile, couvercle de sarcophage décoré de mosaïques provenant de Sainte-Salsa, collection de monnaies, de lampes, de poteries et de verrerie. A ces collections s'ajouteront les objets découverts au cours des nouvelles fouilles et ceux qui, au fur et à mesure de l'extension des travaux, permettront au visiteur de mieux imaginer quelle fut la vie antique du petit port qui conserve toujours son nom vieux de vingt-cinq siècles.