Alger : Les transports maritimes
-Petite histoire de la Compagnie de Navigation Mixte
Cinquième et dernière partie : 1963-1969
Bernard Bernadac

extraits du numéro 110 , juin 2005 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
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Petite histoire de la Compagnie de Navigation Mixte
Cinquième et dernière partie : 1963-1969
Bernard Bernadac

De janvier à février 1963, le Kairouan effectua cinq voyages pour transporter des juifs de Casablanca à Naples d'où, après passage dans un camp, ils furent acheminés en Israël.

Pendant toute l'année 1963, les navires de la Compagnie effectuèrent un trafic intensif sur l'Algérie : transports de " rapatriés ", de troupes, d'armement et de matériel et, à la fin de l'année, les Français d'Algérie et les troupes avaient terminé l'évacuation de l'Algérie.

Le nouveau pays essaya de s'organiser tant bien que mal et les conditions d'exploitation des lignes maritimes devinrent déficitaires pour les compagnies : l''Algérie n'avait plus, ou si peu, d'échanges commerciaux et surtout de " passagers " avec la France. La Compagnie de Navigation Mixte fut alors obligée de modifier ses services et de prendre certaines mesures pour remédier à cette situation préoccupante.

Ainsi au mois de novembre plusieurs décisions importantes furent prises après que l'El-Djezair, le Djebel-Dira et le Tafna, qui avaient été affrétés par le ministère des Armées, furent rendus à la Compagnie :
- Le Tafna fut affrété pour une période de six mois à la Compagnie Paquet;
- Le Touggourt fut également affrété pour une période de six mois à la Compagnie Paquet pour effectuer la ligne Marseille-Casablanca qui n'avait pas subi les conséquences du conflit algérien;
- Le mois précédent l'excellent El Mansour (le " Vainqueur " en arabe) était lui aussi la victime directe du conflit algérien.

La Compagnie dut se résoudre au mois d'octobre 1963 par suite de la baisse du trafic à abandonner, l'hiver, les lignes de Port-Vendres.

Acheté par la Marine nationale qui voulait le transformer en bâtiment base, il quitta définitivement Marseille le 31 octobre à destination de Brest où il fut modifié et rebaptisé Maine.

Le Maine prévu à l'origine pour assurer le transport du personnel et du matériel entre Papeete et Mururoa, servit d'hôtel flottant à 250 techniciens civils faisant partie du personnel employé aux essais nucléaires dans le Pacifique alternativement à Mururoa et à Fangataufa où il resta jusqu'en 1974.

Le 7 janvier 1974, le navire fut condamné et le 3 avril, coulé au canon par l'aviso Doudart-de-Lagrée. Le 7 février 1964, le Tafna, vendu aux Messageries Maritimes pour devenir stationnaire à Tahiti, était rebaptisé Marania.

En 1964, le service Baléares - Alicante-Alger, commun à la Compagnie Générale Transatlantique et à la Compagnie de Navigation Mixte, fut assuré par le Ville-d'Alger de la Transat.

Au mois de juin 1964 la Compagnie Paquet rendait le Touggourt à la Compagnie et affrétait le Tell pour sa ligne sur le Maroc pendant les trois mois d'été. Toujours au mois de juin le Président-de-Cazalet fut affrété par la Compagnie Générale Transatlantique afin d'effectuer un service sur Marseille, Ajaccio, Bastia et Nice. Enfin le Relizane fut affrété à la fin du mois de juin à la Compagnie Générale Transatlantique pour effectuer la ligne de Corse.

Il ne restait alors en juillet que quatre navires qui naviguaient régulièrement pour la Compagnie : le Kairouan, l'El-Djezaïr, le Touggourt et le Blida. L'El-Mansour et le Tafna avaient été vendus et le Président-de-Cazalet, le Djebel-Dira, le Tell, le Canigou, le Relizane et l'Edjelé étaient affrétés par d'autres compagnies.

En décembre 1964, le Canigou fut affrété coque nue par la Compagnie Générale Transatlantique sur la ligne hebdomadaire MarseilleAjaccio-Bougie en remplacement du Fort-Duquesne.

Le 29 décembre 1964, le Blida arriva pour la première fois à Marseille sous les couleurs de la Compagnie Nationale Algérienne de Navigation à laquelle il avait été loué.

Le Djebel-Dira fut affrété par la Compagnie Paquet en avril et mai 1965.

Pendant l'hiver 1965, le Touggourt fut affrété par la Compagnie Paquet pour assurer les rotations du Tadla alors indisponible, pour le transport de primeurs du Maroc. Toujours en 1965 le Canigou fut affrété quelque temps par le gouvernement algérien.

La situation en Algérie était au point mort, mais la Compagnie ne cherchait pas à tourner ses vues vers d'autres pays, vers d'autres mers ou vers d'autres formes d'exploitation de ses paquebots, comme les croisières par exemple.

Au contraire, elle fit étudier un projet de construction d'un car-ferry pour le transport de passagers, voitures et marchandises sur l'Afrique du Nord. Était-ce bien raisonnable d'envisager un nouveau navire alors qu'il n'y avait pratiquement plus de passagers sur l'Algérie? moins que ce ne fût qu'un leurre pour masquer les liquidations progressives de la flotte ?

Les fruits et les légumes ainsi que les primeurs avaient pratiquement disparu en Algérie. Le trafic s'effectua alors surtout dans le sens France-Algérie. Les navires transportèrent essentiellement des produits finis, matériel agricole, automobiles, tissus et vêtements, ainsi que diverses denrées de première nécessité. Mais l'Algérie, en dehors de son vin, n'exportait plus que quelques maigres primeurs et quelques agrumes.

L'été cependant le trafic " passagers " augmentait lentement chaque année avec un tourisme rare, mais surtout avec les ressortissants algériens travaillant à l'étranger et qui regagnaient leur pays pour les vacances.

La Compagnie fut à nouveau obligée de vendre ou de faire affréter ses navires : en avril 1966, le Canigou fut vendu à la Compagnie Tunisienne de Navigation et rebaptisé Sousse.

En mai 1966 le cargo Tell fut cédé au groupe anglais Ross afin d'être transformé en navire-usine pour la pêche. Il fut rebaptisé Ross Keletchelkis.

En janvier 1967 le Président-deCazalet fut affrété par la Compagnie Générale Transatlantique pour remplacer le Ville-de-Tunis qui avait été vendu.

Le 18 avril 1967 le nouveau car- ferry de la Compagnie effectua son premier voyage Marseille-Tunis. Ce navire fut baptisé du nom d'Avenir. C'était un navire de 6920 tonneaux de jauge brute équipé pour transporter 940 passagers et 1298 tonnes de fret.

L'Avenir entra en service sur la ligne de Tunisie le 18 avril 1967.

En mai 1967, le Président-de-Cazalet fut loué coque nue à la Compagnie Transatlantique pour remplacer définitivement le Ville-de-Tunis. Il fut rebaptisé Méditerranée. L'année suivante il fut vendu à la Transat qui l'affréta quelque temps à la Compagnie Générale Transméditerranéenne.

Le bilan d'exploitation de la Compagnie de Navigation Mixte en cette année 1967 ne fut pas très encourageant. Le rapport présenté le 19 juillet à l'assemblée générale soulignait les difficultés rencontrées en 1967 sur le plan de l'exploitation de sa flotte.

La situation du trafic avec l'Afrique du Nord ne s'améliora pas en 1968, et le trafic fut déficitaire pour la Compagnie. Sa flotte réduite était encore trop importante et la Mixte dut se résoudre à prendre d'autres mesures.

Le contrat de location du pétrolier Edjelé étant arrivé à expiration, celui-ci fut vendu en janvier 1968 à un armement panaméen qui le rebaptisa Petrolasa.

La partie de la flotte composée du car-ferry Avenir et des deux cargos Relizane et Blida fut cédée à la Compagnie Générale Transméditerranéerme, créée le 19 mars 1969 dans le cadre des opérations d'apport-fusion réalisées en juillet 1969 par la Transat du Midi et par la Compagnie de Navigation Mixte pour constituer dans la proportion de 65 % pour la Transat et 35 % pour la Mixte, la Compagnie Générale Transméditerranéenne. L'économie de cette opération permettait à la Mixte de se dégager d'une exploitation maritime méditerranéenne déficitaire. Dans l'année qui suivit, la Mixte vendit à la Transat les actions de la Transméditerranéenne qu'elle avait reçues en rémunération de ses apports. Avec le prix de cette vente complété par ses fonds propres et les actifs dont elle était propriétaire, elle entreprenait une politique de développement et de reconversion; ayant gardé ses nombreuses filiales, elle devint une importante société de " holding ".

Que devinrent alors les navires qui n'avaient pas été transférés à la Compagnie Générale Transméditerranéenne ?

Le Kairouan fut affrété coque nue à la Compagnie Générale Transméditerranéenne le 1er juillet 1969. Le 7 mars 1973 la charte-partie fut renouvelée une dernière fois pour une période de six mois au prix de 900 000 F et le 30 septembre 1973, c'était le terme du contrat d'affrètement. L'âge du navire et ses caractéristiques ne permettaient pas d'envisager son renouvellement. Cependant, malgré son âge avancé et son manque d'entretien le Kairouan n'avait rien perdu de sa vitesse ni de son élégance. Âgé de 31 ans il fut finalement vendu en novembre 1973 à des chantiers de démolition espagnols pour la somme de 2 845 619,82 F.

Le Djebel-Dira fut désarmé à Marseille en septembre 1969. Il resta amarré le long de la grande jetée jusqu'en août 1970. II fut alors vendu à la compagnie grecque Spyros Billinis qui le rebaptisa Phoenix et le fit transformer pour effectuer des croisières.


compagnie de navigation mixte

Le Djebel-Dira quitta une dernière fois Marseille le 4 septembre 1970.

Le Touggourt fut désarmé en juillet 1969 le long de la grande jetée de Marseille en couple avec l'El Djezaïr jusqu'en octobre 1969, date à laquelle il fut vendu à la S.A.M.A.N (Société Anonyme Monégasque d'Armement et de Navigation) qui le rebaptisa Valdor.
L'El-Djezaïr désarmé également le long de la grande jetée de Marseille en décembre 1969, fut vendu à une compagnie anglaise installée à Malte. En janvier 1970 il quittait Marseille pour Malte où il devait être transformé en paquebot de croisières pour le compte de la Sovereign Cruises SA, à Malte. Cette même compagnie avait déjà fait réparer à Toulon le Galaxy Queen, lequel était parti sans payer la facture.

Rebaptisé du nom de Floriana, l'El Djezaïr resta quelques mois à Malte puis se rendit à Bilbao jusqu'en janvier 1972, mois durant lequel il fut vendu sans avoir été transformé. Le 29 janvier 1972, remorqué par l'Abeille 12, il fut conduit au Pirée vers son nouveau propriétaire Piccadily S.S., compagnie de Chypre. Il conserva son nom.

On ne sait pas s'il navigua sous son nouveau pavillon mais, en 1973, on le retrouvait sous les couleurs de l'Allied Finance SA. en Grèce. Il fut vendu en juin de la même année à des chantiers de démolition espagnols. Il quitta le Pirée en remorque le 23 juin 1973 et arriva le 5 juillet 1973 à Valencia où furent entrepris les travaux de démolition.

Aujourd'hui, on peut dresser un bref bilan de l'activité de la Compagnie de Navigation Mixte pendant la période de 119 ans durant laquelle elle exerça son activité d'armateur en Méditerranée. Cette Compagnie se développa de façon régulière grâce à une gestion
saine et éclairée, exercée par des personnes qui " y croyaient " et qui n'avaient pas froid aux yeux. Quelques essais infructueux du côté des lignes au long cours démontrèrent à plusieurs reprises que la vocation de la Compagnie était essentiellement méditerranéenne. Des hommes tels que Louis Arnaud, les frères Touache qui créèrent la Compagnie, ainsi que des hommes comme Théodore Mante, Gustave Gravier, Édouard de Cazalet et bien d'autres, marquèrent leur époque par des résultats étonnants et une prospérité croissante de la Compagnie. Cette bonne gestion obligea l'Etat à lui accorder des subventions et lui permit de rivaliser avec succès avec les grandes compagnies de navigation comme la Transat et la S.G.T.M avant la dernière guerre.

Le bel essor de cet armement fut stoppé à deux reprises par les deux guerres mondiales mangeuses d'hommes et de navires, mais à chaque fois un homme de caractère, ayant le sens des affaires, se trouva là pour relever avec éclat la Compagnie à genoux et l'amener de nouveau aux plus hauts niveaux de rentabilité. Mais ces résultats eux-mêmes n'avaient été atteints que grâce aux améliorations continues de tous les rouages complexes d'une compagnie de navigation. Mentionnons tout particulièrement l'amélioration de base que constituaient la modernisation de la flotte et l'adaptation de l'outil de travail que le navire représentait pour l'armateur.

Il était difficile de chiffrer soit l'augmentation des recettes soit la diminution des dépenses que pouvait entraîner un navire bien approprié à sa ligne.

Une autre amélioration fondamentale était celle des lignes elles-mêmes : sans entrer dans les détails des horaires et des trafics, mentionnons que tels services déficitaires étaient deven u s largement bénéficiaires du fait, par exemple, qu'ils avaient pu être convenablement assurés avec deux cargos quand, autrefois, avec des rotations plus lentes, il fallait trois navires pour une recette de même ordre.

Grâce à ces efforts assurément méritoires faits pendant toute son existence, la Compagnie avait prospéré dans tous les domaines.
La Compagnie de Navigation Mixte née de la conquête de l'Algérie, mourut si l'on peut dire avec elle.

Après la guerre d'Algérie plusieurs facteurs amenèrent la direction de la Mixte à abandonner progressivement l'exploitation des navires pour fonder une société de holding :

- Primo, après la guerre d'Algérie le climat politique ainsi que l'exode des Européens avaient amené une suppression presque totale du trafic " passagers ";

- Secundo, la situation agricole de l'Algérie après l'indépendance ne permettait plus à ce pays d'exporter des primeurs et des fruits et légumes en qualité et quantité suffisantes;

- Tertio, le nombre des navires de la Compagnie était devenu trop important pour ce trafic réduit;

- Quarto, certaines unités d'un âge avancé n'avaient pas eu de remplaçants prévus : 7 navires sur 13 avaient 20 ans ou plus et il ne restait que 2 cargos récents de moins de 10 ans, 3 de 10 ans ou plus et un car- ferry flambant neuf.

On ne peut que regretter que la Compagnie de Navigation Mixte n'ait pas poursuivi la politique maritime qu'elle avait appliquée auparavant avec succès. Pendant le développement du conflit algérien elle n'avait pas tenté de rechercher de nouveaux débouchés pour les navires vers d'autres pays ou d'autres mers ou encore d'autres activités maritimes.

En dehors de l'Avenir (navire qui portait bien mal son nom...), aucune étude de car-ferries ou de petits cargos ou encore de transformation des paquebots existants en navires de croisières ne fut faite pour reconstituer ou modifier une flotte, afin de l'adapter aux nouvelles conditions sur l'Afrique du Nord ou à des lignes autres que celles de la Méditerranée.

Dès lors il était clair que les ambitions de la Compagnie de Navigation Mixte n'étaient plus dirigées vers une exploitation maritime. La Compagnie allait devenir un groupe financier à part entière.

Ainsi se terminait, le 1er juillet 1969, la grande aventure maritime méditerranéenne de la Compagnie de Navigation Mixte (Compagnie Touache).

(Les reproductions d'affiches ayant servi à illustrer ces articles sont extraites de Algérie en affiches, Copagic-Éditions Baconnier, 2004.)