Les chemins de fer à voie métrique d'Algérie
CHAPITRE II
LES CHEMINS DE FER À VOIE DE 1,055 M
- b)La Franco-Algérienne et le réseau oranais.
Article paru dans la revue bimestrielle de la F.A.C.S, UNECTO : "Chemins de fer régionaux et urbains, n°286, 2001/4"
Auteur : Olivier Fourniol

sur site le
22-04-2003

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CHAPITRE II
LES CHEMINS DE FER À VOIE DE 1,055 M

- b)La Franco-Algérienne et le réseau oranais

-----Nous venons de voir qu'en 1874 la Compagnie Franco-Algérienne a obtenu la concession de la ligne à voie de 1,055 m, longue de 175 km, Arzew - Saida.
-----En 1879, cette ligne est ouverte à tous les trafics, donc pas seulement alfatiers. Quelques mois auparavant, la Franco-Algérienne (FA) a obtenu la concession d'un embranchement Tizi - Mascara, long de 12 km, et d'une deuxième ligne allant du port de Mostaganem à Tiaret via Relizane, où elle doit croiser la ligne PLM Oran - Alger, Uzès-le-Duc et Prévost-Paradol, et cette ligne a 202 km de long. Tiaret se trouve à l'entrée du plateau du Sersou, plateau fertile considéré comme étant l'un de greniers à blé de l'Algérie, par suite, le trafic prévu pour cette deuxième
ligne doit être essentiellement agricole.
-----Telle est l'origine de ce que l'on a appelé le réseau oranais, avec ses trois lignes, Tizi - Mascara étant l'origine de la troisième.
-----Mais, après ce départ très simple, l'histoire de ce réseau est particulièrement complexe, les concessionnaires, comme d'ailleurs les constructeurs, vont s'y succéder.
-----Dès 1881, des troubles dans le sud-oranais vont modifier le programme prévu. Tizi - Mascara et la deuxième ligne sont ajournées au profit du prolongement, littéralement en catastrophe, de la ligne Arzew - Saïda jusqu'à Méchéria. L'armée le construit par tous les moyens, y compris l'emploi d'une main-d'oeuvre composée pour moitié de détenus transférés de la métropole et travaillant boulet aux pieds. Aussi est-il ouvert par étapes très rapidement de juin 1881 à avril 1882. Toutefois, la FA ne peut exploiter elle-même en première étape que le tronçon Saïda - Kralfallah (43 km), la suite (137 km) relevant de la seule armée. Ensuite, la ligne nouvelle est ouverte au trafic civil jusqu'à Modzbah en 1883 et enfin jusqu'à Méchéria en 1885. C'est à cette époque qu'est ouvert l'embranchement Modzbah - Marhoum (35 km) pour desservir la partie ouest de la "mer d'alfa". Par ailleurs, Tizi - Mascara est ouvert en 1886.
-----Cet intermède militaire n'a pas arrangé la situation de la FA, pour laquelle le transport de l'alfa s'avère beaucoup moins lucratif que prévu. Quant à l'armée, imperturbable, elle continue à construire la ligne toujours plus au sud, maintenant en plein désert, et Ain-Sefra, à 102 km de Méchéria, est atteint en 1887. -----Entre l'armée, le désert et l'alfa, la FA ne s'en tire plus. Aussi soustraite-t-elle à la Compagnie des Chemins de Fer Départementaux, les CFD, la construction de la première section de la deuxième ligne, de Mostaganem à Relizane, section ouverte en mai 1888. Les CFD se retirent alors sans avoir pu recouvrer la totalité de leurs créances ; ce guêpier sera en définitive leur seule expérience africaine.
-----A bout de souffle en 1888, la FA donne son réseau en affermage pour cinq ans à son voisin l'Ouest Algérien. L'Ouest Algérien commence par terminer Relizane - Tiaret, ouvert en 1889. Déclarée en faillite en 1890, la FAsurvit grâce à un concordat et elle récupère son réseau à l'issue des cinq ans, donc en 1893. Son activité essentielle est alors de réclamer le rachat de sa concession, ce qu'elle obtient en 1900. Le réseau de la FA devient le réseau oranais de l'Etat, rattaché directement à l'administration métropolitaine.
-----C'était ainsi le début d'une politique qui allait conduire au rachat des quatre autres réseaux concessionnaires : l'Est Algérien en 1908, le Bône - Guelma en 1915, l'Ouest Algérien et le PLM en 1921.
-----Notons dès maintenant que c'est en 1912 seulement que la métropole allait se défausser de son réseau algérien au profit du gouvernement général de l'Algérie, qui créait en conséquence les Chemins de Fer Algériens de l'Etat, les CFAE, qui seront donc dorénavant entièrement distincts du réseau des chemins de fer de l'Etat de la métropole.

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Revenons à la fin du XIX ème siècle. Le dénommé Lartigue est resté célèbre comme inventeur d'un monorail qui ne connut jamais aucun succès. ---- -----Après de nombreux échecs en métropole, Lartigue s'était tourné vers l'Algérie et avait réussi à intéresser le département d'Oran. Ce dernier eut l'idée de construire une ligne expérimentale sur les hauts plateaux, et ce fut un nouvel échec, car les bergers s'empressèrent de démonter des tronçons entiers de la ligne qui faisait obstacle au libre passage de leurs troupeaux.
-----Pour dédommager Lartigue, le département d'Oran lui accorda en 1898 la concession d'une ligne de 42 km entre Oran et Damesne, à 5 km d'Arzew sur la ligne de Saïda. Lartigue créa à cet effet la Société des Chemins de Fer d'Algérie (à ne pas confondre avec la compagnie du même nom qui avait disparu bien avant 1870). Ce fut encore un échec et le département d'Oran dut achever lui-même la construction de la ligne et l'exploiter en régie à son ouverture en 1900, car la concession était bien d'intérêt local puisque venant d'un département.
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-----La ligne est tout de suite intégrée dans le réseau oranais de l'Etat, qui l'exploite ainsi pour le compte d'un département, situation ubuesque qui va durer jusqu'en 1908, année au cours de laquelle la ligne est classée d'intérêt général et rachetée par l' Etat.
Signalons au passage une ligne industrielle éphémère et embranchée sur la précédente. En 1905, la Société Minière Franco-Africaine reprend l'exploitation des mines de fer de Kristel et construit un embranchement particulier de 9 km à voie de 1,055 m de la mine à la gare de Saint-Cloud, entre Oran et Damesne. Cependant, la mine et la ligne sont abandonnées dès 1914.
-----Pour en terminer avec ce secteur d'Arzew, il faut mentionner l'existence d'une ligne de 15 km reliant le port aux salines d'Arzew, ligne exploitée par ces dernières et dont l'ouverture semble remonter à la fin du XIX ème siècle.
-----Pendant le développement de ces péripéties administratives et financières, l'armée n'est pas restée inactive. Par étapes, à partir de 1901, la ligne initiale est prolongée dans le sud jusqu'à Colomb-Béchar, atteint en 1906, à 749 km d'Oran. La ligne Oran - Colomb-Béchar comporte trois embranchements publics : Damesne -Arzew, Tizi - Mascara et Modzbah - Marhoum, plus les deux embranchements industriels que nous venons de signaler: mines de Kristel et salines d'Arzew. C'est aussi la première ligne algérienne de pénétration au Sahara. Son rôle, en dehors de l'alfa, est presque exclusivement militaire. Elle assure en effet la couverture de la frontière entre l'Algérie et le Maroc encore indépendant. Aussi, en certains points, elle longe la frontière.
-----C'est ainsi que dans les oasis de Figuig, la France obligea le Maroc à reculer cette frontière de quelques dizaines de mètres pour que la ligne, déjà construite, reste intégralement en territoire algérien !
-----Mais les deux premières lignes du réseau oranais n'allaient pas rester longtemps séparées l'une de l'autre. En effet, en 1908, est ouvert un embranchement de La Mocta (entre Arzewet Perregaud) à Mostaganem, où il rejoint la ligne du Sersou à 6 km de son origine, située au port même de Mostaganem. Cet embranchement de 30 km de long fut construit par le département d'Oran et, par suite, ce fut la seconde ligne d'intérêt local exploitée par le réseau oranais de l'Etat, et ceci jusqu'à son classement d'intérêt général et son rachat par l'Etat en 1915 seulement.
-----A leur création en 1912, les CFAE exploitent à l'est l'ancien réseau de l'Est Algérien, en partie à voie normale et en partie à voie métrique, mais de 1 mètre comme nous le verrons, et à l'ouest le réseau oranais de l'Etat à voie de 1,055 m. Embranchements exclus, son réseau de l'ouest comporte les deux lignes Oran - Colomb-Béchar et Oran - Tiaret, en tronc commun jusqu'à La Mocta, mais ce réseau doit être repris par
endroits et surtout complété. Bien entendu, la guerre de 14 arrête tout, à deux exceptions près toutefois. La première consiste à reprendre d'urgence la seconde ligne entre Relizane et Uzès-le-Duc, car elle est coupée sans cesse par les crues de l'Oued Mina. Il est prévu à sa place un tracé direct de Relizane à Prévost Paradol (donc entre Uzès-le-Duc et Tiaret).
-----Ce nouveau tracé est bien ouvert en 1916 de Relizane à Zemora, sur 22 km, mais la seconde partie, la plus longue, puisqu'il y a 59 km de Zemora à Prévost-Paradol, ne sera finalement ouverte qu'en 1925.
-----La seconde exception est consécutive à la découverte en pleine guerre d'un gisement minier important à Kenadza, véritable miracle pour l'Algérie qui jusque là ne possédait pas la moindre mine de charbon.
-----La ligne d'Oran est alors prolongée sur 22 km de Colomb Béchar à Kenadza, ceci en 1921. Notons au passage qu'ultérieurement, un second gisement de charbon sera découvert à Béchar Djedid au sud de Colomb-Béchar, il sera relié à cette dernière gare par un embranchement de 15 km de long.

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Un bouleversement très important va modifier complètement en 1921 l'organisation des chemins de fer algériens mais, une fois n'est pas coutume, il ne concerne pas le réseau oranais de l'Etat. En effet, 1921 est l'année du rachat par l'Etat des deux derniers réseaux restés indépendants : l'Ouest Algérien et le PLM. On profite de l'occasion pour regrouper en deux réseaux l'ensemble ferroviaire algérien. Al'ouest d'Alger, le PLM reçoit en affermage son ex-ligne Alger - Oran et le réseau de l'Ouest Algérien ; à l'est d'Alger, les CFAE reçoivent l'ancienne ligne PLM Constantine - Philippeville et gardent les réseaux issus de l'Est Algérien et du Bône - Guelma. Les lignes départementales restent provisoirement en dehors de ce partage, très simple géographiquement s'il ne comportait une exception de taille : le réseau oranais de l'Etat, bien qu'entièrement situé dans le nouveau domaine du PLM, reste néanmoins rattaché aux CFAE.
-----A propos de l'embranchement Tizi - Mascara, nous avons parlé d'une troisième ligne du réseau oranais.
-----Effectivement, avant la guerre de 14, ce qu'il est convenu d'appeler le programme de 1907 avait prévu la construction d'une rocade allant de Sidi-Bel-Abbès, au sud d'Oran sur la ligne de l'Ouest Algérien, à Bouïra à l'est d'Alger, sur la ligne principale de l'Est Algérien. Commencée à la fin de la guerre, elle sera construite si lentement qu'elle ne sera jamais terminée. -----Le tronçon ouest Sidi-Bel-Abbés - Tizi, de 83 km, est ouvert à ses deux extrémités dès 1919, mais sa partie centrale, de Mercier-Lacombe à Moulin-Carnot, ne le sera qu'en 1926. On retrouve ensuite le vieil embranchement de 1886, Tizi - Mascara. Puis, toujours vers l'est, le tronçon de 65 km Mascara - Uzès-le-Duc est ouvert en 1927. On retrouve alors jusqu'à Tiaret l'ancienne ligne venant de Mostaganem. Cette ligne est alors prolongée en 1926 sur 25 km jusqu'à Trumelet. A partir de Trumelet, l'armée avait construit en 1921 (?) une ligne à voie de 60, en récupérant du matériel venant des chemins de fer militaires du Maroc, ligne allant jusqu'à Hardy, à 95 km.
-----Et l'on en resta là, sous la réserve suivante : en 1942, les 21 premiers kilomètres de cette ligne à voie de 60, de Trumelet à Burdeau, sont reconstruits à voie de 1,055m.
-----Donc, si le chemin de fer était allé jusqu'à Hardy, le véritable terminus de la troisième ligne du réseau oranais de l'Etat à voie de 1,055 m était bien Burdeau. Au-delà de Hardy, la rocade projetée aurait dû retrouver à Boghari la ligne Blida - Djelfa que nous étudierons au paragraphe suivant, ligne elle aussi à voie de 1,055 m. La rocade était en tronc commun avec cette ligne jusqu'à Berrouaghia, donc en remontant vers le nord en direction de Blida.
-----Un dernier tronçon aurait dû joindre Berrouaghia à Aïn-Bessens où l'on retrouvait la ligne Bouïra - Aumale, elle aussi à voie de 1,055 m, ligne des CFRA, réseau que nous étudierons ensuite.
-----La durée de vie de la partie construite de cette troisième ligne fut, sauf exceptions, particulièrement courte. Effectivement, les mesures de coordination rail-route ont amené la fermeture en 1938 des sections SidiBel-Abbès - Tizi et Mascara - Uzèsle-Duc.
----- --- -----L'adoption du nouveau tracé de la deuxième ligne par Zemmora a également amené la fermeture de Relizane - Uzès-le-Duc et aussi de Uzès-le-Duc - Prévost-Paradol, repassé à la troisième ligne. La mise à voie de 1,055 m de Trumelet - Burdeau a amené la fermeture du secteur resté à voie de 60, Burdeau - Hardy.
-----En 1959, donc pendant ce qui ne s'appelle pas officiellement la guerre d'Algérie, la partie du réseau oranais au nord de la ligne Oran - Alger a été profondément remaniée. Les lignes d'Arzew et Mostaganem à La Mocta et Perregaud ont été mises à voie normale, tandis que les lignes Oran - Damesne et Mostaganem - Relizane étaient abandonnées. Il semblerait de plus que l'embranchement alfatier Modzbah - Marhoun ait été abandonné depuis la seconde guerre mondiale, comme probablement la ligne privée des salines d'Arzew. En conséquence, de ce grand réseau oranais à voie de 1,055 m, il reste la ligne Perregaud - Colomb-Béchar, la ligne Relizane -Zemmora - Burdeau, l'embranchement Tizi - Mascara, et probablement les deux embranchements miniers de Colomb-Béchar à Kenadza et à Béchar-Djedid. Cependant, le nouvel Etat algérien a un grand projet. Pour lui aussi, il s'agit de construire une grande rocade ferroviaire ouest-est, mais cette fois-ci à voie normale. Or, il est curieux de constater que dans sa partie ouest, le tracé de cette nouvelle rocade suit, à peu de choses près, le tracé de la partie construite de la troisième ligne du réseau oranais, donc de Sidi-Bel-Abbès à Burdeau, voire même Hardy. Au delà, le tracé prévu passe nettement plus au sud et va beaucoup plus loin vers l'est puisque jusqu'à Tébessa, ceci via Aïn-Oussera (sur la ligne Blida - Djelfa), Bou-Saada, la célèbre oasis pourtouristes, dans un premier projet, ou M'Sila dans un second, A'in-Touta (sur la ligne Batna - Biskra) et Khenchala (que nous retrouverons pour la voie de 1 mètre). A notre connaissance, actuellement un seul tronçon a été commencé par un groupe indien à partir de Aïn-Touta en direction de M'Sila. En revanche, il semble que la voie de 1,055 m n'ait pas dit son dernier mot et qu'un embranchement industriel à cet écartement ait été construit au départ de Saïda en 1983.

-----En conclusion de cette histoire mouvementée, il a paru utile de récapituler les lignes à voie de 1,055 m construites au titre du réseau oranais.
--------Première ligne
-----Oran - Colomb-Béchar (749 km), Arzew- Damesne (5 km), SaintCloud - Kristel (9 km), Salines d'Arzew (15 km), Modzbah - Marhoun (35 km), Colomb-Béchar - Kenadza (22 km), Colomb-Béchar - Béchar-Djedid (15 km).
--------Deuxième ligne
-----La Macta - Uzès-le-Duc (146 km), Mostaganem - Mostaganem-Marine (6 km), Relizane - Zemmora - Prévost-Paradol (81 km).
-----La ligne Blida - Djelfa traverse les gorges de la Chiffa, un massif montagneux très pittoresque mais qui a toujours été un bastion de résistance et de guérilla. Collection Jean Bazot.
--------Troisième ligne
-----Sidi-Bel-Abbès - Burdeau (292 km). Soit un total de 1375 km, c'est dire l'importance du réseau oranais de l' Etat